Are you talking to me ?! | Alex

Cette semaine avait été éprouvant pour Donovan qui ne savait pas où donner de la tête, il avait du travail à n’en plus finir, à se demander si sa pile de dossiers se réduira un jour avec des clients tous plus exigeant les uns que les autres. Mais il n’allait pas se plaindre d’avoir du travail, aussi éprouvant soit-il, il recevait tous les jours des clients en faillite, ou bien incapable de payer leurs traites, des personnes au bord du gouffre espérant que la banque serait leur sauveur, le problème c’est que ça ne fonctionnait pas de la sorte. Et puis les gens avaient de tels a priori sur son milieu, certes il avait une belle situation mais non il ne se servait pas allègrement sur le dos de ses clients et personne ne se rendait vraiment compte de la pression occasionnée, avoir le sort de personnes entre vos mains, savoir que vous pouvez ruiner un espoir, un rêve, une vie en prenant une simple décision, un simple non… Donovan détestait son job, il fallait bien l’avouer. Et même s’il était aujourd’hui très à l’aise dans ce domaine, il n’en avait pas toujours été de même, d’ailleurs même aujourd’hui si c’était à refaire il refuserait ce cadeau empoisonné qu’était l’héritage paternel…

Sans parler de sa vie personnelle qui n’était pas idyllique non plus. Bref, voilà que ce soir Donovan avait eu la proposition d’aller boire un verre entre collègues dans un bar à la sortie du travail. Notre homme n’était pas forcément coutumier de ce genre de sorties, tout simplement parce qu’il savait pertinemment que même autour d’un verre les conversations seraient exactement les mêmes qu’à la machine à café et que ça ne l’intéressait pas. Mais voilà, il n’avait pas vraiment envie de rentrer chez lui, de se retrouve seul parce que Victoria travaillerait tard ou bien elle serait rentrée et alors il se sentirait encore plus seul, la savoir proche physiquement de lui et pourtant si distante ces derniers temps, c’était encore pire que d’être seul. Alors il avait accepté la proposition, après tout, un verre ça n’impliquait pas grand-chose. Ils s’étaient installés à une table dans le fond, ils étaient un peu moins de dix, ça parlait fort, ça rigolait, ambiance détendue d’une fin de semaine, finalement Donovan passait un moment sympa. Ce fut son tour de payer une tournée alors il se dirigea vers le bar, il était aux alentours de 20 heure. Il attendit son tour pour prendre la commande auprès du barman, le bar était relativement plein. Le barman passa finalement à lui. « On va reprendre la même chose, 3 scotch et 5 bières pression s’il vous plais. » Il allait retourner à sa table en attendant d’être servi lorsqu’un homme l’interpella.

En se retournant Donovan reconnu tout de suite celui qui l’interpelait. Il ne peut s’empêcher de s’esclaffer à l’écoute de sa réflexion. Alex Hawkes, depuis combien de temps n’avait-il pas vu ce gars ? La réponse n’était pas si compliquée, la dernière fois qu’il n’avait vu c’était dans son propre bureau, il y a à peu près un an et Donovan avait dû refuser le prêt du jeune homme. Leur histoire remontait à bien plus longtemps que cela d’ailleurs. On pourrait même dire qu’ils se sont toujours plus ou moins connu, ayant quasiment le même âge, ils ont grandi ensemble, fréquentant les mêmes écoles, les mêmes connaissances. Alex était le genre de gars très sociable qui s’entendait avec tout le monde, issu d’une classe moyenne, facile à apprécier. Donovan lui était le gamin timide qui devait porter le poids de son nom comme un boulet à sa cheville, il avait peu d’amis, ne se liait pas facilement et quand il tentait de se faire des amis alors ceux-là le jugeaient toujours par rapport à son héritage, à sa famille, cela bien avant de le connaitre pour lui-même, seuls ce qui avaient tenté d’aller plus loin que cette façade étaient devenu ses vrais amis. Alex avait fait partie de ceux qui s’étaient arrêté à son nom, il faisait encore aujourd’hui parti de cette catégorie. Ils ne s’étaient jamais suffisamment cherché pour finir par se taper dessus, pourtant il était de réputation que les deux gamins ne s’aimaient pas. Et en devenant adultes la situation ne s’était pas améliorée, Donovan avait accédé au fauteuil de vice PDG de l’empire de papa, de quoi faire rire les gens qui le haïssaient. Parce que bien entendu ils avaient tous raison, il ne devait sa réussite sociale qu’à son nom. Mais aucune de ces personnes savaient réellement ce que cela signifiait, les sacrifices que cela engageaient, le fait que Don n’avait jamais eu le choix concernant son avenir et qu’il aimerait être partout sauf à ce poste. Pourtant il affichait de sourires de façade… parc qu’il n’avait pas le droit de se plaindre. Alex lui semblait avoir galéré dans la vie, c’était d’ailleurs la raison qui lui avait fait demander un prêt pour ses études de médecine. Donovan aurait adoré être celui qui lui permettrait d’accéder à son rêve, après tout, celui qui n’avait pas eu la chance de pouvoir choisir sa voie aimait aider les autres à y parvenir. Mais voilà, des raisons purement bureaucratiques avaient rendu le dossier irrecevable pour la banque Emery & Fils. Et rendu la relation entre Donovan et Alex encore plus mauvaise. « Hawkes, j’aurai du me douter que je te trouverai ici, toujours solidement accroché à un bar je vois, les bonnes habitudes ne se perdent jamais… » Il ne voulait même pas dire ce genre de conneries, il aurait préféré ne pas rencontrer Alex ce soir parce qu’à la vue de son état, il ne devait pas être à son premier verre, il se doutait que la situation pouvait vite dégénérer.

C’est tout de même bien idiot de garder de rancœurs telles quel les leurs, des histoires de réputation faussement attribuée, de guéguerre de cour de récré, pourtant, la trentaine arrivant, les deux hommes ne pouvaient s’empêcher de jouer au coq, au plus fort, à celui qui aurait la plus grande gueule, aucun ne voulait plier devant l’autre et s’en était presque ridicule. Mais allez résonner deux ennemis qui n’avaient que leur mépris en commun. Ils se jaugeaient l’un et l’autre, riant chacun aux remarques de l’autre, de façon ironique, évidemment. Donovan ouvrit les bras en hochant la tête, restons dans les clichés. « C’est pour mieux faire marcher mon commerce on le sait bien. » Il savait que cette remarque pouvait attiser la colère d’Alex mais il avait dépassé le stade de la bienséance, après tout ce gars avait le don de le mettre en rogne et le fait de le voir à moitié saoul n’aidait pas. Notre homme avait une aversion pour l’état d’ébriété, il n’aimait pas que l’on boive jusqu’à ne plus être soi-même, ce qui était relativement hypocrite de la part d’un gars qui se droguait bien trop régulièrement et qui adorait s’enfoncer dans ses songes aidés par des petits joints, seul chez lui. Mais il ne buvait pas, ou très peu, jamais à en finir saoul.

Mais même relativement éméché, Hawkes avait toujours de la conversation et une bonne répartie, d’ailleurs Donovan remarquait bien qu’il s’amusait à le provoquer et qu’il y prenait un réel plaisir. « Ne t’en fais pas, il m’arrive de me mêler au peuple Alex même si certaines rencontres sont bien plus agréables que d’autres. » Sa réflexion sur la nourriture servie eut l’effet de faire hausser un sourcil à Don et d’autant plus quand Alex s’excusait faussement d’avoir du vocabulaire. Parce qu’il savait bien que l’autre n’était pas un idiot, il n’en avait jamais douté et ce genre de remarque facile avait le don de l’agacer au plus haut point. Après tout ils avaient fréquenté les mêmes écoles, ils avaient galéré avec les mêmes profs à l’époque. « Je ne dirais pas non à un hamburger figure-toi, tu sais, le caviar c'est assez surfait… » Il laissa passer un homme qui voulait accéder au bar. « C’est bien, je vois qu’on fait des singes savants bien éduqués maintenant… » Il ne riait plus, il en avait déjà ras le bol de discuter avec Hawkes et voyant que de toute façon ça n’allait nulle part, il voulut prendre congé. « Prend un taxi pour rentrer ce soir Alex. Bonne soirée. » Et il commença à se retourner. Sa dernière remarque n’avait rien de mauvais ni d'ironique, c’était même le seul mot gentil qu’il avait eu pour Alex, il le voyait bien conduire sa voiture alors qu’il n’en était pas capable, mais ça l’embêterait de voir un accident en gros titre du journal demain matin.