Take me back to the start | Woody

Je n'avais pas à me reconstruire moi-même, mais j'avais tout à construire une bonne fois pour toute. Pendant tellement d'années j'avais tenté de rester jeune et fou, de ne pas penser à l'avenir. Sauf que j'approchais la trentaine et si je continuais à ce rythme-là, j'allais mourir seul et cette perspective d'avenir ne me réjouissait guère. Je ne dis pas là que le fait d'ouvrir mon coeur à Sara n'était qu'une excuse pour ne pas terminer mes jours seuls avec Allan Poe, ou du moins le chien qui "prendrait sa place" d'ici-là si j'avais le malheur de l'enterrer avant de m'enterrer moi=même. Non, ce n'était pas la raison pour laquelle tout d'un coup, j'étais prêt à m'ancrer au sol et cesser de voler de droite à gauche. Sara était celle que j'attendais depuis longtemps, quelques fois de façon consciente, d'autre fois inconsciemment. Bref, Sara avait à se reconstruire et moi je voulais construire une vie avec elle. Nous avions tous les deux à travailler fort pour pouvoir bâtir quelque chose d'encore plus grand ensemble, mais j'étais prêt à me retrousser les manches pour m'assurer qu'on ferait un long bout de chemin côte à côte, main dans la main.

Je comprenais toutefois que pour le moment, ce projet de vivre une vie à deux devait demeurer secret, ou du moins que je ne devais pas le crier sur tous les toits de Bowen. Sara était encore fragile, et son monde était bien assez chamboulé pour que je vienne y ajouter mes exigences d'exclusivité. Je faisais confiance à Sara, et je savais que lorsque le bon temps serait venu pour elle, elle le dirait. Pour le moment, je saurais me contenter de ne le dire qu'aux personnes les plus importantes pour moi. J'attendrais que la brunette règle ses histoires avec Jamie, surtout. Et Cassandre. Parce que visiblement celle-ci n'était pas que dans mon portrait, mais celui de mon meilleur ennemi aussi. « Ouais mais elle est pas aussi bien que toi … » Disais-je pour la rassurer, et pour la complimenter, mais en même temps cela laissait-il présager que je connaissais aussi bien Cassandre ? Je sentais que je me mettais les pieds dans les plats, et avant de m'enfoncer davantage, je révélai ma nuit avec Cassandre à Sara. Parce que ça se serait su tôt ou tard, je le savais, par le biais de Cassie ou de Jamie même, alors je préférais qu'elle l'entende de ma bouche.

Sara s'arrêt net, lâcha ma main l'espace de quelques secondes avant de la reprendre. Je ne savais plus quoi penser. Je lisais dans ses yeux de la peur, de la colère, de la déception, de la tristesse, puis de la peur et de la colère encore. J'avais l'impression que tellement d'émotions habitaient Sara qu'elle n'arrivait même plus à réfléchir clairement. Alors elle me fixait, bouche bée. Et moi aussi. Je lui parlai finalement de l'honnêteté que je lui devais, que je nous devais. Elle hocha la tête et déglutit, avant d'enfin parler. Elle commença par un pourquoi qu'elle retira aussitôt. Heureusement. Parce que le pourquoi, c'était elle ; pour l'oublier. Et je ne me sentais pas capable de lui avouer que je gérais mes émotions de cette façon. Parce qu'elle aurait encore cette image de moi qui se cache la tête dans le sexe ; c'est pire que dans le sable. Avec elle, je me sentais capable d'être différent, de finalement cesser d'ouvrir des jambes pour mieux fermer mon cœur.

Sara lâcha ma main, et tout d'un coup je ne savais plus trop où la mettre. Je la fourrai dans la poche de mon jeans. Et je l'écoutai m'avertir que je ne pouvais pas lui briser le coeur, que je ne pouvais la laisser tomber. À mon tour de déglutir. Elle profita de ce petit moment de silence pour murmurer un commentaire à propos de Cassandre. Je ne le relevai pas. Ça n'en valait pas la peine. Je me concentrai sur sa demande. « Sara ... Je sais que depuis que tu me connais, tu m'as vu avec un tas de filles, et je comprends que ça puisse vraiment te faire peur. Mais toi aussi tu as quelque chose à comprendre dans tout ça. Comprends qu'alors que j'étais avec ces filles-là, c'était avec toi que je voulais réellement être. Alors maintenant que je t'ai, crois-tu que j'irai à quelque part d'autre que dans tes bras ? » Lui demandais-je avec un mince sourire. Je passai mon pouce sur sa joue, puisqu'une petite larme avait su sortir de ses yeux embués. Puis mon sourire s'agrandit, et je penchai légèrement la tête vers la gauche avec un sourcil haussé. « Alors comme ça, tu m'aimes aussi, hein ? » Je rigolai. Aucune parole n'aurait pu me rendre plus heureux.

Sara serrait sa main alors que nous parlions de cet égarement que j'avais eu avec Cassandre. Elle écoutait, elle voulait plus que tout s'accrocher à mes paroles. Elles étaient sincères, alors elle pouvait s'y accrocher autant qu'elle le voulait, la structure ne dégringolerait jamais. Je serrai donc moi aussi sa main dans la mienne, comme pour lui transmettre toute l'honnêteté dont je faisais preuve via un courant électrique entre nos corps, ou un truc dans le genre. J'avais fait bien des erreurs dans ma vie et je m'étais souvent comporté comme un idiot avec les femmes. Cela m'avait d'ailleurs valu une réputation qui n'était pas à envier, bien que tant d'hommes se disaient jaloux de ma popularité. Je ne le voyais pas toujours de cet oeil : parfois, aborder une femme me faisait paraître comme un grand connard rien que parce qu'on connaissait mon nom et qu'il était rattaché à certains qualificatifs plus ou moins flatteurs à propos de ma fidélité, de mon respect des femmes, etc. Pourtant, en couple, je ne suis jamais allé voir ailleurs. Et je traite toutes mes amantes comme des princesses ... jusqu'à ce qu'il soit temps de repartir chacun de notre côté et que la demoiselle en question ne le comprenne pas. Cela faisait-il de moi l'homme à éviter de Bowen ? J'en doutais. Bref, tout cela pour dire que Sara était parfaitement au courant du bagage que je traînais avec moi à chacun de mes pas. Elle m'avait suivie alors que je bâtissais cet empire de séduction. Aujourd'hui, si elle voulait bien m'accepter dans son coeur comme amoureux, c'était sans doute parce qu'elle acceptait ce que j'étais. Et qu'elle avait confiance en moi assez pour ne pas se laisser avoir par les jugements des autres sur ma personne. Nous nous connaissions, tous les deux, mieux que quiconque.

Je souris à son air réprobateur et à sa remarque sur mon excuse. « C'est le seul moyen de protection que j'ai trouvé. » Dis-je en haussant les épaules avec une petite gueule d'ange et les lèvres pincées. Je souris de nouveau, même si Sara avait tout de même un air encore pensif malgré ces paroles qui m'avaient faites rire. Peut-être n'étaient-elles pas destinées à être une blague. C'était peut-être la pire excuse du monde, mais c'était la seule excuse que j'avais à donner : la vraie. Finalement, la brunette s'approcha de moi avec ses grands yeux brillants, et c'est là que j'essuyai cette toute petite vilaine larme. Et je lui rappelai ces trois petits mots qu'elle avait innocemment prononcé quelques secondes plus tôt. Elle ne comprit pas tout de suite, puis rougit tout d'un coup lorsque le déclic se fit dans sa tête. Cela eut le don de me faire rigoler, discrètement. « Dommage qu'on ait mis tant de temps à s'en rendre compte ... » Nous avions tous les deux réprimés ces sentiments. Pourquoi ? Par orgueil ? Par peur de nous perdre ? Par désir d'aller voir ailleurs ? Parce que nous avions déjà essayé ? Je ne sais trop. L'important était que nous nous soyons enfin retrouvés.

Sara me demanda alors si je la ramenais chez moi, avant de m'embrasser tout simplement, comme si ce geste était déjà une habitude. Je lui rendis son baiser, puis hochai la tête. « Oui ! Tu as faim ? Ou ta grosse crêpe pleine de sucre et de gras est toujours dans ton estomac ? » La pire chose à rappeler à une fille est bien les calories qu'elle ingurgite, mais je trouvais cela marrant. « Je peux nous cuisiner un truc, sinon on rentre juste pour regarder un film comme deux épaves échouées ... et mettre le film sur "mute" pour faire les voix par-dessus ... » Proposais-je avec un petit sourire enfantin en commençant à marcher vers la sortie de ce paradis hivernal, pour retrouver la chaleur australienne.