take me somewhere nicer -r.

« Salut Emma. C'est Nell. Écoute je ... je sais pas trop pourquoi je laisse un message ... J'crois que ta boîte vocale m'a prise au dépourvu. J'voulais te parler mais en fait là, je sais pas trop quoi dire ... Euh, rappelle-moi, ok, bye. » Je raccrochai. Je soupirai. Puis je recomposai le numéro d'Emma. Je tombai une seconde fois sur sa boîte vocale. … « Salut Emma. Encore moi. En fait euh, ne me rappelle pas. J'vais ... j'vais aller faire un tour à la forêt, p't'être bien me perdre dans les sentiers ... haha ... non sérieux euh ... j'ai envie de te voir, me changer les idées un peu alors si ... si t'as envie, tu peux me rejoindre ... je sais pas si j'aurai du réseau là-bas alors euh ... je sais pas trop si on pourra se ... » Et le bip sonna, m'annonçant que j'avais déjà trop longuement parlé. Et je pris son avertissement au sérieux. Je ne rappelai pas Emma pour terminer sa phrase. Elle devait déjà en avoir assez marre de mon humeur déprimée des derniers mois. Trois mois durant lesquels Emma et Victoria avaient, chacun de leur côté ou ensemble, tenté de m'aider à remonter la pente de laquelle j'avais rapidement glissée depuis ma rupture d'avec Tara. En vain, parce que je ne voulais rien savoir. Tout ce que je voulais, c'était de ressentir la chaleur de Tara contre moi de nouveau. De sentir son parfum quand j'avais la tête dans ses cheveux - et elle était tellement petite, que ce n'était pas chose facile d'avoir mon nez à la hauteur de sa tête. J'eus un sourire à cette pensée. Parce que ces souvenirs étaient les seules choses auxquelles je pouvais m'accrocher et qui me redonnaient un peu de bonheur. Des parcelles de joie, éparpillées.

Je me rendis, les pas lents et le coeur esseulé, vers la forêt. J'y marchai comme une âme perdue dans ce monde dénué de tout sens à mes yeux. Je ne fis même pas deux kilomètres que je m'arrêtai, je sortis du sentier tout en restant à la vue, et je m'assis sur une grosse roche - et avec ma forme physique du moment, l'escalader ne fut pas chose facile. Et là, je me laissai tomber sur le dos, fixant les arbres s'élever dans les airs. Comme j'aurais envie, moi aussi, de m'élever aussi grand, aussi haut.

J’étais sur le point de lâcher prise et de m’abandonner aux mains du sommeil quand une voix féminine hurla pas très loin de moi. Je sursautai, manquant de glisser sur le rocher et de me ramasser aux pieds de mon interlocutrice, mais j’eus le réflexe de bien me retenir en place sans avoir l’air trop idiot. Je baissai le regard vers Emma, dont j’avais reconnu la voix après avoir repris mes esprits. Et puis, comme c’était elle que j’attendais depuis un moment – perdant presque tout espoir qu’elle me rejoigne -, c’était logique. Je lui adressai un mince sourire. « Désolé, je ne pensais pas que tu viendrais, finalement … » M’excusais-je, pour justifier le fait que j’étais presque endormi alors que je l’avais conviée à la forêt pour discuter. La blondinette que j’avais autrefois tant aimée escalada le rocher pour venir s’asseoir à côté de moi. Elle avait ce don de ne pas me prendre en pitié et d’agir comme si de rien était avec moi. Certaines personnes pourraient en être vexées, mais moi ça me faisait du bien. Emma tentait de me faire oublier Tara en n’en faisant jamais référence, et je l’en remerciais. Toutefois, aujourd’hui, je n’avais pas bonne mine et cette discussion serait sans doute incontournable. En égoïste en détresse que j’étais, je n’arrivais pas à songer à qui ou à quoi que ce soit d’autre que Tara. « J’espère que j’ai pas été trop bizarre dans mon message je … je savais pas trop pourquoi je t’appelais vraiment, en fait … je crois que j’avais juste besoin que tu sois là. » Lui avouais-je avec un mince sourire attristé. Je me sentais tellement mal de faire endurer à tous mes amis cette mine déconfite que j’arborais depuis quelques mois. Surtout que Victoria et Emma avaient tant fait d’efforts pour me sortir de mon état déprimé. Je n’étais tout simplement pas rendu à l’étape de lâcher prise. Tara occupait toujours toutes mes pensées.

Je me relevai à l'aide de mes bras afin de me mettre en position assise, pour être tout de même un minimum décent pour accueillir mon amie qui s'était déplacée rien que pour moi. Je souris à son arrivée, et hochai la tête quand elle m'assura que je n'avais pas à m'excuser. Ce fut plutôt à elle de s'excuser, ce que je n'acceptai pas non plus. « Voyons, Emma, je t'ai laissé un message sur un coup de tête ne sachant même pas si tu bossais ou si tu faisais quelque chose d'important. Tu aurais pu ne pas venir et je ne t'en aurais pas voulu. Alors t'as pas à t'excuser non plus, ok ? » Dis-je avec un sourire, prenant la main de mon amie dans la mienne un instant. Juste de la sentir près de moi me faisait du bien. Certes, j'avais un jour aimé de tout mon coeur cette femme en face de moi, mais ce lien unique s'était transformé en une amitié des plus complices. Peut-être que finalement, il était préférable qu'Emma et moi ne soyons que des amis. Cela faisait en sorte que j'avais quelqu'un qui me suivrait pour toujours dans mon cheminement de vie. La blondinette me prit finalement dans ses bras et je la serrai contre moi. Je reparlai de mon message étrange à Emma, pour qu'elle sache que je me savais assez vague sur celui-ci. La demoiselle me demanda finalement ce qui me déprimait comme ça aujourd'hui. Certaines personnes auraient pu trouver qu'elle était directe, mais je l'aimais comme ça. Pas besoin de tourner autour du pot. Elle savait que ça n'allait pas et elle voulait que je vide mon sac, pour que je me sente mieux le plus rapidement possible. « Encore et toujours Tara. J'en ai parlé à Victoria hier, mais je pense que j'ai besoin de ton avis aussi ... » Je marquai une pause. « Si après trois mois j'arrive pas à l'oublier, crois-tu que c'est parce qu'il faut que je sois avec elle ? Est-ce que je devrais aller lui parler, essayer de me racheter et qu'on reparte à neuf ? » Demandais-je à ma meilleure amie. J'étais tellement confus, j'avais besoin que mon amie d'enfance m'y fasse voir plus clair.

J’écoutai avec attention la réponse d’Emma. Une réponse des plus sincères. Une vérité crue. Une vérité qui me gifla en plein visage. Je ne pouvais retenir les larmes qui me montaient aux yeux devant une conviction si profonde de la part de ma meilleure amie qui me disait qu’être avec Tara ne ferait que me rendre plus malheureux, si seulement cet état était possible. J’avalai difficilement en relevant les yeux vers elle lorsqu’elle termina sur une note des plus négatives sa pensée. « Au moins, ça a le mérite d’être sincère. » Lâchais-je, un peu plus pour moi-même que pour Emma. Je ne voulais pas lui en vouloir d’avoir été franche. C’était une qualité que j’appréciais énormément chez mes amis. Je n’aimais pas qu’on soit hypocrite ou qu’on me mente. Sauf que là, la vérité faisait effectivement bien plus mal que le mensonge. « Tout ça, ça fout encore plus le bordel dans ma tête. » Continuais-je. « C’est comme si Victoria était sur mon épaule gauche, et toi mon épaule droite. » Emma pourrait donc en comprendre que notre troisième membre du trio m’avait donné un conseil tout contraire. Son discours se résumerait en : si tu l’aimes, fonce, grand idiot. Celui d’Emma était plutôt : tu ne trouveras pas le bonheur en elle, tu tourneras la page, comme tu l’as fait pour d’autres. « Le truc, c’est que j’ai aucune idée de laquelle de vous deux est l’ange ou le démon. » Parce que je ne savais pas ce que je devais faire. Écouter mon cœur, ou ma tête ? Ma tête était Emma. Mon cœur était Victoria. Et quand j’y réfléchissais, écouter l’un ou l’autre avait son lot de tristesse, de déception, de regrets. « J’en ai marre, Emma. Marre de ne pas pouvoir être juste amoureux, tout simplement. » Je secouai la tête. « Si j’avais un souhait, là, maintenant, ce serait de retourner au moment où j’ai rompu avec Lily-Anaëlle. Et de ne jamais l’avoir fait. Parce qu’aujourd’hui je n’aurais pas le cœur brisé par Tara. Je n’aurais jamais rencontré Tara. Ou alors si, mais elle ne serait qu’une pâtissière douée. Pas la femme de ma vie. » Sauf que la réalité était toute autre et espérer un souhait provenant d’un génie n’allait certainement pas arriver.

J'hochai la tête devant les sages paroles d'Emma. Il était vrai que je la connaissais par coeur, depuis le temps qu'on se connaissait, et j'aurais certainement su deviner qu'elle ne me disait pas la vérité. Qu'elle ne me disait que ce que je voulais entendre. Pourtant, j'étais conscient que ce que je voulais entendre n'était pas forcément la solution à tous mes problèmes. Je préférais savoir ce que ma meilleure amie pensait réellement de la situation. Comme établi précédemment, Emma et moi nous connaissions par coeur. Je me disais donc qu'Emma s'était positionnée selon ce qu'elle croyait être mieux pour moi. Avec le recul qu'elle avait, elle ne pouvait pas être complètement à côté de la plaque. Elle voyait la situation d'une façon plus lucide que moi. Ce qui m'embêtait, c'était que Victoria s'était positionnée de l'autre côté, alors qu'elle avait le même recul et la même connaissance de moi qu'Emma. Cela devait dépendre de la personnalité de chacun. Alors au final, la décision me revenait quand même à moi - elle n'avait jamais appartenu à quiconque d'autre que moi, je sais. « Je sais, Em' ... désolé d'avoir mal réagi ... je te suis reconnaissant d'être sincère ... T'es une vraie amie, même si ça, je le savais déjà. » Je me forçai à lui sourire, parce que tous mes muscles tiraient vers le bas. Je confiai donc à mon amie de revenir dans le temps, au temps où je filais le parfait bonheur avec Lily-Anaëlle. « Tu crois que c'aurait été mieux ? Que je reste avec Lily-Anaëlle ? » J'avais tellement de questions, tellement besoin de me faire rassurer ou qu'on me pointe la bonne direction dans laquelle aller. J'aurais voulu qu'Emma me guide. Elle me tira plutôt avec elle alors qu'elle se couchait sur le rocher. Je m'étendis à ses côtés et elle me confia que si elle avait le pouvoir de changer les choses, elle ferait en sorte qu'elle soit également amoureuse de moi. Je souris en imaginant la famille qu'elle et moi aurions pu avoir. « Et Victoria serait la marraine et elle serait complètement gaga de nos gosses. J'avoue que c'aurait été le scénario idéal. Mais ... on ne peut pas forcer l'amour. » Dis-je en tournant la tête vers mon amie pour lui sourire. Forcer l'amour. Ce serait exactement ce que j'aurais à faire à chaque matin si je décidais de revenir avec Tara. La convaincre qu'elle m'aimait. Lui imposer des sentiments qui ne s'étaient pas encore complètement développés en elle. Non. Je ne pouvais faire cela.

Emma tentait en vain de me ramener à la réalité, de m’arracher à mes peut-être, mes si et mes situations hypothétiques. Cela ne servait à rien de vivre ni dans le passé, ni dans le futur. J’en étais parfaitement conscient, elle aussi, cependant il m’était plus facile de m’évader de cette façon-là plutôt que d’affronter le présent. Ce dernier était, pour le moment, beaucoup trop douloureux. « En même temps j’me dis que si on avait été faits pour être ensemble, on le serait. » Je ne croyais pas à moitié ce que je venais de dire, puisque je ne croyais ni au destin, ni au karma. Si Lily-Anaëlle devait être la femme de ma vie, il n’y avait que moi pour faire en sorte que cela devienne réalité. Aucune force supérieure n’interviendrait là-dedans.

Ma meilleure amie comprenant finalement que je n’en pouvais plus de penser au présent, elle m’emmena alors dans son monde imaginaire dans lequel nous étions ensemble, mariés, avec une famille. Ce fut une douce berceuse l’instant d’un moment et je fermai même les yeux, un sourire paisible aux lèvres, m’imaginant cette relation idyllique. Nous aurions pu raconter à nos petits-enfants que nous étions amoureux depuis notre plus jeune âge, depuis que nous savions ce que c’était que d’aimer. Comme ce serait beau, romantique. Une histoire comme j’en rêvais à chaque nuit, moi, l’éternel idéaliste amoureux. Je ne voulais toutefois pas qu’Emma se sente mal que ce ne soit pas le cas, alors je remis les pieds sur terre en disant qu’on ne peut forcer l’amour. Je souris tout simplement en regardant Emma alors qu’elle me donnait raison. Nos deux têtes retombèrent sur la roche, les yeux rivés vers le ciel. Je pensais toujours à Tara quand la blondinette pointa un nuage, s’exclamant qu’il s’agissait d’un cornet de crème glacée. Je rigolai. Mes yeux balayèrent le ciel et je pointai, à mon tour, un nuage un peu plus loin vers la gauche. « Et lui, une tête de dragon !!! » Et nous continuâmes ainsi à analyser le ciel pendant, je pense, une bonne trentaine de minutes. Des rires et des conneries sortirent de nos bouches. Jusqu’à ce que le ciel s’assombrisse trop pour qu’on puisse y voir une seule forme de nuage. « Merci, Emma. Ta présence m’a vraiment fait du bien. » Je l’enlaçai. « Tu veux rentrer ? »

J’avais moi-même perdu la notion du temps. Seuls la température qui se contrariait et le soleil qui se couchait peu à peu m’avait donné un indice et m’avait poussé à proposer à Emma de rentrer. Je ne voulais pas monopoliser sa journée et, de toute façon, nos devinettes sur les nuages n’étaient plus possibles en raison de l’assombrissement du ciel. La blonde avait consulté sa montre pour s’exclamer, surprise, qu’il était effectivement tard et qu’elle avait des obligations à remplir. Je me relevai d’un bond, ne voulant pas que la petite Zoé attende trop longtemps sa mère au service de garde. « Oh, merde ! » Avais-je tout simplement répondu, culpabilisant déjà d’avoir retenue ma meilleure amie de la sorte. Emma me proposa alors de venir partager le repas de ce soir avec Zoé et elle. Je souris, touché par l’invitation. « Ça ne te dérangerait pas ? » Quand Emma insista sur son offre, je ne pus qu’accepter. « Avec plaisir alors. Ça me fera du bien, et puis j’ai pas vu Zoé depuis trop longtemps. » C’est ainsi qu’Emma et moi descendîmes de notre roche qui nous avait servi de soutien tout au long de l’après-midi. Bras-dessus, bras-dessous, nous retournâmes à l’entrée de la forêt et j’accompagnai ma meilleure amie dans ses emplettes et pour aller chercher sa fille. Comme quoi, demander l’aide des autres lorsque plus rien ne va, ce n’était pas une si mauvaise idée. Emma avait fait de ma journée un moment plus lumineux dans la noirceur.