don't turn me down -r.

Ces trois derniers mois n'avaient pas filés à une vitesse folle comme tu l'aurais espéré. Non, tous les matins tu devaient subir ces 10 minutes de bonheur avant de revoir la vidéo qui mettait fin à toutes tes idées, toutes tes recherches sur les billets d'avions, et et surtout fin à ton bonheur. Tu avais passé ces trois derniers mois en te cachant dans ta boutique espérant qu'il passe un jour mais tu l'avais vu aller dans celle de ta concurrente, tenue par Victoria. Tu ne pouvais pas lui en vouloir, après tout peut-être que lui n'avait pas envie de te voir, lui savait qu'en se réveillant, il ne verrait plus, qu'il n'aurait plus la chance de te tenir la main ou même de t'embrasser, alors que toi, tu avais cet espoir chaque matin. Enfin ça c'était avant, parce que maintenant tu avais trouvé quelque chose pour t'aider à garder certaines choses en tête, comme si tu t'en souvenais, même si c'était un peu plus compliqué que ça. Et ça faisait donc une semaine que tu faisais des cauchemars et que tu savais en te levant que c'était fini. Tu n'avais plus à supporter l'espoir et te faire détruire par la suite. Et cette méthode te permettait de reprendre plus ou moins le théâtre, ce qui en soi était une très bonne chose pour toi. Même si tu n'arrivais pas à te le sortir de la tête, tu commençais surtout à avoir la tête hors de l'eau et à pouvoir reprendre une vie plus ou moins normale. Tu t'étais informée sur l'actualité des jeux sorti récemment en te disant que jouer pourrait te changer les idées. Alors forcément, le nouveau Pokémon, c'était une affaire à ne pas rater, et puis pourquoi ne pas acheter un jeu qui nécessite réflexion, qui t'obligerait vraiment à penser à autre chose ? Pour se faire, tu t'étais rendu dans la petite boutique en centre-ville, qui était un vrai repère de geek. Tu entras dans la boutique sans prêter attention au regard de certains adolescents qui semblaient perturbés par ta présence. Tu te dirigeas au fond du magasin, et farfouillas les rayons. Tu flânais sans trop voir le temps passer, mais pas de soucis, la boutique était entre de bonnes mains. Tu en attrapas plusieurs, ne sachant pas lequel choisir, tu les connaissais tous de noms et tu avais vu des démos sur chacun mais comme toujours il y avait des avis positifs et aussi négatifs. Et pour t'aider à trancher, il n'y avait rien de mieux que l'avis d'un expert sur le sujet, un vendeur. Tu t'approchas de l'un d'entre eux sans trop faire attention.  « Excusez-moi, je.. » Quand il se retourna, tu ne pu t'empêcher de t'arrêter. Tu ne pouvais pas ajouter quoique ce soit. Tu ne t'attendais à le voir là, enfin si, mais en tant qu'acheteur, tu ne pensais pas voir un jour un badge sur lui indiquant qu'il travaillait là. Mais qu'était-il arrivé à son autre boulot ? Son job de rêve ? Tu ne comprenais pas trop et il te fallait une bonne minute pour te remettre les idées en place et pouvoir articuler quelques mots. « Je ne savais pas que tu travaillais là, sinon .. » Sinon quoi ? Tu ne pouvais pas l'éviter éternellement, ça ne servirait à rien, la ville était trop petite pour essayer, tu aurais fini par le revoir un jour où l'autre.

D’un jour à l’autre, ma vie avait complètement basculée. Je m’étais toujours su romantique, mais de là à tout abandonner à cause d’une peine d’amour, je n’avais jamais imaginé que mon chagrin irait jusque-là. Pourtant, lorsque Tara et moi avions prématurément mis fin à ce qui aurait pu être ma plus grande histoire d’amour, j’avais senti que tout mon monde s’écroulait. Et il s’était bel et bien écroulé. J’ai tout perdu ; mon emploi, ma colocataire, mon logement, la femme de ma vie. Certes, tout n’était pas dû à mon état dépressionnaire, puisque Hanaé serait partie quoi qu’il en soit, mais cela n’avait fait qu’ajouter à mes malheurs. Maintenant, j’avais de nouvelles colocataires, une nouvelle chambre, un nouvel emploi – bien moins que l’ancien, mais mieux que rien -, mais mon cœur était toujours aussi vide. Comme quoi, Tara était le seul bonheur irremplaçable de ma vie. Pas que Hanaé avait été remplaçable, mais j’avais quand même su me remettre sur pieds suite à son départ. Je ne m’étais jamais remis du départ de Tara. Chaque soir, je la revoyais fuir lors de cette soirée d’Halloween. Et toujours, le même déchirement dans mon cœur se faisait sentir.

Alors imaginez la douleur que j’ai ressenti, ce jour-là, dans le magasin de jeux vidéo/geek duquel j’avais obtenu un emploi il y a de cela deux semaines, lorsque j’entendis la voix de ma belle blondinette me demander mon aide. Mon corps se figea un moment, puis je me tournai finalement vers elle, comme voulant m’assurer qu’elle était bel et bien là. Sauf que je ne savais plus quoi dire. Je la regardais, l’air terrorisé par sa présence inattendue. « Je … C’est … c’est tout nouveau. Tu ne pouvais pas savoir … » Puis je fronçai les sourcils, un rire timide et nerveux s’échappant d’entre mes lèvres. « Et de toute façon, même si tu avais su, tu aurais pu venir. J’ai pas installé une photo de toi avec écrit en rouge gras dessous « Cliente interdite ». » Je m’enfonçais, là, et pour aucune raison valable. Je devins rouge comme une tomate. « Et puis j’aurais eu aucune raison de le faire, tu sais. Je suis pas fâché ou quoi que ce soit. Je t’en veux pas. Je suis pas … enfin, je suis content de te voir plutôt. » Lâchais-je finalement, après de multiples tentatives de me rattraper. « J’ai beaucoup pensé à toi depuis … depuis. » Puis tout d’un coup, je me rappelai l’état de santé de Tara, et toutes les raisons pour lesquelles nous n’étions aujourd’hui pas ensemble. « Excuse-moi … est-ce que ce que je te dis fait un quelconque sens à tes oreilles ? » Parce que j’ignorais si elle avait regardé cette vidéo, j’ignorais si elle était au courant de comment notre rupture s’était déroulée. Je ne savais même pas de quoi elle se souvenait, exactement. Peut-être que dans sa mémoire, j’étais l’homme qui ne l’avait jamais rappelée. L’homme qui avait disparu dans la fumée suite à un rendez-vous parfait au restaurant.

C'était une drôle de coïncidence après tout. Peut-être que le destin avait un sens de l'humour après tout. Mais tu faisais en sorte de retenir l'émotion que tu ressentais, de manière à la réutiliser, et ce que tu ressentais c'était un mélange entre la joie parce que tu le revoyais, et qu'il n'avait pas changé d'un poil, il était toujours aussi grand, toujours aussi charmant et aussi tmide et confus. Mais en même temps tu ressentais une forte tristesse parce qu'en le voyant, tout te revenait à l'esprit. Enfin tout était un grand mot étant donné que tu avais juste les souvenirs de votre repas et de la vidéo, entre temps la petite discussion que vous aviez eu dans le manoir, tu ne t'en souvenais pas. Tu l'écoutais sans rien dire, il avait raison, il ne pouvait pas t'interdire l'entrée et tu ne pouvais pas le savoir vu que ça faisait trois mois que tu l'avais plus ou moins évité. Tu commençais à te sentir un peu coupable, en pensant que c'était ta faute tout ça. Tu ne pouvais t'empêcher de sourire en le voyant cafouiller à ce point, c'était plus fort que toi, ça te touchais de le voir ainsi. « Je.. Oui, j'ai commencé l'hypnose, et j'ai pu faire en sorte d'avoir des souvenirs mais seulement si j'ai une émotion forte, donc notre dernière conversation, j'ai chacune de nos paroles gravées dans mon esprit.. » Tu baissas les yeux une seconde, ne sachant pas quoi ajouter, après tout ce n'était pas le meilleur endroit pour discuter étant donné qu'il était sur son lieu de travail et qu'il risquait une sanction, et en même temps tout le monde pouvait entendre votre conversation et ce n'était pas une affaire publique. « Tu sais, moi aussi j'ai beaucoup pensé à toi, à vrai dire tu ne quittes pas mon esprit, c'est pour ça que je voulais un jeu, pour me changer les idées, mais maintenant je ne suis même pas sûre que ça marche. »

J’étais tout aussi confus que Tara semblait l’être. J’avais passé trois mois à penser que chaque tête blonde que je croisais appartenait à Tara. Je la voyais dans ma soupe, je la voyais dans mes rêves. Puis avec mon nouvel emploi et avec les derniers jours durant lesquels j’avais recommencé à voir des amis, à chaque jour, pour me changer les idées, j’avais commencé à avoir la tête au-dessus de l’eau, enfin. Je ne me noyais plus dans mes regrets ; même s’ils étaient toujours bien là, à me hanter. Et voilà que la vie choisissait ce moment précis pour que Tara revienne sur scène. Pour tourner le couteau dans la plaie ? Ou pour arranger l’erreur que nous avions faite ?

Quand je demandai à Tara si mon non-sens faisait quand même raisonner quelque chose à ses oreilles, je fus surpris de sa réponse. Je n’avais jamais songé à l’hypnose comme traitement de ses pertes de mémoire quotidienne. Après réflexion, cela me semblait tellement évident que je me demandais pourquoi aucun professionnel de la santé ne le lui avait proposé plus tôt. Peut-être que cela nous aurait évité trois longs mois de détresse émotionnelle. Ou pas. Je n’en sais trop rien. « Une … une émotion forte ? Tu veux dire … il faut t’hypnotiser au moment où tu ressens l’émotion ou … ou t’as qu’à y repenser et à la ressentir de nouveau durant l’hypnose … ? » Parce que la première option me ferait davantage baisser les bras. S’il fallait attendre une émotion forte, le temps de se rendre chez l’hypnotiseur, ce serait terminé. Cela réduisait donc toute probabilité que Tara ait accès à un assez grand nombre de souvenirs. S’il s’agissait de la deuxième explication, alors peut-être avais-je quelque chose à quoi m’accrocher. Parce qu’elle pourrait aller se remémorer les plus beaux moments de sa vie, les plus intenses.

Je jetai un coup d’œil autour de moi. Heureusement, Tara n’était pas venue à l’heure la plus achalandée de la boutique, et le gérant était toujours dans l’arrière-boutique en train de tenir son inventaire. La blondinette reprit la parole. Je souris discrètement quand elle dit que je ne quittais pas son esprit. J’étais rassuré de ne pas être le seul à m’accrocher autant. J’eus un léger rire à la fin de sa phrase. « Non, visiblement, c’est raté pour te changer les idées … » Parce que j’étais bel et bien là, devant elle. Mes sourcils se froncèrent et je pris une grande inspiration. « Tu sais, Tara … je m’en suis toujours voulu de ne pas être resté, même si c’était qu’en ami … je me sens tellement … lâche, et égoïste. » Je baissai les yeux vers mes Converse, puis affrontai son regard de nouveau. « Pardonne-moi de ne pas avoir été capable de t’accompagner dans cette épreuve … »

Quand tu mentionnas l'hypnose, il semblait perplexe, mais en même temps tu aurais été pareil, au début quand une amie t'en a parlé, tu n'y croyais pas, à chaque fois que tu avais vu un numéro d'hypnose, tu t'étais toujours dit que c'était truqué, qu'il y avait un truc, et que tu ne l'avais juste jamais saisi, comme la magie. Mais après quelques séances, et un bon nombre d'échec, quand tu réussis à avoir en souvenir la dernière conversation que tu avais eu avec Nell', tu avais changé ton avis, pensant que c'était peut-être possible. Quand il te demanda comment ça pouvait bien fonctionner, tu haussas doucement les épaules essayant de trouver les mots pour décrire ce qui pouvait ses passer. « Pour te donner un exemple, j'ai voulu apprendre une nouvelle recette, donc il m'a hypnotisé et on a parlé de cette recette, mais je ne ressentais rien, même si j'aime cuisiner, apprendre une recette n'est pas une source de sentiments, alors que pour la vidéo, j'ai ressenti de la joie au début, et puis beaucoup de peine, et cette peine m'a permis de pouvoir garder en mémoire ce souvenir. » Tu marquas une petite pause pour reprendre ton souffle, même si c'était une chose que tu avais travaillé toute ta vie, il te fallait prendre quelques secondes pour respirer, et aussi pour marquer une pause, ce n'était peut-être pas le bon moment pour l'inonder dans des détails qui ne doivent sûrement pas l’intéresser, mais c'était plus fort que toi. « Mais c'est assez compliqué, parce que parler d'une chose que j'ai vécu juste parce que je l'ai écrit sans avoir de souvenir, ça ne rentre pas, il me faut à chaque fois une photo, un extrait audio ou une vidéo, pour me permettre d'avoir un vrai souvenir, et vraiment ressentir quelque chose. Par exemple, si je venais à revoir quelqu'un, sans lui parler, ou sans prendre une photo, si je l'écris et que je veuilles parler des sentiments que ça m'a procuré, ça ne fera rien. » Tu lui adressas un petit sourire, en plus d'enregistrer tes conversations, tu devais parfois prendre des photos, si tu voulais pouvoir les inscrire dans ta mémoire, même si tout cela restait assez complexe. « Ne fais pas ça.. » Tu posas ta main sur son bras, tu te voulais compatissante, parce que tu ne voulais pas qu'il se sente ainsi, ce n'était pas ce qu'il méritait, ce n'était pas ce que tu voulais pour lui. « Tu sais très bien que tu n'aurais pas pu être là, je suis peut-être sans mémoire mais j'ai très bien vu les regards, les sourires, les étoiles dans tes yeux lors de notre premier baiser, alors je ne suis pas bête, on n'aurait pas pu être amis, ça t'aurais fait plus de mal qu'autre chose. » Ta main avait glissé sur la sienne et cette petite étreinte te secoua.

Les hypnotiseurs avaient toujours été, à mes yeux, des charlatans. En même temps, je ne me fiais qu’à ce que je voyais à la télévision. Les magiciens sensationnalistes qui faisaient faire tout et n’importe quoi à leur public dans le but de faire rire les autres conscients. J’avais toujours cru que c’était arrangé, que les participants étaient présélectionnés. Encore aujourd’hui, je doutais de la véracité de la chose. Toutefois, je ne m’étais jamais penché sur la question de l’hypnose thérapeutique, tout de même un peu plus sérieuse que celle de spectacle. Après tout, certains médecins le prescrivaient, alors ça ne pouvait être un grand mensonge. La révélation de Tara ne faisait que confirmer cela. Parce qu’elle me prouvait qu’elle pouvait avoir accès à ce que la mémoire ne voulait pas lui donner la clé lorsqu’elle était consciente. Des souvenirs forts en émotions, pour le moment. Des souvenirs relatifs à moi. Cela me fit sourire, malgré que ce fut de tristes paroles que Tara s’était remémorées. Au moins, elle se souvenait. C’était un grand pas, un grand soulagement. « Alors pour que tu te souviennes de nous, il faudrait à chaque fois que je t’engueule, que je te fasse de la peine ou alors que je te dise les mots les plus beaux pour que tu ressentes la plus grande joie ? » J’eus un petit sourire mi-amusé, mi-peiné. Ce n’était pas une vie normale, ça, de toujours vivre trop fortement les moments. Je voulais bien de ma routine banale avec la femme de ma vie, moi ; pas des montagnes russes d’émotions rien que pour que nos souvenirs continuent à se bien se ranger dans sa tête. Tara renchérit en disant que c’était plus compliqué, que cela prenait une photo ou un extrait audio ou vidéo du moment. « Encore plus de critères à respecter. » Je ne voulais pas sonner défaitiste, mais en même temps il s’agissait des faits. « Mais c’est un bon début. Tu es sur la bonne voie. C’est positif tout ça, non ? » Demandais-je, comme pour qu’elle me confirme qu’il y avait une raison d’espérer.

Ensuite, je m’excusai auprès de Tara de ne pas avoir été capable de rester avec elle dans cette épreuve. J’avais ces excuses sur le cœur depuis trois mois et finalement la vie me donnait l’opportunité de les dire à Tara en personne. La blondinette posa sa main sur mon bras, m’affirmant que je n’avais pas à dire ça. J’haussai les épaules. « Je pense plutôt que je n’ai jamais eu aussi mal que durant les trois derniers mois … » Je serrai sa main dans la mienne, puisque sa course sur mon bras s’était terminée là. « Je n’arrive pas à passer à autre chose, Tara. La douleur est toujours aussi vive qu’elle l’était à l’Halloween. » Je baissai les yeux, caressai sa main de mon pouce. « J’ai besoin de toi dans ma vie, peu importe de quelle façon. C’est mieux que de ne pas t’avoir du tout. » Du moins, c’était ce que je pensais. Je n’avais plus aucune idée de ce qui était bien ou mauvais pour moi, pour nous.

Il est vrai que ça demandait beaucoup de choses et d'efforts pour essayer d'avoir un souvenir en mémoire, mais tu étais prête à essayer tout ce que tu pouvais pour essayer d'avoir des morceaux de souvenirs, même qu'une seconde de ta journée, pour toi c'était une chance en attendant l'opération, en espérant qu'elle soit positive. Alors ça te fis sourire quand il mentionna ce qu'il devait faire pour que tu te souviennes de "vous". Ce nous qu'il avait cité te donné espoir, même si tu savais bien que ça serait toujours aussi compliqué. « Oui, c'est plus ou moins ça, mais c'est un début, peut-être que par la suite il m'en faudra moins, qui sait. » Tu sentis un frisson te courir le long du bras quand il caressa ta main de son pouce. La première fois que tu avais senti ce frisson, c'était au restaurant, un de ses seuls souvenirs avec lui que tu avais de manière intacte. En l'écoutant, tu sentais ton cœur se serrer si fort, ça te faisait mal de savoir qu'il allait aussi mal. De ce que tu pouvais en déduire, il avait du passer ses trois derniers mois enfermé chez lui, à ne rien faire si ce n'est penser à toi, enfin pas toutes les secondes non plus, mais suffisamment pour ne plus bosser comme il fallait. Et vu sa situation, il devait commencer à se reprendre en main, en se disant qu'il fallait avancer, et c'était à ce moment là que tu faisais ton apparition. Tu voyais ça comme un signe, mais tu ne savais pas ce qu'il voulait dire. Parce que lui, toi aussi tu commençais à te dire qu'il fallait avancer, qu'avec la nouvelle de Raphaëlla, il était temps pour toi de reprendre le cours de ta vie et de ne pas te cacher dans ta pâtisserie. « Je suis désolée, sincèrement, je ne voulais pas t'empêcher de vivre et au final je crois que c'est ce que j'ai fait.. » Tu avait baissé la tête tellement tu te sentais mal mais tu ne pouvais pas savoir comment il allait réagir à ça ? Et même s'il venait à dire que ce n'était pas ta faute, tu ne pourrais t'empêcher de penser le contraire. Si seulement tu avais tourné la tête, tu aurais pu la voir cette fichue voiture, mais maintenant, c'était trop tard pour te plaindre, trop tard pour faire demi-tour. « Tu crois vraiment qu'on peut faire partie de la vie de l'autre ? » Ton regard s'était plongé dans le sien, tes yeux brillaient, il y avait une petite lueur d'espoir au fond de toi. Mais tu restais sur ta garde, tu ne savais pas trop ce que ça pouvait donner, et peut-être valait-il lui éviter une autre déception, tu lui en avais déjà assez causé.

J'hochai la tête. Je détestais vivre dans des suppositions, dans les espoirs, dans l'attente. L'hypnose était certes un début, mais est-ce que ça irait plus loin ? Qui sait, termina Tara. Voilà, qui sait ? Personne. Pas elle, pas moi, pas les médecins. Personne. Nous n'avions aucune idée de l'état dans lequel serait Tara dans trois mois, six mois, un an et plus. « Hm-hm. » Marmonnais-je tout simplement en guise d'acquiescement à ce "qui sait". Je souris quand même, ne voulant pas avoir l'air défaitiste, ne voulant pas perdre espoir malgré ce que ma tête en pensait. Je caressai la main de Tara, pour ressentir la douceur de sa peau de nouveau. Elle frissonna, je le sentis, et je frissonnai sans doute aussi. J'étais trop déconnecté de mon corps pour ressentir quoi que ce soit de physiologique. Tout se passait au niveau émotionnel.

Je me demandai alors comment avait été les derniers mois de Tara. Parce qu'alors que je lui disais qu'en pensant être mieux sans elle, je m'étais en réalité presque démoli, elle ne fit que s'excuser de m'avoir empêché de vivre. Je me demandai alors si elle comprenait au moins un minimum ma douleur. Avait-elle eu autant de peine que moi ? Avait-elle pleuré sur notre avenir détruit à coup de marteau ? J'avais l'impression d'avoir été le seul à perdre tout ce que j'avais, dont mon goût de continuer d'avancer. Puis je me rappelai la raison pour laquelle Tara était ici : me sortir de ses pensées. Tout d'un coup, mon corps se détendit. Je laissais trop mon cœur s'emballer pour tout et pour rien. « Tu n'as rien fait du tout. Y'a que moi qui a le pouvoir de m'empêcher de vivre ... » Certes, elle avait été l'élément déclencheur, mais j'étais le seul et unique responsable pour le chaos dans ma vie. À sa question, je repensai à mes discussions avec Victoria et Emma. L'une m'avait dit que je ne pourrais jamais être heureux en couple avec une Tara sans souvenir, l'autre m'avait dit de foncer si je l'aimais encore. Mais si on laissait l'amour de côté et qu'on se concentrait sur le fait que la compagnie de Tara m'était importante ? Pouvais-je seulement être un ami, pour elle ? Ou alors mon coeur s'accrocherait toujours un peu plus, m'empêchant ainsi de voir les autres femmes autour ? J'haussai les épaules. « Je me dis que ça vaut le coup d'essayer. Je m'ennuie de toi, Tara. » Je baissai les yeux, avec un sourire vague. Je doutais être capable de tourner la page en restant près d'elle, mais je doutais aussi d'être capable de m'en remettre si elle ne faisait plus partie de ma vie à cause d'un stupide accident. Je regardai l'heure sur l'horloge derrière et soupirai en jetant un oeil à la boutique. « Il ... faudrait que ... que je retourne travailler. »

Tu acquiesças sans savoir quoi ajouter de plus, après tout il avait raison, c'était lui qui s'était renfermé, tout comme toi, et vous ne pouviez vous en vouloir qu'à vous-même, ou à la vie. C'était facile d'insulter la vie quand les choses ne vont pas dans le sens qu'on voudrait, mais quand elle va comme on veut, on ne remercie pas la vie, on se remercie l'un ou l'autre, ou les choses qui nous ont aidés. Quand il ajoutas que ça valait le coup d'essayer et que tu lui manquais, tu sentais les larmes te monter aux yeux, et tu as bien cru pendant une seconde que tu allais te mettre à pleurer mais tu contrôlas tes émotions. Même si les jours étaient durs, ce n'était pas une raison pour craquer dans un magasin de jeu. Tu avalas ta salive, et lui fis un petit sourire. « Moi aussi ça me manque, t'es tellement unique comme mec, que c'est bizarre pour moi de pas pouvoir te parler.. Et dans ce cas, repasses à la boutique, sans toi les red velvet ne partent pas.. » Tu lui fis un sourire parce que tu le taquinais. Ils partaient, ce n'était pas le vrai problème, mais à chaque fois tu mettais quelques cupcakes aux oreos de côté, en pensant qu'il va venir, et au final, il ne venait pas. Mais tu ne te sentais pas de lui avouer ça. Peut-être quand il viendra, ou tu joueras sur le hasard d'une commande d'un client qui n'est pas revenu et qui ne risque pas de revenir, blague d'un petit plaisantin. Et même si ça te rendait triste, tu connaissais un ventre qui semblait heureux de les manger chaque soir, bien qu'il commençait à râler parce que c'était toujours les même. Mais ça tu n'y pouvais rien, c'était ton habitude depuis ces trois derniers mois, et tu comptais bien continuer jusqu'à ce qu'il franchisse la porte de ta boutique. Tu hochas doucement la tête quand il annonça qu'il devait retourner bosser, c'est vrai qu'après tout, tu le gênais toujours, alors pour ne pas lui avoir fait perdre complètement son temps tu agita le dernier Zelda en ajoutant « Je vais prendre celui-là alors et je file ! » Tu lui suivis jusqu'au caisse où tu réglas ton achat avant de sortir, non pas sans lui jeter un dernier coup d'oeil, lui qui était déjà occuper à encaisser un autre client.

Je souris, les yeux en larmes à mon tour. « Je passerai, promis. Tu me garderas quelques cupcakes et un verre de lait, on s’assoira et on prendra le temps de discuter. » Je doutais fortement que l’entreprise de Tara avait perdu un client aussi important, car ses affaires marchaient bien et il y aurait toujours un autre gourmand pour prendre les cupcakes que j’aurais pris si la vie avait été plus simple. Je comprenais toutefois le message qu’elle voulait passer, et elle avait raison. Il fallait que je repasse à sa boutique. Il fallait qu’on se donne une chance, dans une autre sorte de relation peut-être, on verrait bien où cela nous conduirait. Je vivais dans les « si » et les « peut-être » et les « on verra » depuis ma rupture. Je ne voulais tellement pas songer aux conséquences que j’agissais en me disant que cela me mènerait où cela me mènerait, tout simplement. Sauf que plus je pensais de cette façon, plus mes relations se compliquaient. Avec Lily, avec Lola, avec Tara. C’était un flou continuel et sans fin. Revoir Tara dans cet état d’esprit n’était sans doute pas la meilleure des idées, mais j’avais besoin d’être à ses côtés quand même. Bref, je revins finalement à la réalité et constatai qu’une dizaine de minutes était passée et que je me trouvais toujours sur mon lieu de travail. Je me rappelai moi-même à l’ordre avant qu’un mec sans doute plus jeune que moi le fasse à ma place. Tara acquiesça et me montra le dernier Zelda qu’elle tenait dans ses mains. Je l’accompagnai à la caisse en passant le jeu dans la machine. « Bon choix. Tu vas voir, ça a beau être un remake de celui au Nintendo 64, les graphiques sont vraiment plus beaux et ils ont fait quelques modifications au jeu. On le redécouvre d’une toute autre façon et c’est génial. » Je souris. La passion nous revenait. Elle paya, je lui souris, et elle disparut dans la foule de monde sur cette rue commerciale. Je soupirai et m’occupai de mes clients jusqu’à la fin de la journée, non pas sans m’égarer dans mes pensées.