sigh, static moans, a storm growing strong -r.

Le temps filait, je ne comptais plus les minutes qui passaient. Pourtant, ma tête entière se consacrait sans cesse au décompte des secondes qu’il me restait à une journée, à une semaine, à un mois ou à une année. Mon incapacité à apprécier le moment présent, qu’on me dit. Toujours en train d’attendre la fin d’un moment, pour commencer à faire le décompte au début du prochain. Je sais, il s’agit là davantage de torture que d’autre chose étant donné qu’à force de compter, le temps semblait s’allonger. Sauf que là, ce soir, assis sur cette chaise de bois devant ma fenêtre ruisselante, j’avais l’impression soit que le temps s’était arrêté, soit qu’il filait à toute vitesse. Je n’en savais plus rien. J’étais submergé par la pluie et l’orage. C’était noir, complètement noir – au point où j’avais l’impression de m’être perdu à l’intérieur de moi-même et de ne plus arriver à remonter à la surface. Seulement lorsque les éclairs déchiraient le ciel on pouvait discerner les branches des arbres qui s’envolaient au vent et les oiseaux qui fuyaient cette instabilité de l’air.

Tout d’un coup, mon rôle de spectateur ne me suffisait plus. Je me levai de ma chaise qui grinça sous l’abandon de mon poids, et j’enfilai une veste afin de me protéger du froid de la pluie. Je sortis à l’extérieur et, machinalement, mes pas me conduisirent jusqu’à la plage. Une bonne trentaine de marche de ma maison jusqu’au sable et pourtant, mes jambes auraient pu me mener encore bien plus loin sans que je ne ressente le moindre effort. Imperturbable. Les orages et les tempêtes avaient toujours eu le même effet sur moi et ce depuis ma plus tendre enfance. Une douce berceuse. Contrairement aux autres, regarder le ciel en colère me rendait paisible, nostalgique. Un petit pincement dans mon cœur et des papillons dans mon estomac. Une certaine angoisse, mais une angoisse facile à apprivoiser, une angoisse réconfortante. Une envie de pleurer et de sourire à la fois.

Je restai debout, les souliers dans mes mains et mes pieds dans le sable. Les vagues se montraient dangereuses et les drapeaux rouges placés le long de la plage se laissaient violenter par le vent. Ce même vent s’engouffrait dans le peu de cheveux que j’avais, tentant de me bousculer d’un bord et de l’autre de mon équilibre. Je me sentais étrangement bien. Comme si cet orage extériorisait ce que j’avais en-dedans et me permettait de respirer, enfin.

~ La journée avait été rude. Entre prise de vue et engueulades Stanislas n'en pouvait plus. Le photographe changeait sans cesse d'idées, de modèle féminin, de tout. Il n'était jamais satisfait de la mise en scène et ça continuait déjà depuis une semaine. Et il se retenait Stanislas. Il se retenait d'exploser, de tout envoyer balader, de hurler et de mordre par ce que ça ne servirait à rien. Il était sous contrat, et la marque avait choisit ce photographe, il devait juste se taire et jouer le jeu. Mais qu'est-ce que c'était compliqué ! Comment était-il sensé incarner un jeune homme amoureux si dès qu'il commençait à se lier d'une certaine complicité avec le modèle féminin on en changeait ? Décidez-vous à la fin y en a marre ! Pourtant ils finir par le laisser partir, tard, il était 20:00 environ. Ils avait fait une remarque de trop à Stanislas qui s'était retourné une lueur meurtrière dans les yeux. Ils avaient pris peur et lui avait donné congé. ~

Le ciel était noir, un orage approchait, je pouvais sentir son électricité dans l'air. Elle était partout, exacerbant les autres sens. J'expirais profondément, l'odeur de l'herbe fraîchement coupée me fit du bien. Elle était apaisante, tout comme étonnamment cette tension dans l'air. L'attente, c'est elle la plus éprouvante. Quand tout peut arriver, quand rien n'est joué et qu'on ne sait pas quand ça va tomber. Quand le ciel va s'ouvrir et déverser des trompes d'eau sur la terre et les êtres qui l'habitent. Dans cet entre deux le temps semble suspendu, et je ne m’aperçois qu'il s'écoule qu'au son puissant et lent de mes battements de cœur. Boum, … boum, … boum, … Je calque mes pas sur le rythme de mon cœur, et je vais vers la plage. J'arrive au moment exact ou la première goutte tombe. Je me déshabille, pose sur un auvent mes habits, ne gardant que mon caleçon, espérant que le reste ne serait pas trop mouiller et m'avance dans l'eau. Le drapeau rouge est de sortie mais ça m'est égal, j'ai envie de nager, de plonger. Qu'importe si c'est dangereux. Je connais les courants, je ne m'enfoncerais pas assez pour être entraîné. De l'eau jusqu'à la taille je penche ma tête en arrière, mes cheveux flottant et virevoltant en tous sens. L'eau qui coule sur mon visage, sur mon torse, dans mes cheveux me calme, me lave de mes tourments de la journée. L'eau qui coule et s'enroule autour de mes jambes et qui cherche à m’entraîner m'oblige à lutter contre elle, à me défouler pour rester debout et ne pas aller au large. Je souris, et me mit à hurler à la lune invisible. Exorcisant toutes mes émotions refoulées. Mon hurlement de loup monta, enfla, et se mêla au vent de l'orage.


[PS : Navré de ne répondre que maintenant, j'ai eu beaucoup de mal à me remettre à écrire après une semaine entière de contrôles... --'
Dis moi si cela te convient. ]

Mon regard perdu sur l'orage, sur le spectacle meurtrier, je n'avais d'yeux que pour l'horizon. Ce qu'il y avait derrière et autour de moi ne m'importait pas. L'égocentrisme d'un moment unique. Je le vivais seul avec moi-même, avec mes démons intérieurs qui se tiraillaient en-dedans. Ils criaient, plus fort que l'orage, mais muets. J'ai alors fermé les yeux, dessinant dans ma tête les vagues dangereuses et les éclairs qui déchiraient le ciel. Seul le bruit me guidait dans mon imaginaire.

Puis un cri, dévastateur, un cri de désespoir et de rage, s'éleva dans la tempête. J'ouvris les yeux d'un coup, restant tout de même droit comme un cierge. Seuls mes yeux parcoururent la mer, le coeur battant à un rythme incontrôlable. La noyade. La mort. Ce rapport que j'avais avec la mort me tétanisa. Je flirtais avec elle depuis tant d'années. Seulement elle et moi. Tous les deux, les lumières tamisées. La mort ne devait pas flirter avec d'autres. Avec moi, ça allait. Avec d'autre, cela me foutait la trouille. Je confondais les sueurs froides sur mon front avec la pluie. Je ne savais plus quoi penser.

Je le vis. Une silhouette seulement à ce moment-là. Une carrure d'hommes, de longs cheveux qui flottaient dans l'eau déchaînée. D'ici, je ne savais dire si cette ombre était en danger ou non. Je restai là un moment. Je n'entendais plus rien. Son hurlement de loup à la lune n'avait duré que de longues secondes, et puis plus rien. Il était immobile. Sans plus attendre, je ne pris même pas le temps d'enlever autre chose que mon chandail en courant que je me ruai vers l'eau. J'arrivai jusqu'à l'homme et alors que j'allais l'attraper pour le ramener vers la plage, je réalisai qu'en m'attendant arriver, il s'était relevé. Il allait bien. Aucune noyade. Aucune mort à l'horizon.

Il flirtait avec la mort.

Je restai là, surpris, pétrifié. « Vous n'êtes pas en danger. » Conclus-je simplement, pour moi-même. Une affirmation las. « J'ai cru ... j'ai cru que quelqu'un se noyait. » Me justifiais-je. Sauf que je ne pouvais m'enlever de l'esprit que cet homme avait, malgré les drapeaux rouges, décidé de s'enfoncer dans la terreur. Comme je l'aurais fait. Mon regard se posa sur le sien et un frisson indescriptible me parcourut le corps. Je lisais dans ses yeux une émotion que je ne lisais que dans mon miroir. Dans mes yeux. « Mais qui êtes-vous ? » Demandais-je avec une curiosité spéciale, avec une intonation particulière. Comme si cet homme m'avait été caché toute ma vie. Comme s'il n'était qu'une illusion. Une trop belle illusion.

J'adorais nager. J'avais toujours été très doué, j'étais endurant et doué. Ainsi j'avais réussis à passer avec succès un examen facultatif pour le BAC et obtenir des points en plus. Mais surtout, depuis que j'étais à Bowen la mer était l'endroit ou j'allais le plus. Surtout la nuit, quand la ville est silencieuse, que ses habitants dorment et que personne ne peut venir empiéter sur la sérénité de ce lieu et mon calme à moi. Plonger, ouvrir les yeux et voir un monde ou tout est silence. Un faux calme puisque à la surface la mer est déchaînée.Un faux calme puisqu'il y a aussi d'immenses et redoutables prédateurs sous la surface de l'eau.

Le crowl. Un nage puissante, rythmée et je flottais, coulais et remontais à la surface. Je jouais avec l'eau, ne faisant qu'un avec elle. Je luttais et en même temps c'était comme une danse. Si je devais vraiment lutter contre la mer je perdrais. Et je mourrais. Alors plus que de lutter je danser, elle était ma partenaire et je me laissais glisser en son sein et utilisant, vagues, remous, et courant à mon avantage. Je finis avec de l'eau à mis taille, de retour vers la terre ferme. Je me redressais dans ce paysage d'apocalypse et le vent fouettant mon visage je hurlais comme un loup.

Je ne bougeais plus ensuite. Le cœur battant à tout rompre j'écoutant le sang à mes tempes et je respirais, de longues inspirations et expirations régulières. J'étais vivant, je me sentais vivant. Libre et apaisé. Enfin j'avais retrouvé mon calme. Je souris. Et alors je me mis à rire. Un rire un peu dément. Car après tout je n'étais pas tout à fait sain d'esprit pour nager avec un tel orage. Mais c'était un rire irrépressible, libérateur. Salvateur. Que je ne pus arrêter même lorsqu'un homme encore habillé et totalement affolé arriva vers moi, les yeux écarquillés esquissant le geste de me ramener vers la rive. Inutile. Et il le comprit alors que mon rire cessait. Droit comme un « i » je retrouvais un visage impassible et penchant la tête légèrement sur le côté je l'observais. Attendant sa réaction. Il n'avait pas l'air de comprendre et resta là, trempé et sans bouger. « Vous n'êtes pas en danger. » Je hochais doucement la tête en un signe positif et des mèches de cheveux tombèrent devant mes yeux, balayés par le vent. « J'ai cru... j'ai cru que quelqu'un se noyait. » Je rejetais mes cheveux en arrière pour essayer de dégager mon visage, peine perdu. Je soupirais et répondis que n'importe qui aurait pensé pareil mais que ce n'étais pas le cas. Il ne me quittait pas des yeux et je soutenais son regard. Il semblait chercher quelque chose. « Mais qui êtes-vous ? » Je haussais un sourcil. Qui je suis ? Stanislas Darkness. Mais je n'avais pas l'impression que c'était la question qu'il voulait vraiment poser. Je le regarder longuement, en silence, avec les vagues s'enroulant autour de mes hanches pour essayer de m'aspirer jusqu'au large et je finis par dire : « Vous ne voulez pas plutôt demander qu'est-ce que je suis ? Alors ? Que suis-je ? Le savez-vous ? Et qu'êtes-vous ? Car il ne suffit pas de savoir qui ont est, l'identité n'a pas de réelle importance. Il faut savoir ce qu'on est. C'est ça la vraie question. Enfin, pour moi du moins.»

Tous ses mouvements semblaient être une danse calculée, une danse rigide mais magnifique. Comme si son corps récitait un texte. Même un simple penchement de tête me déstabilisait, parce que s’en suivait un regard perçant se posant sur moi. Il avait l’un de ces regards indescriptibles, un regard qu’on ne voit qu’une seule fois dans sa vie et qui nous hante pour le restant de nos jours. Je ne savais pas si j’avais peur ou si j’étais tenté. Il me déséquilibrait, il me rendait confus. J’arrivai tout de même à articuler quelques mots justifiant mon arrivée soudaine vers lui. Sa réponse des plus normales et banales eut un effet étrange sur moi. De la déception. Comme si je m’attendais à des mots grandioses, à une réponse inattendue et sauvage. Cet homme n’était qu’un être humain comme d’autre, et pourtant j’en attendais tellement déjà plus de lui. Juste parce qu’il dégageait quelque chose d’unique, de nouveau, de sombre et de beau.

C’est lorsque je lui demandai qui il était que je sentis la connexion s’établir entre lui et moi. Là, nous étions sur la même longueur d’ondes. Nous venions de nous comprendre, de nous saisir. Nous nous regardâmes longuement, alors que nous prenions tous les deux conscience de l’autre, peu à peu. Les vagues nous tiraient vers le large mais nous résistions, les pieds plantés dans le sable. Je me sentais mis à nu, et le fait de ne plus avoir que mes pantalons n’aidait en rien à ce sentiment de vulnérabilité devant cet homme énigmatique. Finalement, il parla. Ses paroles avaient tellement de sens, comme s’il avait su lire dans mes pensées emmêlées et pu y mettre de l’ordre. Faire de belles phrases avec des concepts aussi éparpillés. « Je ne suis rien … Du moins, rien qui mérite qu’on s’y attarde. Je suis … un amas de douleur, de peur, d’incertitude et de noirceur. Une erreur. Un bug. » Répondis-je avec un sérieux secouant. Il n’était pas dans mon habitude de révéler mes démons aussi facilement. Je ne parlais jamais de mes états d’âme ou encore de ce que je pensais de moi aux autres. Pas dès le premier échange, du moins. Mis à part certaines personnes, certains de ces individus qui semblent, comme moi, à la dérive. « Et alors, donc, qu’êtes-vous ? » Parce que j’avais l’impression que lui valait le détour. Que lui avait mieux à offrir, même s’il ne s’agissait pas de quelque chose de plus lumineux. Il était spécial, et moi je n’étais que différent.

Une vague arrive, je glisse contre elle, me laisse entraîner par elle, me relève. En face de moi l'homme lutte contre le courant. Je semble le déstabiliser. J'ai l'impression qu'il attend quelque chose de moi. Je ne sais pas ce que c'est. Et lorsque je lui répondais, il sembla déçue. Comme si ma réponse, somme toute banale n'était pas celle à laquelle il s'attendait. Navré pour toi mais je ne comprends pas ce que tu veux.

Quelle étrange rencontre, le vent autour de nous souffle et s'enroule autour de nous. Nous pousse à entrer encore plus en avant dans l'eau, cette eau qui essaye de nous aspirer, de nous entraîner toujours plus loin au large, vers la grande bleue, vers l'infinie et la mort certaine. Dans le noir de la nuit, dans le silence des hommes et l'oublie de l'existence nous nous étions rencontrés.

Et enfin la compréhension vint quand il me demanda qui j'étais.
Et enfin ma réponse sembla le satisfaire.
Alors je regardais de façon plus intense cet homme en face de moi. Cet homme au regard sombre, aux yeux cernés de fatigue et je vis comme une fenêtre s'ouvrir au fond de ses iris. La peur me prit et je fis un pas en arrière. Paniqué je tombais dans les eaux. Sous la surface de lamer, la respiration coupée je repris mon calme et refis surface. Essayant de maîtriser les battements désordonnés de mon cœur. Un miroir. Un miroir de souffrance et de désespoir. D'incompréhension.

Il dit qu'il n'était rien, ou rien qui ne méritait l'intérêt de qui que ce soit, qu'il était un amas de douleur, de peur, d'incertitude et de noirceur. Qu'il était une erreur, un bug.
Secoué par ses propres mots il semblait essayé de reprendre contenance. Et moi je regardais cet homme. Cet homme semblable à moi et si différent à la fois. Et puis il me posa une question qui aussitôt calma les soubresauts de mon cœur affolé. Et c'est avec un calme factice et peut-être effrayant pour lui que je répondis avec un sourire tordu que j'étais un monstre. Qu'au fond de moi une bête enchaînée se terrait, que parfois, la nuit venue, ou lorsque dans ma rage je lui donnais la clef elle sortait, assoiffée de sang. Désireuse de faire le mal et la souffrance de ceux qui passait pas là. Et que quand je la tenais elle hurlait dans ma tête. Ruait dans sa cage mordant ses barreaux.

« Vous vous croyez une erreur, un bug. Vous ne savez rien en vérité des erreurs de la nature. »
Et mon regard planté dans le sien devait briller de cette lueur argenté que j'avais quand la bête affleurait la surface de ma conscience. Comme chaque fois que l'adrénaline commençait à courir dans mes veines. Comme si elle sentait ma peur et accourait prédateur avide de ma santé mentale.

Il tomba à la renverse, il tomba encore plus bas, au fond du baril ; au fond du tonneau. Comme si le fond que nous pensions avoir atteint n'en était en fait qu'un faux. La descente était encore plus longue, plus noire, plus cruelle. Son corps pénétra l'eau et les gouttelettes explosèrent tout autour de lui, au ralenti. Son regard presque effrayé, pris par une surprise que je ne comprenais pas. L'élément déclencheur de cette chute m'échappait. Je restai là, debout, plus fort, plus grand, mais pourtant sans réponse. Encore plus apeuré que lui. Parce que je n'avais autant baigné dans l'incompréhension. Pourtant lui y était plongé. Il disparut un bref moment. J'aurais aimé prendre sa place et disparaître de la surface, moi aussi. Me laisser submerger.

Sa tête retrouva enfin la surface et je me demandai pourquoi il avait choisi de revenir. Je m'en serais laissé aller. L'homme, lui, se releva, comme s'il avait encore un motif assez puissant pour lui donner la force de le faire. Alors je pu lui montrer qui j'étais, lui expliquer ce que j'étais mais, surtout, ce que je n'étais pas. De nouveau, je lui demandai ce qu'il était. De la bonne façon, cette fois. D'une façon qu'il ne pouvait se défiler, puisque moi je venais de m'ouvrir à lui. Un frisson de peur et de froid parcourut mon corps à la vue de ce sourire tordu, ce sourire démoniaque presque. Je ne saurais décrire tout à fait cette mimique, mais tout d'un coup la nuit s'était faite encore plus noire qu'elle ne l'était déjà, et un éclair déchira le ciel. Puis il me décrit avec une précision désarmante la bête qu'il était. Le danger planait au-dessus de nos têtes. Au-dessus de ma tête. Cet homme était dangereux. Cet homme était le mal. Il était un animal. Un monstre. Je le croyais sur parole.

« Vous n'êtes pas mieux que moi pour savoir ce qui est une erreur de la nature et ce qui ne l'est pas. » Être un monstre ou n'être rien, qu'est-ce qui était le pire, après tout ? Cet homme croyait tout savoir, tout connaître, mais en réalité il voyait la vie de ses propres lunettes, comme tout homme. Il n'était que ça, un homme. Un homme tordu, un homme brisé, un homme perdu. À sa façon. Comme je l'étais de la mienne. Son regard sembla vouloir me déstabiliser. Me repousser. Me faire fuir. « Vous ne me faites pas peur. » Et je ne disais pas cela sur un ton de défi ou d'arrogance. Un simple fait divers, une affirmation comme une autre. Parce qu'il ne me faisait réellement pas peur. Au contraire, une excitation soudaine montait en moi.

Je ne voulais voir que l’orage. D’un peu plus près. J’avais juste voulu qu’une éclair déchire le ciel, et, peut-être, déchire mon être. Être brûlé, transpercé. Qu’un courant électrique me brise l’âme en mille morceaux. En m’approchant d’aussi près de la noirceur de la nuit, de l’obscurité du ciel, j’avais trouvé le diable en lui-même. Ses cheveux longs et noirs comme l’ébène tombant sur ses épaules comme des serpents vénéneux. Ses yeux, de grands trous noirs qui m’engloutissaient à chaque regard, m’emmenant dans un monde que nous seuls comprenions. Que nous seuls ressentions. Son sourire, mauvais, tordu, ses lèvres s’étirant de chaque côté de son visage de sorte à vous glacer le sang. N’importe qui de sain, n’importe qui de sensé, aurait fait un pas vers l’arrière avant de lui tourner dos à jamais et de s’enfuir en courant. En courant le plus vite possible. En courant le plus loin possible.

Moi, le suicidé, le tourmenté, je restais là. Les yeux impassibles. Fort, grand, debout, fier, devant cet homme qui m’effrayait de l’intérieur mais devant lequel je restais de marbre, ne voulant pas le laisser gagner. Il croyait être le plus noir des deux. Tout le blanc que j’avais un jour porté en moi avait été effacé, rayé, barbouillé au crayon de plomb. Il ne restait plus de lumière en moi. Je l’avais éteinte avant d’avoir trop d’espoirs déçus. Ma réplique sembla le faire rire, et moi je ne riais pas. Je le regardais, les sourcils froncés, les poings serrés. Je ne me rendais même pas compte de l’émotion qu’il faisait naître en moi. La haine, le ressentiment, la colère. Mais aussi l’excitation, la reconnaissance, l’amour.

Je l’écoutai sans broncher durant tout son monologue du rien versus le monstre. Je ne savais pas si cet homme était juste dans ses propos. Je ne savais pas si ses paroles faisaient résonner en moi le doute ou bien la vérité. Étais-je ce rien dont il parlait ? Ses suppositions me semblaient bonnes sur mon cas. Sur mon incapacité à toucher le bonheur ou à seulement rire. Sur mon éternelle solitude. Mais comment pouvait-il savoir que je ne pourrais jamais perdre le contrôle comme lui le pourrait ? J’avais déjà perdu le contrôle au point de tenter de m’enlever la vie, blessant par le fait-même tout le monde autour de moi. N’était-ce pas autant ravageur ? Je levai les yeux vers ledit monstre. « Au moins, toi, tu es quelque chose. Tu ne vis pas en sachant que tu n’es qu’effacé, tu ne te lèves pas à chaque matin en pensant, justement, que tu es insignifiant aux yeux de tous. Être rien, c’est de ne pas valoir la peine ni aux yeux des autres, ni aux yeux de soi-même. Tu dis que tu préfèrerais n’être rien plutôt que de faire du mal à ceux que tu aimes. Alors toi, tu as des gens qui t’aiment. Moi, je n’ai personne. Parce que je ne suis personne. » J’avalai difficilement et, sans laisser la chance à l’autre homme de s’exprimer, j’ajoutai : « Qu’on soit un monstre ou qu’on ne soit rien, peu importe, dans les deux cas, on est foutus. » Je ne savais pas pourquoi cet homme tenait mordicus à faire valoir son point, à me prouver qu’il était le pire de nous deux. Je me fichais bien de ça. Je me fichais bien de ce qu’il pouvait bien penser de moi. Le fond de l’histoire restait le même : nous étions deux êtres brisés sous un orage violent.