reborn -r.

Le moment tant attendu était finalement arrivé. Ma clinique de physiothérapie ouvrait officiellement demain. Pour fêter en grand cet événement dont j’avais rêvé depuis mes vingt-trois ans, et dont j’avais planifié et organisé la réalisation depuis maintenant un an, j’avais organisé une sorte de réception, formule 5 à 7, qui allait très certainement dépasser les sept heures et c’était parfait comme ça. Mes proches étaient attendus, ma famille, et aussi quelques fidèles clients qui avaient déjà mis à l’horaire leurs prochains rendez-vous. J’étais parti en bon terme de l’ancienne clinique pour laquelle je travaillais, puisqu’ils avaient toujours été au courant de ce petit projet de partir seul en affaires. Ils n’attendaient que le moment, et celui-ci était enfin arrivé. J’avais donc donné ma démission avec un préavis d’un bon deux mois, le temps qu’ils trouvent un nouveau physiothérapeute et aussi le temps que je mette tout en place. La clinique n’allait pas se monter toute seule. Cela faisait donc huit semaines que je travaillais d’arrache-pied à rendre ma clinique attrayante et efficace. Ce soir, je soufflais un peu et surtout, je me félicitais de ce travail dont j’étais fier. J’avais envie de partager cet accomplissement avec des personnes qui m’étaient chères.

De plus, comme j’aimais faire les choses en grand, j’avais même fait appel à un service de traiteur pour mettre sur pieds un petit buffet diversifié afin que mes invités puissent se remplir un peu le ventre d’autre chose que d’alcool. Molly était toute aussi nouvelle en affaires que moi, puisqu’elle venait d’ouvrir sa petite entreprise de traiteur à Bowen. J’avais fait appel à elle, inspiré par sa nouveauté et aussi par les dépliants promotionnels que j’avais vus et qui donnaient l’eau à la bouche. J’étais son premier contrat, et elle était la première personne à mettre les pieds ce soir à ma clinique pour la soirée. Je lui ouvris la porte avec un grand sourire alors qu’elle arrivait avec un camion rempli de nourriture. Elle était seule avec toutes ses boîtes et glacières. Je lui ouvris la porte avec un grand sourire. « Bonsoir Molly ! Pile à l’heure, super ! » Lançais-je en lui tenant la porte alors qu’elle entrait, les mains pleines. « Dépose ça là, je viens t’aider pour le reste. » Dis-je tout en retournant à son camion avec elle. Nous nous étions parlés à quelques reprises, parfois au téléphone et d’autres fois en personne, mais nous avions à peu près le même âge et nous nous entendions bien, alors les formalités n’étaient déjà plus de mises entre nous. Une fois toute la nourriture à l’intérieur, je me tournai vers elle et déclarai : « Merci pour tout. Tu veux bien m’aider à dresser les buffets ? J’avoue que l’aide d’une professionnelle pour positionner le tout d’une belle façon m’aiderait énormément … » Avouais-je avec un petit regard suppliant. J’avais énormément aidé et guidé Molly dans le choix de menu que je désirais, mais maintenant qu’il était venu le temps de rendre la présentation attrayante, je n’étais plus du tout dans mon élément.

J’adorais l’enthousiasme dont faisait preuve Molly. Elle était très professionnelle, tout en ne gardant pas cette distance froide que pouvait avoir certaines personnes lorsqu’il était question d’affaires. Déjà, je la voyais comme une amie plutôt que comme une personne que je payais pour un service. Je savais aussi qu’elle mettait tout son cœur dans cet événement et ça me faisait vraiment plaisir. Je savais bien que c’était pour sa réputation et son entreprise, mais je savais aussi que mon événement en tant que tel n’était pas vide de sens pour elle. Ce n’était pas qu’un contrat. Elle avait vu la passion qui m’animait avec ce projet de nouvelle clinique, et elle avait pris cette passion comme sienne. Je trouvais cela très gentil de sa part. J’allais certainement la recommander autour de moi et lui donner de bons commentaires. Enfin, j’allais goûter au buffet premièrement, mais je ne doutais pas que ce serait excellent, comme tout le reste de son travail jusqu’à maintenant. « Parfait ? Tu mets la barre haute ! Mais je crois en nous ! » Dis-je avec autant d’enthousiasme. J’étais certes préparé à ce qu’il y ait quelques pépins et imprévus, mais si tout pouvait se dérouler quand même dans l’ordre, je serais très redevable à la vie, et à Molly.

Quelques allers-retours plus tard, le camion était vidé et mon hall d’accueil plein. « As-tu eu d’autres contrats entre temps ? » Demandais-je avec intérêt, espérant vraiment que l’entreprise de Molly avait décollé depuis cette première journée où j’étais entré dans son local. Je lui demandai ensuite si elle voulait bien rester un peu plus longtemps pour m’aider à monter les buffets. Elle accepta avec gentillesse et me demanda tout de suite comment j’aimerais positionner le tout. Je réfléchis un moment, regardant les tables vides que j’avais dressées avant son arrivée. « Ouais, les plats au fond et les crudités devant, comme tu dis. Ça me semble être le plus logique. Est-ce que t’as des nappes ? Sinon je cours en acheter. » Demandais-je, puisque mes tables manquaient plutôt de vie, là, avec leur petit semblant de bois un peu abîmé.

Il était rare que je puisse dire, dans mon cas, qu’une relation avec une femme commençait avec de l’amitié et se terminerait avec de l’amitié. Autrefois, je n’abordais jamais une jolie femme comme Molly sans passer par la drague et les mots doux. C’était dans ma façon d’être, je ne pouvais m’en empêcher. Après cela, trois possibilités s’en suivaient. Un, la femme couchait avec moi et on ne se revoyait pas. Deux, la femme couchait avec moi et finissait par devenir des amis. Trois, on devenait des amis. Bon, d’accord, parfois il pouvait y avoir cette quatrième option où je draguais une femme et celle-ci me rembarrait directement pour ne plus jamais me parler ! Mais cela était dans de rares occasions. Et puis maintenant, depuis que j’étais en relation avec Sara, tout cela était bien loin de moi. C’est pourquoi, avec Molly, tout avait débuté de la façon la plus normale possible, avec des échanges amicaux. Le courant passait étrangement plutôt bien. Je n’étais pas vraiment habitué à ce genre de débuts avec une femme, mais ça me plaisait, et c’était plus facile que je pensais.

Tout se déroulait comme prévu, même j’oserais dire à la perfection. J’avais vraiment bien fait de faire appel à Molly. Elle était gentille, douée, efficace, et en plus je gagnerais sans doute une amie à la fin de ce contrat ! Du moins, je l’espérais. Elle était nouvelle en ville et me semblait tellement d’agréable compagnie, je ne devais pas la laisser tomber, celle-là. Je commençai déjà à lui faire la conversation sur tout et sur rien, pour lui faire comprendre que je ne m’intéressais pas seulement qu’aux services qu’elle avait à m’offrir. Je m’intéressais aussi à elle. Elle me parla d’une fête de Bowen, et j’hochai vivement la tête. « Oui ! La fête de commémoration ! J’te recommanderai, si tu veux. Enfin, pas que tu aies besoin de mon aide pour qu’on te demande de participer, mais un bon mot en ton nom sera un coup de pouce ! Et ça me ferait plaisir. » Après tout, les Rutkowski étaient établis à Bowen depuis belle lurette et j’étais une personnalité assez connue, ici, grâce à mon ancien titre de champion mondial de vélo de montagne. Ces jeunes années semblaient loin derrière, mais les gens n’avaient pas tous oublié.

L’organisation et la mise en place était enclenchée, et voyant l’état de mes tables, j’avais demandé à Molly si elle avait des nappes. En fouillant un peu dans ses boîtes, elle arriva à en trouver. « Tu es géniale !! » Lançais-je, enthousiaste. Puis nous nous attelâmes à la tâche en discutant de l’emplacement, du déroulement, de la pluie et du beau temps. Quand tout fut en place, je laissai un soupir de soulagement s’échapper d’entre mes lèvres. « Wow. C’est super. » Le hall d’entrée était l’endroit où les coupes de champagne avaient été enlignées. Après, le buffet se trouvait dans la clinique-même, au centre. Les invités allaient être tout autour, entourés des tables des patients et des instruments de travail. Mais c’était assez dégagé pour que tout le monde se sente à l’aise. « Merci beaucoup pour tout, Molly. » Son travail à elle était maintenant terminé. Là, c’était à moi d’attendre mes invités et de m’assurer que c’était une belle ouverture. « Tu voudrais pas rester pour la soirée ? » Lui proposais-je.

« Avec plaisir. » Avais-je tout simplement répondu. La fête de commémoration était toujours une grande occasion pour moi d’enfiler les coupes de champagne servies à qui en voulait bien. Si en plus de cela il y avait de la bien meilleure nourriture que d’habitude, alors je serais comblé. Pas que la nourriture laissait habituellement à désirer, mais celle de Molly était juste belle à regarder, alors je n’osais même pas imaginer comment elle serait bonne en bouche. Il fallait que je me retienne pour ne pas tout goûter avant l’arrivée de mes invités.

Alors que tout était installé et que nous débarrassions les boîtes vides éparpillées un peu partout dans l’ère d’accueil, je proposai à Molly de rester pour la soirée. Elle avait travaillé fort, et peut-être voulait-elle voir le fruit de son premier vrai contrat. Voir la réaction des gens face à ses plats sans doute délicieux. Et s’amuser un peu, aussi ; se décontracter. Rencontre des habitants de Bowen. Molly déclina l’invitation. J’hochai la tête en souriant, je comprenais. « D’accord, c’est comme tu veux. Mais … comme dernière tentative, sache que oui ce sont mes amis et ma famille, mais c’est aussi une bonne partie des habitants de Bowen de notre âge, alors ce serait une occasion pour toi de te faire connaître, non seulement pour ton boulot mais aussi pour la super personne que tu es. » Je lui souris, sincèrement. « Et puis, y’a de la bouffe en masse alors une personne de plus ou de moins ! » Je lui fis un clin d’œil. J’appréciais beaucoup cette femme, une perle, une belle découverte. Je me doutais même qu’elle s’entendrait bien avec Sara et, même si pour le moment nous étions encore un secret, je pourrais la présenter à Molly en tant qu’amie. Bref, dans tous les cas, je n’avais pas de mal à croire que Molly s’amuserait bien plus ici qu’à sa boutique. Après tout, j’étais l’un des plus grands fêtards de Bowen. Alors si c’était moi qui organisait la petite soirée en plus … !

Ravi que Molly ait finalement accepté mon invitation, je tapai mes mains l’une dans l’autre avant de les frotter ensemble comme signe de satisfaction, un grand sourire aux lèvres. « Super ! Alors, en tant que première invitée, Molly … tu as aussi droit au premier verre de champagne. » Je m’emparai d’une bouteille bien enlignée au buffet et je l’ouvris en un pop! festif. Je versai le liquide alcoolisé et mousseux dans deux coupes. J’en tendis une à la jeune femme. « Au succès de cette soirée ! » Parce que nous aurions tous les deux contribué à ce succès, s’il en était un. Ma coupe tinta sur celle de la blonde et je bus une gorgée. Cela m’apaisa. Il fallait avouer, j’étais nerveux. Les premiers invités n’allaient pas tarder et je voulais que les gens s’amusent, même si ce ne serait pas la soirée du siècle. Ce n’était que l’ouverture d’une clinique, rien à voir avec la fête de la commémoration qui arrivait.

Dix minutes plus tard, les invités commencèrent à arriver. Je présentai Molly à tout le monde et, quand je vis Perry Peach arriver, je m’empressai de le présenter à Molly, soulignant durant les présentations que la famille Peach était très connue de Bowen, des piliers, et que Perry s’occupait de l’organisation des événements qui s’y déroulaient. Je présentai Molly comme la magnifique propriétaire de l’entreprise de traiteur à qui j’avais fait appel pour le buffet. Je lui fis un clin d’œil et je la laissai entre les mains du jeune homme le temps d’aller saluer mes invités.

La soirée battait son plein, tout le monde discutait avec tout le monde, même Molly était restée plus longtemps que prévu à force de rencontrer des gens par l’entremise des autres. Quand j’eus fait le tour de pas mal tout le monde, je revins vers Molly. « Tout le monde raffole de tes petits sandwichs roulés. » Je souris. « Tu t’amuses ? » Demandais-je avec intérêt.

J’hochai la tête. « Mais c’est très bien oui ! » Un grand sourire s’inscrivit sur mon visage. J’adorais aider les autres. Je n’avais peut-être pas l’air de l’homme ayant le plus grand cœur dans cette ville, surtout à cause de mes antécédents de coureur de jupons et de briseur de cœur, mais en réalité je n’avais que ça à donner : de l’amour, de l’aide, du réconfort. J’étais un papa ours, c’est juste que tout le monde avait préféré s’arrêter aux préjugés. « Ça fait plaisir. C’était la moindre des choses. » Et puis, il fallait le dire, Woody appréciait bien cette Molly. Il ne dirait pas non à la revoir dans un contexte différent que le monde professionnel des affaires. Pour le moment toutefois, la petite soirée tirait à sa fin. Le buffet était pratiquement vide, l’alcool quasiment terminé, et les invités se trouvaient pour la plupart dans le lobby en train d’enfiler leurs petites vestes pour contrer la fraîcheur de fin de soirée. Je raccompagnai tout le monde, les remerciant un à un alors qu’ils quittaient ma clinique. Une fois tout le monde partit, je tournai la tête vers Molly qui était elle aussi en train de remballer ses choses. « On se partage ce qu’il reste du buffet ? Ça te fera des lunchs pour la semaine. » Proposais-je en riant.