Heather & Ezekielle ∞ Madness

Comme la journée s'annonçait grise et qu'elle avait bien du temps libre devant elle, Ezekielle décida d'aller se promener dans sa nouvelle ville d'adoption, question de découvrir de nouveaux endroits et d'en redécouvrir d'autres. Certaines personnes détestent les journées grises, elles leur donnent mauvaise mine jusqu'au coucher du soleil. D'autres apprécient particulièrement la pluie, ou la neige.  Ils y trouvent une certaine forme d'art, de beauté naturelle. Plusieurs ne vivent que pour les chauds rayons du soleil brillants sur leur peau. La blondinette ne fait pas partie de l'une ou l'autre de ces catégories. Elle adore les journées grises, la pluie, les tempêtes de neige, les chaudes journées d'été, les orages... bref, elle leur trouve toutes un petit quelque chose. Ainsi, elle était sortie vêtue d'un jeans boyfriend et d'un haut ample, un chapeau sur la tête comme à son habitude.  Ses pas l'avaient menée jusqu'à la devanture du Elm Street, un bar bien reconnu à Bowen. Elle avait eu l'occasion d'y aller une ou deux fois déjà, elle en avait apprécié l'expérience. Elle franchit la porte et se dirigea au comptoir, levant les yeux vers le menu affiché plus haut. Un employé s'adressa à elle, Ezekielle le salua, puis lui demanda poliement un café latté et une petite brioche. Elle remis l'argent au jeune homme qui lui avait remis sa commande, puis elle jeta un coup d'oeil rapide à la salle à manger. Au loin, une brune au visage clair regardait en sa direction, puis lui fit signe de la rejoindre. Elle la reconnaissait. D'ailleurs, elles s'étaient justement rencontrées ici, il y a plusieurs jours de cela déjà. C'était quelques jours après son arrivée à Bowen. Ezekielle se dirigea vers elle, puis la salua: «Salut! Heather, c'est ça?» Elle lui sourit tout en détaillant ses traits fins. Son regard semblait la trahir, la demoiselle ne pouvait retrouver son prénom. «Ezekielle. T'en fait pas, j'ai une mémoire de la mort pour les prénoms, ce n'est pas toi qui est nulle!» dit elle en riant. «Je peux me joindre à toi?» Elles avaient partagé un instant ensemble, alors qu'Ezekielle l'avait rattrapée pour lui remettre sa pâtisserie qu'elle avait oubliée sur le comptoir, l'autre jour. Elles s'étaient installées ensemble et avaient papoté d'un peu tout, mais surtout de l'arrivée plus que récente d'Ezekielle. Cette dernière avait d'ailleurs bien apprécié la compagnie de la brunette.

La demoiselle lui confirma que c'était bel et bien son prénom. Visiblement, de son côté, elle semblait mal à l'aise de ne pas avoir retrouvé le sien. «Désolée désolée ! Je préfère ne rien dire que de me tromper, bien que les deux soient assez gênant quand j'y repense.» Ezekielle lui sourit. Si elle n'avait pas cette mémoire un peu trop active pour les prénoms et les visages, elle opterait probablement pour la tactique d'Heather. Lorsqu'elle lui demanda si elle pouvait se joindre à elle, la brune eut un regard amusé. C'était à son tour d'être légèrement gênée. Bien sûr qu'elle le pourrait, c'était elle qui lui avait fait signe! «Assis-toi, mets toi à ton aise !» Ezekielle prit place aux côtés d'Heather, sur le fauteuil libre, et la remercia. Un jeune homme habillé des couleurs du bar vint aussitôt déposer le thé et le muffin devant Heather, qui le remercia. Ezekielle lui sourit, puis celui-ci s'éloigna de leur table, retournant derrière le comptoir. «Alors, tu te fais à Bowen ?» Ezekielle avala sa gorgée de café, puis s'adressa à sa compagne: «De mieux en mieux! J'aime bien cette ville, les gens sont accueillants et chaleureux. Du moins, pour ceux que j'ai eu l'occasion de rencontrer jusqu'à maintenant!» dit-elle, tout souriante. «Et toi, tu es ici depuis longtemps? Nous avons bien parlé de moi la dernière fois, et peu de toi. Je suis curieuse!»

Ezekielle n'était pas du genre à raconter  sa vie et à toujours parler d'elle. C'était une femme qui préférait plutôt laisser les autres se dévoiler, les découvrir et les redécouvrir à chaque fois. Toutefois, depuis son arrivée, elle n'avait d'autres choix que de souvent parler d'elle. Elle se faisait poser les mêmes questions, en boucle. D'où viens-tu? Depuis combien de temps es-tu ici? Tu arrives d'où? Pourquoi Bowen? Pourquoi les voyages? Elle avait prit l'habitude de jouer le rôle de celle qui pose les questions, autant de par son métier que parce que cela lui permettait de découvrir les endroits qu'elle visitait. Aujourd'hui, cette conversation avec Heather ne lui déplaisait pas. L'atmosphère du bar et sa présence la mettait totalement à l'aise. Après lui avoir parlé un peu d'elle à nouveau, Ezekielle lui posa une question à son tour. La brunette lui répondit qu'elle vivait à Bowen depuis un moment déjà, soit le début de ses études supérieures. Ezekielle lui sourit. Elle n'en avait pas fait, elle, d'études. Partiellement, du moins. Et parfois, elle se demandait si cela ne lui metterait pas des batons dans les roues un jour. «Et tu t'y plais? Quel est ton domaine d'étude?» Si elle n'avait pas eu sa chance en journalisme et en photographie, Ezekielle ne savait pas ce qu'elle aurait fait pour gagner sa vie. C'était une occasion et une chance qu'elle chérissait que d'avoir pu vivre de ses passions, tout en réalisant l'un de ses rêves. La brunette revint au sujet de son expérience à Bowen. «Tu penses te poser à Bowen ou tu comptes repartir bientôt en voyage du coup ?» Ah! Cette question. Elle tenterait bien que mal d'y répondre, car elle-même attendait encore la réponse. Elle voyagerait à nouveau, c'était assuré. Elle ne savait pas quand ni où, mais elle le ferait. Pour l'instant, elle était ici, et c'est le présent qui comptait. «J'ai choisis de me poser un moment, essayer de vivre comme une femme de 25 ans normale quoi» dit-elle en riant. Elle savait bien qu'un ou l'autre des modes de vie choisi ne faisait pas d'elle une personne anormale, mais elle se plaisait à le croire. «J'y vais au jour le jour. Je repartirai, c'est certain. Mais pour la première fois, Bowen sera peut-être l'endroit où je retournerai entre chaque destination.» Parce qu'il était ici. Et parce qu'elle s'attachait de plus en plus à cet endroit.

Ezekielle avait ainsi questionné à son tour Heather sur son appréciation de Bowen. La blonde n'était pas ici depuis longtemps et pourtant, elle commençait à s'y plaire. Les deux jeunes femmes prirent chacune une gorgée de leur boisson chaude, celle d'Heather étant probablement encore trop chaude, puisqu'elle reposa sa tasse sur la table. Ezekielle appréciait son café assez chaud, elle pouvait pratiquement le boire aussitôt qu'il était fait. «J'aime beaucoup ma vie à Bowen oui. On a de la chance de vivre dans une ville ni trop grande ni trop petite, et en plus de ça, la campagne est proche. Et comme on vit en ville.. Tout est à porté de main. Que demander de plus ?» Ezekielle l'écoutait attentivement, tout en hochant la tête d'haut en bas. Elle n'avait pas tord et c'était surement l'une des raisons pour lesquelles elle réussissait à apprécier autant Bowen. Cette ville était charmante, surprenante. «C'est vrai que Bowen est un bon compromis entre la ville et la campagne. Je crois que ça peut plaire à pas mal de gens.» La blondinette s'était elle-même d'y prendre ses aises, alors qu'elle n'avait jamais été aussi à l'aise que dans le changement, le mouvement et la nouveauté. Elle découvrait un à la fois les commerces et les attraits de la ville australienne, tous aussi intéressants les uns que les autres. Ezekielle questionna ensuite la brunette sur ses études, parce qu'elle était curieuse de nature. «Sinon, je fais des études de musicologie. Enfin, de musique quoi. Actuellement, j'apprends à composer sur les thèmes demandés, tout en apprenant à jouer des morceaux cultissimes mais pas forcément simples.» Ezekielle sourit, parce qu'elle trouvait ça épatant, la musique. Un peu comme le voyage, c'était, selon elle, une façon d'apprendre sur des cultures, sur des époques, une façon de découvrir et de communiquer. «Et tu es dans la musique depuis longtemps?» Si elle en était rendue aux études supérieurs en musicologie, c'est qu'elle devait avoir une réelle passion pour la musique. «Et du coup, tu comptes en faire un métier, une carrière? Je connais pas trop cet univers», dit-elle avant d'avaler une autre gorgée de café. «J'imagine que diverses portes pourront s'ouvrir à toi.» Elle le lui souhaitait, en tout cas. Pour elle, il était inimaginable d'avoir qu'une seule option, qu'une seule destination. Une seule porte qui s'ouvrirait à elle. Ezekielle avait besoin d'explorer, de faire des choix, plusieurs, de pouvoir revenir sur ses pas, de recommencer, encore et encore. Elle avait besoin de ne jamais s'arrêter. C'était sa façon à elle de s'instruire. Elle répondit ensuite à Heather qu'elle comptait rester ici un moment, du moins pour l'instant, dans l'espoir de pouvoir avoir une vie «normale». Elle utilisait toujours cette expression même si, pour elle, la normalité n'était qu'une concept abstrait que la société s'imposait. Un poids qu'on mettait sur le dos de chaque petit être humain, dès sa naissance. Et même dès sa conception. «Et donc, pour toi, c'est quoi la normalité ?» Ezekielle lui sourit, tout en terminant sa bouchée de brioche. La normalité, c'était tellement de choses et à la fois, absolument rien. «La normalité, c'est juste une étiquette qu'on s'oblige à poser sur absolument tout. C'est tout, et rien à la fois. Je m'amuse à utiliser ce terme, parce que je sais que j'ai eu la chance d'avoir un parcours moins traditionnel, moins commun.» Et elle ne regrettait en rien ses choix. Ils lui avaient permis de vivre d'incroyables expériences qui l'enrichissaient toutes autant. «En tout cas, quand tu referas des étapes à Bowen, faudra qu'on de voit !» Ezekielle hocha rapidement la tête d'haut en bas, le sourire aux lèvres. Elle apréciait la simplicité d'Heather, le fait qu'elles puissent discuter de choses aussi simples sans que l'une ou l'autre se sente dévalorisée. «Absolument! Mais je pense sincèrement rester un bon moment, ici. Du moins, je l'espère.» Elle resterait aussi longtemps qu'elle en aurait besoin, qu'elle en serait capable. Elle avait son lot de choses à vivre à Bowen, comme ailleurs. Puis elle avait aussi une relation à développer, à exploiter et à chérir.

Heather avoua à la blonde qu'elle avait familiarisé le monde de la musique à l'aide d'une guitare, il y avait déjà un moment de cela. Ezekielle sourit à ces propos. La guitare était un instrument de musique qu'elle appréciait particulièrement. La guitare et la famille des instruments à cordes, en général. La jeune femme aurait aimé avoir l'âme d'une musicienne, de pouvoir toucher un instrument et d'en produire une mélodie unique à chaque fois. Elle avait été témoin des prouesses d'Isaiah à quelques reprises, armé de sa guitare, lors de leurs périples ensemble. Dès qu'il touchait l'une des cordes de son instrument, Ezekielle sentait son âme s'envoler et danser librement. Son sourire ne quitta point ses lèvres, ces doux souvenirs en tête. Heather semblait songeuse aussi. Parler de ses débuts dans la musique devaient lui procurer de nombreux souvenirs aussi. Ezekielle s'intéressa par la suite à l'avenir que se réservait la brunette, dans l'univers de la musique. «Le monde de la musique serait moins corrompu, j'aurai pu y penser, à travailler dans ce domaine, mais de nos jours, ce n'est pas les artistes compétents que les producteurs recherchent, c'est pas assez vendeur.» Ezekielle pinça ses lèvres, désolée pour la jeune femme. Elle avait complètement raison, ce n'était pas nécessairement le talent qui était recherché, aujourd'hui, mais plutôt la rentabilité. «C'est dommage, puisqu'à la base, la musique est un art.» Et pour Ezekielle, l'art ne se devait point d'être avant tout, une source de profit. «As-tu déjà songé à te produire à Bowen, pour le plaisir? J'ai vu quelques endroits intéressants où des artistes étaient invités, certains soirs» poursuit-elle avant de prendre une nouvelle gorgée de son latté. Heather était ici depuis plus longtemps qu'elle et devait déjà connaître ce genre d'endroits, mais Ezekielle en fit mention tout de même. Si jamais l'envie lui prenait d'aller faire un petit concert dans l'un de ces cafés/restos/bars, Ezekielle y assisterait avec plaisir.

La conversation vint ensuite de son côté, Heather la questionnant sur sa vie à Bowen et ailleurs. «Quant à toi, tu subviens comment à tes besoins du coup ? Tu fais des petits boulots à chaque nouvelle destination ?» Ezekielle se plongea dans ses souvenirs à nouveau. Les services qu'elle rendait auprès des petites communautés, en échange d'un toît ou d'un repas, valaient de l'or à ses yeux. Là où l'argent n'existait pas, l'être humain était surprenant. Ce n'était pas en Amérique du Nord que l'on pouvait voir de tels comportements. «À Bowen, je suis présentement en recherche d'emploi, mais je ne suis pas pressée de m'établir dans un cadre routinier...» L'idée ne lui déplaisait pas, mais ce serait un grand ajustement à faire pour elle. «Sinon, je n'ai jamais vraiment eu à obtenir un boulot, là où j'allais. Ce qui est super, lorsque l'on fait un tel voyage, c'est l'ouverture des gens, leur accueil et leur générosité.» Elle sourit en repensant à certains visages. «Parfois, je donnais un coup de main en échange de quelques pièces, mais la plupart du temps, je me débrouillais en faisant des échanges de services. J'ai été accueillie dans de nombreuses familles, où je pouvais autant aider la maman avec les petits et la cuisine, que je pouvais aider le papa à réparer la maison ou à s'occuper du jardin.» Ces pratiques n'étaient plus coutumes, dans son pays d'origine, où l'argent avait préséance sur tout. «En échange, on m'offrait un toît pour la nuit, un repas.» Mais ce qui lui faisait le plus plaisir, c'était le sourire et la reconnaissance des ces personnes qu'elle rencontrait et qu'elle aidait.