I'm up in the woods, I'm down on my mind (charlize)

« Merci d’être venue me rejoindre, Charlize. Je suis vraiment désolé d’avoir appelé aussi tôt ce matin … » Lança Lennox alors que Charlize venait tout juste d’arrivée à l’entrée de la forêt. Il passa ses bras autour d’elle pour la serrer contre lui. La blonde était bien l’une des seules personnes dans ce monde avec qui il se permettait autant de marques d’affection. Probablement parce qu’ils se connaissaient depuis toujours ou presque. Charlize et lui étaient des amis d’enfance, depuis leur plus jeune âge ils se connaissaient, s’appréciaient, parlaient de tout et de rien. Gosses, c’était les jeux inventés. Puis un peu plus vieux, c’est là que tout avait réellement commencé. Parce que Lennox avait commencé dès le début de son adolescence à ne pas être comme les autres, à ne pas arriver à être heureux. Rien qu’un sourire était difficile à lui décrocher. Lennox n’était pas un enfant avec des rêves et des désirs. Lennox était un enfant qui se laissait malmener par la vie, qui subissait jour après jour les aléas de celle-ci. Charlize avait rapidement compris que son ami était différent, que la lueur qui brillait dans ses yeux autrefois, quand ils se prenaient pour un chevalier et une princesse, s’était éteinte pour de bon. Tous ses espoirs s’étaient envolés.

Une trentaine d’années après leur première rencontre entre gamins, leur relation était plus soudée mais la base était la même : Charlize était le pilier de Lennox. Celle qui, coûte que coûte, était restée à ses côtés. Peu importe la tempête, peu importe la défaite, Charlize n’avait jamais laissé tomber Lennox. Elle était la seule. La seule à ne jamais avoir baissé les bras, la seule à ne jamais lui avoir tourné le dos. La seule à réellement croire en lui. Ça voulait dire tellement pour Lennox, qui cherchait en vain à s’accrocher à quelque chose. Charlize, elle, le retenait toujours par la main alors qu’il avait les pieds dans le vide et qu’il menaçait de tomber dans ce gouffre d’une seconde à l’autre. C’est pour cette raison que Lennox avait téléphoné à Charlize ce matin. Il savait que sa vie était un peu sens-dessus-dessous, avec le retour inattendu et inespéré d’Axten, mais aujourd’hui il avait besoin d’elle. Et il serait là pour elle aussi, si elle le désirait. Ils avaient toujours été là l’un pour l’autre. Ça ne changerait pas de sitôt. « J’avais besoin de te voir … parce que je sens que je m’égare, là. Je ne me reconnais plus … et comme t’es la seule à vraiment me connaître, peut-être que tu pourrais me rappeler … » Ou peut-être était-il déjà bien trop perdu pour être ramené chez lui. Cela faisait des semaines que Lennox envoyait sa vie en l’air.

Lennox hocha la tête quand Charlize lui assura qu’il pouvait l’appeler quand il le voulait. Il le savait. Depuis le temps. Et plus le temps avançait, moins Lennox se gênait. Au début de l’âge adulte, Lennox avait essayé de gérer ses émotions par lui-même, du mieux qu’il le pouvait. Après sa tentative de suicide ratée, à l’âge de seize ans, Lennox avait voulu faire croire aux autres qu’il remontait tranquillement la pente grâce à son psychologue. Ce n’était pas du tout le cas mais, au moins, les gens lui foutaient la paix un peu. Surtout ses parents et les intervenants à l’école. Mais arrivé à la faculté de droit, Lennox s’était retrouvé seul, face à l’inconnu, face aux difficultés de la vie adulte. L’angoisse avait bien rapidement repris le dessus et il avait commencé à avoir du mal à cacher son mal-être. Heureusement qu’il n’habitait plus chez ses parents mais bien en résidence. Ça lui évitait d’avoir à mentir à tout bout de champ. Il avait donc combattu ses démons par lui-même pendant tout ce temps-là, mais aujourd’hui, dans la trentaine, Lennox commençait à être bien fatigué de se tenir debout seul. Il avait besoin de béquilles, et comme Charlize était un pilier dans sa vie, il se fiait sur elle pour tenter de le relever quand il était trop bas. C’était lourd de responsabilités pour la blonde, il le savait, mais il savait aussi qu’elle l’aimait à un point tel qu’elle ne lui tournerait pas le dos. Pas après tout ce qu’ils avaient traversé ensemble.

Charlize proposa de marcher, et Lennox hocha la tête, bien d’accord avec cette option. Il ne pouvait plus rester immobile, il avait besoin que les choses changent. Métaphoriquement parlant ou pas. Et puis, avec tout ce qu’il avait à lui dire, Lennox se doutait bien que ce serait mieux d’avoir quelque chose d’autre à faire que de regarder tristement l’autre. Le malaise en serait décuplé. Au moins, en marchant, Charlize pourrait le fuir du regard pour regarder le paysage. Lui aussi, d’ailleurs, puisqu’il avait bien du mal à soutenir un regard de chagrin ou de pitié. « Oui, bonne idée. » Avait-il répondu en plongeant ses mains dans ses poches et en commençant à marcher d’un pas lent. Ils avaient du temps devant eux ; enfin, il espérait que c’était le cas pour son amie. Lui, si. À voix basse, la blonde lui demanda ce qu’il avait sur le cœur. Lennox prit une grande inspiration, levant les yeux vers la cime des arbres. « J’ai l’impression que je suis en train de tomber bien bas, Charlize. Avec Lou, je me sentais revivre. Et maintenant que je l’ai perdue … c’est encore pire qu’avant. Elle a laissé un trou béant dans mon cœur … dans ma vie en général … » Il baissa la tête, regardant maintenant le sentier de petites roches. « Je n’ai même plus le courage d’aller travailler, ou de me faire à manger, ou de faire quoi que ce soit … » Lennox n’avait jamais eu envie de toutes ces choses, mais il arrivait quand même à les faire, parce qu’il n’avait pas vraiment le choix. Là, c’était de plus en plus difficile. De vivre.

Lennox était tellement détaché de son propre être qu’il ne se rendait même pas vraiment compte qu’il mettait un pas devant l’autre. Tout ça était automatique, lui étant trop perdu dans l’obscurité de ses pensées pour réaliser que son corps continuait de vivre même sans ses ordres conscients. Un silence sans doute pesant pour Charlize s’était installé, ou peut-être avait-elle tellement l’habitude que ça ne la perturbait plus. Lennox lui songeait, pesait ses mots, ne voulant pas exagérer son état – même si, en vérité, il avait l’impression d’aller plus mal que jamais. Il ne voulait pas inquiéter Charlize pour une déprime passagère, mais Lennox savait bien que rien de son chagrin n’était passager. Ça ne l’avait jamais été. Il vivait avec depuis toujours, alors pourquoi cette fois ce serait différent ? Finalement, il décida de confier à la jeune femme son état depuis que Lou et lui avaient en quelque sorte mis un terme à leur relation, même si ça n’avait jamais été officiellement dit. Lui était trop lâche pour la confronter. Pour la choisir elle plutôt que son évasion superficielle. Lennox en demeura aux faits, surtout, soulignant davantage son manque de motivation à faire quoi que ce soit plutôt que d’y aller tout de suite dans les idées noires qui l’habitaient depuis quelques jours.

Charlize lui conseilla d’aller parler à Lou, pour qu’ils s’expliquent sur ce qu’ils ressentaient l’un pour l’autre, et surtout pour lui dire comment il se sentait sans elle. Lennox hocha lentement la tête, avant d’hausser les épaules sans jamais délaisser le sol des yeux. Lennox ne regardait que très rarement vers l’avant, bien trop effrayé par ce qui se trouvait derrière. « Je ne sais pas … je ne sais pas si je suis encore totalement prêt à … » À lâcher les drogues qui lui permettaient d’oublier un peu son mal-être ? À exaucer les souhaits de Lou en arrêtant toute consommation ? Charlize ne savait même pas encore que Lennox avait osé toucher à ces drogues pour en devenir inévitablement indépendant. « À la confronter après la dispute qu’on a eu … » Avoua-t-il finalement, préférant ne pas trop entrer dans les détails même s’il savait que son amie l’apprendrait, d’une manière ou d’une autre. C’était un élément central de l’état actuel de Lennox. Il ne pouvait pas le lui cacher éternellement. De toute façon, ça se voyait bien, physiquement, que Lennox n’était pas dans son état normal. Percevant sans doute très bien toute la détresse dans le cœur de son ami, Charlize proposa à ce dernier d’aller habituer un moment chez elle, dans la chambre d’ami. Lennox ralentit le pas, se tournant vers la blonde, secouant la tête avec fermeté. « Charlize, je ne peux pas accepter … Non … Avec le retour d’Axten, tout doit être tellement … compliqué, c’est généreux de ta part de l’offrir mais … je pense que tu en as pas mal assez sur tes épaules, déjà. » Dit-il. Il serait un boulet plus qu’autre chose, et il savait bien que Charlize avait déjà du mal à garder la tête hors de l’eau.

Évidemment, Charlize connaissant mieux que quiconque les traits de Lennox et ses réactions, elle décela tout de suite qu’il ne disait pas toute la vérité. Qu’il gardait quelque chose pour lui, son petit secret douloureux qui l’habitait et pire, le contrôlait. Un peu plus jour après jour, nuit après nuit. Il laissa ce démon noir s’emparer de son être et l’amenait même à mentir à ses plus proches amis. À celle qui jamais n’avait tourné le dos face à ses montagnes de tourments. À celle qui, contrairement à tous les autres, avait su prendre Lennox comme il était. C’est-à-dire un homme troublé, indéchiffrable, las. Une cause perdue. En laquelle Charlize avait quand même décidé de voir une certaine lumière d’espoir. C’était beau à voir. Malheureusement Lennox savait maintenant vains les efforts de sa meilleure amie. « Je deviens quelqu’un qu’elle n’aime pas particulièrement … et en ce moment j’ai besoin d’être cette personne pour m’en sortir … » Il haussa les épaules en relevant momentanément la tête, fixant devant lui, avant de rebaisser les yeux de nouveau. « Alors je ne veux pas reprendre contact avec elle si c’est pour la décevoir une seconde fois. » Avoua Lennox, en toute sincérité. Il lui disait la vérité, à Charlize ; juste en laissant de côté certains détails. Certains gros détails qui avaient des conséquences énormes sur sa vie. Il ne savait tout simplement pas si son amie accepterait de le laisser en paix dans ce monde de déchéance. Sans doute pas. Et puisqu’il avait déjà perdu Lou à cause de ça, il ne voulait pas risquer de perdre Charlize également. « Je pense qu’elle préfère rester dans le flou que de réaliser que je n’arrive pas à changer pour elle. Pas maintenant, du moins. » Il avait besoin de la drogue, en ce moment, pour mettre un pied devant l’autre. Pour voir la lumière au bout du tunnel. Cette lumière n’était sans doute qu’une hallucination, une illusion, un mirage, créé par les substances qu’il ingérait comme s’il n’y avait pas de lendemain. Charlize, voyant bien à quel point Lennox était dans un de ses pires états, lui proposa de vivre chez elle un moment, avec sa famille. Offre que le trentenaire refusa, bien évidemment. Il sourit quand elle insista. « Je suis un loup solitaire, Charlize, tu le sais bien. Je vis mieux avec moi-même qu’avec les autres, aussi surprenant cela puisse-t-il être … » Un sourire au coin des lèvres. Parce que Lennox ne se supportait pas lui-même. Mais il préférait l’idée de s’embêter lui-même que d’embêter les autres avec sa détresse émotionnelle. Lui, il avait appris à se gérer, à s’endurer. Les autres, pas encore. Et sans doute jamais.

Charlize et son éternel optimisme. Lennox et sa naturelle négativité. Il était difficile de se faire à l’idée que ces deux-là puissent être des amis aussi proches, et ce, depuis si longtemps. Lennox avait toujours cette désagréable impression de drainer toute la vie qui émanait de Charlize. Il avait l’impression de tarir la fontaine de bonheur qu’elle était. Et pourtant, elle restait là, grande et droite, toujours prête à lui tendre la main, avec son halo de lumière qui ravivait sa silhouette. Charlize était très certainement l’ange gardien de Lennox, celle qu’une force surnaturelle avait mise sur son chemin pour le guider à travers cette dure épreuve qu’était l’existence humaine. Jusqu’à maintenant, elle n’avait pas failli à sa tâche, malgré tous les bâtons que Lennox mettait dans les roues de leur carrosse. Encore une fois, aujourd’hui, le jeune homme se montrait inatteignable. Et plus secret que jamais. Parce qu’il savait bien qu’après avoir franchi la ligne qu’il avait franchie, il était bien difficile de revenir sur ses pas. Il savait que Charlize baisserait sans doute les bras, le sachant maintenant hors de sa portée. « Crois-moi, j’ai eu mon lot de personnes à décevoir, et pour des trucs bien moins importants … Je le sais. » Répondit-il, pas sèchement mais certainement pas doucement non plus. Le jeune homme remarqua l’air un peu troublé de Charlize; il était rare qu’il ose lui parler ainsi. Ils se montraient toujours si doux et ouverts l’un envers l’autre. Là, Lennox était méconnaissable. Lui-même ne savait plus sur quel pied danser avec lui-même. Il était une bombe à retardement. Tic. Tac. Tic. Tac. Lennox continua dans ses explications, et avoua à Charlize qu’il sentait qu’il ne pourrait pas changer pour elle. La jeune femme sembla surprise que Lou puisse lui avoir demandé pareille chose. Lou n’avait pas demandé à ce que lui, change. Pas lui, pas sa personnalité, pas ce qu’il était au plus profond de lui-même. Mais bien ses mauvaises habitudes, ses conneries, ses actes désespérés et stupides. « Plus ou moins … » Répondit-il évasivement. Voyant que Charlize attendait une réponse au moins un peu plus élaborée, il soupira et ajouta : « J’ai apporté quelques changements à mon mode de vie, dans l’espoir d’aller un peu mieux et … et ça lui plaît pas. » Ils se rapprochaient, pas à pas, de la vérité. Charlize devait le travailler, son Lennox, mais elle arrivait toujours à ses fins. Pas moyen de lui cacher quoi que ce soit, à cette belle blonde. Et il était aussi difficile de lui refuser, quoi que ce soit. Comme son invitation à venir vivre chez lui. Le jeune homme sourit face à sa détermination, à son entêtement, plutôt. « Et si on faisait un compromis … ? À tous les soirs où je sauterais un repas plutôt que d’aller faire les courses ou de commander, j’ai le droit de t’appeler avec un préavis d’une heure avant de débarquer chez toi pour me remplir l’estomac ? » Proposa-t-il avec un fin sourire. Comme ça, Charlize serait contente, et lui n’aurait qu’à faire semblant de toujours manger à sa fin et de ne pas avoir besoin d’aller l’embêter chez elle.