steps of courage -r.

Le jour du départ était enfin arrivé. Valise bouclés, tu avais profité d'une longue semaine à Bowen. Et tu ne t'étais pas habituée. Tu n'avais pas trop aimé la boîte de nuit. Mais tu avais apprécier manger une glace sur la plage. Admirer le coucher de soleil, même si tu avais eu un peu chaud à cause de tes vêtements. Tu ne portais pas la tenue officielle d'une femme turque, mais tu avais tenue à être assez couverte, au moins de la tête aux pieds. Le taxi venait de vous déposer devant l'aéroport d'Alpha. C'était le plus proche de Bowen même si le temps de route était assez long. Tu attrapais ta valise avant de lui lancer un dernier regard. « Prête ? » Lorsqu'elle hochait la tête, tu lui adressais un grand sourire. Pour lui donner un peu de courage et te donner un peu de contenance. Au fond de toi, tu étais morte de trouille. Tu avais peur de ce qu'il allait arriver parce que tu ne savais pas ce qui pouvait arriver. Tu ne savais pas ce qu'il lui voulait. Tu ignorais tout de ses intentions et tu priais secrètement pour qu'elles soient bonnes. Tu ne voulais pas qu'elle souffre à cause de toi, qu'elle soit piégée dans une vie qu'elle ne veut pas. Tu ne te pardonnerais pas de la trahir de cette sorte là. Une fois à vos places, l'avion s'apprête à décoller, tu lui attrapes la main, un sourire sur le visage, avant de lui dire doucement. « Tout va bien se passer Anna, je te promets que tu pourras retourner vivre en Australie, on t'aidera à t'échapper en douce à nouveau si jamais ! » Tu appliquais une légère pression à sa main avant de la relâcher tout doucement. Tu avais prévenu votre frère pour qu'il vienne vous récupérer, tu avais aussi appelé ta mère la veille pour lui dire qu'elle allait enfin pouvoir revoir sa fille après douze longues années.

Le jour le plus stressant de la vie d'Anna a été le jour où elle a fui son pays natal, la Turquie. Elle était terrorisée à l'idée de ne pas pouvoir échapper à l'enfer que serait sa vie si jamais ses intentions étaient découvertes. Elle avait été seule à l'aéroport, et ça avait été ce qu'elle avait fait de plus difficile. Aujourd'hui, elle repart pour la Turquie pour ce qu'elle espère être une simple visite, mais la terreur l'assaille de nouveau. Elle fait le chemin inverse, cette fois en compagnie d'Ayda, sa sœur, qui semble tout faire pour la mettre à l'aise. Malheureusement, ça n'est pas suffisant. Elle tremble rien qu'à l'idée du châtiment qu'elle pourrait recevoir en y mettant les pieds. Grâce à Dieu, elle a des amis sur qui compter. Cameron doit alerter son père si jamais elle n'a pas de ses nouvelles chaque jour, et elle ne la remerciera jamais assez d'être autant présente pour elle malgré le fait qu'elle a ses propres soucis à régler. Bien sûr, Anna n'a rien dit de cet arrangement à Ayda, de peur que leur père la fasse parler. Mais elle est extrêmement heureuse d'avoir pu la revoir, et elle est, malgré la panique qui l'envahit peu à peu, assez enthousiaste à l'idée de revoir sa mère tant aimée, et son frère. Son père, elle appréhende seulement de savoir ce qu'il peut bien avoir à lui dire. Mais elle essaie de ne pas trop y penser, et se concentre sur le magnifique sourire rassurant de sa sœur. Cette dernière lui demande si elle est prête. Ann' hausse les épaule, et répond :

Pas vraiment, mais il est temps.

C'est impressionnant de voir à quel point Anna semble être la soeur la plus jeune des deux. En faisant la démarche de retourner en Turquie, elle retourne douze ans en arrière, alors qu'elle n'avait que vingt ans. On pourrait croire qu'avec le temps, elle a changé, qu'elle est devenue plus forte, et on aurait raison. Ann' s'est affirmée durant toutes ces années, elle a grandi. Mais repartir dans son pays natal la fait inéluctablement régresser. Elle sourit malgré tout à la proposition de sa sœur de l'aider à s'enfuir à nouveau si besoin. Elles sont maintenant à leurs places, ceintures bouclées et elle sent la main d'Ayda serrer doucement la sienne.

J'ai l'impression d'avoir vingt ans de nouveau. Et pas dans le bon sens.

Au lieu d'écraser la main de sa soeur, elle se met à serrer l'accoudoir, enfonçant ses ongles coupés dedans. Elle n'a pas peur de l'avion. Elle a peur de ce qu'elle trouvera au moment de sortir de l'avion. Le voyage se passe sans encombre, si ce n'est à l'atterrissage où Anna tente de calmer une crise d'angoisse qui l'assaille. Elle inspire profondément et expire lentement pour se calmer. Pour l'occasion, elle a revêtu un djellaba achetée à Bowen, et avant de descendre de l'avion, elle installe un voile sur sa tête comme la tradition l'exige. Elle ne veut pas faire de vague. Elle veut se faire toute petite et passer inaperçu. C'était bien sûr sans compter sur son frère et les gros bras qui l'attendaient elle et sa sœur. Le coeur d'Anna manque un battement, mais, les yeux baissés, elle s'avance vers Asken, son seul frère pour le saluer.

Le jour était arrivée, vous ne pouviez plus faire marche arrière. Enfin vous pourriez, mais c'était trop compliqué, les heures de routes pour retourner à Bowen, c'était un peu loin. Et puis, il fallait bien prendre le risque pour une fois, du danger. Tu avais affronté la vie australienne pour la retrouver, alors elle allait bien pouvoir affronter la vie turque. Elle ne serait pas seule, il y aurait toi ta mère et toi pour la soutenir. Tu n'allais pas la laisser tomber. Alors tu avais attrapé sa main, pour la rassurer, pour lui faire comprendre, que tu étais là. Ecoutant tout ce qu'elle venait de dire. L'impression de revenir en arrière et de comprendre que ce n'était pas forcément une bonne position. Tu avais repris avec un léger sourire. « Mais tu n'as plus vingt ans. Tu es une femme libre et accomplie, et il le verra. Il regrettera peut-être de pas avoir fait parti de ta vie. » Tu pouvais toujours l’espérer au fond. Tu avais peut-être plus peur de conversation que toi. Tu ne voulais pas qu'elle se trouve prise au piège, tu avais peur de la conduire à sa perte. « Asken ! » Tu lui aurais sauté au cou, si tu n'avais pas été au pays. En Australie, ils avaient l'habitude de se sauter dans les bras quand ils ne se sont pas vu depuis longtemps. Tu te contentais juste de le regarder et de le suivre sans broncher. Tu avais remis ton voile peu de temps avant d'arriver.

Quitter la Turquie et y revenir, même à priori pour une simple visite, est ce qu'aura fait de plus difficile Anna de toute sa vie. C'était un geste désespéré qui l'aura ouverte à un nouveau monde de libertés et c'est maintenant un geste réfléchit mais anxieux qui l'emmène sur les terres qu'elle a fuies lorsqu'elle avait vingt ans. A l'époque, même si ça avait été terrifiant, quitter sa vie de soumise avait été la meilleure décision à prendre. Mais aujourd'hui, elle a peur que le choix qu'elle fait ne la ramène au point de départ et ne la prive de tout ce qu'elle aura acquis de si précieux : sa liberté, l'amour, l'amitié, la plaisir d'exercer un métier qui lui correspond, tout ça pourrait être définitivement terminé. Mais elle sentait en elle le devoir de dire au revoir à son père car si elle ne le faisait pas elle le regretterait toute sa vie. Et puis, la curiosité l'a aussi poussée à revenir en Turquie, car il aurait, en effet, quelque chose à lui dire. Ayda n'a aucune idée de ce dont il peut s'agir, mais ça n'étonne pas sa sœur. Il n'a jamais été du genre à partager quoi que ce soit avec la gente féminine.

Bref, dans l'avion, Anna exprime sa sensation de retour en arrière, et Ayda la rassure, en lui disant qu'elle est libre et accomplie, et qu'il le verra. Elle ajoute aussi qu'il regrettera peut-être de ne pas avoir été là pour elle. L'animatrice affiche une moue dubitative.

Ça m'étonnerait beaucoup, la repentance, ça n'a jamais été son truc. Mais on verra.

Elle ne veut pas trop que sa petite sœur s'inquiète pour elle. En effet, elle n'a plus vingt ans, elle a des alliés en or aujourd'hui, des amis sur qui elle peut compter, et elle sait aussi qu'elle est plus forte qu'elle ne l'était, plus persuasive aussi, plus convaincue que jamais que sa vie n'est pas en Turquie. Une fois qu'elles ont atterri, Anna aperçoit Asken, le frère qu'elle n'a pas vu depuis si longtemps, accompagné de ses gros bras. Elle baisse les yeux alors qu'Ayda le salue avec entrain. Elle n'est pas aussi heureuse de le retrouver que lorsqu'elle a revu sa sœur, mais quand même, il a toujours voulu la protéger lorsqu'ils étaient enfants alors elle s'avance vers lui et relève les yeux en sa direction alors que les garde du corps prennent son bagage et celui d'Ayda.

Bonjour Asken.

Elle est terrorisée à l'idée que son frère puisse lui en vouloir d'être partie. Mais d'un autre côté, elle sent que ça ne doit pas être le cas. Il a toujours vu qu'elle n'était pas faite pour ce monde.

Bonjour Ayda. Bonjour Anna. Laisse-moi te regarder...

Ann' affiche un sourire timide, attendant avec anxiété le verdict de son frère qui ne tarde pas à tomber :

Tu es devenue une femme magnifique.

Anna a soudain les larmes aux yeux, émue de ce que vient de lui dire son frère. Elle ne s'attendait pas à ça en venant, et elle espère que tout continuera sur cette lancée, même si elle en doute. Elle dit un simple Merci poli mais ses yeux expriment la reconnaissance sincère. Les deux sœurs suivent finalement les hommes, et arrivent devant une limousine aux vites teintées.

Le voyage en avion avait duré une éternité mais il était passé comme une étoile filante. Vous n'aviez pas vu le temps défiler. Tu sentais au fur et à mesure une boule grandir dans le creux de ton estomac. Mais le contact de ta main dans celle de ta soeur te rassurait quelques peu. Elle avait des doutes sur les attentions de votre père, et tu ne pouvais pas la blâmer. Il n'avait jamais été très clément et du genre à regretter ces choix. Pourquoi les choses seraient-elle différentes aujourd'hui ? Tu aimais juste l'espérer, pourquoi ne pas changer alors qu'il est sur le point de mourir ? S'il y a bien un moment où les choses peut-être paraitre différentes, c'est sur un lit de mort. On prend conscience de nos actes, de nos erreurs, on a plus beaucoup de temps pour les rectifier et si on peut le faire, alors autant se lancer. Lorsque tu descendis de l'avion, vous aviez une escorte personnelle qui vous attendez. Tu le savais, tu t'en doutais même que ce serait lui qui serait là. Et tu voyais bien Anna qui se décomposait doucement, elle avait peur de ses mots, de ses gestes. Tu aurais t'approcher d'elle pour la serrer contre toi et lui dire que tout irait bien. Mais tout allait bien, parce que votre frère déclarait qu'elle était une très jolie femme. Au fond de toi, ton coeur explosait de joie, tu étais heureuse que les retrouvailles se passent ainsi. Puis vous le suiviez jusqu'à la voiture. Tu laissais Anna monter à l'arrière et tu t'installais à ses côtés. Pendant que la voiture roulait, tu te glissais vers son oreille pour lui souffler quelques mots. « Tu vois, même Asken ne t'en veux pas ! » Tu lui offris un grand sourire avant de te remettre droite sur ton siège. Tu avais l'impression d'être une gamine et de transgresser les règles que tu avais toujours connues, juste pour l'aider à se sentir plus à l'aise. Pour le moment, il ne s'agissait que de ton frère et il ne dirait rien, pas en public en tout cas. Devant votre père, il serait plus difficile pour toi d'agir différemment, il n'était pas habitué à tout ça. Et tu ne voulais pas le décevoir, pas dans ses derniers instants. La voiture se garait, et une fois sorties, on vous conduisez au salon. Quand tu entrais dans la pièce, il y avait vos parents, qui attendaient, assis confortablement. Ton père lui avait toujours cette machine infernale à côté de lui, qui l'aidait à respirer. Mais le 'bip' qu'elle faisait toutes les minutes était toujours aussi insupportable. « Mère, Père. » Tu avais fait une petite révérence en guise de salut. C'était ridicule, tu devais le reconnaître. Mais c'était ta façon de leur témoigner du respect. Les contacts physiques comme les câlins ou les bisous n'étaient pas vraiment les bienvenues. Tu en avais avec ta mère, mais quand ton père n'était pas dans les parages. Souvent c'était au moment de te coucher, elle venait voir comment tu allais. Elle t'avait été d'un grand soutient après la mort de ton mari que tu ne savais pas ce que tu aurais fait sans elle. C'était aussi grâce à elle que tu avais eu un peu de répits, gagnant quelques mois avant de devoir à nouveau te fiancer.

Anna est dans un état de tension qu'elle n'a peut-être jamais connu. Penser qu'elle peut tout perdre en retournant en Turquie la terrifie, mais elle devait faire ce voyage, sinon elle le regretterait toute sa vie. Elle est heureuse de retrouver Asken, même s'il est un homme, qui plus est sous la coupe de son père. Il a toujours eu beaucoup d'affection pour elle et il est visiblement fier de voir la femme qu'elle est devenue. Émue, elle le remercie pour son compliment d'une voix timide et reconnaissante, et le suit vers leur voiture avec sa sœur qui lui apporte une présence réconfortante. C'est une petite limousine dans laquelle Anna et Ayda se retrouvent côte à côte et leur frère en face avec l'un des molosses. Ce que dit alors sa sœur à son oreille lui donne envie de sourire et de l'enlacer, mais elle sait que ça serait malvenu. Alors elle s'abstient et se contente de lui sourire, en adressant un regard en coin à Asken qui a détourné les yeux.

Lorsqu'ils arrivent finalement à bon port, Anna redécouvre l'extérieur de sa maison d'enfance. Combien de fois s'est-elle éclipsée de la maison pour aller jouer dehors ? Elle ne peut pas s'en rappeler, mais elle se souvient à quel point elle désirait découvrir la nature et son environnement plus ou moins proche. Mais ça n'était pas sa place et elle s'est souvent fait punir pour ne pas avoir obéi. A cette pensée, la jeune femme frissonne, mais son attention est vite détournée car elle doit maintenant entrer. Tout lui paraît à la fois grand et petit. Comparé à sa maison à Bowen, c'est évidemment bien plus grand et somptueux, mais c'est malgré tout plus petit que dans son souvenir. Elle se gardera bien de le dire, pour ne pas sous-entendre que le domaine familial n'est pas à la hauteur de ses attentes. Enfin, quand elle entre dans le salon, elle est très tendue. Sa sœur est passée devant, et derrière elle, Anna tremble un peu à l'idée de revoir celui qui hante encore parfois ses cauchemars.

Quand elle s'avance et découvre ses parents, elle est choquée, et ce pour deux raisons. La première est que sa mère a vraiment vieilli. Elle a pris des rides et elle a aussi pris un peu de poids. Dans la seconde où elle l'aperçoit, elle sent lui revenir en plein visage toutes les années qu'elle a passées sans elle, loin de sa propre mère ! Les larmes lui montent aux yeux, mais elle pose alors le regard sur son père. Là est le second choc. Il est vraiment très mal en point. Même s'il est assis, Anna peut voir que son teint est blafard et qu'il a incroyablement maigri. Il est loin d'être l'homme imposant dont elle se souvient. Cependant, elle évite de le détailler trop longuement pour qu'il ne se sente pas défié. Alors qu'elle allait imiter Ayda et faire une petite révérence pour les saluer, sa mère se lève et se précipite vers elle pour la serrer tout contre elle. "Oh Anna..." dit-elle, émue de la revoir après douze longues années. L'animatrice ne répond rien mais serre fort sa mère contre son corps, pleurant cette fois carrément. Elle ne peut plus retenir ses larmes tellement elle est heureuse de la retrouver, de la sentir tout contre elle et d'humer l'odeur de sa peau comme étant une odeur familière et apaisante. Malheureusement, l'étreinte ne dure pas, car une voix dure mais pourtant faible leur parvient. Il s'agit du père d'Anna.

"Açelya. Un peu de tenue."

La maman se raidit entre les bras de sa fille et finit par s'éloigner sans aucun doute à contre cœur avant de retourner s'asseoir. Anna, pendant ce temps, essuie rapidement ses larmes du mieux qu'elle le peut, et repose son regard sur ses parents avant de les baisser pour les saluer d'une simple courbette.

"Tu as perdu ta langue ?" demande son père d'une voix de reproche.

Non père, je vous prie de m'excuser. Répond la jeune femme dans sa langue maternelle. Elle ne sait plus où se mettre, elle est perdue et se demande ce qui lui a pris de bien vouloir revenir ici. Mais le souvenir récent de ses embrassades avec sa mère lui rappelle que c'est en grande partie pour ça qu'elle est revenue.

Asseyez-vous. Dit-il sans autre cérémonie que cela à ses filles, qui s'exécutent. Asken doit être parti régler des problèmes liés à l'empire, comme l'appelait son père autrefois.

La voiture s'était arrêté et tu avais cru ton coeur s'arrêter de battre en même temps. C'était effrayant, parce que tu ne savais pas ce qui allait se passer, tu étais pétrifiée à l'idée que ça se passe mal. Tu t'étais même demandé s'il était possible qu'il les fasse enfermer. Mettre Anna en cage comme si elle était un animal, tu ne le supporterais pas, tu ne te le pardonnerais pas. Après tout, c'est toi qui était allée la chercher, toi qui l'avait convaincu de venir ici et toi qui lui avait assuré que tout se passerait bien. Si les choses dégénéraient, si elles tournaient mal, tu en serais responsable. Il aurait pu aussi envoyer ses gorilles, la droguer et la ramener de force, et il avait choisi de t'y envoyer. C'était peut-être un gage de bonne foi, qui sait. Une fois face à eux, tout changeait. Tu ne savais pas mais l'atmosphère n'était pas vraiment propice aux retrouvailles. Votre mère s'était levée pour sauter dans les bras de sa fille aînée. Tu ne l'avais pas vu pleurer depuis des années. Quand tu sentais qu'elle pouvait se mettre à pleurer, elle souriait et elle camouflait tout ça. Ce te serrait un peu le cœur de les voir ainsi, d'autant plus que tu aurais aimé prendre part à l'accolade. Toi aussi tu voulais les serrer toutes les deux contre toi, les sentir dans tes bras, pour réaliser que c'était réel. Pourtant la réalité vous rattrapez vite puisque votre père prenait la parole. Un ton froid, glacial qui brisait l'ambiance qui était pourtant propice à l'amour. Votre mère fit un pas en arrière et tu jetais un coup d'oeil à Anna, qui était en larmes. Tu aurais aimé faire un pas vers elle, lui poser la main dans le dos et lui souffler que ça allait aller, mais tu ne pouvais pas bouger. Tu étais paralysé sur place. Dès que tu père avait ouvert la bouche, tu avais senti les choses changer. Il s'adressait à Anna, la regardant froidement, comme s'il était indifférent du fait qu'elle était sa fille. Sa manière de lui parler, de l'agresser plus ou moins, ça te révoltait. Tu aurais aimé prendre sa défense, mais tu étais toujours incapable de faire la moindre chose. Tu te contentais de t'asseoir lorsqu'il vous l'ordonna. Baissant un peu le regard. Tu avais le sentiment qu'il te jaugeait. Peut-être avait-il eu vent de tes agissements en Australie, peut-être savait-il que tu t'étais trémoussée dans une boîte de nuit. Que tu avais parlé avec des garçons, que tu avais envisagé de t'installer là-bas pour de bon. De rompre tes fiançailles. Tu ne savais pas ce qu'il savait ou non, mais c'était effrayant. Il se levait de son siège et tu pu remarquer un tremblement, un frémissement. Comme s'il allait retomber dans son fauteuil aussi vite. Et pourtant, il semblait tenir le coup. Il avait cette canne, que tu trouvais moche et qui permettait de marquer son état de santé faible. Il n'avait peut-être plus une carrure aussi imposante qu'autre fois. Il ne donnait peut-être plus l'image d'un homme fort et sévère, et pourtant dans ton esprit, il le serait toujours. Il s'avançait d'un pas peu sûr vers vous. Tu n'osais pas le regarder en face, tu ne pouvais pas résister à son regard, tu avais le sentiment qu'il lisait en toi. Qu'il avait la capacité de tout connaître rien qu'en te regardant. Et puis le sujet du jour, ce n'était pas toi, c'était Anna. " J'ai bien réfléchis ses derniers jours, et je crois que je te dois des excuses Anna. " Boom. Ton coeur venait d'exploser dans ta poitrine. Avais-tu bien entendu ? Il était désolé ? Lui ? Ce n'était pas possible. Ce n'était pas ton père. Un imposteur, rien de plus. Pourtant, ces mots étaient un réel soulagement pour toi. Tu sentais un poids qui s'effaçait, et tu sentais Anna aussi déstabilisé que toi. Ta mère par contre, elle, affichait un sourire satisfait. Savait-elle ce qui se passait ? L'avait-elle encouragé à s'excuser ? Tu n'en savais rien pour être honnête. Mais pour la première, tu levais ton regard vers lui, sans crainte. Tu le détaillais et tu étais persuadée d'avoir vu un sourire se dessiner sur ses lèvres. Ce qui était impossible, il ne souriait pas, jamais. Comment le pouvait-il aujourd'hui ?

Anna n'aurait pas pu imaginer à quel point son père était devenu faible. Faible physiquement, bien évidemment, puisqu'au niveau de l'autorité, il n'avait rien perdu. Dans les reproches qu'il fait à Açelya la mère des deux jeunes femmes et à Anna, sa voix est toujours dure et rien ne vous donne envie d'y désobéir. L'animatrice est dans un état de stress impressionnant, elle a ce sentiment que tout risque de basculer d'une seconde à l'autre, et certainement pas dans le bon sens. Heureusement, les embrassades qu'elle a pu échanger avec sa mère l'ont bien plus apaisée que des mots et elle est maintenant capable de parler à la demande de son père. Au début, elle avait un peu peur d'avoir perdu de sa langue maternelle, d'avoir perdu l'accent turque et gagné l'accent australien, alors elle a un peu pratiqué avec Ayda sur la route puis dans l'avion et c'est très vite revenu.

Leur père leur ordonne de s'asseoir, et les deux jeunes femmes s'exécutent. Anna ne sait absolument pas de quoi il va parler, et ça l'inquiète énormément, surtout qu'elle remarque qu'il fait un petit signe de tête à l'un des molosses présents dans la pièce et que celui-ci s'en va. Elle a vraiment peur qu'il ait donné l'ordre d'aller chercher des "renforts" pour elle ne sait quelle punition. Elle tremble un peu, mais préfère se concentrer sur sa mère et sur le regard tellement fier et heureux qu'elle pose sur elle. Anna aimerait lui sourire en retour, mais son regard est attiré par son père qui semble faire un effort énorme pour se lever. Quand elle le voit trembler et manquer de tomber en arrière, elle a le réflexe d'aller l'aider, mais elle décide de ne pas le faire. Elle n'a eu le temps que de lever ses fesses d'un demi centimètre avant de se rasseoir bien sagement et bien droite. Elle sait que si elle avait été l'aider, il se serait senti diminué et sa fierté en aurait pris un coup. Alors à la place elle l'observe à la dérobée pour sauter si jamais il devait vraiment tomber, mais sans trop le fixer pour ne pas qu'il se sente défié. C'était un peu comme si elle n'était jamais partie, elle se souvenait de son père et de ses qualités et défauts, et elle savait ce qui fonctionnait ou non avec lui. Mais elle se trompait. La phrase qu'il prononce coupe le souffle d'Anna qui, soudain, décide de fixer sans détour son père pour essayer d'y déceler une quelconque ruse à cela. Mais ça n'est pas le cas. Tout ce qu'elle voit, c'est un vieil homme malade et fatigué aux traits durs et tirés. Il « croit qu'il doit des excuses » à Anna. Sait-il au moins ce que c'est de faire des excuses ? Et est-ce un début de sourire qu'elle voit poindre au niveau de ses lèvres ? Elle n'en croit pas ses yeux et ses oreilles, et elle est tentée de se pincer pour être sûr qu'elle a bien entendu. Mais elle ne rêve pas. Son père vient bel et bien de s'excuser.

Puis-je vous demander pour quelle raison, père ? Dit-elle d'une voix frêle et hésitante. C'est le moment que choisit le molosse pour revenir, accompagné de Asken le frère des deux jeunes femmes. Ce dernier s'assoit à côté d'Ayda, Anna et sa sœur le suivant du regard. Tout ceci se passe en quelques secondes seulement, et la parole est bien vite reprise par le père des trois jeunes gens.

Quand on vieillit et qu'on est malade, on en vient à repenser les décisions de sa vie. L'une des plus grandes que j'ai eues à faire aura été de te laisser partir le jour de tes noces, Anna. A ces mots, la jeune femme baisse les yeux, gênée de penser à la colère et la déception qu'il a dû ressentir. Ayda te l'a sûrement appris, j'ai toujours su où tu te trouvais, mais j'ai fait le choix de te couper de la famille, car tu l'avais déshonorée. Anna sent son pouls s'accélérer à ce moment, combien de fois a-t-elle entendu ces mots dans ses cauchemars ? « Tu as déshonoré la famille ! », « Tu me fais honte ! ». Et ces affirmations s'ensuivaient généralement de châtiments indescriptibles. Tu l'as déshonorée Anna. Tu as jeté la honte sur moi et sur le reste de ta famille. Le vieil homme marque une pause, pour qu'elle comprenne la gravité de son geste. Ce jour-là, j'aurais pu faire le choix de te traquer et de te punir à la hauteur de ta trahison. J'aurais pu aussi faire le choix de me demander pourquoi tu avais agi ainsi. Nouvelle pause. C'est pour cette deuxième option que j'aurais dû opter. Je le sais aujourd'hui, et je m'en excuse.

Le père fait alors deux pas difficiles en direction d'Anna et lui fait signe de lever la tête. La jeune femme s'exécute, les larmes aux yeux. Jamais elle n'aurait pensé entendre ces mots de la part de son père. Jamais elle n'aurait même imaginé dans ses rêves les plus fous qu'il puisse le penser. Mais il s'excuse de ne pas avoir cherché à la comprendre, et ces mots valent tout l'or du monde. D'une voix frêle, elle répond : Je vous remercie père, ces mots me touchent énormément. Que dire de plus ? Elle rebaisse les yeux et penche sa tête en avant en signe de soumission. Elle ne pourra jamais assez le remercier pour le geste qu'il vient de lui faire. Il sauve une partie d'elle-même qu'elle pensait morte depuis longtemps. Alors que le père retourne lentement s'asseoir, Anna adresse un regard à sa mère dont le visage est illuminé d'un sourire qu'elle ne lui a jamais connu.

Tu restais assise là à attendre que les choses se passent. Que la sentence de ta sœur tombe. Mais au lieu de ça, c'était des excuses qui étaient venues prendre la place des reproches, des cris et des engueulades. Tu avais ouvert le yeux si grands qu'ils seraient presque tombés de tes orbites. Tu n'en croyais pas un mot. Ce n'était pas possible. Cet homme qui avait autrefois été si fort, cet homme qui semblait avoir du mal à respirer et qui se promenait avec une cartouche d'air, ce ne pouvait pas être ton père. Ou alors tu ne comprenais plus ce qui se passait dans cette maison. Peut-être avait-il perdu la raison avec la maladie ? C'était ça, il était fou, inconscient. Il manquait de lucidité et délirait dans ses propos sans même sans rendre compte. Et tu jetais un coup d'oeil à ta mère, qui esquissais un sourire. Fière d'entendre le mot « excuses ». Vu sa manière de réagir, tu comprenais vite que tout ça n'était pas une vaste blague. Ton regard glissait sur Anna, qui ne comprenait pas. Qui ne se doutait pas une seconde de ce qu'il allait dire. Au fond c'est toi qui avait eu raison, en la essayant de la convaincre, tu avais dit qu'il essaierais peut-être de s'excuser. Et il n'essayait pas, il le faisait. Alors qu'elle lui demandait pourquoi il le faisait. Les mots qui suivirent furent un peu plus dur. C'était toujours difficile d'entendre son père dire à son enfant qu'il avait déshonoré la famille. C'était un mot lourd de sens et même si Anna n'avait pas voulu se plier aux traditions, on ne pouvait pas toujours la blâmer. Elle n'avait pas choisit de naître Turque et encore moins dans une famille fortunée. Elle n'avait pas choisi d'être destinée à se mariée à sa majorité à un homme qu'elle ne connaissait pas. Il aurait du essayer de comprendre les raisons qui l'avaient poussées à agir ainsi et même si le temps pour ça était trop tard, il reconnaissait son erreur. C'était là, toute la beauté du geste. Même si on fait une erreur, si on est capable de la remarquer un jour et d'essayer de la réparer, c'était toujours ça de prit. Même si pour ça il fallait attendre douze années, même si pour ça il fallait qu'on soit mourant. C'était con de ce dire que s'il n'était pas malade, les choses ne se passeraient pas ainsi, et elle aurait pu attendre toute sa vie des excuses qui ne seraient jamais venues. Elle aurait vécue toute sa vie dans la crainte qu'un jour il ne vienne la chercher. Maintenant elle savait qu'elle n'avait rien à craindre de lui. Que vous n'aviez plus rien à craindre de lui. Après quoi, Anna se rassois et lui en fait de même. Pendant une longue minute la famille Inan, se regarde à tour de rôle. Tu effaçais le sourire qui trônais sur ton visage quand ton regard croisait celui de ton père. Tu étais heureuse de cette situation, mais il n'en restait pas moins intimidant. Ta mère lui attrapait la main, et il se mit à tousser. Une toux inquiète qui avait l'air de ne pas finir. Tu t'inquiétais et tu ne savais pas quoi faire. Tu n'étais pas médecin, et même Anna ne pouvait pas faire grand-chose. Mais c'était là que tu réalisais toute sa faiblesse. Là que tu comprenais que c'était la fin. Il n'allait plus bien du tout, tu avais un peu traîné à faire venir Anna, et tu n'avais pas réalisé que sa situation était vraiment dégradée. Une fois la toux passée, il reprit la parole, te fixant Anna et toi à tour de rôle. " Je vais bientôt mourir et quand ce sera le cas, je souhaite que tu emmènes ta sœur avec toi en Australie. Je crois qu'elle aussi mérite de vivre une vie qu'elle désire, une vie où on ne lui imposera pas de mari. Une vie où vous n'aurez pas non plus de soucis financier. Je désire vraiment me racheter auprès de vous ! ". Tu restais une nouvelle fois sur le cul. Ouvrant les yeux en grand et la bouche. Tu posais même une main devant, pour montrer ton étonnement. Ta mère elle, souriant. Comme si elle était heureuse. Tu venais de gagner ta liberté, comme si on ouvrait ta cage. Tu étais libre de partir, libre de faire ce que tu voulais. « Oh ! Père, vous êtes certains ? » demandais-tu d'une petite voix. Tu ne quittais pas son regard, tu avais un doute. Tu avais peur qu'il se ravise, mais il hochait la tête. Pour approuver, pour mettre un point final à ses paroles.