oups [Concholing]

Il était encore tôt quand le réveil de Perry avait sonné pour qu'il parte au travail, et contrairement à une certaine fois, il n'avait pas prétexté qu'il était malade pour rester avec elle. Aisling n'avait plus cours et ce matin elle ne travaillait pas, elle était donc restée couchée. Ca lui arrivant, de temps en temps, de dormir là, quand elle avait la flemme de rentrer chez elle. Faut croire que Perry était épuisant.
Finalement, la blonde s'était levée après avoir bien fini sa nuit. N'entendant pas de bruit, elle alla jusqu'au salon, juste en petite culotte, l'esprit encore un peu dans le brouillard. Elle ouvrit le réfrigérateur à la recherche du jus d'orange.

-Y a beaucoup trop de choses dans ce frigo.

Ce qui était bien d’être à la tête d’un centre venant en aide aux adolescents en difficulté, c’était que ces adolescents préféraient, eux aussi, faire la grasse matinée et ne venir glander au centre qu’en fin de journée. Ainsi, je pouvais toujours bien prendre le temps de me réveiller, de manger, de m’entraîner et de faire mes trucs avant de partir bosser. Certes, je n’arrivais jamais à l’organisme quelques minutes avant que les jeunes ne se pointent. J’arrivais un peu après l’heure du lunch, question de préparer la soirée et d’être là si un jeune arrivait plus tôt, pour un raison ou un besoin quelconque. Et puis j’avais parfois des réunions avec Eleanor ou avec les bénévoles, mais pas aujourd’hui. Non, aujourd’hui, je prenais le matin bien tranquille, d’ailleurs je n’avais même pas regardé l’heure en me levant. Il devait être passé neuf heures, mais je n’en étais même pas trop certain. Je me traînai hors de ma chambre, en caleçon, parce que de toute façon j’étais le seul glandeur de la colocation. Freja, Tahlia et Perry étaient toujours au boulot quand je me levais. Ce qui n’était pas toujours cool pour moi, puisque je me retrouvais trop souvent seul dans ce trop grand logement. Heureusement qu’on avait nos soirées, tous les quatre, de temps en temps. Bref, je me frottai les yeux en m’amenant jusqu’à la cuisine, et c’est une voix féminine qui termina de me réveiller. Une voix qui mentionnait que le réfrigérateur était bien trop de rempli. « Faut bien les nourrir ces beaux p’tits corps. » Avais-je alors dit, parlant pour les quatre membres de la colocation. Puis je détaillai bien attentivement la blonde qui se trouvait chez moi. Elle était en petite culotte. J’étais en caleçon. Putain de belle image, ça. « Bon alors, c’est qui qui t’as abandonnée ? Freja ou Perry ? » Oui parce que ces deux-là jouaient de tous les côtés, tandis qu’avec Tahlia c’était bien clair qu’elle ne ramènerait pas une femme sous ses draps.

En entendant le son d'une voix, Aisling fit un bon. Elle qui était tout à fait convaincue d'être seule... Voilà qui était raté. Il y avait visiblement un autre lève tard dans cette maison. Faudrait vraiment qu'elle demande à Perry l'emploi du temps de tous ses colocataires, histoire de ne jamais les croiser. Elle se retourna donc vers l'inconnu qui lui se tenait en caleçon. Au moins ils devaient être tous les deux à peu prés dans le même état. Quoique, ça ne l'aurait pas étonné que le propriétaire des lieux s'inquiète de trouver une totale inconnue dans le frigo. Sauf si c'était habituel... Ouais avec Perry, peut être que ça l'était.

-Perry. J'suis pas trop fille.

Elle n'avait aucune idée de qui était Freja cela dit. Sûrement une des trois autres personnes habitant ici. Des yeux elle chercha quelque chose à enfiler. Elle n'était pas particulièrement pudique, mais bon Perry n'apprécierait peut-être pas qu'un de ses colocs la voit presque nue, mais bon peut-être qu'elle s'en fichait de ce qu'il pensait, aussi. Bon visiblement nom puisqu'elle passa rapidement dans la chambre pour enfiler un de ses T-shirt et revenir.

-Et toi puisque tu n'es ni Freja, ni Perry, tu es ? Celui qui remplit le réfrigérateur je présume ?

Réfrigérateur dans lequel le jus d'orange était toujours introuvable cela dit.

Quand l’inconnue mentionna ne pas trop être du côté des filles, j’hochai la tête après avoir haussé les épaules. L’un ou l’autre, je m’en fichais bien au fond. « Ça me surprend quand même. Perry cherche habituellement n’importe quelle excuse pour ne pas aller travailler. » Je réalisai par après à quel point cette affirmation pouvait être interprétée comme une insulte aux oreilles d’une personne plus sensible ou irritable, alors je fronçai les sourcils, me reprenant : « Enfin, pas que t’es n’importe quoi comme excuse, au contraire. » Et là, elle allait penser que j’étais en train de la draguer. C’est peut-être pour ça d’ailleurs qu’elle ne fit qu’esquisser un sourire avant de retourner à la chambre enfiler un t-shirt trop grand pour elle – ce qui voulait dire qu’elle était vraiment très mince, parce qu’il y avait quand même plus robuste que Perry dans ce monde. Si c’était moi qui portais un de ses chandails, l’effet ne serait certainement pas aussi chouette. Pendant qu’elle s’exécutait, je me dis que ce ne serait pas une mauvaise idée de me montrer un peu plus présentable aussi, alors je retournai à mon tour à ma chambre pour enfiler un chandail gris avec de petits motifs de cactus dessus. C’était le premier que j’avais vu. La blonde me demanda alors qui j’étais, et sa première hypothèse me fit bien rire. « J’suis Conchobáhr. Et j’avoue que c’est souvent moi qui me ramasse avec la tâche d’aller faire les provisions, j’devrais peut-être faire un coup d’état. » Je me rapprochai à mon tour du réfrigérateur, attrapant mon lait au chocolat qui faisait le bonheur de tous mes matins. « Tu cherches quelque chose en particulier ? J’vais me faire des œufs, si t’en veux. Sinon te gêne pas, sers-toi. » Honnêtement, ce n’était pas la première fois qu’on avait des invités ici. À quatre, ce n’était pas rare de croiser les amis ou les conquêtes des autres colocataires. Je savais comment les mettre à l'aise, ceux qu’on laissait derrière dans l’espoir qu’ils ne soient plus là à notre retour. Bon, ce n’était peut-être pas le cas de Perry et de cette blonde, mais je n’en savais rien, moi.

Visiblement, en plus d'être son colocataire, il connaissait bien Perry. Aisling hocha positivement la tête à sa remarque. Ouais ça, elle l'avait vu un certain nombre de fois essayé de fuir le boulot mais ces temps-ci il semblait y devenir plus assidu... Fallait croire que la petite voix de la responsabilité s'était installé dans sa tête. Elle esquissa un sourire quand il sembla essayer de rattraper une indélicatesse. C'était pas comme si ça allait la vexer pourtant.

-Ouais c'est vrai, faut croire qu'en ce moment il prend son rôle de patron au sérieux... Ca fait bizarre.

Ils rejoignirent tous les deux leur chambre respective, si tenté qu'elle puisse s'approprier celle de Perry, pour passer un haut et être au moins à peu prés présentable. A l'entente de son prénom, l'oreille d'Aisling tiqua. En dehors du fait que c'était un prénom atypique, il avait une consonance qu'elle connaissait bien.

-C'est irlandais, non ?

Elle eut un sourire en entendant que c'était effectivement lui qui s'occupait des courses.

-J'te conseille pas d'esclavager Perry pour ça. Il achèterait n'importe quoi. Enfin, sauf si ça va à tout le monde de se nourrir de pâte et de pizza.

Ce qui était personnellement son cas mais elle doutait que tous les êtres humains normalement constitué étaient comme elle. Elle se décala pour le laisser accéder au réfrigérateur, continuant d'étudier attentivement son contenu.

-Je cherche du jus d'orange en fait... Ou un jus quelconque.

Elle leva les yeux vers lui quand il lui proposa de lui faire des œufs. Sérieusement ? Alors qu'il ne la connaissait pas ? Mais c'est qu'il rentrait dans la case des hommes parfaits. Ou des esclaves, au choix.

-Oui ! J'en veux bien.

Elle fit un large sourire, comme pour tenter de se montrer innocente pour avoir un petit déjeuner sans rien faire.

Une petite grimace mêlant doute et amusement s’installa sur mon visage, car j’avais bien du mal moi aussi à croire que Perry puisse finalement prendre son rôle de patron au sérieux. N’importe qui le connaissant plus ou moins bien savait que ce n’était pas sa priorité dans sa vie, alors que le monde extérieur pouvait penser qu’il ne jurait que par l’argent vue sa situation. Ce n’était pas le cas, et ça me confortait, parce qu’étant moi-même nouvellement millionnaire, je réalisais qu’il y avait moyen de garder les deux pieds sur terre malgré un compte en banque rempli. « Faudra peut-être lui faire une intervention … » Dis-je pour me moquer surtout, parce qu’au fond, si Perry commençait à aimer son boulot, c’était une bonne chose, au final. Je n’allais quand même pas le forcer à demeurer paresseux toute sa vie. En même temps que la blonde, j’allai enfiler un chandail et revins dans la cuisine pour faire les présentations. Tout de suite, elle devina que mon prénom était d’origine irlandaise, ce qui n’arrivait que très rarement. Habituellement, les gens se contentaient de se moquer. « Oui, oui, exactement. Comment t’as su ? » Demandais-je, visiblement très surpris. Soit elle était hyper cultivée, soit elle avait de la famille irlandaise elle aussi. Je lui avouai par la suite être celui qui remplissait effectivement le réfrigérateur, la plupart du temps. Je rigolai à la remarque de la blonde sur Perry. « J’crois que pour les premiers jours, ça passerait, mais au bout d’un moment … il nous manquerait certains nutriments. » Dis-je avec un sourire. Surtout que je faisais très attention à mon alimentation, étant donné que j’avais un métabolisme plutôt lent qui un jour avait fait de moi le gros Concho, phase à laquelle je ne désirais pas retourner. Elle m’avoua chercher du jus d’orange, et j’hochai la tête en me penchant jusqu’à la dernière tablette du frigo pour en extirper un carton de jus qui était presque perdu dans le fond. « J’commence à connaître les cachettes. » Lâchais-je en lui tendant le carton de jus d’orange et en ouvrant une armoire pour nous sortir deux verres. Je proposai ensuite de lui faire cuire des œufs également, puisque c’était ce que je me préparais à faire. Elle accepta l’offre avec grand plaisir, ce qui m’amusa à mon tour. Je sortis le nécessaire et commençai à nous préparer le petit déjeuner, lui jetant finalement un rapide coup d’œil. « Et toi, c’est quoi ton prénom ? » Avec tout ça, je ne lui avais même pas demandé, et si je ne voulais pas l’appeler la blonde face aux autres, ce serait mieux de commencer par là.

Aisling se mit à rire quand l'hôte de l'appartement suggéra une intervention. C'est vrai que venant de Perry c'était tellement étrange que la blonde n'allait pas tarder à se demander s'il n'était pas malade. Mais le côtoyant assez régulièrement depuis quelques temps, elle commençait à comprendre que c'était important pour lui de prendre des responsabilités, quelque chose qui, de haut de ses vingt ans, lui était encore totalement étranger.

-Je crois qu'il essaye d'être responsable, entre autre pour sa fille.

Merde, la discussion commençait à devenir sérieuse, fallait absolument changer de sujet de conversation. D'ailleurs, Aisling espérait bien que la gamine ne soit pas là. A chaque fois qu'elle venait elle prenait bien soin de l'éviter, elle n'était pas encore prête pour ça.

La néo-zélandaise fut très fière de son petit effet, quand elle devina la nationalité du prénom. Visiblement, on lui faisait rarement remarquer. Enfin, ce n'était pas étonnant, on soulignait rarement que son prénom était irlandais aussi. Fallait pas en demander au bas peuple non plus.

-Mon père est Irlandais.

Et lui aussi héritait d'un prénom un peu atypique. Bon, moins que Conchobáhr dans tous les cas, mais tout de même peu commun.
Elle esquissa un sourire quand il dit qu'ils manqueraient de certains nutriments. Bon fallait juste pas être trop regardant sur certains points. Et éviter les prises de sang, aussi, ce ne serait pas un mauvais point.

-Mais non, y a beaucoup de choses dans une pizza !

Suffit de commander la bonne après tout.
Il finit d'ailleurs par lui trouver le jus d'orange, qu'elle prit avec un grand sourire. Il était serviable au moins. Il sortit même les verres et Aisling, malgré sa force moineau, y versa le jus d'orange sans en mettre partout. Elle s'installa ensuite sur une chaise, commençant à boire son jus d'orange pendant qu'il préparait les œufs avant de lever la tête vers lui.

-Aisling. C'est pas aussi exotique que Conchobáhr mais ça s'en rapproche.

Dès que la jeune femme mentionna la présence de la fille de Perry dans sa vie, elle sembla regarder autour d’elle. Je souris et sans la faire attendre, je dis : « Elle n’est pas là. Elle passe la journée chez une amie. » Souvent, je proposais à Perry de jouer aux babysitter quand il partait travailler de jour et que je ne partais qu’après son retour, mais aujourd’hui ce ne serait sans doute pas le cas. Et quand je ne pouvais la surveiller, il l’envoyait chez une amie pour la journée. Enfin, durant les vacances. Sinon, durant l’année scolaire, ses cours réglaient la question. « Tu ne l’as jamais rencontrée ? » Demandais-je plus par curiosité que par jugement. Je ne savais même pas s’ils se fréquentaient sur une base régulière ou s’ils ne se connaissaient que depuis la veille. À voir comment la blonde parlait de Perry, toutefois, j’aurais pu parier que ce n’était pas qu’un coup d’un soir. Ce qui me faisait sourire intérieurement, quand même.

En prononçant mon prénom, la jeune femme décela tout de suite son origine, et je ne cachai pas ma surprise. Je n’avais tellement pas l’habitude de croiser des irlandais ici, alors quand elle m’apprit que son père l’état, je souris comme un gamin. « C’est vrai ? Il vient de quel coin ? » Comme si je pouvais potentiellement connaître sa famille ou d’quoi. Non, mais ça me faisait toujours plaisir d’entendre parler de l’Irlande, même si je n’avais jamais même vécu là-bas.

Quand j’ouvris le réfrigérateur pour lui trouver le jus d’orange, on ne tarda pas à parler du résultat anticipé si jamais Perry se décidait à faire les courses. Horrible pour moi, visiblement pas si mal pour la jeune femme. Ils étaient peut-être vraiment faits pour être ensemble, hein, mais je n’allais rien dire. Je ne voulais pas me mêler de leurs trucs, là. « Beaucoup de choses, tu l’as dit ! » Lançais-je dans un rire, parce qu’effectivement une pizza était bourrée de calories. Je tendis son verre de jus d’orange à la jeune femme avant de commencer la cuisson des œufs, me retournant un instant pour m’informer de son prénom à elle. « J’aime bien ! Et j’aime bien aussi que tu sois capable de prononcer mon prénom du premier coup. » Je souris, puis ajustai la chaleur du rond de poêle. « Tu les prends brouillés, miroir, tournés ? » Lui demandais-je.

Alors qu'Aisling cherchait des yeux des traces de la fille de Perry, il lui indiqua qu'elle n'était pas là. Elle hocha doucement la tête, plutôt rassurée d'avoir évité de la rencontrer, une fois encore.

-Non, enfin, je l'ai juste entraperçu.

Et à chaque fois qu'elle voyait son ombre passée, elle se réfugiait dans la chambre de Perry, l'air de rien. Ce n'était pas vraiment mature comme réaction mais bon elle avait vingt ans alors est-ce qu'on pouvait vraiment le lui reprocher ?

Après lui avoir dit qu'elle avait des origines irlandaises, elle ne fut surprise de sa question. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il lui demande d'où venait son père. Elle se mit alors à réfléchir, fouillant dans sa mémoire, essayant de retrouver des noms de ville.

-Wicklow, je crois. Mais on y a été seulement une fois quand j'étais petite. Mon père ne s'entend pas vraiment avec sa mère...

Ah la famille, c'était quelque chose de complexe parfois. Elle se souvenait bien que c'était sa mère qui avait insisté pour qu'elle rencontre sa grand mère paternelle, parce que c'était le seul grand parent qui lui restait. Les parents de sa mère étant morts dans un accident de voiture bien avant sa naissance et le père de son père était mort de maladie à peu prés au moment où sa mère était tombée enceinte d'elle.

Conchobáhr approuvait qu'il y avait beaucoup de choses dans une pizza mais il ne semblait pas le prendre comme un avantage, contrairement à elle. Enfin. Elle eut un large sourire quand il dit bien aimé son prénom. Ca lui arrivait rarement ce genre de déclaration, pour ne pas dire jamais.

-Et moi j'aime bien que tu ne te moques pas.

Quand il lui demanda comme elle prenait ses œufs, Aisling se mit à réfléchir quelques secondes. Elle en prenait rarement en fait puisqu'elle avait la flemme de les faire.

-Brouillés !

C'était vraiment bien d'avoir un cuisinier personnel, elle était jalouse de Perry.

J’hochai la tête lorsque la blonde m’affirma n’avoir qu’entraperçue la fille de Perry. « Elle est drôle. Elle a encore plus un cœur d’enfant que moi. » Cette remarque me fit moi-même rire, et je relevai la tête vers la jeune femme pour la regarder avec un air un peu con et me justifier : « Enfin, c’qui est normal, puisque c’est une enfant, et pas moi. » Je continuai à rire un peu, me moquant davantage de moi-même qu’autre chose, jusqu’à ce qu’on parle de l’Irlande. Tout de suite intéressé, je m’informai de la région de laquelle provenait le père de mon invitée. Enfin, l’invitée de Perry, qui était maintenant la mienne puisque j’étais le seul hôte ici présent. « Ah, les fameuses histoires de famille. » J’en avais eu ma part, moi aussi, avec mes parents qui ne vivaient plus ensemble même à ma naissance, mon père qui n’avait rien voulu savoir de moi et ma mère qui était partie vers un autre monde sans même me laisser une chance de m’en sortir. « La famille de ma mère est complètement de l’autre côté de Wicklow, bien à l’ouest. Galway, tu connais ? Ils sont dans ce coin-là, mais je ne suis jamais allé. » Je connaissais l’Irlande pour en avoir scruté les cartes, pour avoir lu tous les livres touristiques que j’avais pu trouver à la bibliothèque municipale quand j’étais adolescent et que je cherchais à m’évader du quotidien. La blonde m’apprit finalement son nom, Aisling, qui à mes oreilles sonnait doux et mélodieux, visiblement pas comme tout le monde selon sa réponse. « Et c’est toi qui me dis ça ! » Dis-je en rigolant, parce que de nous deux, elle avait certainement été sauvée par une quelconque force surnaturelle. Je lui demandai comment elle désirait ses œufs, et elle me les demanda brouillés, ce qui m’arrangeait puisque c’était aussi de cette façon que je les mangeais. J’en fis donc une grosse portion à séparer, avec des épices et du fromage râpé incorporé aux œufs. Je disposai quelques fruits rapidement tranchés dans nos assiettes, y déposai les œufs ainsi qu’une tranche de pain grillée pour chacun, et je déposai l’assiette devant Aisling. « J’parie que Perry t’as jamais fait un aussi bon petit-déjeuner. » Dis-je pour narguer mon ami et colocataire, avec un sourire moqueur au visage. « Faudrait pas traîner avec moi trop longtemps, j’vais lui faire perdre des points. » Et s’ils fonctionnaient avec le système de pipo-points, j’allais m’en faire parler encore longtemps.

Aisling arqua un sourcil lorsque Conchobáhr lui dit qu'elle avait plus un cœur d'enfant que lui. C'était assez... normal en fait. Ce qu'il confirma par la suite. Elle eut tout de même un petit sourire amusé, comprenant qu'elle devait être un de ses adultes-enfants qui s'amusaient encore de tout et de rien.

-Tu dois bien t'entendre avec Perry.

Après tout, lui non plus n'était pas très mature. Mais bon, du haut de ses vingt ans, elle ne pouvait pas dire grand chose.
Ils étaient parti à discuter sur l'Irlande alors que ni l'un ni l'autre n'y avait habité. Elle sourit quand Conchobáhr lui parla de sa famille à lui.

-Je vois où c'est mais je n'y suis jamais allé. J'aimerais bien visiter l'Irlande un jour, enfin vraiment visiter parce que y a vraiment des paysages magnifiques.

En effet, c'était elle qui lui disait ça. Surement qu'elle avait été moins moquée que lui dans son enfance mais elle n'y avait tout de même pas échappé. Faut croire que les prénoms irlandais avaient une certaine malédiction. Faut dire que leur prononciation était un peu spéciale, même pour des anglo-saxons.

En le voyant faire le petit déjeuner, les yeux de la blonde s'illuminèrent. Les oeufs, les épices, le fromage, les fruits, tout ça lui faisait vraiment envie. Un peu plus et elle se mettait à sautiller comme une gamine qui attend son cadeau de noël. Trop heureuse, le sourire jusqu'aux oreilles, elle s'installa sur une chaise, devant son assiette si gentiment préparée.

-Il ne m'a jamais fait un petit déjeuner tout court.

Faut dire, elle non plus. Perry se contentait de manger des céréales à tous les repas de toute façon. Elle esquissa un sourire quand il lui dit qu'il allait lui faire perdre des points puis haussa doucement les épaules.

-J'ai jamais attendu de lui qu'il soit un prince charmant. Mais c'est vrai que je vais finir par m'habituer.

Et puis elle pourrait peut-être lui faire du chantage. Enfin, elle n'était pas sûre que ce soit une bonne idée de vouloir le forcer à cuisiner, il allait déclencher une catastrophe.

Quand elle suggéra que je devais bien m’entendre avec Perry, je rigolai en hochant la tête. Il était vrai que Perry était tout aussi immature que moi dans certaines sphères de sa vie. Bon, nous savions quand même prendre un minimum de responsabilités en main, moi peut-être plus que lui sur certains aspects, mais niveau amusements et folies, on se trouvait pas mal au même niveau. Ce qui faisait en sorte que sa fille adorait être avec tous les deux en même temps. « Assez bien, oui. J’crois que les filles en ont parfois marre de nous. » Avouais-je en souriant, pensant au nombre de fois où Freja et Tahlia avaient essayé de nous calmer un peu pendant nos délires qui foutaient le bordel dans l’appartement.

On parla finalement de l’Irlande, même si ni l’un ni l’autre ne s’y connaissait vraiment plus que sur papier. C’était dans mes projets, quand même, depuis que j’avais gagné le gros lot. Je voulais voir d’où je venais, aller voir ma famille – après tout, il ne m’en restait peut-être pas ici mais là-bas, j’avais une grand-mère dont je ne connaissais que l’écriture pour avoir reçu des lettres à mes anniversaires. Aisling mentionna les paysages magnifiques, et spatule plein d’œufs en l’air, je me tournai vers elle avec enthousiasme. « Mais ouais hein !! À chaque fois que je regarde des photos j’en ai le souffle coupé alors que c’est que de l’encre sur du papier. Alors imagine te trouver là en vrai. » En parler avec la blonde me donnait envie de prendre le premier billet d’avion, mais je n’étais pas aussi impulsif, d’autant plus que j’avais mes jeunes qui comptaient sur moi.

Le petit-déjeuner était finalement prêt, et même si ce n’était pas digne d’un bon restaurant avec les fruits coupés en étoiles et tout, ça faisait le travail. Et puis, suite à ma question, Aisling m’apprit que Perry ne lui avait jamais même fait un seul petit-déjeuner, ce qui tout d’un coup m’enlevait toute pression. Je secouai tout de même la tête face au manque de romantisme de Perry. « Faut tout lui apprendre à ce gamin. » Me moquais-je. Aisling m’assura qu’elle n’avait jamais attendu de lui qu’il soit un prince charmant en collant, de toute façon. Je souris. « Il se passe quoi entre vous, au juste ? » Me permis-je de demander en m’installant à la table à côté d’elle. Maintenant que la glace était brisée, je pouvais bien savoir si je reverrais un jour Aisling ici ou pas.

Aisling esquissa un sourire quand il dit que les filles, donc les autres colocataires de l'appartement sûrement, devait en avoir marre d'eux. Elle n'en doutait pas. A leur place, elle les aurait certainement frappé. Elle n'aimait pas être dérangée trop longtemps et même si elle supportait Perry, elle n'était pas sûre d'en être capable toute la journée.

-J'les comprends.

La blonde se recula un peu, méfiante, quand il leva sa spatule pas vraiment propre avec enthousiasme. Mais il était drôle. Elle eut un petit sourire amusé avant de secouer la tête.

-Ouais, ça doit être grandiose.

Entre ça et la Russie, elle en avait des idées de voyage mais pas vraiment les moyens pour les exécuter.
Conchobáhr semblait assez surprit que Perry ne lui fasse jamais de petit déjeuner. Sa réaction l'amusa, étirant un sourire que les lèvres d'Aisling. S'il traitait Perry de gamin, à ses yeux elle ne devait pas être plus qu'une enfant, du moins quand il connaîtrait son âge. Perry avait eu délicatesse de ne jamais rien faire remarquer sur la question, il s'attaquait plutôt à son poids en règle général.

-Je serais pas contre que tu lui apprennes à faire à manger.

Comme ça il pourrait lui cuisiner des trucs, c'était plutôt cool. Néanmoins sa question la paralysa quelque secondes. Elle baissa les yeux vers son assiette, commençant à manier sa fourchette nerveusement. Pour lui répondre, il aurait fallu qu'elle connaisse la réponse exacte. Et puis, la relation qu'ils avaient n'était pas tellement... socialement conventionnel.

-C'est compliqué.

Elle ne pouvait pas faire de réponse plus évasive que ça. Mais elle ne pouvait pas non plus se confier à n'importe qui, il n'était pas Isaiah.

Si j’avais davantage connu Aisling, je lui aurais sans doute lancé un raisin en pleine tronche après son commentaire sur l’avis des filles qu’elle comprenait. Mais, ne sachant pas si elle réagirait bien ou non, je me contentai de lui tirer la langue et de faire un rire faux, avant de me faire rire pour vrai avec ces enfantillages. On parla ensuite des magnifiques paysages de l’Irlande, m’extasiant au point d’en mettre des œufs au sol à cause de mes mouvements de spatule. Si j’oubliais de nettoyer, Freja ou Tahlia le ferait après s’en être collé sous les pieds. Ça leur apprendra à marcher pieds nus dans la cuisine.

Aisling me confia finalement que Perry ne lui faisait jamais à manger, mais affirma qu’elle ne serait pas contre l’idée que je lui apprenne certaines recettes, ou du moins les bases de la cuisine pour qu’il puisse se débrouiller par la suite. « Il faudrait. Pour ça faudrait qu’il accepte. » Mentionnais-je. Peut-être qu’en lui disant que sa belle Aisling en serait très ravie suffirait à le convaincre. Je ferais le test, plus tard dans la semaine. Pour le moment toutefois, c’était moi le chef cuisinier de la place, et je posai son assiette devant la jolie blonde avant de prendre place à côté d’elle. Et là, je posai la question qui me brûlait les lèvres depuis le début, et sa réponse fut des plus insatisfaisantes. Malgré tout, j’hochai la tête, ne voulant pas insister. Ce n’était pas de mes affaires. « D’accord. » Réponse de merde, aussi, oui. En même temps, c’était difficile de répondre quoi que ce soit d’autre. « En tout cas ça fait un bail que j’ai pas croisé une fille, à part toi ce matin, ici. » Peut-être que ça pourrait la rassurer, peut-être qu’elle avait peur du côté séducteur de Perry. Mais comme il semblait sincèrement s’être calmé, je me disais que cette Aisling y était sans doute pour quelque chose. « Bon allez, arrête de jouer avec ta nourriture et goûte, tu me stresses. » Dis-je avec un sourire avant de moi-même me mettre à dévorer mon assiette.

Aisling hocha doucement la tête lorsqu'il précisa qu'il faudrait que Perry accepte pour qu'il lui apprenne quoique ce soit sur la cuisine. C'était une évidence. Il était plutôt de bonne composition en général mais elle ne doutait pas qu'il pouvait parfois se montrer buter... Bon avec elle ça n'arrivait pas trop en fait.

-Et faudrait qu'il ne mette pas le feu à la cuisine.

Parce que s'il était aussi doué qu'elle, c'était totalement possible.
Conchobáhr était poli puisqu'il ne sembla pas insister face à sa réponse pourtant évasive. Mais il devait bien voir, aussi, que ça la mettait mal à l'aise. Sa relation avec Perry était quelque chose qu'elle avait encore du mal à assumer. Enfin, laisser entendre qu'ils se voyaient régulièrement et qu'ils couchaient ensemble elle l'acceptait mais parler de ses sentiments ça c'était autre chose, et pour qu'ils soient ce pseudo-couple il fallait qu'ils en aient, des sentiments, qu'elle réussissent à l'admettre ou non.
Cependant, lorsqu'il lui révéla ne pas avoir vu d'autres filles depuis longtemps, Aisling ne put s'empêcher de relever la tête avec un large sourire.

-C'est vrai ?

Oh, putain, non. Elle était ridicule, et niaise en plus. Merde. Elle avait envie de se mettre une énorme gifle, là tout de suite. Elle baissa alors de nouveau le regard vers ses oeufs, évitant le sien.

-Enfin, il fait ce qu'il veut de toute façon. On n'a pas de contrat d'exclusivité.

Ca au moins, c'était la vérité. Mais elle savait qu'elle venait de perdre toute crédibilité dans son détachement alors elle priait intérieurement pour qu'il ne raconte rien à Perry. De toute façon, elle nierait.
Depuis tout à l'heure, elle tournait sa fourchette dans son assiette nerveuse. Mais le commentaire de Conchobáhr la rappela à l'ordre. Elle se contenta de grogner légèrement, assez peu heureuse qu'on lui donne des ordres avant d'obtempérer. Mangeant, comme à son habitude, très lentement son assiette.

-C'est bon.

Fallait au moins féliciter le cuisiner, surtout si elle voulait qu'il recommence.