broken crown (lola) -hot

Même courir ne lui permettait plus de semer ses démons. Même être à bout de souffle ne faisait pas taire les voix dans sa tête, ces voix de dégoût, de haine et de déception face à lui-même. Plus rien ne permettait à Woody d’oublier le monstre qu’il était, le monstre qu’il avait laissé vivre en lui, prenant le contrôle sur tout son être, au fil des années. Il aurait dû le voir venir, il aurait dû savoir à quel point cela deviendrait chaotique. Il aurait dû prévenir plutôt que guérir, parce que maintenant, au point où il en était, la guérison serait lente, douloureuse, quasi-impossible. Woody avait fait trop de mal autour de lui, Woody avait brûlé ses propres ailes. Maintenant, il ne pouvait que marcher sur ses plaies ouvertes, accepter que chaque pas vers l’avant serait un calvaire. Il serait certainement plus facile de rester immobile, de ne regarder ni vers l’arrière ni vers l’avant mais de tout simplement fermer les yeux, mais Woody n’était pas prêt à baisser les bras. Il ne l’avait jamais été, pas même face à sa maladie, alors toutes ses erreurs ne suffiraient pas à le mettre six pieds sous terre. Alors Woody continuait de courir, du plus vite qu’il le pouvait, même si ses fantômes ne cesseraient plus jamais de le rattraper. Il courait pour se donner l’impression d’essayer, au moins, de s’en sortir. Jusqu’à ce que tout son corps le lâche. Hors d’haleine, le physiothérapeute alla s’asseoir au bord du lac en plein cœur de Bowen, laissant ses poumons se remplir de tout l’oxygène qu’il inspirait. Il ferma les yeux, laissant sa tête basculer vers l’arrière, les yeux clos. Quand il les rouvrit, il aperçut, de l’autre côté de l’étendue d’eau, Lola Cooper. Cette même Lola qu’il avait, deux ans plus tôt, tenté en vain de mettre dans son lit. Comme toutes les autres. Elle était l’une des seules à ne pas avoir succombé à ses charmes, à ses tours de magie peaufinés comme jamais. Il fronça les sourcils, hésita un moment tout en la regardant, puis se leva. Elle lisait un livre, ou des partitions, bref de loin il n’arrivait pas à voir mais ses yeux étaient rivés sur des feuilles blanches. Il fit le tour du lac et marcha jusqu’à la jeune femme. Là, il esquissa un sourire, attendant qu’elle le remarque. Ce qui n’arriva pas. Pour annoncer sa présence, Woody déclara donc : « Hey, bon matin, Lola. » Déclara-t-il d’une voix douce. Une voix que Lola ne lui connaissait sans doute pas.  

Devant lui, son ombre s’étendait sur le gazon, mais pas assez pour que Lola puisse le distinguer sans trop de mal avec le soleil qui illuminait derrière lui. La jeune femme posa donc sa main sur son front, comme une visière, afin de pouvoir le voir plus clairement, et sans doute le reconnaître également. Après tout, leur véritable conversation remontait à plus de deux ans maintenant. Certes, ils s’étaient revus au feu de camp de leur équipe commune du festival de la mangue, mais c’était à peine s’ils s’étaient adressé la parole. Ça n’avait été que par l’entremise des différents jeux, pas parce qu’ils l’avaient décidé de plein gré. Ses salutations étaient beaucoup moins gaies que celles envoyées par Woody, et pourtant, de ce qu’il se souvenait, à part l’avoir couverte de compliments, il n’avait rien fait de mal, à leur première rencontre. Et puis, ce soir-là à la plage, il s’était bien tenu. De toutes les femmes de Bowen, Lola était loin d’être la première à avoir des raisons de le détester sur sa liste. Toutefois, comme on le lui rappelait souvent ces derniers temps, sa tendance à draguer tout le monde pouvait être lourde. Sans doute Lola avait-elle conservé cette image de lui. Il comprenait, au fond. « J’veux pas te déranger, je vois que t’es très concentrée sur ta lecture mais … » Il marqua une pause, regardant autour de lui, pesant le pour et le contre de ce qu’il s’apprêtait à faire. Il en avait fait, des bêtises, dans sa vie, et s’il commençait à chercher le pardon et la paix auprès de tous ceux à qui il avait pu causer du tort, Woody ne s’en sortirait jamais. Mais il commencerait à quelque part. « … Tu m’accorderais cinq minutes pour que je te parle ? Et après cinq minutes, si t’en as marre, j’vais continuer mon chemin, pas de problème. » Proposa-t-il, ne sachant pas vraiment ce qu’il était en train de faire, ni pour quelles raisons exactement.

Décidément, Lola ne semblait pas du tout comprendre ce que Woody lui voulait et, au fond, elle avait tout à fait raison de réagir ainsi. Ils ne s’étaient pas parlé durant deux années complètes. Deux années, c’est long, foutrement long. Et puis, ce n’était pas comme si avant cela ils avaient réellement tissé un grand lien d’amitié ou de quoi que ce soit. Ils en étaient resté au statut de simple connaissance, même que savoir s’ils s’appréciaient ou non était une question sans réponse. Encore aujourd’hui, Woody avait l’impression que Lola lui en voulait d’avoir trop essayé de la séduire, parce qu’elle était sur ses gardes même après tout ce temps. C’est pour cette raison qu’il y allait avec des pincettes, ne s’imposant pas trop. Toutefois, lorsqu’elle referma son livre et qu’elle lui fit signe de venir la rejoindre au sol, sur le gazon, il hocha la tête et prit place à côté d’elle, repliant ses jambes sur lui-même, posant ses mains au sol derrière lui. Elle l’écouta, lui assurant qu’elle l’aiderait peut-être face à ce qui lui pesait sur le cœur. « Enfin, j’irais pas jusqu’à dire que ça me pèse sur le cœur … » Commença-t-il, toujours de son éternel ton sarcastique et détaché, mais réalisa que c’était la pire façon de débuter cette conversation. Il s’arrêta donc, marqua une pause en inspirant, puis reprit : « Ce que je veux dire, c’est que … c’est rien de grave. Je … c’est par rapport à nous deux. Je sais que je sors de nulle part avec ça et que ça fait deux ans mais … je voulais m’excuser si, ce jour-là à la plage, je t’ai semblé un peu trop … tu sais, entreprenant. » Woody était à chier pour s’excuser, il ne le faisait pratiquement jamais, parce qu’il était trop fier, parce qu’il avait trop d’orgueil. Cependant, puisqu’il avait atteint un point dans sa vie où lui-même ne s’aimait pas, il se disait que c’était le moment de se repentir, d’une certaine façon. C’était un peu con que ça commence auprès de Lola, parce qu’il avait fait tellement plus de mal à d’autres, mais c’était plus facile pour lui. Et Woody prenait toujours la voie facile, parce qu’il avait beau se faire croire le contraire, il n’était qu’un lâche, au fond.

Ça faisait deux ans, oui, mais Woody avait eu espoir qu’il ne serait pas trop tard, parce que s’il était trop tard avec Lola, alors il était trop tard avec beaucoup trop de personnes. Trop de personnes qui avaient, à un moment ou à un autre, marqué la vie de Woody. Et lui n’avait pas su marquer les leur de la bonne façon, et il s’en voulait pour certaines. D’où ses excuses auprès de Lola. Il hocha la tête, doucement, tristement, quand elle le remercia quand même. « On m’avait déjà dit qu’il n’était jamais trop tard pour des excuses … j’ai voulu tenter ma chance. » Dit-il en haussant les épaules, détournant le regard. Il se sentait un peu con, maintenant. Il aurait pu garder le silence, il aurait pu garder cette distance naturelle qui s’était interposée entre Lola et lui. Il aurait pu laisser la vie suivre son cours, et ils se seraient finalement oubliés, puisqu’il n’y avait pas grand-chose à se souvenir, au fond. Du coin de l’œil, il vit un sourire se dessiner sur les lèvres de Lola, et il la regarda de nouveau, cette fois avec curiosité. Elle lui parla du catamaran, cette activité qu’elle avait essayée pour la première fois avec le jeune homme. Il sourit en l’entendant dire le mot bateau. « Catamaran, oui. » La reprit-il, mais sans jugement, juste d’un ton calme et gentil. Woody devait carrément avoir l’air d’un homme totalement différent, là, alors qu’au fond, il se savait bien pire qu’il y avait deux ans. Pire que jamais. Il ne voulait pas que Lola sache à quel point il avait pu devenir le pire des monstres, déjà qu’elle l’avait vu négativement dès le départ. Elle le fuirait. Mais, contre toute attente, elle lui proposa plutôt d’aller en faire à nouveau. Woody haussa les sourcils, la regardant d’un air surpris, esquissant un sourire. « Maintenant ? » Demanda-t-il, ne sachant pas si elle voulait remettre ça dès aujourd’hui, ou plus tard. Dans les deux cas, ça lui faisait plaisir. Ça lui faisait comprendre que tout n’était pas perdu. Ni avec Lola, ni avec les autres.

La rectification de Lola fit sourire Woody, parce qu’il avait mal interprété ses paroles, et que ce n’était pas nécessairement trop tard pour les autres. C’était seulement que son malentendu avec Lola d’il y avait deux ans n’était que ça, justement : un malentendu. Lola avait eu tout le temps nécessaire pour passer à autre chose. Pour l’oublier. Et, en toute honnêteté, ces derniers temps Woody préférait largement être oublié que d’avoir un tas de doigts pointés sur lui. « Oh, et bien, moi j’y pensais encore. Et j’tenais vraiment à mettre les choses au clair. » Il sourit. « J’avais vraiment eu du plaisir, cette journée-là, et j’trouvais dommage qu’on ait laissé ça de côté juste parce que j’sais pas me tenir. » Il rigola. Il ne savait toujours pas vraiment comment se tenir, d’ailleurs. Woody n’était pas sortable, c’était un fait connu. Cependant, avec tous les récents événements, il avait ce besoin d’essayer. D’essayer de devenir quelqu’un de respectable, de regagner sa popularité qu’il avait un jour tant chérie. Lola renchérit alors en disant qu’elle avait appris quelque chose de nouveau, cette journée-là, elle aussi. Et au vu de son sourire quand elle se remémora leur petite promenade en catamaran, Woody en conclut qu’il n’était pas le seul à avoir passé du bon temps, malgré tout. Alors, quand elle lui proposa de remettre cette activité là, maintenant, il fut plus que ravi. « C’est vrai, pourquoi pas ! YOLO, comme ils disent. » Lança-t-il avec un sourire. Il se leva et aida Lola à se relever aussi, simplement avec sa main, sans arrière-pensée non plus. Woody avait assez donné, niveau séduction, déjà auprès de Lola mais aussi dans son quotidien en général. Il était las, il était fatigué. Il avait besoin de retrouver goût en l’amitié, et comme il savait déjà qu’il pouvait bien s’entendre avec Lola s’il demeurait lui-même, sans trop en faire, c’était une bonne personne avec qui commencer. Ils se dirigèrent donc vers le centre nautique, qui se trouvait à quelques rues vers l’est du parc puisqu’ils étaient tout près de l’océan déjà. Une fois arrivés, Woody réussit à obtenir un catamaran sans frais, puisque même après deux ans, il y était toujours bénévole. « Tu te souviens un peu comment ça fonctionne ? » Demanda-t-il à Lola.

Une fois arrivés au centre nautique, Woody tenta de s’assurer que Lola se souvenait encore du fonctionnement du catamaran, ce à quoi elle semblait être peu certaine. Le jeune homme rigola en la regardant, secouant la tête de gauche à droite, feignant la déception. « Bon, après deux ans, j’peux bien croire que sans pratique tu aies oublié. Ça se comprend. » Il la regarda avec un sourire, puis hocha la tête quand elle lui demanda s’il pouvait lui réexpliquer. « Avec plaisir. Allez, viens, jeune matelot. » Il passa son bras autour des épaules de la jeune femme, sans sous-entendu, sans arrière-pensée, et se dirigea au comptoir du centre nautique où il délaissa Lola pour demander à avoir un catamaran. On lui donna le numéro de l’embarcation et Woody fit un signe de tête à Lola de le suivre à l’extérieur. Il laissa ses souliers à l’entrée du centre et marcha pieds nus dans le sable jusqu’au catamaran, où un employé du centre l’aida à le mettre à l’eau. Il tendit sa main à Lola pour l’aider à embarquer. « Tiens, tu peux aller t’asseoir sur la toile. » La toile, au centre, ressemblant à un trampoline trop étirée. Il la laissa s’installer, maintenant stable le catamaran pendant qu’elle le faisait, et une fois cela fait, il donna une légère poussée au catamaran avant de sauter dessus à son tour. « T’as envie de t’occuper des voiles ou plutôt de le diriger ? » Demanda-t-il en s’occupant pour le moment de la barre, puisque les voiles étaient déjà levées et bien positionnées par rapport au vent. Il allait les conduire un peu à l’écart de la plage où nageaient des habitants, question d’être dans la bonne zone et d’avoir de beaux vents. « La dernière fois, t’as pas fait le trapèze, ça te dirait d’essayer ? » Le trapèze était ce moment quand le catamaran s’inclinait d’un côté et que quelqu’un devait le ramener en équilibre en se penchant au-dessus de l’eau pour balancer le poids. C’était un sentiment tellement intense que d’aller aussi vite, aussi près de l’eau.

Woody ignorait ce qui s’était passé dans la vie de Lola pendant les deux dernières années, mais elle se montrait beaucoup plus à l’aise à ses côtés. La première fois, elle osait à peine le regarder dans les yeux, et maintenant, elle attrapait sa main sans hésiter pour monter sur le catamaran. Ça lui faisait plaisir de voir qu’elle se montrait moins réticente. Pas qu’il avait espoir de s’essayer de nouveau sur elle – quoique cette assurance lui donnait aussi un air terriblement sexy -, mais c’était aussi très agréable de partager la compagnie de quelqu’un qui ne semble pas reculer de trois pas à chaque fois que vous en faites un seul. Bref, à son tour, Woody grimpa sur le catamaran, allant s’asseoir à côté de la jeune femme. Lola déclara avoir envie de tenir la barre et de diriger, mais le physiothérapeute lui proposa d’essayer plutôt le trapèze. Le vent était bon, aujourd’hui, pour pousser l’activité un peu plus loin. « En fait, il faudrait que tu enfiles ça … » Dit Woody en présentant à Lola une ceinture ressemblant à une couche puisqu’elle s’enfilait de la même façon, avec un crochet au niveau du ventre. « Je t’attache après le câble ici, qui est attachée au haut de la voile. » Il tira sur la corde de fer en question pour montrer à Lola tout le mécanisme. « Toi, tu vas te hisser à l’extérieur de la coque, les jambes bien allongées, les pieds posés sur le rebord, et tu mets tout ton poids vers l’arrière. Tu vas donc être au-dessus de l’eau. C’est pour contrebalancer l’inclinaison, ce qu’on appelle la gîte du catamaran, sous l’action du vent. » Expliqua Woody dans les termes les plus simples possibles tout en l’informant du vrai vocabulaire nautique. « Je peux t’en faire un exemple, avant, si tu veux ? Ça pourrait te mettre en confiance. Tu vas voir, c’est ce qui est le plus cool à faire. » Dit-il avec enthousiasme.

Évidemment, comme toute personne normale, Lola se moqua de la couche qui servait de ceinture de sécurité mais aussi d’attache pour le câble. Woody lui-même se sentait plutôt ridicule lorsqu’il la portait, mais après, ce ridicule était le prix à payer pour vivre l’expérience du trapèze. Woody savait que ça en valait la peine, et Lola ne tarderait pas à le savoir aussi. « Tu ris maintenant mais dans cinq ans, ce sera le nouvel item le plus fashion à ajouter à sa garde-robe. » Plaisanta-t-il pour la faire rire. Deux ans auparavant, il avait joué la carte de la séduction auprès d’elle, et ça n’avait pas fonctionné. Woody miserait donc sur l’humour, cette fois. Le jeune homme reprit tout de même un minimum de sérieux afin d’expliquer à la brunette en quoi consistait le trapèze. Elle ne semblait pas totalement saisir le fonctionnement, et pour cette raison Woody proposa de lui montrer en exemple. « Parce que ! Si c’est moi qui a le monopole du plaisir, c’est pas juste pour toi ! » Il rigola. « Fais-moi confiance, tu vas avoir envie d’essayer toi aussi, après m’avoir vu faire. » Elle hocha donc la tête, se passant une main dans les cheveux et retirant ses lunettes de soleil. Elle lui dit alors de lui montrer. « Bien ! Alors toi pendant ce temps-là essaies juste de garder une ligne droite à la barre. Pour le reste, tu me regardes faire. » Woody enfila la couche-culotte des plus séduisantes – ou pas – et s’accrocha au câble, demeurant pour le moment bien assis puisque les deux coques étaient toujours bien sur l’eau. « Bon, tourne un peu la barre vers la gauche, on va essayer de bien se positionner par rapport au vent. » Lola s’exécuta et, après un moment, le vent s’engouffra dans les voiles, accélérant de façon notable la vitesse de navigation. « Ok, stop ! Maintenant tu maintiens cette direction. » Peu à peu, la coque sur laquelle se tenait Woody se leva, quittant doucement son contact avec l’eau. C’est alors que le sportif positionna ses pieds à l’extrémité de la coque et tendit les jambes, se laissant tomber vers l’arrière, son corps retenu par le câble. Il cria tout son enthousiasme. « WOUHOU ! T’as vu ça ? Je vole au-dessus de l’eau ! » Il tendit un bras vers le bas et ses doigts arrivèrent à effleurer les quelques vagues assez hautes pour qu’il y touche. « Tout va bien de ton côté ? » Le catamaran filait, légèrement incliné, et Lola devait elle aussi se tenir un minimum.