High hopes (Samuel)

Plus les jours passent, et plus le vent du soir se refroidit à cause de la venue de l'hiver. Pourtant, en cette soirée calme où le bar de la plage est peu fréquenté, Théia est assise sur une des chaises hautes, occupée à siroter un soda. Elle porte un gilet gris à capuche trop grand pour elle, un de ceux qui appartenaient à Wallace et qu'elle a gardé afin de pouvoir avoir quelque chose à lui malgré qu'il soit parti. Avec le temps, l'odeur de ce parfum qu'il mettait et qui sentait bien trop fort a fini par s'estomper. Rien ne laisserait croire que ce vêtement appartient à un garçon, à par peut-être les manches trop longues d'où dépassent à peine ses doigts. La paille coincée entre ses lèvres, Théia pense à toutes sortes de choses qui s'entre-choquent dans son esprit. Elle songe à sa conversation avec Nate, à l'amour qu'il porte à cette Marcy. Elle se revisualise sa soirée passée avec Oliver, et ces moments partagés avec Bérénice. Même si Théia ne se sent pas seule, elle ne peut cependant s'empêcher de garder une sorte de vide dans son cœur. Un vide qu'elle n'arrive pas à combler, et dont elle ne connait même pas l'origine. Enfin si elle la connait, mais elle serait bien trop compliquée à expliquer. Alors qu'elle avale une nouvelle gorgée de son Coca, elle entend du mouvement venant d'à coté d'elle. Théia n'y fait pas tout de suite attention, elle a du mal à faire se détacher son regard du vide. « Je vois que je ne suis pas la seule cinglée à aller sur la plage par un temps pareil, » fait-elle remarquer en faisant référence au vent qui s'est levé depuis une bonne vingtaine de minute. Elle n'a toujours pas regardé l'inconnu, peut-être le fera-t-elle si il se décide à lui parler.

Elle s'attendait bien à une réponse de la part du supposé inconnu, mais pas à ce que celui ne fasse que prononcer son prénom. Et puis, elle réalise qu'elle connait cette voix. Lentement, Théia relève la tête et regarde ce garçon avec qui elle a partagé presque toutes ses journées pendant plus d'un mois, l'année passée. « Samuel ? » Elle ne sait que dire d'autre à part prononcer à son tour son prénom d'une voix un peu perturbée. Elle le regarde, un noeud dans le ventre, étonnée de le voir ici. Il a toujours vécu ici après tout, cela ne devrait pas tant la surprendre que ça de le croiser dans la ville. Mais pas après tout ce temps, pas après cette longue année qui lui a semblé durer une éternité. Théia se redresse et pose une main sur le bar, ne sachant pas si elle doit se pencher pour lui embrasser la joue ou si elle doit rester à sa place. Elle reste pourtant figée. Samuel est là, devant elle, en chair et en os. Elle a quelques fois rêvé de leurs retrouvailles, mais jamais elle n'aurait pensé qu'elle puisse les vivre. « Tu m'as manqué, » souffle-t-elle à mi-voix, un sourire étirant lentement ses lèvres. Car même si elle ne lui a plus donné de nouvelles pendant tout ce temps, elle est ravie de revoir ce visage, ce regard, ces lèvres qui ont une fois touché les siennes.

Il est froid avec elle, glacial même. Évidemment, pourquoi il ne le serait pas après tout ça ? Théia non plus ne s'attendait pas à le voir, mais elle n'a pas vécu cette même frustration que lui qui pourrait expliquer un comportement aussi distant à son égard. Lentement, elle se redresse avant de baisser les yeux. Elle ne sait plus où se mettre, elle a l'impression qu'elle vient d'être piégée dans une boîte dans laquelle elle ne peut même pas respirer. Les mots de Samuel résonnent à ses oreilles comme des lames tranchant l'air. Théia ne le regarde toujours pas et commence à dessiner des ronds sur la condensation de son verre. « C'est compliqué, » soupire-t-elle. Réponse bateau, ce genre de phrase qu'on sert quand on ne sait pas quoi dire. Sauf que c'est vrai, tout a vraiment été trop compliqué. Elle ne pouvait se permettre de s'infliger ça. De lui infliger ça, à lui. « J'aurais aimé t'appeler, je t'assure. Mais les événements se sont enchaînés, et après six mois je me suis dit que c'était trop tard. » Elle relève les yeux vers Samuel. Elle avait été attachée à ce garçon, et elle croyait bien ne plus l'être car, ces derniers temps, il n'apparaissait plus dans ses pensées autant qu'avant. Pourtant, le revoir à ce bar suffit à lui faire ressentir une sorte de pincement au cœur.

Waw. C'est tout ce qu'elle arrive à penser. Enfin non, des dizaines d'autres songes se bousculent dans sa tête, mais elles sont bien trop nombreuses pour que Théia puisse en saisir le sens. Ce que lui lâche Samuel lui fait l'effet d'une bombe allumée depuis que leurs regards se sont croisés, et qui vient tout juste de lui éclater en plein visage. À court de mots, elle laisse un instant son regard se perdre dans le vide. Elle aimerait être toute petite, fuir cette conversation même si le revoir lui faisait au départ tant plaisir. Et puis, la gêne laisse place à de la colère. Rien n'est de sa faute et, même si lui n'en est pas conscient, elle sait bien trop de choses que pour réussir à accepter le fait d'être quelqu'un de mauvais. « Tu crois sérieusement que j'en avais rien à faire ? » Théia se tourne face à Sam, et plante son regard en feu dans ses yeux trop bleus pour ne pas les apprécier. « Tu me connais pas Sam, tu ne sais pas tout ce qui est arrivé. C'était pas facile pour moi, et je me suis dit que... » Sa phrase reste en suspend pendant quelques secondes. Ce sont des mots qu'elle a du mal à dire, et qui la forcent à baisser les yeux car elle ne veut pas voir sa réaction quand il les entendra. « Que tu ne voudrais pas d'une fille cassée comme moi. »

Les paroles de Sam la font passer par tout un tas d'émotions différentes. De la peine, puis une pseudo-joie qui réchauffe son coeur quand il lui dit à quel point il s'était attaché à elle. Et enfin, une soudaine envie de rire à cause de ses derniers mots. Théia sourit sans le regarder et joue avec son verre maintenant vide qu'elle fait tourner entre ses doigts. « T'as toujours réussi à me faire rire même dans les pires moments. » Pires moments pour elle. Quand elle était hospitalisée, et qu'il lui remontait le moral sans savoir qu'elle était au plus bas. Au final, il y a de grandes chances pour que ce soit grâce à lui qu'elle aie réussi à faire face à toutes ces épreuves sans finir par baisser les bras. Il a été sa force, le seul à croire encore en elle après Wal. Théia relève les yeux et plonge son regard dans celui de Sam. Comme avant, elle ressent cette boule au ventre qu'elle avait quand il lui souriait. Elle aussi était attachée, et pas qu'un peu. « Je ne voulais pas te faire fuir tu sais. J'avais de gros problèmes de santé, et je les ai toujours. J'étais une petite chose fragile, prête à se briser à tout moment. Toi, t'étais ce type sans peur qui se fichait des règles et qui aimait le danger. » Un nouveau sourire étire ses lèvres. « Tu m'impressionnais, » ajoute-t-elle en riant légèrement.

À nouveau, il arrive à la faire rire. C'est vrai que Samuel n'est pas l'homme le plus musclé qu'elle connaisse, mais ça ne l'a jamais empêchée de craquer pour lui. Il a son charme, ses beaux yeux de la couleur de l'océan, et il a toujours réussi à la faire se sentir en confiance. En l'écoutant, elle s'accoude sur le bar et pose sa tête sur la paume de sa main sans le quitter des yeux. Théia pousse un léger soupir à la fin de sa phrase, et immédiatement, une partie d'elle a envie de retourner en arrière pour ne jamais le quitter. Elle voudrait tellement revivre ces moments avec lui, à l'époque où toutes les pensées négatives qui courraient dans sa tête étaient chassées par les mots de Sam. Le perdre, ça a été perdre cette bouée de sauvetage qui l'empêchait de sombrer. Et même si elle est rapidement remontée à la surface, il a toujours laissé un vide dans son coeur qu'elle n'a pas encore réussi à combler. « T'es pas mal comme ça, » répond-t-elle avec cet éternel sourire qui ne quitte plus ses lèvres depuis plusieurs minutes. Il pourrait la détester, pourtant Théia ne tarde pas à retrouver le Sam qui embellissait ses journées et soirées. À la fin de sa phrase, le sourire de la jeune fille se transforme petit à petit en une moue nostalgique. Elle repense à eux, insouciants à l'époque, ne réfléchissant à rien de plus que ce qu'ils allaient pouvoir faire le lendemain. « T'étais une personne différente des autres, la seule personne qui arrivait à me faire oublier que j'étais Théia avant d'être la patiente de la chambre 264. »

Revoir Samuel, assis sur cette chaise en face d'elle, bien réel, ça lui fait l'effet d'une vague de chaleur qui enveloppe tout son corps et la plonge dans un éphémère moment de bien-être. Elle ressent à nouveau tout ce qu'il arrivait à lui faire ressentir, elle ré-entend ce rire qu'elle aimait autrefois tellement entendre. Cela fait déjà un an, pourtant Théia a l'impression qu'ils ne se sont quittés qu'une journée. Une longue journée c'est vrai, mais pas assez longue que pour casser à tout jamais tout ce qui s'était petit à petit construit contre leur gré. Il prononce son prénom, et ça suffit à immédiatement éveiller sa curiosité. « Oui ? » Elle attend qu'il parle, et n'ajoute rien de plus même si il met du temps avant de reprendre la parole. Autrefois, elle l'aurait secoué. Elle aurait insisté, aurait appelé son prénom plusieurs parce que l'idée de réussir à l'embêter l'amusait. Aujourd'hui pourtant, elle reste calme et patiente. Elle est bien trop ravie de revoir ce visage si familier pour oser casser ce moment. Sam finit par prononcer trois mots lancés à la va-vite, le regard détourné comme si ce n'était pas ce qu'il était censé lui dire. Malgré tout, Théia sourit et lève les yeux au ciel. « Qu'est-ce que tu crois, j'étais de sortie ce soir. » Elle rit légèrement, car elle n'est clairement pas du genre à sortir pour draguer. Ça n'a jamais été son truc, et ça ne risque pas de le devenir maintenant que Sam est de retour. « Mais merci Sam, ça me touche venant de toi. »

Théia a l'étrange impression que, l'espace de quelques secondes, Sam se referme. Elle voit les traits de son visage changer, son regard modifier sa trajectoire, et ce petit mot qu'il répond ne correspond plus à la chaleur de sa voix habituelle. Heureusement, ce court instant s'efface rapidement et il redevient bien vite la personne extravertie qu'il a toujours été. Sortir ne boîte ? Ce n'est pas vraiment ce que Théia a le plus l'habitude de faire, mais y aller avec Sam pourrait être amusant. « Bonne idée, » dit-elle avant qu'il ne parle de ses vêtements. « Qu'est-ce que t'as contre mon pull ? Il est très confortable. » Elle fronce le nez et entoure son propre corps de ses petits bras, ses mains ne dépassant toujours pas des manches. « Mais t'as raison, je ferais mieux de mettre quelque chose de moins... mémère. On a cas passer chez moi, comme ça je pourrais en profiter pour te montrer mon nouvel appart ! » À cause de sa petite taille, Théia doit se mettre sur la pointe des pieds pour arriver à toucher le sol tout en se laissant glisser. Elle se dirige avec Sam vers la sortie, laissant le courant d'air ébouriffer ses cheveux quand elle ouvre la porte. Une fois dehors, elle lève le nez vers le ciel rempli d'étoiles, un sourire aux lèvres. « Ça faisait longtemps qu'on ne s'était plus retrouvés ensemble pour admirer les étoiles, » dit-elle à voix basse, parlant à moitié pour elle.