night breezes seem to whisper "i love you" (juliet)

Deux mois pile, ou presque. C’était la veille qu’ils auraient dû fêter cette date, mais Nelligan n’avait pas pu se libérer de son emploi ô combien important – ou pas. Le gérant du magasin de jeux vidéo n’avait pas voulu lui donner sa journée de congé, même s’il l’avait demandé une semaine à l’avance, sous prétexte que le nouveau Monster Hunter sortait en boutique et qu’ils devaient être prêts à recevoir un tas de clients. Bon, il était vrai qu’il y avait eu légèrement plus de gens qu’à l’habitude mais pas à ce point, étant donné que ce jeu n’était pas si populaire que cela en Australie. C’était surtout au Japon que la folie se trouvait autour de ce jeu, et aux États-Unis à la limite, ils avaient aussi un bassin de fans. Mais ici, à Bowen, c’était plutôt rare que Nelligan croise un joueur de ce jeu. Toutefois, comme il avait bien besoin d’argent surtout depuis que Maisy était décédée d’une overdose et qu’ils devaient donc se séparer le loyer à trois, Nelligan n’avait pas insisté, ne voulant pas qu’on lui montre la porte. Maisy, parlons-en. Nelligan avait été très chamboulé dans les jours suivant son overdose, ce qui était tout récent encore, et heureusement que Juliet avait été là pour l’accueillir chez elle la nuit parce que chez eux, avec Jordan qui vivait son deuil et Ayda qui était tout aussi mal à l’aise que lui, c’était loin d’être la joie. Il avait donc voulu souligner leur anniversaire de deux mois tout en la remerciant pour sa présence des derniers jours, et pour ce faire Nelligan l’avait conduite jusqu’à Proserpine où se trouvait un beau restaurant, pas hors de prix mais tout de même plus classe que tous les restaurants de Bowen. « Après toi. » Avait lancé Nelligan après avoir ouvert la porte du restaurant à Juliet. Il avait enfilé un pantalon propre et une chemise décontractée, question de ne pas mettre le paquet au point de faire tache, mais tout en ayant un minimum de classe. Il donna son nom à la réception puisqu’il avait réservé une table, et on les conduisit à l’extérieur, sur la terrasse éclairée par des lumières ressemblant à des lumières de Noël au-dessus de leurs têtes. Nelligan demanda tout de suite une bouteille de vin mousseux au serveur et ce dernier revint avec celle-ci peu de temps après. Une fois leurs flûtes servies, le jeune homme leva son verre à Juliet. « À nos deux mois. Ce n’est peut-être pas beaucoup, surtout à notre âge, mais j’ai envie de souligner chaque pas de plus avec toi. Même si ça nous reviendra peut-être cher au bout du compte … » Avoua-t-il avec un rire.

Ravi que son choix pour la soirée rendait Juliet heureuse, Nelligan afficha un grand sourire alors qu’elle lui disait que c’était sublime. Il était vrai que le décor de la terrasse de ce restaurant était franchement beau et romantique, mais ça, il n’y était pour rien. L’endroit était ainsi en permanence, et Nelligan avait seulement eu le bon goût de repérer ce restaurant parmi les autres. Peu importe, les yeux brillants de Juliet alors qu’elle regardait partout autour d’elle faisaient en sorte que plus rien d’autre n’importait. Sa façon de l’appeler chéri, de le regarder avec toujours plus d’amour dans les yeux, de sans cesse chercher un contact que ce soit sa main ou ses lèvres et la simplicité de leur relation faisait enfin comprendre à Nelligan ce qu’était que l’amour. Celui qui vous rend heureux, celui qui vous comble, celui qui vous fait rêver. Ni plus, ni moins. Que ce soit avec Tara, Lola ou Lily-Anaëlle, il y avait toujours eu une zone d’ombre, un mais qui en attendait un autre. Son bonheur ne durait jamais bien longtemps avec elles, peu importe à quel point ils essayaient. Avec Tara, certes, la vie avait été contre eux et c’est sans doute pour cette raison que Nelligan avait mis un an à s’en remettre. Parce que ce n’était pas eux deux, le problème, c’était ce que l’avenir leur avait réservé. Pour ce qui était de Lola et de Lily-Anaëlle, il avait beau les avoir aimées, et les aimer encore, de tout son cœur, tout était toujours complexe. Avec Juliet, Nelligan vivait enfin un amour pur, sain, et simple. En deux mois, ils ne s’étaient pas disputés une seule fois et ça, c’était un miracle du côté du jeune homme. Si ça ne valait pas la bouteille de mousseux commandée, ça ! Ils trinquèrent donc à cette occasion et Nelligan sourit à ce que Juliet avait ajouté à son minuscule discours. Il reposa sa flûte devant lui et ouvrit son menu, pour commencer à le détailler, tout en étant trop distrait par tout ce qu’il avait à dire à Juliet pour réellement en lire le contenu. Il leva les yeux vers la rouquine. « Alors, ton troisième tome, tu l’as terminé ? Tu devais en envoyer une copie à ton éditrice cette semaine, non ? » Elle le lui avait dit la semaine dernière, aussi pour justifier le fait qu’elle avait constamment les yeux rivés sur ordinateur. Nelligan ne lui en voulait pas, il avait profité de ces moments pour jouer à ses consoles, à côté d’elle. Comme Juliet lui avait interdit d’essayer de lire par-dessus son épaule, Nelligan avait passé des heures à jouer. « Dis-moi au moins que je pourrai le lire avant qu’il ne sorte en librairie … je suis ton plus grand fan, et ton amoureux … faut bien que ça me serve à quelque chose ! » Plaisanta-t-il. Évidemment, il retirait bien plus que ça de son statut de petit ami, mais il essayait tant bien que mal de la convaincre. Nelligan avait dévoré les premiers tomes, et comme n’importe quel de ses lecteurs, il attendait la suite avec impatience. D’autant plus que maintenant qu’il était en couple avec elle, il aurait un nouveau regard sur les personnages …

Nelligan attrapa la main de Juliet quand celle-ci lui mentionna être nerveuse face à la lecture de son livre par son éditrice. Il caressa doucement le dessus de sa main, tentant de la rassurer par ce doux geste. La rouquine n’avait aucun souci à se faire, tout ce qu’elle écrivait était un plaisir à lire. C’était un peu au travers de ses deux tomes que Nelligan était tombé sous le charme de sa meilleure amie, sans doute un peu plus qu’il ne voulait bien se l’avouer, d’ailleurs. Il découvrait une toute autre facette de Juliet en lisant sur ses personnages inventés. Il avait l’impression de la connaître en profondeur, intimement, bien plus qu’une simple relation amicale. Ils avaient beau tout se dire depuis toujours, c’était en lisant ses livres qu’il en apprenait le plus sur elle. « Ne sois pas nerveuse, Jules. Elle a adoré les deux premiers, comme tout le monde en fait. Il n’y aucune raison de ne pas aimer le troisième. T’as un talent naturel. » Lui dit-il avec un sourire des plus sincères. Il avait toujours été très impressionné par Juliet. Bien des écrivains n’arrivaient pas à percer mais elle, elle avait réussi à se faire publier à un si jeune âge. Il était fier d’elle. Sans plus tarder, il demanda à être lui aussi l’un des premiers à le lire. Après son éditrice, Nelligan trouvait normal que le petit ami de l’auteur ait un aperçu. Peut-être n’aurait-il pas le temps de le terminer avant qu’il ne sorte en librairie, mais au moins, il aurait le sentiment d’avoir été privilégié. Et il le serait. « Mais non ne te fous pas la pression. Tu peux difficilement me décevoir, Jules, tout ce que tu fais est génial. Alors oui, je souhaiterais bien avoir cette copie … » Certes, Nelligan savait faire des critiques constructives, il l’avait fait auparavant pour certaines œuvres de Juliet, mais depuis le début de la saga Shazinski, il n’avait rien eu à dire. Il dévorait les romans, et c’est pourquoi il se montrait aussi impatient de lire le troisième tome. Bref, une fois le dossier clos, Juliet lui demanda comment se passait les choses chez lui, depuis le décès de Maisy. Il haussa les épaules. « Je ne sais pas trop … Jordan ne va pas du tout, et Ayda et moi on ne se parle pas vraiment … Honnêtement, je ne sais même pas si j’aurai encore des colocataires, ou un logement, le mois prochain. » Il avait l’impression que les deux autres filles cherchaient une porte de sortie, un moyen d’aller ailleurs. Rien à voir avec Nelligan, mais c’était plutôt l’ambiance lourde qui régnait dans le logement qui était à blâmer. Lui-même le ressentait, et ce n’était pas pour rien qu’il passait le plus clair de son temps chez Juliet. Il avait besoin de s’échapper, lui aussi.