let me shake up your world (manu)

Quelle meilleure idée que de sortir un samedi soir pour s’intégrer dans une nouvelle ville ? En Espagne, Manu sortait souvent. Trop, selon certains. Elle aimait les sorties nocturnes, danser a pas d’heure pour se dépenser, parler à des inconnus pour découvrir de nouvelles têtes, jouer avec les beaux mâles pour montrer qu’elle plaisait, pour se sentir valoriser. Pour se sentir femme. Et boire, un peu plus. Chaque fois, un peu plus. Même si pour son arrivée et son nouveau départ, la modération devait être de mise. Elle se les promise. Les promesses, toujours les promesses. Facile à prodiguer, difficile à tenir.

C’est sur les conseils d’une nouvelle connaissance, que Manu se dirige vers cette boîte de nuit. Le vigile lui fait signe de montrer sa carte. Elle lève les yeux aux ciels, elle en a marre qu’on la prenne chaque fois pour une gamine de 15 ans. La jolie brune longe le bar et ne préfère pas s’y avancer trop rapidement. Elle préfère attendre qu’on lui offre un verre, ou deux. Pas plus. Si l’occasion venait  à se présenter. Auquel cas, tant pis. La voilà sur la piste de danse. Son élément.  Danser seule ne posait pas de problème. Au contraire. Elle s’y sentait libre. Ne faisait pas attention à tout ce qui l’environnait. Aux mains baladeuses, aux regards trop insistants, aux danseurs du dimanche qui tentait de l’impressionner. Et puis soudain, une voix grave vient brisé son silence et son bien-être intérieur noyé dans le vacarme de la boite de nuit. Ça ne devrait pas être permis d'être aussi jolie. lui dit-il. La première chose qu’elle remarque c’est son sourire se dessinant sur les coins de ses lèvres. Manu ne peut s’empêcher de sourire également malgré l’approche trop conventionnelle avec une phrase d’une lourdeur sans nom. Non dénué d’humour, Manu préfère lui répondre par la taquinerie « Peut-être que vous devriez essayer de changer la loi. Et après revenez me voir pour m’arrêter ou me donner une amende » dit-elle en le fixant. Elle s’interroge sur son âge. Une bonne décennie de plus se dit-elle. Même si au final elle s’en fiche. Manu finit par enchaîner, en regardant son poignet « Mhm pendant que vous allez changer la loi, moi je vais devoir créer un compteur qui pourra me renseigner sur combien de fois un homme a balancé sa phrase-type d’approche pourri à une femme. Parce que si je vous le demande, vous allez me répondre que je suis la première. Et on sait tout les deux que c’est faux » dit-elle d’un air non dénué de sarcasme.

Son sourire. La première chose qu’elle remarque chez lui. La première chose qu’elle regarde chez un homme. Ensuite, vient les yeux pétillants. Puis les oreilles, haïssant les oreilles décollées ou ayant le moindre petit défaut. Et les mains. Ce qu’elle scrute à cet instant, d’un air distrait. Doigts nus, dénués de toute alliance. Un sentiment de soulagement la submerge même si elle n’attends rien mais au fond elle aurait été déçu de savoir qu’il n’était qu’un parmi tant d’autres, de ces hommes mariés qui chassent la nuit à coup de sourire blanc et de ‘belles’ phrases toutes faites. Manu, espère toujours mieux des gens qu’elle croise dans son chemin. Espère toujours que ces gens ne se transformeront pas en déception, ou simple illusion éphémère qui l'amène à la réalité perfide. « T'aimes ça, porter des menottes ? », il la taquine. Elle sait qu’en avançant dans ce terrain là, ça peut aller loin, très loin. Trop loin. Et ça lui plait. Manu toujours à aller jusqu’à la limite, à même dépasser un pied au-delà. Et à s’arrêter. Ou du moins à essayer. Après tout ce n’est que des mots. Rien de plus. Un rictus amusé se dessine sur ses lèvres, mordant machinalement la lèvre inférieure, elle finit par répondre en acquiesçant « Mhm, plus s’est serré mieux c’est. » , elle enchaîne ensuite prenant l’air de réfléchir « Quoique le dernier en date s’est retrouvé avec un bon coup dans les cojones, donc à vos  risques et péril » dit-elle avec un clin d’œil. Sans préciser que le dernier en question était un véritable officier de police en face duquel elle s'était senti réellement insultée alors qu'elle n'avait strictement rien. Juste là, au mauvais endroit, au mauvais moment. « Oh non, si tu me l'avais demandé, je t'aurais dit clairement que c'était au moins la centième fois que je faisais le coup. Mais la plupart du temps, ça fonctionne. », ce ne serait mentir que de dire qu’elle n’appréciait pas sa réponse. Satisfaite, elle le montre en arborant un grand sourire. « Ah bon ça fonctionne ? A mon avis, c’est parce qu’il y a de moins en moins d’homme sur le marché que les femmes se montre si peu difficile. Elles prennent ce qui reste » siffle-t-elle avec un léger ricanement. « Je ne suis pas du genre à mentir sur mes intentions. Je peux t'offrir un verre, au moins ? Pour me faire pardonner de cette phrase d'approche bateau. » Elle ne réponds pas tout de suite. Le regarde se diriger vers le comptoir du bar. Au final, c’est ce qu’elle attendait. Mais c’est comme si une petit voix dans sa tête lui murmurait qu’elle ne devrait pas. Et le problème avec Manu, c’est que quand on lui dit qu’elle ne devrait pas, elle y va. Elle finit par le suivre et s’installer à côté de lui au comptoir. « Bon d’accord, j’accepte. Juste, un verre » Un verre, dit-elle. Comme pour se rassurer.

Habituellement, Manu arrive facilement à cerner les gens dès la première minute. A comprendre à qui elle a affaire. Mais comme toute généralité, il y a toujours des exceptions. Et c’est souvent ces exceptions qui la fascinent le plus. C’est ce qui se passe avec cet inconnu. Il l’intrigue. Elle veut en savoir plus. Il ne laisse peu de choses paraître, hormis quelques sourires enjôleurs et quelques rires. Le reste du temps, il montre un regard perçant et un visage figée. L’impression de se contrôler. Drague quelque peu bancale, mais ponctuée d’une plutôt grande confiance en lui. Elles s’en pose des questions Manu, des milliards. Mais les garde pour elle, attendant de voir la suite de la soirée. « Ce n'est pas un problème, j'aime les femmes de caractère. » Elle sourit machinalement « Tu as bon goût » décrète-t-elle. Se sentant plus à l’aise, elle décide que le tutoiement peut être mis vigueur à cet instant. « C'est plutôt parce que je leur promets une nuit qu'elles ne connaîtront qu'une fois dans leur vie. Et elles ne sont jamais déçues. » Elle étouffe un rire « J’espère réellement que tu plaisantes. Sinon ton cas est pire que je ne le pensais. En effet je confirme, elles se contentent de peu. » Elle enchaîne ensuite, « Et ta promesse elle tient à quoi ? C’est satisfait ou remboursé au moins. Genre, le temps perdu, tu le rembourses ? » Elle sait qu’il plaisante, elle rentre alors dans son jeu. La phrase du garçon est tellement cliché, qu’intérieurement elle se tords de rire, se rappelant le nombre de fois qu’elle a passé son chemin en entendant ce genre de parole. Elle déteste tellement la vanité, l’arrogance, la prétention. Toute est une question de ton. Peut-être que c’était vrai au final, la réponse restait en suspens.

Les voilà maintenant au comptoir du bar. Elle regarde le verre de l’inconnu. Un whisky. Elle ne peut s’empêcher de repenser à sa vie d’il y a quelques mois. Ces bouteilles de Jacks Daniels jonchant le sol d’un appartement miteux devenu sa prison. Ces bouteilles qu’elle vidait matin, midi, soir. Où l’heure n’existait plus. La plaie est encore bien ouverte due aux blessures récentes d’un moi intérieur devenu que fragilité. « Qu'est-ce que tu bois ? » Au lieu de lui répondre, elle préfère directement s’adresser au barman « Un malibu, s’il-vous-plaît ». Le temps qu’il lui serve son verre, l’inconnu finit par lever le voile sur une partie de son identité. « Au fait, moi c'est Ciàran. » La première chose que Manu se dit c’est que ce beau prénom lui va admirablement et elle s’en satisfait de pouvoir mettre un prénom sur ce visage intriguant. Elle décide alors à son tour de lever le voile sur son prénom « Manuella. Mais tout le monde m’appelle Manu ». Le verre servi, elle le tends vers Ciàran « A cette première rencontre » dit-elle en le fixant. Elle boit une gorgée ensuite, et repose son verre. « Alors sinon Ciàran parle moi de toi, tu viens souvent ici pour chasser de la minette ? » Manu dans toute sa splendeur, les paroles crus, francs, cashs. Elle emet un petit rire pour montrer que ce n’est que de la taquinerie.

Manu continuait à se poser des questions sur cet homme, elle sentait toujours le besoin de percer à jour chaque personne dès la première rencontre. Surtout depuis qu’elle s’était fait berné. Elle n’accordait depuis très difficilement sa confiance. Méfiante, certes, mais néanmoins jamais fermé à échanger, connaitre n’importe quelle personne croisant son chemin. « Tu devrais peut-être me donner des cours de drague. » dit-il amusé. « Je n’ai pas la prétention pour dire que je serai une bonne prof et d’une très grande utilité. Mais ça mérite réflexion, peut-être que je devrais me lancer là-dedans, comme j’suis en recherche d’emploi » dit-elle laissant échapper un rire franc.  « Ce n'est jamais du temps perdu, je n'ai jamais dû rembourser qui que ce soit. Mais si ça devait être le cas, j'offrirais un chèque cadeau. » Manu ricane légèrement. « Un bon cadeau, intéressant comme idée ». Au bar, Manu opte pour un malibu, un rhum au bon goût de coco. Elle voit bien que l’homme parait surpris de son choix, sans doute s’attendait-il à ce qu’elle le suive. Ce qu’elle aurait fait, un an auparavant.   « Un "malibu" ? Rien de tel qu'un bon whisky, tu ne sais pas ce que tu rates. » Oh si. Mais, elle ne le lui avouera pas. « Disons que j’aime les boissons qui me garantissant plus facilement qu’à la fin de la soirée je garderais toujours le contrôle sur moi-même  » répondit-elle. Ils finissent par se présenter. Ca lui fait bizarre de l’entendre prononcer son prénom entièrement, ça faisait longtemps qu’elle n’avait plus entendu quelqu’un l’appeler ainsi mis à part ses parents. « Je suis ici quelques soirs par semaine, du moins depuis mon retour. Mais pas seulement pour "chasser de la minette" mais pour l'ambiance que j'apprécie assez bien. »  répondit-il simplement à sa précédente question. « Et quel est la raison de ce retour ? Ca fait longtemps ?  » Peut-être qu’elle se montrait un peu trop curieuse, de toute manière il n’était pas forcé de répondre. « Et toi tu cherches quoi dans ce genre d'endroits ? » Naturellement, il lui renverse la question. « Bah normal, je cherche de la chaire fraîche à me mettre sur la dent pour remplir mon quota quotidien  » rétorqua-t-elle d’un air nonchalant, presque sérieux. Un sérieux qu’elle n’arrive à retenir bien longtemps. Amusée, elle finit par lui répondre sincèrement, tout en tapant la paille de son verre contre les glaçons, « Mhm.. Sans doute parce que j’aime m’amuser, danser, rencontrer de nouvelles personnes. Danser dans ce genre d’endroit me permet de relâcher la pression, oublier tous les tracas du quotidien. »

Ils continuent leur conversation, cherchant à en connaitre davantage sur l’autre. Ciàran s’interroge sur le secteur de recherche de la jeune femme quand celle-ci lui  confesse qu’elle était en recherche d’emploi. Manu a bien remarqué qu’il paraissait surpris. Sans doute parce qu’elle ne ressemblait en rien  à une adulte dans l’univers impitoyable du monde actif. Sans doute parce qu’à son âge, la majorité étaient encore dans les études. Cela ne l’aidait pas plus que Manu ne pouvait faire illusion et prétendre être plus âgée. Elle savait qu’elle possédait un visage enfantin qui ne pouvait duper personne. Elle paraissait son âge, même moins pour certains. « Je ne fais pas ma fine bouche, je recherche n’importe quoi qui ne demande de qualifications spécifiques, tant que ça me permet de louer un appart correct et de satisfaire mes besoins » réponds-elle simplement. Après le lycée, Manu s’était lancé dans le droit pour faire plaisir au paternelle mais au milieu de sa première année, elle arrêtée, aspirant à autre chose. Une vie de musicienne.  Une vie de bohème.  Néanmoins durant deux ans, elle a réussi à faire croire qu’elle continuait ses études. Qu’elle était acharnée. Alors qu’en fait elle passait plus de temps à boire à n’importe quelle heure, fumer tout ce qu’on lui donnait pendant qu’elle traînait dans les sales quartiers. Manu enchaîne « Pour l’instant tu peux me trouver souvent en journée à faire la manche sur la place publique à gratter sur ma guitare et chanter de vieilles reprises. Tu t’en doute que l’argent que j’accumule quotidiennement est à peine suffisant pour me payer le repas de la journée » dit-elle, un sourire doux au coin. Il va me prendre pour une pauvre petite SDF, se dit-elle, quelque peu amusée par l’idée. Car bien sûr, on était loin du compte. Manu venait d’une famille très aisée et avait le compte en banque plutôt bien fleurie qui allait avec. Malgré ça, elle voulait gagner et investir son propre argent , question de fierté. D’indépendance. Et plus que tout, elle voulait simplement assouvir sa passion. Au comptoir, Manu se justifie sur son choix et son « besoin de contrôle ». Elle se rends à compte à quel point elle a l’air rigide, crispée. « C'est une question d'habitude. Et puis, parfois, ça fait du bien de se laisser aller et de perdre le contrôle. »  Le visage de Manu finit par se détendre et elle finit par lui envoyé à son tour son sourire des plus ravageurs. « Tu as raison, il y a rien de mieux que de se laisser aller et de profiter des bons moments qui s’offrent à nous » susurre-t-elle.  « Le travail. Et ça doit faire deux semaines tout au plus. Et toi, tu es ici depuis longtemps ? »  Manu comme à son habitude, ne peut s’empêcher de questionner son interlocuteur. Et elle voit, que ça dérange. A sa manière de froncer les sourcils. D’y émettre une réponse brute manquant farouchement de détails. A sa façon de directement retourné la question. Ne lui laissant pas le plaisir de répliquer. Quoique. C’était mal connaitre Manu. « Non, tout comme toi je viens d’arriver récemment même si pour moi ce n’est pas un retour. Ca fait deux, trois semaines que j’ai atterri à Bowen » réponds-elle. « Et il consiste en quoi ce travail ? » s’interroge-t-elle tout en faisant tournoyer la paille dans son verre. Cette irrésistible envie de savoir jusqu’où elle pourrait aller avec ses questions avant qu’il déclare forfait. Elle a d’autres questions mais elle ne veut pas paraître trop assommante. Peut-être que c'est déjà le cas? Elle grimace soudainement. Puis hausse les épaules. « Désolé mais avec moi faudra s’habituer, je suis d’une nature profondément curieuse ». Manu se rends compte qu’elle agit face à quelqu’un dont elle prévoit que ce ne sera pas leur seule rencontre, alors que quelques minutes avant elle ne le voyait comme une simple rencontre d’un dragueur du dimanche – néanmoins charmant- , rencontre qui n’allait pas se prolonger.  « Et de combien est-il ce quota ? » Manu en rigole. Bien sûr que quand elle parlait de quota de chaire fraîche, ce n’était qu’une pure plaisanterie. Manu se plait à continuer de jouer. « 6,  en moyenne c’est un le matin, deux le midi parce-que je suis souvent affamée à ce moment-là, un l’après-midi et deux en soirée. J’préfère pas dévoiler mon chiffre de la journée, j’voudrais pas te faire fuir » siffla-t-elle, tout en brandissant et pointant vers lui la paille de son verre dont elle avait pris possession. Elle ne s’empâcha pas de rire de bon cœur. Déjà qu’il risquait de la prendre pour une SDF, elle ne voulait pas qu’en plus il la pense folle et nympho. « Et tu es contente des personnes que tu rencontres, Manuella ? » Elle sent bien que cette question n’est pas anodine, ça l’a fait d’ailleurs doucement sourire. Elle s’accoude au comptoir, le visage posé sur sa main, le buste penchée vers l'avant, étant un peu plus proche de lui. « Je n’en ai pas encore fait beaucoup mais jusqu’à présent, oui, j’en suis satisfaite » souffla-t-elle, charmée.