l'élégance du hérisson + annushka

Emrys déambule dans les différentes salles de l'exposition temporaire du musée de Bowen. Parfois il regrette un peu de ne pas s'être installé dans une ville un peu plus grande où il pourrait passer encore plus de temps dans les musées et les galeries d'art. A force il connaît presque par cœur le musée de la ville mais y retourne tout de même régulièrement, surtout lorsqu'il y a de nouvelles expositions où de nouvelles œuvres. Il lui arrive même d'y aller uniquement pour s'asseoir dans un coin et lire un livre, au calme.
Cette fois l'exposition concerne l'implication de l'Australie durant la guerre froide et plus particulièrement dans la guerre du Viet-nam. Il y a des photos à côté desquelles se trouvent des explications sur le conflit en général et sur l'origine des différents clichés. Emrys adore l'histoire, ce n'est pas par hasard qu'il a fait un doctorat en histoire et qu'il est à présent professeur d'histoire, c'est une véritable passion pour lui.
Il n'y a pas beaucoup de monde, à croire que ça n'intéresse pas beaucoup de gens l'histoire de l'Australie durant la guerre froide. Il finit par s'asseoir sur un banc situé au milieu de la pièce, devant un immense cliché de soldats Australiens, en noir et blanc. Il l'observe mais son esprit fini par divaguer.

Annushka n'avait toujours pas de travail, en dehors de donner des cours de danse de temps en temps. Il faut dire qu'elle était toujours momentanément handicapée. Enfin, à présent, elle se déplaçait avec une bottine, sous l'accord de son physiothérapeute, et non plus avec des béquilles, mais elle voulait attendre d'être totalement rétablie avant de penser à une éventuelle reconversion.
Elle avait donc, somme toute, beaucoup de temps libre et elle en profitait donc pour aller dans des musées ou à des expositions. Aujourd'hui, elle avait vu qu'il y avait une exposition au sujet du rôle de l'Australie pendant la guerre froide. La brunette s'était dit que c'était la moindre des choses que de se renseigner quant à l'histoire de son pays d'accueil.
Consciencieuse, Annushka avait lu tous les textes explicatifs que comportaient l'exposition, même si elle n'était pas sûre de tout saisir, parfois son anglais lui faisait un peu défaut. Une fois qu'elle eut l'impression d'avoir fait le tour, elle alla s'installer sur un banc qu'un homme occupait déjà. Il semblait un peu ailleurs ce qui amusa la Russe.

-Eh bien, je crois que nous n'étions pas du même côté pendant la guerre froide.

Elle était une personne extrêmement sociable et ne pas avoir parlé aux personnes l'entourant pour lire et surtout ne déranger personne pendant autant de temps commençait à lui peser.

Emrys était tellement perdu dans ses pensées, le regard fixé sur la photographie, qu'il ne sentie même pas le cuir bouger à côté de lui, signe que quelqu'un venait de s'asseoir sur le banc. Il regagna la réalité que lorsqu'une voix l'interpella lui disant qu'ils n'étaient pas du même côté durant la guerre froide. Il reconnu l'accent russe de la jeune femme, qui n'était pas très compliqué à déchiffrer. Il esquissa un minuscule sourire, légèrement amusée par la situation. « vous en êtes sûre ? » répliqua-t-il en russe. Les langues sont, avec l'histoire, sa spécialité. Il adore en apprendre de nouvelles ainsi que de nouveaux accents. Le russe n'est pas celle qu'il maîtrise le mieux mais il la parle tout de même quasiment couramment et surtout, sans aucun accent étranger. Le jeune homme aime bien faire ce genre de blagues qui ne font rire que lui, faire semblant d'être russe, italien, chinois, japonais ou même australien en parlant quasi tout le temps avec un accent australien. « en vrai je suis anglais, donc effectivement je crois bien que nous n'étions pas dans le même camp. » ajouta-t-il quelques instants plus tard avec cette voix sa vraie voix et son accent anglais-français.

En entendant des mots et un accent russe sortir de la bouche de son tout nouvel interlocuteur, Annushka écarquilla les yeux. Elle ne s’attendait pas une seconde à ça. Il n’avait réellement pas le physique d’un Russe. Ce qu’elle pensait était sûrement un peu sectaire mais enfin…

-Vous…

Sur le coup de la surprise, elle n’avait pas réfléchi une seule seconde et c’était sorti en russe. On ne pouvait pas dire qu’elle jonglait entre les deux langues aisément, elle n’était pas encore tout à fait fluide dans son anglais, mais elle passait très rapidement de l’anglais au russe. C’était sa langue maternelle après tout, on ne se refait pas.
Quand il lui avoua être Anglais, Annushka resté muette, comme hébétée pendant quelques minutes avant de secouer la tête, se forçant à lui faire un sourire amusée, décidément, elle était trop naïve. Elle se faisait toujours avoir par ce genre de blague.

-En tout cas, vous avez l’air de parfaitement maîtriser la langue.

Elle n’avait pas eu l’impression qu’il réfléchissait une seule seconde à ce qu’il allait dire, alors que elle, parfois, avec l’anglais, ça lui arrivait encore.

-Je m’appelle Annushka, et vous ?

Il lui dit ça avec un grand sourire, essayant de rattraper ce qu’il venait de se passer.

C'est le genre de truc qui fait rire Emrys mais il doit bien être le seul. Modifier son accent pour faire croire qu'il a telle ou telle origine, parler une autre langue. Enfin s'amuser avec les langues quoi. Déjà ce n'est pas à la portée de tout le monde et puis c'est totalement stupide.
La demoiselle sembla surprise, si bien qu'elle sortit un mot russe. Lorsqu'il lui révéla la supercherie elle lui dit qu'il semblait très bien maîtriser l'anglais. « excusez-moi, c'était stupide de faire ça. » s'excusa-t-il sans qu'on l'y invite. Parfois il se rend compte qu'il fait des choses qui n'amusent que lui et il n'a pas envie que la jeune femme se sente stupide, blessée ou quoi que ce soit alors il préfère s'excuser.
Par la suite elle se présenta sous le nom d'Annushka ce qui ne peut laisser aucun doute sur ses origines, outre l'accent. « Emrys. » dit-il simplement avant de retourner son regard vers la photographie. « vous aimez l'histoire ? » demanda-t-il alors. Si elle lui dit que oui, il sera très heureux d'en parler avec elle et sinon tant pis, si l'un des deux souhaite poursuivre la conversation ils pourront toujours parler de l'exposition qu'Emrys trouve fort intéressante.

La brunette secoua la tête de gauche à droite alors qu'il s'excusait. Elle n'avait pas besoin de ça. Elle avait été surprise mais elle ne lui en voulait pas. Au moins maintenant elle savait qu'il parlait russe et c'était assez amusant, et même plutôt agréable pour elle. C'étai assez rare de trouver ce genre de personne à Bowen et partager des moments dans sa langue natale était quelque chose qui la rendait particulièrement heureuse.

-Ne vous excusez pas.

Elle hocha doucement la tête quand il se présenta.

-Enchantée.

Elle suivit ensuite son regard et acquiesça d'un mouvement de tête à sa question.

-Oui, ça a généralement un lien étroit avec l'art. Et vous ?

Emrys trouva la demoiselle plutôt gentille, elle ne lui en voulait pas d'avoir fait sa blague stupide. Une partie des gens lui en aurait voulu mais pas elle. « enchanté également. » répondit-il par politesse. La jeune femme répondit ensuite à sa question. Elle aime l'histoire mais aussi l'art ce qui est une assez bonne nouvelle pour le jeune homme qui aime ça aussi. Après il se doute que si elle est venue jusque là c'est qu'elle aime un minimum ça. Elle ne se serait probablement pas enfoncée dans une exposition sinon. « oui, c'est une des mes passions. En fait je suis professeur d'histoire à l'université. » dit-il en réponse à sa question. Il apprécie toujours rencontrer des personnes qui partagent sa passion et avec qui il peut en discuter sans problèmes et même avoir parfois quelques débats avec ceux ci. Malgré tout il est parfois risqué d'avoir un débat avec lui car il a parfois du mal lorsqu'on est pas de son avis lorsqu'il s'agit de l'histoire. Il peut être une vraie tête de mule quand il veut. « vous appréciez l'exposition ? »

Annushka eut un large sourire quand il lui confia être également enchanté. Puis quand il lui avoua être professeur d'histoire, la brunette fut très impressionnée. Elle fit d'abord de grands yeux, ne s'attendant pas vraiment à cette réponse, avant de lui sourire, enthousiaste.

-C'est vrai ? Ca doit être passionnant comme métier !

Annushka s'imaginait bien, au premier rang, écouter le professeur leur parler de sujets passionnants. Sûrement que l'étudier aurait été fastidieux pour la brunette, néanmoins se contenter d'écouter lui plaisait beaucoup plus. Les études, ça faisais bien longtemps qu'elle les avait arrêté alors avait du mal à se transposer.
A sa question, elle hocha positivement la tête. C'était un peu étrange comme exposition à vrai dire, enfin, pour elle. C'était un point de vue différent de celui dont elle avait l'habitude.

-Oui, ça me fait découvrir des choses. C'est pas toujours facile de passer pour les méchants...

La demoiselle semblait aimer le métier d'Emrys puisqu'elle lui répondit que ça devait être passionnant d'être professeur d'histoire. « oui ça l'est. Même si tous les élèves ne sont pas forcément toujours très attentifs. » lui répondit-il en repensant aux cours qu'il donne chaque jour devant des amphis remplis d'élèves plus ou moins intéressés par ce qu'il raconte. « si jamais cela vous intéresse vous pouvez toujours venir assister au cours. » comme il s'agit de l'université, tout le monde peut plus ou moins rentrer comme il veut. Et puis elle doit avoir l'âge d'une étudiante donc elle se fondra parfaitement dans la masse.
Emrys lui posa ensuite une question sur l'exposition, elle lui répondit qu'elle avait appris des choses mais que ce n'est pas toujours facile de passer pour les méchants soviétiques. Lui a toujours vécu dans le bloc des États-Unis, que ce soit en Angleterre ou en France. Et c'est vrai que les soviétiques ainsi que le communisme étaient vraiment très mal vus. « Vous avez vécu en URSS ? Vous vous souvenez de la vie là-bas ? » demanda-t-il curieux. Lorsqu'il s'agit de l'histoire il est toujours curieux.

Annushka eut un doux sourire à sa remarque. Oui, ça ne l'étonnait guère au fond.

-C'est vrai qu'ils ne doivent pas tous êtes intéressés. Je suppose que c'est pareil dans toutes les matières.

La brunette eut un petit rire à sa proposition. C'était sûrement sérieux mais... repasser sur les banc de l'école, c'était vraiment un concept étrange. Elle le regarda avec un sourire un peu amusé.

-Je retiens votre offre, mais je ne suis pas sûre d'être très à ma place là bas.

En URSS, oui, on pouvait dire les choses ainsi. Enfin non, elle était tout de même née après la chute du mur de Berlin, alors elle ne considérait pas vraiment son pays comme l'URSS.

-Je suis née et ai vécu à Moscou. Je vis ici depuis tout juste un an. Et vous ?

Elle se doutait bien que lui était plutôt de l'autre côté du monde. Mais peut-être avait-il fait des voyages par chez elle pour apprendre sa langue ?

La jeune femme rassura Emrys en lui disant que c'est normal si tout le monde n'est pas intéressé, il n'est pas le seul professeur qui n'arrive pas à passionner un amphi entier. Elle lui répondit ensuite qu'elle retenait son offre mais n'était pas sûre de se sentir très à sa place dans un cours à l'université. « Si je suis sûr que vous serez très bien. » dit-il pour l'encourager. Il ne fait pas ça pour ramener quelques personnes intéressées de plus à son cours mais parce qu'il est persuadé que ça pourrait vraiment plaire à la jeune femme. Et puis si ça se trouve elle est peut-être étudiante, il en sait rien. En tout cas il ne l'a jamais croisé à l'université mais ça ne veut rien dire, il y a beaucoup de monde là-bas et en dehors de ses cours il n'y passe pas beaucoup de temps.
Emrys lui demanda ensuite si elle avait vécu en URSS durant la guerre froide. Elle avait l'air jeune mais sait-on jamais. Elle confirma être russe et être arrivée ici il y a peu. Il supposa donc qu'elle n'avait pas connu la vie en URSS sinon elle l'aurait probablement évoquée. « Je suis franco-britannique et je suis arrivé il y a un peu moins de trois ans. » répondit-il sincèrement. A présent il ne voyait pas grand chose à ajouter, n'étant pas réellement bavard à l'origine.

Il semblait vouloir l’encourager à aller à l’université. C’était gentil, néanmoins la brunette n’était pas sûre que ce soit réellement une bonne idée. Enfin, peut être devrait-elle essayer ? Et pourquoi pas reprendre des études ? Non elle était certainement trop vieille à présent. Et puis elle n’était pas du genre studieuse si elle ne trouvait pas quelque chose qui l’intéressait vraiment. Voilà à présent il l’avait toute embrouillée.

-J’y réfléchirais.

Ils parlèrent ensuite dans leurs origines et il lui dit être franco-britannique. Elle acquiesça d’un petit signe de tête, se remémorant un moment ses tournées à Paris et à Londres. C’était vraiment beau. Puis elle secoua la tête avant de relever les yeux vers lui avec son éternel adorable sourire.

-Et comment est-ce que vous avez appris le russe ?

Emrys tentait de convaincre la jeune femme de venir assister à l'un de ses cours à l'université, elle lui répondit qu'elle réfléchirait à sa proposition. Il s'en contenta se disant que c'est déjà mieux que rien. Et puis il n'allait pas non plus la forcer à venir à ses cours, si elle ne voulait pas c'est son droit.
La jeune femme lui demanda ensuite où il avait appris le russe. En effet il a vécu en France et en Angleterre, pas vraiment des pays où le russe est une langue très parlée. « En réalité j'ai toujours aimé les langues. Depuis que je suis enfant j'en apprends et il se trouve que le russe est une de celles que j'ai appris en premier, mon école en proposait. » C'est surtout grâce à sa professeur de russe de primaire qu'il a découvert son amour pour les langues et l'envie d'en apprendre le plus possible. « J'ai aussi beaucoup lu et regardé de films en russes par la suite pour me perfectionner. » ajouta-t-il simplement, comme ci c'était normal d'être plus que bilingue.

Annushka hocha doucement la tête à ses explications. Elle ne se souvenait plus des langues que proposaient son école quand elle étudiait encore. L'anglais, ça oui, et heureusement qu'elle l'avait appris mais pour ce qui est du reste... Elle n'avait jamais appris de langue comme le français ou l'espagnol.

-Je ne savais pas que le Russe était couramment proposé dans les écoles d'Europe. C'est... valorisant.

L'ex-ballerine fit alors un doux sourire. D'un certain côté ça voulait dire que son pays était reconnu mondialement et même si elle n'en avait jamais douté en avoir des preuves était toujours agréable.
Quand il lui parla de la littérature et de la filmographie russe, le sourire d'Annushka s'agrandit encore.

-J'aime beaucoup la littérature de mon pays ! Même si c'est souvent des œuvres très longues... Mais elles en valent le coup.

Après tout, quand on avait été ballerine, on ne faisait qu'un avec la culture et les arts russes en général. La jeune femme vouait une admiration aux auteurs russes et encore plus aux compositeurs sur lesquels elle avait dansé.

Toutes les écoles anglaises ne proposent pas le russe mais dans celle d’Emrys, c’était le cas mais en option. Entre ça et un enseignement approfondi en science, son choix a été rapide. « Certaines écoles le proposent mais il est plus courant de voir du français ou bien de l’espagnol. » répondit-il avec un hochement de tête. Seulement, étant français, il n’avait pas envie de prendre une option où il allait s’ennuyer et ne rien apprendre. Il trouve en plus, le russe très intéressant et avec un alphabet différent, c’est encore plus un challenge. Et il aime bien relever des petits défis personnels en ce qui concerne la connaissance et la culture, il a toujours voulu en apprendre plus.
Emrys expliqua ensuite avoir perfectionné son russe en lisant des œuvres du pays en langue originale, la jeune femme lui répondit qu’elle aime beaucoup la littérature de son pays même si les œuvres sont longues. Le jeune homme hocha la tête, lui qui adore Tolstoï et plus particulièrement Anna Karénine. Effectivement le livre est long, très long, trop long selon certains mais pour lui ce n’est pas le cas puisqu’il voue littéralement un culte à ce livre. « Oui c’est sûr que cela peut en décourager certains mais ce sont de très beaux romans qui valent la peine d’être lus. » répondit-il en regardant la jeune femme avec un mince sourire.