spirits in my head + libre

Je suis devant cet expresso allongé le regard rivé sur cette feuille de papier qui contient maintenant quatre cases. La première : « Carrière » celle qui me préoccupait maintenant depuis quelques temps. Je me mordillais la lèvre en y songeant. Devais-je faire le grand saut? Après tout, je n’en avais pas la moindre idée. La médecine? Les ambulanciers? Je rajoutais le mot médecine tout près, puis le mot études. Je n’étais pas doué pour les décisions d’envergure. Je ravalais le tout. La deuxième boîte contenait le terme « Famille ». Les deux noms y étaient déjà inscrits : Alana et Joshua. Ma sœur et mon frère respectivement. Avec Josh c’était encore tendu et Alana... restait Alana. Je soupirais et je rajoutais le terme Maman à côté. Puis je rajoutais le terme « Enfant » un peu plus bas. Étais-je déjà rendu à cette étape? Étais-je trop vieux pour la considérer? J’étais devant une feuille qui me mettait la réalité en pleine figure. Je me mordillais la lèvre un peu plus fort cette fois-ci. Bordel. Troisième case, comme si le châtiment n’était pas assez terrible. « Amis » Et étrangement, je ne mettais pas le nom de Josh. J’avais envie d’ajouter celui de Conchobàhr, ce que je fis. Puis je rajoutais patiemment le nom de Lou, puis celui de Grace ponctué d’un point d’interrogation. Ambre également allait en faire parti, tout comme Axten. Et Lily-Anaëlle avec trois points d’interrogations parce que j’avais plus aucune idée d’où ça en était rendu. Bordel, c’était le chaos. Et la dernière case ne contenait qu’un seul mot, un nom féminin. Aisling. La case restait blanche en dehors de tout ça. Silence. Silence. Silence. Je bois un peu d’expresso et j’ai pas la foutue moindre idée d’où je me dirige avec cette feuille.

Toujours cette même question, continuer ainsi ou virer totalement de bord, changer de vie et se reconstruire encore et toujours ? Elle croyait qu'en venant à Bowen ces questions disparaîtraient mais elles n'avaient fait que s'amplifier. Elle avait beau essayer de se pousser à être plus ouverte et plus sûre d'elle, elle n'arrivait pas à être objective et à trouver un sens à sa vie depuis l'accident. Assise devant son café, elle tournait machinalement, depuis bien trop longtemps, sa cuillère dans sa tasse, le regard dans le vide mais des questions plein la tête. Quand Callie sortit de sa rêverie pour enfin boire son café, il était déjà froid. Depuis combien de temps elle était assise là ? Elle n'en avait plus aucune idée. Elle avait fait abstraction de tout ce qui l'entourait pour se plonger dans des questions bien trop douloureuses. A la table à côté, ce n'était plus le couple très - trop - heureux qu'elle avait trouvé là en arrivant, mais un homme face à une feuille de papier avec une mine tout aussi désespérée qu'elle. De là où elle était, elle n'arrivait pas à discerner ce qui pouvait bien être écrit dessus, mais en soi, ce n'était pas ses affaires. Pourtant, elle avait besoin de parler. Peu importe de quoi, mais elle avait besoin de combattre la solitude et de sortir de sa zone de confort. Cela était presque devenu vital en somme. « Vous aussi la vie est bien trop compliquée en ce moment ? » Elle ne savait pas ce qui lui avait pris. Ce n'était pas son genre d'aborder des inconnus. Mais parfois, être face au malheur des autres aidait à relativiser, peut être était-ce ce qu'elle avait inconsciemment pensé.

Alors que je jouais avec mon stylo distraitement, une brunette apparaissait sous mes yeux. Je levais le regard alors qu’elle me demandait si la vie était réellement compliquée. J’échappais un rictus.« Bienvenue dans le club. » lui dis-je simplement en la détaillant du regard. Elle était belle, peut-être un peu trop jeune, mais belle. Et je me sentais coupable de tout ça... coupable de la trouver belle, coupable de penser à Aisling qui pourtant était beaucoup plus jeune. « Je vous offre un café pour vous stimuler ou une tisane pour décompresser? » lui demandais-je doucement avec un fin sourire aux lèvres. Je ramassais mes feuilles en attardant le coin du regard sur Aisling et bordel que j’me trouvais con. Je ne pouvais pas en faire autrement. J’voudrais pas flirter avec cette nouvelle brunette, d’un côté, je m’en voulais déjà d’avance et de l’autre, j’avais qu’envie de me distancer de tout ça. « Qu’est-ce qui vous tracasse? » lui demandais-je curieux. Je lui montrais la place en face de moi en l’invitant à s‘asseoir et s’y installer. Je regardais ma tasse d’expresso silencieusement en me demandant si un autre breuvage pourrait m’aller. J’aurais bien besoin d’un scotch pour me détendre, mais j’ai bien peur qu’il en fasse tout autrement. Je regardais la brunette en attente de plus d’explications.

L'homme avait eu l'air surpris en entendant Callie lui adresser la parole mais il ne laissa plus rien paraître par la suite. Il invita même Callie à venir s'asseoir, ce qu'elle s'empressa de faire pendant qu'il se dépéchait de ranger ces feuilles qui semblaient tellement le préoccuper il y a quelques secondes. Elle était bien curieuse de ce qui pouvait bien s'y trouver mais elle ne demanda rien. « Je veux bien un autre café, ça ne pourra me faire que du bien. » Elle avait bu le premier sans trop s'en rendre et elle était bien décidée à profiter de celui-ci ! En même temps, ce n'était pas avec un café qu'elle allait pouvoir oublier ses idées noires. « Hum, il y a tellement de choses tordues dans ma vie en ce moment. Déjà, il y a mon boulot... » Est ce qu'elle était vraiment prête à l'abandonner sur un - presque - coup de tête ? Est ce que c'était raisonnable surtout ? Mais elle n'en avait encore parlé à personne pour le moment à part avec Tessa pour sa période d'essai. « A vous maintenant. Qu'est ce qui va le plus mal dans votre vie en ce moment ? » Ses yeux étaient plongés dans ceux du blond, attendant sa réponse, bien décidée à gagner au jeu de celui qui était le plus malheureux.

Elle venait d’accepter mon offre de café et je hochais la tête positivement alors que je commandais le tout à une serveuse qui venait tout juste de passer pour commander un nouveau café pour elle et pour moi. Mon expresso n’avait plus qu’une lisière qui se refroidissait à vue d’œil. La jeune femme ne tardait pas à me dire qu’il y avait un bon nombre de choses tordues dans sa vie et je ne pouvais pas réprimer mon sourire compatissant puisque je vivais la même chose. « Je vous ai déjà dit bienvenue dans le club, je ne sais pas quoi ajouter de plus. » Elle commençait avec son boulot, je fronçais les sourcils. « Votre boulot? Que faites-vous dans la vie? » lui demandais-je alors que j’étais le premier en réorientation professionnelle. « À vous maintenant. Qu’est-ce qui va le plus mal dans votre vie en ce moment? » Moment de silence, regard dans le vide sans trop saisir quoi répondre à cette question. J’avais finalement eu une idée de quoi répondre. « En fait... Je vous dirais plutôt que ma santé se porte bien. C’est sensiblement la seule chose qui se porte bien. » lui admis-je platement en me frottant le derrière de la tête. Ce n’était pas mon genre de m’ouvrir si facilement et pourtant, je venais de le faire. « Vous savez quand vous perdez... la moitié de vous-même? » dis-je sans trop comprendre où moi-même je m’en allais. « Quand vous vous disputez et que vous vous séparez et que depuis votre naissance, jamais vous n’avez été séparés? » Je n’osais plus la regarder dans les yeux. « Et que maintenant, vous êtes à 8 heures et 37 minutes de distance, si ce n’est pas plus. » lui avouais-je en haussant les épaules. Comment dire que mon jumeau s’était tiré de Bowen sur un coup de tête? Il fallait connaître Josh pour comprendre, c’était un point. J’ignorais si elle allait comprendre, mais moi j’me comprenais, c’était l’essentiel, non?

Une fois le café commandé, la curiosité de l'un et de l'autre fit fusé une petite quantité de questions et réponses. Et pas forcément celles auxquelles elle avait pu penser. « Je suis infirmière. Mais je sais plus si j'ai fait ce choix de vie pour les bonnes raisons... »   Mais elle n'avait pas le droit de se plaindre. Ou du moins elle ne se l'autorisait pas. Certains n'ont même pas de travail et elle, elle en changerait bien et serait prête à le quitter sur un coup de tête. Et peut-être qu'elle et son voisin de table allaient bien niveau santé mais ce n'était pas le cas de tout le monde. « Et vous, vous faites quoi ? » Lorsqu'il commença à parler de ce qui le préoccupait, ses paroles firent immédiatement écho en elle. Elle en oublia presque de respirer. Une moitié. Une part de soi-même. Un manque intersidéral. Oui c'était cela qu'elle ressentait aussi. Depuis presque 4 ans. Sauf qu'elle c'était définitif. Quatre ans qu'elle était seule. « Je comprends trop bien ce que vous ressentez. » On dit que les malheurs rapprochent les gens. Mais pour la complicité entre jumeaux, seuls ceux qui étaient concernés pouvait comprendre ce que la séparation faisait. « Nous ce ne sont pas 8 ou 9h qui nous séparent. C'est toute une vie. » C'était sorti tout seule. Elle n'avait pas dit cela pour le blesser, ni pour le faire culpabiliser, loin de là.  Elle n'avait pas forcément envie de ressasser encore et encore l'accident et encore moins d'en parler à inconnu mais la simple idée qu'il puisse être dans la mesure de comprendre la puissance du manque qu'elle ressentait chaque jour la poussait à se livrer. « Il s'appelait Samuel. » Un court silence suivit, heureusement rapidement interrompu par l'arrivée des cafés. Et machinalement, elle attrapa la cuillère et recommenca à la tourner dans sa tasse, songeuse.

Elle était infirmière. « Et les raisons ce sont lesquelles? » lui demandais-je gentiment pour faire la conversation, mais aussi parce que j’étais avide de ce qu’elle me disait. Surtout curieux, en fait. Parce qu’au final, qu’elles soient bonnes ou non, elles restent des raisons. « Et vous, vous faites quoi? » J’avais un fin sourire aux lèvres. « Je suis pompier, mais je sais plus si j’ai fait ce choix de vie pour les bonnes raisons... » avais-je alors dit. Les mêmes mots, identiques. J’étais troublé par cette rencontre, pratiquement bouleversé par ce qui me semblait être une personne au même point que moi. « Je comprends trop bien ce que vous ressentez. » Je ne croyais pas qu’elle puisse comprendre, peu de gens avaient des jumeaux et le lien des triplets devait être bien différent. Et statistiquement, n’en parlons pas... Je remarquais sa respiration changer, tout comme la mienne. Je l’écoutais alors que toute une vie les séparait... Au départ, je me faisais un peu plus silencieux et je me mordillais la lèvre. « Je suis désolé. » Avoir gérer autant de décès, de sauvetages périlleux et là, devant une simple inconnue dont j’ignorais le nom, j’éprouvais de la sympathie et de la compassion. Et de l’incompréhension aussi parce que toute une vie... C’est la différence mentale, physique et je ne savais pas si j’avais bien interprété le tout. Lorsqu’elle m’annonçait le prénom au passé, je comprenais. Tout prenait son sens. Les cafés arrivaient et je remerciais la serveuse en prenant soin de tout payer. Je regardais la demoiselle tourner sa cuillère dans son café, obnubilé par le liquide et son tourbillon. « J’aurais jamais cru que quelqu’un aurait pu comprendre... Ni même s’imaginer quoi que ce soit. » lui avouais-je simplement, désarmé et je haussais les épaules. « J’ai un froid avec l’autre moitié de moi alors que la troisième est dans un coma depuis quelques années. » Deux ans, deux mois et trois jours très exactement. La mémoire n’est pas une faculté qui oublie dans mon cas. C’était souffrant et pour la première fois, j’avais l’impression que quelqu’un pouvait rétablir une partie de cette souffrance sans même dire un mot. « Chase. » annonçais-je toujours en baissant un peu plus cette garde.

Elle ne pu s'empêcher de sourire. Quelle était la probabilité qu'ils soient dans le même cas tous les deux ? Maintenant qu'elle le disait, les pompiers passaient souvent à l'hopital et elle l'avait peut être déjà entre aperçu au détour d'un couloir. « Ce n'était pas le métier que je voulais faire à la base. J'y ai été contrainte car les études n'étaient pas trop longues et que j'avais besoin de temps pour la journée. Mais maintenant, je n'en peux plus de voir le malheur des gens. Et vous ? » Elle replongea les yeux dans son café pour cacher son trouble. Elle était presque sidérée devant ses paroles, la respiration sacadée. Jamais en posant cette simple question elle ne pensait tomber avec quelqu'un qui avait une histoire si proche de la sienne. Cela faisait même peur. Elle se trouvait presque devant un miroir. Cela voulait dire que le monde était injuste avec beaucoup trop de monde.  « Je connais aussi ce que c'est d'attendre qu'on se réveille d'un coma. » Elle ne voulait pas lui miner encore plus le moral, mais en même temps c'était son histoire à elle aussi. Tous les comas ne sont pas comme celui de son frère, mais elle se devait de lui dire.  « Celui de Samuel a duré 3 ans un mois et 5 jours. » Elle ne rajouta rien de plus. Il comprendrait ce qui s'était passé. Il devait être prêt à ce qu'un coma soit irréversible. Ce qu'elle ne souhaitait à personne de vivre. Elle serait prête à déballer sa vie de long en large à cet inconnu qu'elle semblait trop bien connaître et même si cela l'effrayait, elle avait envie de savoir, de partager des expériences que personne d'autres ne pouvaient comprendre.  « Callie. » Elle releva les yeux de son café pour les plonger dans ceux de Chase, se demandant presque ce qu'elle faisait là.

Je n’avais sans doute jamais remarqué véritablement la dite infirmière puisque je retenais chaque visage que je croisais. Enfin bon, c’était sans importance. Elle me racontait qu’elle y avait été contrainte et je hochais la tête, sympathisant. « J’ai suivi mon frère dans ses aventures pour veiller sur lui, plutôt que de me consacrer à mes propres passions. » lui dis-je simplement en haussant les épaules. Je ne parlerais pas de ce talent que j’avais concernant ma mémoire. Mais au final, je ne pouvais pas trop me plaindre de cette situation, je l’avais fait en étant conscient de la réalité. Je l’avais fait en tirant mon épingle du jeu. « Une infirmière est sensée apporter des soins et un peu de réconfort, pas du bonheur, ni des illusions. » commentais-je sans expression. Le nombre que j’avais vu passées à Sydney auprès d’Alana, ça me rendait toujours fou. Et la différence était notable. Elle ne tardait pas non plus à connaître l’histoire du coma de ma cadette. Je hochais la tête, compréhensif. « La chose la plus horrible. » commentais-je une fois de plus perdant mon regard dans un cadre de latte Art non loin de nous, le détaillant au maximum. Elle me confiait que celui de son frère avait duré plus de trois ans, ce qui me laissait deviner l’issue de toute cette histoire. « Mes condoléances. » lui dis-je en retournant mon regard bleuté vers le sien. J’en souhaitais tout autrement d’Alana et je me croisais les doigts lorsque je repensais à mon père qui avait sans doute quitter ce bas monde un peu trop tôt. Finalement, je pouvais mettre un prénom sur son doux visage : Callie. Je lui faisais un petit sourire. « Et ton plan pour la suite, c’est quoi? » lui demandais-je réellement curieux concernant son emploi, son frère aussi. J’avais presque envie de ressortir mes feuilles de papier pour lui en donner quelques unes à cette femme aussi confuse que moi.

Son histoire était un peu similaire au niveau du travail finalement. Suivre son jumeau ou changer d'idée à cause de lui, la finalité était la même. L'un agit, l'autre suit. Cependant, sa remarque sur son travail d'infirmière la fit grincer des dents. Non , elle n'avait jamais essaye d'apporter des illusions. Elle avait toujours voulu être sincère qui à ce que sa vie personelle à elle en patisse. C'était ça le problème, elle donnait trop aux gens et se gachait seule la vie. « Je suis quelqu'un qui est du genre à me donner à 200% pour mes patients. Ce n'est pas leur santé et leur moral qui en prends un coup, c'est indirectement le mien qui souffre. » Ou plutôt qui continuait de s'enfoncer dans les abîmes. Elle le remercie d'un sourire, un sourire dédié à son frère en fait. Il serait fière qu'elle évoque son décès sans fondre en larme ou perdre la voix depuis quelques temps. C'était une grande avancée dans son processus de deuil. Pourvu que le dénommé Chase n'ait pas à souffrir de la même manière. Elle attrapa sa tasse et bu une gorgée, plutôt contente de dévier légèrement de sujet. « Je fais un stage pour devenir masseuse en fait. Mais pas sûre que ça finisse par me plaire. » Elle s'était jetée corps et âme dans le salon de Tessa après sa proposition, mais elle avait agit un peu vite. Parce que finalement, après avoir réfléchit plus longuement à la question, être masseuse, c'était aussi parler avec les gens. Et écouter leurs malheurs. Ce qu'elle repoussait donc. Du coup, retour à la case départ. « Et toi tu comptes attendre que ton frère revienne chez les pompiers ou bouger et voguer vers de nouvelles horizons ? »

Callie s’ouvrait maintenant en me confiant qu’elle se donnait beaucoup. J’avais hoché la tête, compréhensif, une fois de plus. C’était le moral de la brunette qui écopait du reste. Je l’écoutais silencieusement. « Il y a une distanciation difficile à faire, j’en conviens. » avais-je répondu en me disant que de mon côté, j’y arriverais. Ou plutôt que j'étais un cordonnier mal chaussé... J'étais le premier à apporter des peluches aux enfants malades de l'hôpital, le premier à réconforter les parents, ceux qui n'avaient plus rien. Je remettais tout en question et je souhaitais profondément que cette deuxième carrière fonctionne réellement. Callie me semait néanmoins un doute. Je buvais une gorgée de café, attentif à la blonde. Je l’analysais par le fait même. Je lui rendais son sourire en écoutant ses nouvelles péripéties. « Ah non? » demandais-je, intrigué alors que je me disais que j’aurais bien voulu être son cobaye, tout tester. Mon dos aurait été à sa disposition lorsqu’elle le désirait! À sa question, je secouais la tête négativement et je me mettais à jouer avec ma tasse. « Mon frère est une tête brûlée, l’attendre serait un synonyme de perte de temps. » lui confiais-je en haussant les épaules. C’était une toute nouvelle réflexion qui n’était pas tout à fait fausse. « Les nouveaux horizons sont très... nébuleux pour le moment. » dis-je alors que j’affichais toujours cette mine songeuse. « Je pourrais monter dans la caserne... J’ai le potentiel pour. Je pourrais également devenir médecin. » lui dis-je en haussant les épaules. Je me disais qu’intérieurement, je donnerais raison à tout le monde. J’aurais perdu des années de mon temps, le retour aux études serait sans doute très difficile. Étais-je prêt à faire ce saut et réaliser les sacrifices qui s’y rattacheraient? Ça voudrait dire de mettre la famille de côté, de mettre mes envies de paternité de côté et surtout la personne qui devrait m’accompagner. Je soupirais bruyamment à cette pensée. Je voyais les feuilles dans ma tête et j’avais beau tenter de les chasser, ce serait inutile. « Désolé. » lui dis-je alors en rebaissant les yeux vers ce café dont je prenais une gorgée.

Un sourire. Ils se faisaient plutôt rare. Alors autant essayer de continuer. « Je sais pas, j'aime bien ça, je trouve ça apaisant pour celui qui masse aussi. Mais me retrouver régulièrement avec des petites vieilles qui me racontent leur vie et des détails que j'ai pas forcément envie de savoir je suis pas sure de supporter non plus ! » En trois jours de formation elle avait déjà entendu de sacrés anecdotes. Quand on est détendu, on s'ouvre plus à la confession.. peut être même trop parfois !  « Je comprends. » Il fallait parfois faire certains choix, apprendre à se détacher de son jumeau. Ce qu'elle avait fait aussi d'une certaine façon. Il finira par revenir, ils ne pourront pas tenir longtemps l'un sans l'autre, elle en était presque persuadée. Elle hoche la tête comprenant totalement le vide qui pouvait s'offrir devant nous plutôt qu'une existence simple. Alors comme ça il voudrait faire médecin. Médecin. Elle qui voulait tellement devenir pédiatre à l'époque. « A la base je voulais être pédiatre. Mais avec le coma de Sam je n'ai pas pu suivre ces études. » Et contrairement à ce qu'elle avait pu croire, mise à part le contact avec les gens, c'était deux métiers, deux rythmes de vies différent et pas du tout le même cercler d'action. Jamais cela n'avait compensé le besoin d'être utile en trouvant des solutions. Elle ne faisait que la petite main finalement, ce n'était pas elle qui décidait. Elle n'avait aucune responsabilité. Le blond baisse à nouveau les yeux et s'excuse. On aurait presque dit elle quand elle avait discuté avec Jake à l'hopital. « T'excuse pas, on a tous besoin de se livrer et d'extérioriser. Alors autant le faire avec quelqu'un qui nous comprends. »

Elle souriait et elle était belle avec un sourire. Callie trouvait le tout apaisant, elle appréciait même le tout. À sa confession, je ne pouvais pas retenir un petit rictus en imaginant la situation. « Ah non? » répétais-je en gardant ce sourire en coin, légèrement moqueur à l’égard de la situation. J’étais attentif, je l’écoutais patiemment et je comprenais comme je le pouvais, comme elle le faisait avec ma propre situation. Callie voulait être pédiatre à la base, j’échappais un nouveau sourire. Ça ne me surprenait pas du tout et je n’arrivais pas à comprendre pourquoi. Elle reparlait de Samuel en expliquant le coma qui était à l’encontre de ses études et je hochais la tête. « Et pourquoi ne pas faire ces études maintenant?» lui demandais-je, intéressé et curieux à la fois. Pendant un instant, je m’imaginais bien retourner sur les bancs d’école avec Callie pas trop loin dans un cours du même type ou même dans la même classe. Loin de moi l’idée de retourner au lycée, mais elle serait assurément bien reposante pour ma vue! À mes excuses, la brunette me disait de ne pas m’excuser. Je haussais les épaules, un peu distrait. « J’ai pas l’habitude de ... parler, de ressentir... De vivre? » risquais-je alors. Je réalisais que depuis l’accident, j’étais en mode survie. Je réalisais qu’avec Aisling, je vivais un peu plus, mais aussi avec Callie j’avais l’impression de me donner une chance, une nouvelle possibilité de comprendre tout ce qui se passait. J’avais peut-être une chance de vivre plus ou moins normalement, après tout?
 

En fait, le tutoiement était venu tout natuellement. Se confier et parler de sa vie ça rapproche plus qu'on ne le croit. « Tu te répètes tu sais ! » Elle ne peut s'empêcher de sourire. Elles étaient bien gentilles ces mamies mais un peu trop bavardes c'est tout. Mais de là à préferer reprendre des études de médecine, elle ne savait pas. Elle n'était pas prête à reprendre tnt d'années d'étude à son âge. Parce que si on calculait, si elle espérait avoir une vie de famille, il ne faudrait pas qu'elle perde encore 10 ans d'études. « Si ça durait moins longtemps je le ferais. Mais je n'ai plus le courage de me lancer dans un si gros projet je pense. Tu pensais faire ça toi ? » Peut être qu'avec sa formation de pompier il pouvait avoir une passerelle pour rentrer dans la médecine de la profession mais elle n'en savait rien. Il semblait avoir à peu près le même âge qu'elle voir un peu plus vieux et donc le même problème qu'elle pourrait se poser. Au final toujours le flou, toujours ce même flou et cette même impasse.
Ne plus vivre, ou s'empêche de vivre c'était un peu le quotidien de Callie également. « Moi non plus ça ne m'est pas familier... » Elle tente de saisir son regard, pour lui montrer son soutien. « Mais parfois ça fait du bien. » Comme quand elle avait lâché son sac avec Jake. Et vu comment ça c'était fini, elle ne regrettait pas du tout.

« Tu te répètes, tu sais! » « Et si c’est pour mettre de l’impact? » lui demandais-je toujours avec ce même sourire un peu moqueur. Elle me donnait des défis et j’adorais ça. Callie me parlait tout de même de notions du temps, ce qui me rendait perplexe. Un aspect auquel je n’avais que très modérément pensé. « J’ai très envie. Peut-être. Je suis toujours en réflexion. » lui avouais-je en haussant les épaules, toujours un peu plus perdu malgré le questionnement que j’avais sur mes feuilles. « Si je le fais, t’as pas envie de l’essayer avec moi? » lui demandais-je alors qu’un sourire naissait sur mon visage. À ses commentaires, je prenais une nouvelle gorgée de café comme pour m’aider avec la suite. « Vous êtes trop sympathique pour être masseuse. » commentais-je sans honte ni quoi que ce soit d’autre.