The meeting of two lost stars | Callie

Elle s'était retrouvée là totalement par hasard. Venue pour simplement échanger un livre à la bibliothèque, elle s'était fait prendre par surprise par un étudiant en lettres qui avait malencontreusement une extinction de voix et qui l'avait suppliée de venir le remplacer à la lecture publique qui avait lieu le jour même. La détresse était telle pour le pauvre étudiant inconnu qu'elle n'avait pas pu refuser. Trop gentille qu'elle était. La voilà avec un texte à lire dont elle ne connaissait ni le sujet, ni la longueur réelle, sans aucune répétition possible à devoir lire devant une dizaine de personnes. Elle n'avait pas prévu ça. Pas en ce moment. Pas aujourd’hui. Oui, elle était bien trop gentille. Elle avait été poussée par la persévérance du jeune homme à accepter mais on en l'y reprendra pas deux fois.
Certes elle aimait lire, mais écrire c'était quelque chose qu'elle ne savait pas faire. Elle admirait les gens qui face à leur feuille de papier était transcendés et pouvait passer des heures à écrire et à imaginer des phrases, ces assemblages de mots qui pouvaient nous transporter dans des contrées lointaines ou dans des parties profondes ou blessées de notre existence. Elle espérait que ce texte ne soit pas trop de ce genre là. Sensible comme elle était, elle serait capable de fondre en larme devant la foule. Et il ne manquerait plus que ça. Trop gentille, oui.
Arrive son tour. Sous le regard forcément encourageant du petit étudiant elle se jeta dans la fosse aux lions. Parler en public, ce n'était pas quelque chose qui lui faisait vraiment peur. Mais lire c'était différent. Il fallait savoir mettre les bonnes intonations, choisir le bon ton et ne pas dénaturer la volonté de l'auteur. Elle monta sur la petite estrade et s'approcha lentement du micro. Oui, trop gentille. Elle prit une inspiration puis commença la lecture. Le texte parlait d'amour. Mais il en parlait bien. C'était beau et bien écrit. Peut être qu'elle avait bien fait d'accepter. Elle parlait lentement, profitant du texte inconnu pour elle aussi. Elle marquait quelques petites pauses entre les phrases, afin de laisser aux spectateurs le temps de profiter de la portée des paroles. Ils paraissaient plutôt absorbés par ces paroles. Le jeune étudiant avait plutôt l'air content. Elle lu la dernière phrase. Presque à reculons. Elle ne voulait pas que ça se termine. Elle aurait aimé avoir écrit ces mots. Elle ne regrettait plus d'avoir accepté finalement. Le moment était passé beaucoup trop vite. Elle jeta un dernier coup d'oeil à la feuille puis s'ouvrit vers la foule qui applaudissait le texte. Elle espérait réellement l'avoir mis en valeur. « Merci pour votre attention. » Son regard dévia vers le milieu de le petite foule qui se dressait devant elle. Un grand brun la cigarette à la main, avait l'air fasciné par elle. Enfin probablement plus par le texte qu'elle venait de lire. Tout en descendant de la petite scène, elle ne le lâcha pas des yeux, comme irrésistiblement attirée. Elle retourna s'asseoir à sa place, laissant la scène au prochain intervenant, toute chamboulée par ce texte et par cet homme. Trop gentille mais pas du tout déçue de l'avoir fait.

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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Il y avait encore de la décence, aujourd'hui, de croire que de simples mots pouvaient encore remuer les marées. Sans mentir, on peut très bien arriver avec une volonté inouïe, une passion enfouie pour un simple rien qui peut tout changer au fond de son être. J'avais dévoré les pages manuscrites de Kerouack, j'avais avalé ces phrases déconstruites, je n'avais fait qu'un avec Dean Moriarty, archétype idéal d’une partie de moi encore inexploré. J’avais eu le sentiment de vivre ne serait-ce qu’en partageant avec lui les nuits de folie sous le Mexique ou les longues après-midi sur la route ferme et isolée des États-Unis, dévalant sous ses pieds, le cœur au vent. J’ignore vraiment pourquoi j’avais été autant remué par ses mots simples, poignants, simplistes, mais révoltants. Lui et sa bande de poète avait quelque part soufflé à l’antre de mon esprit que c’était le destin dont j’avais besoin. Je l’ai toujours suivi, je n’ai jamais regretté.
Atterrir en Australie n’avait pas été une aventure qui m’avait chamboulé pour le meilleur. J’étais partie saturé par la peur, par une force intérieur impossible à freiner, par le dégoût, le désastre, l’enchainement éternel. Je n’avais plus les yeux droits. Mon sang était noyé par le vice, la drogue, la fureur de vivre. Un fantôme morbide que je n’arrivais pas à assumer ni même croiser le reflet entre les ombres d’un miroir. Partir une autre fois ou mourir seul comme un roi au sommet de sa tour d’ivoire. Crever, rêver, repartir et survivre. Sur la route australienne, j’avais de nouveau la possibilité de remontrance.
Et là, dans cette drôle de matinée couverte de mots et de phrases envolées, j’avais l’impétueuse impression qu’il fallait que je bouge. Qu’il fallait que j’arrive quelque part de spécifique, trouver une voix régulière qui me confierait la destinée de cette journée. Au milieu de cette troupe amarrée par la bouillante impulsion des lettres, j’avais peut-être atteint un but. J’avais complétement oublié Jonas, la raison pour laquelle je me trouvais ici. Il y avait cette autre voix, ce chuchotement lyrique qui m’avait capté plus sévèrement. Je tirais tranquillement sur ma cigarette. Sa voix, ses mots, ses yeux perçant la foule, je n’arrivais pas à cacher la fixation que j’avais pour cette inconnue livrant une aussi ravissante prose. Je me laissais bercer, le regard plié vers elle, tout rien que pour elle.

Terminé. Déjà? Mes yeux étaient plantés sur sa personne, de ses moindres gestes jusqu’à son retour vers une chaise, disparue au milieu des autres voix silencieuses. Je tourne la tête, impatiemment, troublé, un peu confus, remué. Qu’est-ce que je laisse? Un lecteur enchaine, mais je ne l’entends pas. Je regarde la femme, elle me voit aussi. J’ai les yeux ancrés. Une autre bouffée de cigarette. Tout doucement, je traverse les quelques particuliers qui barrent la route, un pas agile et décidé. Je la vois proche de moi, plus près que jamais. Ses mots dans sa tête jusqu’à l’embrasure de sa gorge dans le corps d’une telle femme. Je viens auprès d’elle, droit tenant. Je lui lance un sourire discret, mais invraisemblablement admiratif. « La beauté n'a pas d'importance puisque l'amour est sans visage. » C’était un passage du texte qui avait retenu mon attention, un passage particulier qui m’avait rappelé combien l’amour est abstrait. La gêne. Je baissais les yeux. J’aurais aimé avoir eu autant de courage. Elle en avait et du talent, je le savais.
«C’était très bien écrit. Vraiment. Je voulais vous féliciter. »
Je voulais connaitre l'esprit qui se cachait derrière ses mots, la femme qui honorait devant tous ces l'art de l'écriture. Je m'avouais franchement impressionné, littérairement attiré par tout ce qui pouvait faire résonner mes sens. Je lui offris un franc sourire avant de tirer une enième bouffée. Elle était d'un charme qui, il allait de soi, faisait honneur à la prose qu'elle venait tout juste de nous livrer.

Elle ne s'était pas attendue à être aussi chamboulée par ce qu'elle venait de lire. Tellement perturbée qu'elle avait oublié de préciser qui était le véritable auteur. Le jeune étudiant avait l'air tout heureux, c'était le principal. Et c'était cela qui faisait la beauté d'un texte. Pas besoin qu'il soit écrit par un grand auteur. De simples ressentiments couchés sur une feuille de papier au coin d'une table pouvaient avoir un effet tout aussi retentissant. C'était le cas de ces mots là. Les mots, simplement les mots sans artifices et c'était elle qui avait eu la chance de les partager.
Assise au milieu de la petite foule qui s'était attroupée pour suivre la suite de la lecture, elle n'écoutait plus, méditant simplement sur les paroles qu'elle venait de lire. Le papier froissé dans ses mains, elle espérait pouvoir le garder et pouvoir le relire quand elle en avait besoin. Parce que oui, elle avait aimé découvrir les mots un par un et comprendre leur signification en même temps que le public. Elle avait tellement profité du moment présent qu'elle ne se souvenait plus que d'une seule phrase. Comme dans un songe, quelqu'un prononça la phrase qu'il lui occupait l'esprit. Elle aurait pu rêver la sensation était la même. Comme si on avait lu dans ses pensées. Face à elle,l'homme à la cigarette. Elle n'avait pas rêvé, lui aussi ce texte l'avait marqué. Il était le seul qu'elle avait remarqué, peut être le seul à être aussi transcendé à travers la foule. Elle plongea ses yeux dans les siens comme pour tenter de décrypter ce qu'il en pensait mais elle ne devina rien et finir par baisser rapidement les yeux quand il la félicita pour son écriture. Et bien il allait être déçu.  « Je n'ai été qu'une simple oratrice, ce n'est pas à moi qu'on doit ce texte en réalité. » Elle indiqua des yeux la rangée d'à côté où se trouvait le jeune auteur tout en jouant frénétiquement avec le coin de sa feuille. Elle était sûre qu'il s'en irait le voir pour le féliciter. Il le méritait. Et elle elle resterait là à ressasser encore et encore cette phrase qui en disait long sur la puissance de l'amour.  « Mais c'est vrai qu'il était magnifique, je suis heureuse que vous ayez aimé. » Et heureuse de l'avoir lu, oui. Et si cela avait plu, c'était encore mieux. Elle releva les yeux vers son interlocuteur. Elle était happée par son regard comme elle avait été happée par les mots qu'elle venait de lire. L'amour est sans visage certes, mais la beauté existe, incontestablement.

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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Je n'aurais pas su quoi lire si on me l'avait proposé. Devant tous ces gens, curieux, innocents, les yeux recouvrant le lecteur devant, on ne sait jamais à quoi s'attendre. Ce n'est pas là le plus beau dans tout cet acte ; la surprise, la délivrance promise? J'aurais pu entamer le début de Profonde conspiration des cieux parce que c'était probablement le texte sur lequel le plus déversé de sueur, d'ardeur et de folie. Le texte de ma vie, en quelque sorte. J'aurais regardé un point fixe au milieu de la meute et j'aurais vu Effy au loin avec son sourire ravi, point tenant réconfortant et inspirant. Elle n'est pas là. Elle est loin. Toi aussi. Les mots se ravissent comme dans mes rêves tu glissent et tu te refais sans arrêt. Non, tout compte fait, j'aurais lu Thébaïde, lieu isolé et idéal où l'âme peut enfin se reposer. Endroit qu'il me reste encore à trouver.

J'avais la tête ailleurs. J'avais l'attention vers d'autres pensées tout un coup, portées vers une soudaine illumination. Je n'avais pas pensé sentir un si fort attachement vers un texte en particulier en cette arrivée hasardeuse, mais c'était le cas. Yeux bruns, cheveux longs fins, enjambées linguistiques et fingures de style communs. J'avais été touché par des mots frustres et réels. Je cherchais le sens, je voulais connaitre la tempérance pour pouvoir m'en inspirer. Depuis des lustres, je n'avais encore creusé l'adage dont j'avais besoin pour avancer, pour colorier les pages blanches qui s'arrachait mon visage. Lorsque son visage gracieux, ses yeux perçants déchira son voilage, j'avoue avoir le coeur un peu retourné. Droit dans le coeur ces yeux étoilés. Le rouge coloria doucement mes joues, contre mon gré. Aïe. Je devais reprendre le dessus. Une longue bouffée, regard tourné. Quelle douce faiblesse.
«Putain. Qu'est-ce que tu fous, Clo. Fais pas le tendre, tu vas chavirer.»

Elle avoua, d'un ton gracieux, qu'elle n'était cependant pas l'auteur du texte qui l'avait marqué. Ah bon. Pourquoi l'avait-elle lu alors? Comment avait-elle réussi à s'apropprier si parfaitement les mots comme qui si c'est dans sa tête qu'elle avait portés? Ces mots s'étaient dessiné dans sa gorge comme un masque naturel qu'on ose porter. Un sourire amusé se dessina sur mon visage. Je baissais les yeux avant de les reposer sur elle, lentement. La lecture se poursuivait, les voix étaient un peu plus agitées. La chaise à ses côtés venait tout juste de se libérer. Sans attendre, j'en devins son nouveau roi. La curiosité m'emballait, son énergie m'intriguait. «Comment vous ne l'avait pas écrit...Je veux dire, les mots collaient si bien à votre peau. Vous aviez fait comment? Je suis sûr de vous avoir vu ressentir, au moins deux ou trois fois, la délicatesse du texte. Vous fermiez les yeux, vous aviez la voix...enjouée. Comment en êtes-vous arrivé?» affirmais-je presque excité. Était-ce trop en demander?

J'avais tout remarqué, effectivement. Les pauses, les arrêts, les prises de conscience, les yeux qui tournent et qui s'enlignent à chaque nouveau vers, la main qui danse lors d'un passage plus dense. J'avais suivi le mouvement dans ma tête, dans mon coeur intérieurement. Elle avait eu ce don de transcender le texte même si elle n'en était point la créatrice. Je restais ému. La fin de ma cigarette se consume.

L'étonnement se lisait sur le divin visage en face d'elle. Il avait rougit. Elle aussi. Elle ne savait pas qui était réellement le plus gêné des deux. Avait-elle été si convaincante que ça ? Elle l'espérait mais n'en était pas totalement sûre. Ses douces paroles ne faisaient que la réconforter sur ce sujet là, mais elle n'arrivait presque pas à les entendre. Les compliments pour elle, ça n'avait toujours été que mensonges. Mais ceux là étaient criant de vérité. Elle remercia intérieurement le couple qui était assis à côté d'elle de s'être fait la malle. Peut être n'avaient-ils pas apprécié la lecture qui était en cours ou peut être n'avaient-ils plus le temps de rester, mais elle les remerciait. Il n'était pas parti. Il était resté pour s'asseoir à côté d'elle. Pour la questionner plutôt que d'aller voir l'auteur directement. Lui aussi parlerait tout aussi bien du texte. Même mieux puisqu'il l'avait imaginé du début à la fin avec toute la réflexion qui allait avec. Mais c'était avec elle qu'il était resté. Et cela ne pouvait que la ravir. « J'aurais vraiment aimé l'écrire. J'ai vécu cette lecture en même temps que vous. Un simple concours de circonstances et j'étais sur la scène. Je n'avais rien calculé. » Rien. La spontanéité avait été la maîtresse de cette découverte. Et sans doute la maîtresse de sa réussite. Tellement spontanée qu'elle n'avait fait que profiter sans rien retenir. Les yeux fuyants, elle suivait les dernières volutes de fumées s'envoler à travers la place. Au milieu de tous ces gens, elle se trouvait toute petite. Avant aujourd'hui elle n'avait jamais participé à des lectures publiques, et encore moins en tant qu'auteure. Mais être au milieu de tous ces passionnés de mots était très intimidant. Comme si elle n'avait pas sa place ici. Elle osa se retourner vers son interlocuteur, aussi mystérieux soit il. Il dégageait quelque chose de différent, d'intriguant. « Vous êtes aussi venu pour lire quelque chose ? » Question bête. Il n'avait rien dans les mains. Mais elle avait besoin de savoir. Savoir si il allait rester encore un moment avec elle ou s'envoler comme les mots qu'elle avait lu.

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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C’est vrai. J’aurais pu doucement me faufiler jusqu’à l’homme de son regard elle avait pointé, car c’était bien lui qui avait posé sur papier les mots qui m’avait autant renversé.  J’y aurais été. J’avais jeté les yeux un moment, mais je ne voyais rien vers lui, qu’une posture d’imposant, un homme parmi les cents. L’écriture, pour moi, c’est une question de sentiments, une belle envergure d’émotions et d’énergie latent. L’intérêt y était pas. Pardon. J’avais levé le nez un instant, mais je ne voyais parmi toutes ces têtes déambulant, des yeux, oui, attirés par la nouveauté des mots et des esprits s’ouvrant, mais j’avais ailleurs à me concentrer. Il y avait la parole enchantée, interlocuteur déguisé qui avait si bien vêtu les mots présentés. Elle. Étrangère nouvelle. Puis, merde, j’étais plus rabougri qu’à l’habitude. Voir des gens, leur causer, échanger, ressentir le courant d’une nouvelle entité, ça avait toujours été quelque chose de puissant chez moi. Celle-ci, il y avait un truc un peu plus différent qui m’empêchait de trop m’avancer.
Après m’être posé, je ne pouvais tout de même empêcher de la regarder. J’avais les yeux tournés, la tête complétement absorbé. Il y avait des rimes en l’air, des yeux pointant vers nos voix qui, se hissant parfois jusqu’au dérangement, truc dont je me souciais très peu en ce moment, mais ça n’avait pas d’importance. Jonas était perdu dans le néant. Dire que j’avais salit les pavés jusqu’à lui. Et à ce moment, elle lui précisa une bonne fois pour toutes qu’elle n’avait pas composé le texte. Faut te faire à l’idée vieux. Il y a des gens qui sont doués pour sentir, d’autres pour écrire. Sourire amusé, visage décent intrigué. Je jettais ma cigarette un peu plus loin. Une main caressa ma nuque, tout doucement. «Hé bien, on vous aurait cru la créatrice, j’aurais pu parier. C’était bien récité. Tu m’as bien eu pour un moment. » Du vous ou tu, une fenêtre s’ouvrait. J’avais le sentiment que je pouvais disgresser un peu, me sentir plus familier par son sourire qui, putain, faisait presque chier tellement qu’il était vivant.

Est-ce que j’allais monter, moi aussi, sur la scène révéler un bout de moi à ces gens affamés, impatient? Merde. Je n’étais pas venu pour ça. Je n’avais rien en main. Regard vers la scène. Encore une personne se livrant, j’avais un peu de temps. Je voulais pas partir. Il y avait de la résonnance à mes côtés, mais tout autour s’était lentement effacé. Je baissais la tête, pensivement et retourna de nouveau mon regard vers son visage questionné. Bredouillant. «Bien, je..j’avais rien de préparé, mais j’ai un texte que j’ai griffonné ce matin, vraiment juste brouillon pour un, j’sais pas, un roman en préparation. » avouais-je en demi-vérité. Non, j’avais rien avancé ce matin, y’avait pas d’inspiration entre les quatre murs de mon salon, mais j’avais coincé au fond de ma tête un texte qui criait de se libérer. C’était peut-être propice maintenant. Mes doigts, comme un tic énervant, tapait contre le paquet de clope qui se noyait dans mes poches. «Vous voulez…une cigarette avec moi? » Ouais, ouais, c’était minable, ça va. Je lui jetais un regard de moins en moins sûr. Si au moins elle faisait moins d’effet, je n’aurais pas l’air d’un con.

Elle aurait aimé lui dire que le texte venait d'elle, elle aurait tellement voulu l'impressionner ou du moins être à la hauteur de ce qu'il espérait. Mais elle n'était pas comme ça. S'approprier la prose de quelqu'un d'autre, c'était impensable. Passer plus ou moins de temps sur son écriture puis tout voir réduit à néant par quelqu'un d'autre, ça devait être horrible. C'était comme perdre une partie de soi. Car un texte, c'est réellement une partie de nos vies, un bout de nous que l'on partage à plus ou moins de monde. Elle relève la tête, il la tutoie puis la vouvoie à nouveau. Une complicité s'installe. Doucement, insidieusement. « Je suis heureuse d'avoir fait cet effet là alors ! » Elle ose à nouveau un sourire timide, pas trop familiarisée avec les compliments.
Alors comme ça il écrivait. Par réflexe, elle descendit son regard jusqu'à ses mains. Parce que les mains reflétaient l'écrivain. C'est toujours ce qu'elle s'était dit. Des mains fines et bien entretenues, quelques bagues pour les habiller. De belles mains qui font une belle personne. Il paraissait moins sûr de lui tout à coup. Ce qui la faisait fondre littéralement. Ce n'était jamais simple de partager son oeuvre. Ca ne peut jamais plaire à tout le monde. Mais les quelques personnes que cela ravira seront les plus précieuses. Ce sont ces avis qu'il faut savoir écouter. « J'aimerais vraiment l'entendre moi... » Un besoin de le découvrir, de rentrer dans son univers. Curieuse ? Oui, avide d'en savoir plus et tellement intriguée. Une cigarette. Encore un accessoire du parfait archétype de l'écrivain, mais qui n'enterre en rien son charme. « Non merci, je ne fume pas. » Elle a bien sûr déjà essayé mais elle n'en avait jamais ressenti le besoin. Elle ne voulait pas être dépendante de quelque chose et encore moins de la cigarette, mais elle comprenait ceux qui avaient besoin de s'y raccrocher. Se réfugier dans une sensation connue et rassurante. Elle a envie de prolonger leur échange, de ne pas le perdre si vite avant de l'avoir découvert. « Si tu n'as pas envie de le lire ici, on peut toujours aller ailleurs. Avec moins de monde. » Et moins de pression. Un petit coin d'intimité pour mieux apprécier un texte. De quoi peut-il parler ? Quelle est sa plume ? Est-ce le reflet de sa propre expérience ? Elle fourmillait de question. Elle voulait creuser sur cet inconnu. La tension était palpable. L'air de plus en plus lourd. Un réel besoin de découverte au milieu de ce bruit de fond maintenant insignifiant. 

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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J’avais eu l’esprit occupé, détourné que je n’avais pas pensé venir ici, s’approcher de la scène où il aurait éventuellement fallu que je me dise de tout livrer, spontanément et désœuvré. Je n’avais rien. Il y avait des possibilités, mais l’idée de se dévêtir complétement, se mettre à nu, étaler les prémices de son art était pas un truc que j’étais prêt à réaliser aussi aisément. Sans mentionner que le contenu révélait des brides démesurées de toute une existence, souvent pas trop assumée, j’avais cette bizarre impression que tout donner enlevait un espèce de préciosité de l’œuvre, encore intouché et mûrissant dans le cœur et la tête de son créateur. Puis, on sait pas, c’est peut-être pas bien, trop deep, trop loin. Mais, elle, munie de ses yeux, abysse réconfortant de beauté et de volupté dans lequel j’avait de plus en plus envie de chavirer, paraissait intéressé de savoir ce qui me trottait dans la tête. Putain, il y en avait tellement, tellement de mots et de d’idées frivoles qui cognait aux fenêtres barricadées de ma tête. Elle voulait entendre celui qui criait plus fort? Je baissais les yeux, un peu désarmé, sincèrement touché, mais quelque peu nerveux (hé oui, ça m’arrive, merde) d’un si soudain intérêt. J’aurais aimé cacher mon sourire d’enfant qui meurt d’envie de tout raconter, mais il était difficile à remballer. Ouais, j’aime partager ce que je fais, j’essairai pas de la cacher. Ça prend du temps, mais j’adore passer mes mots comme un baiser que l’on tend pour l’éternité, un don qu’on transmet et que les prochains gardent caché. Toujours le visage penché, mais rayonnant, je laissais encore un peu la porte ouverte pour qu’elle puisse y entrer. «Ah ouais? T’aimerais ça? Je veux dire, c’est pas… complet, mais c’est…un peu décalé, éparpillé. C’est un jet, tu vois? Comme les surréalistes, un peu, écriture automatique, on laisse parler la tête et les sentiments premiers. Enfin..»

Ah ta gueule. Une fois que t’es lancé, tu peux plus la fermer. Je sais que ça fait bouillir ton sang, que ça t’excite intérieurement écrire et composer, mais c’est pas tout le monde qui comprend, qui ressent. J’avais la langue agile lors des avancées sur un sujet que je pensais connaitre jusqu’au bout de mon nez. Mais j’sais pas, déjà, je sentais qu’avec elle, je pouvais un peu donner et recevoir sans difficulté. Elle avait cette façon d’être aussi énigmatique que d’être très facilement approchable. Elle ne fumait pas. J’hochais la tête gentiment. Moi oui, trop souvent, trop régulièrement, pensant que les voluptés de fumée allait dissiper un peu d’inspiration à chaque bouffée. Réflexe, j’en pris une autre, l’alluma rapidement et tourna la tête vers la scène sur laquelle un lecteur était toujours sur son élan. On pouvait partir, ouais, je n’avais pas l’intention d’y monter, pas l’intention d’aller vers Jonas ou même d’espérer retrouver un sentiment important dans la mêlée. Cette fois, j’accrochai un long regard remonté, quelques scondes qui paraissait tant pour trouver dans ses yeux un sentiment d’intimité. Ouais, on part, on va ailleurs se raconter des histoires à en plus finir. Je lui pris la main, sans avertir, assurément en contrôle de moi. Je me sentais énergisé, sûr de moi, contrôlé par un fort sentiment d’un commencement que je ne saurais expliquer. «Viens avec moi»
Cigarette entre les lèvres, sa main plongé dans la mienne, je la tira avec délicatesse, mais énervement vers le seul endroit que mon esprit se répétait à m’imposer. En un très court laps de temps, nous avions traversé quelques rues, silencieux, ébranlés pour se retrouver devant un petit boisé, désert heureusement, qui cachait quelques rampes de skate. Au hasard, je l’avais emmené avec moi comme si j’avais été seul et que je devais respirer, me recentrer, cet endroit isolé où je me sens heureux et délivré. «Je viens aussi pour..pour me libérer. Le dos au vent, l’esprit vidé, tu vois. Puis, si tu veux, ici, je pourrais te faire entendre le texte que je comptais lire devant tous ces étrangers. »
J’aspirai une autre bouffée, les yeux tournés vers le béton lisse et réchauffé que je connaissais jusqu’au dernier mètre carré. J’étais beaucoup plus détendu, bien plus propice à laisser-aller. Je sentais déjà que j’avais aspiré d’un trait l’énergie de cette nouvelle personne, d’elle, de la lectrice illuminée comme un remontant durant les heures damnés.

Elle s'en fichait que ce soit brouillon. Elle n'avait qu'une envie, c'était de lui arracher ces mots qu'il avait voulu partager, extérioriser. Elle refoulait son excitation et tentait d'arborer un sourire plus discret. Elle était absorbée par les yeux qui la fixaient. Absorbée par ses mots. Absorbée par le moindre mouvement de son visage. Il était touchant et en même temps il paraissait tout aussi intriguant et difficile à cerner. Mais il dégageait une certaine fragilité, attirante. Presque trop attirante.  Il faisait surgir en elle des émotions qu'elle n'aurait jamais pu prévoir et dont elle avait peur. Sa manière de baisser les yeux, de poser plusieurs questions à la fois. Y avait pas à dire, elle perdait ses moyens elle aussi. Totalement imprévisible ce matin en se levant de se retrouver là. Elle se contente d'hocher la tête. Oui elle voulait connaitre ces mots, cette tentative d'évasion de ses sentiments, peut être incomplète mais sûrement si précieuse.
Il prend doucement sa main. Instant doux, innatendu, précieux. Elle se laisse faire. Ce premier contact physique aussi spontané soit il mais qui était presque si vite devenu un besoin. Elle se laisse porter. Ne pose pas de question. Pas un seul regard pour les gens qui l'entourent ou le lecteur en place. A cet instant elle ne se concentrait que sur une chose. L'envie de découvrir ce mirage. De profiter de cet instant silencieux à travers le quartier, ne se demandant même pas où il allait l'emmener. A cet instant, elle se sentait différente. Jamais elle se serait laissée faire si facilement. Jamais elle n'avait parlé si peu avec quelqu'un pour se sentir en confiance. Jamais sauf aujourd'hui. Cela paraissait irréel. Anormal. Mais non, c'était seulement différent, inédit, le contraire de sa vie actuellement. Peut être qu'elle en avait besoin. Ils arrivèrent au skatepark, là où elle n'avait jamais mis les pieds. Ne jamais dire jamais. Il parle à nouveau. Ce moment de silence ne l'avait pas dérangée mais sans paroles il est toujours plus dûr de faire passer ses sentiments, ses pensées profondes. Elle est pendue à ses lèvres. Tant excitée par la lecture de son texte que par ce qu'elle pouvait bien recelé de plus profond. « Ca me paraît un bon endroit pour ça. Si c'est un endroit où tu te sens bien, tes mots trouveront leur place ici, dans leur univers. » Dans ton univers.

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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Je n’essayais rien. Je n’avais pas à prétendre, jouer, interpréter l’homme qui suit les mots dans tous les recoins de la terre ; je vivais ce que l’on voyait de moi de loin ou de près. J’étais complet et depuis des lunes, j’arrivais à me décoder, à me saisir dans pratiquemment toutes les sphères de ma vie. D’abord, je croyais à l’idée de vivre sous les impulsions du moment, les vérités de l’instant, il n’y avait rien de plus réel que cela, que tout ce qui se produit sous de très fortes réactivités. J’avais été saisi aujourd’hui, doucement, mais irrémédiablement. Je ne pensais pas découvrir de nouvelles vois en venant à la lecture que j’aurais cru plus barbant qu’autre chose. Non, il y avait un secret complet, un mystère ambulant, des yeux qui me faisait chavirer. Naturellement conduite à l’endroit que je chérissais tant, elle pourrait peut-être connaitre un aperçu de tout un être presque accompli, se connaissant de plus en plus, jour et nuit. Il faisait si frai, le soleil se cachait dans les remparts des nuages épars, mais il faisait bon, on sentait l’écume de l’automne frotter contre les parois de notre nez. J’avais cette comfortable impression de ne pas être obligé d’énormément parler pour me faire comprendre, pour que cette agréable entité à mes côtés, doublé de charme et volupté, saissise la poétique du moment.
J’aspirais calmement, sereinement les quelques bouffées de ma cigarette pendant à mon nez. Étrangement, instinctement, je n’avais pas retiré ma main de la sienne. J’ignore pourquoi si ce n’est que l’endroit où elle devait être destinée à ce moment. Une pure inconnue que je tenais ne m’avait jamais semblé aussi prédéterminée par le temps. Comme s’il fallait que les paumes se fondent l’une dans l’autre,  deux astres se rejoignant au milieu de la fin des temps. J’appréciais le présent. Et mon texte? C’est vrai, j’hochais la tête. Je n’avais qu’à fermer les yeux pour voir affiché tel un écran lumineux tous les mots que j’avais auparavant pensés et composés. Ils étaient tous là, alignés magnifiquement comme des soldats prêts au combat. Je soufflais, récitant une bribe du passé.

«Je te retiens par le bout de mes yeux.
Mais tu m’échappes à chaque regard perché.
Il y a la terre qui tourne pour deux.
Et la toile du ciel qui cherche encore la voie lactée.
Je t’aurais prévenu.
Je ne te retiens plus.»

Et silence. Clore le tout comme un rideau qu’on laisse enfin tomber après tant d’années. J’avais écrit ce truc, un peu imparfait, mais il avait tant représenté que je n’avais pas réussi à le retravailler. C’était ça, 6 petits vers discrets, mais 6 petites étoiles qui, épuisés, se refermaient. Avait-elle apprécié, si court la prose fût-elle? Je tournais délicatement le regard vers elle, ne dissimulant pas un léger sourire impatient. «C’est court, je sais. Mais c’est ce que j’avais pendu devant les yeux tout ce temps. »

J'avais soudain envie d'écrire un poème au plus profond de ses yeux.

Le silence, sa main dans la sienne, cet endroit si doux, il ne manquait plus que ces quelques mots pour rendre le moment si beau. Et puis ils arrivèrent, flotterent dans l'air avant de se fixer à jamais dans sa mémoire. Si innattendus. Elle ne dit plus rien ou plutôt elle ne sait plus quoi dire. Pendue à ses yeux comme elle avait été pendue à ses lèvres elle n'ose rien dire. C'était court, certes mais c'était intense. Simple, mais beau. Beau et si puissant. « Tu.. tu m'as coupé la voix. » Elle ne s'attendait pas à un tel texte et avec une telle signification. Elle retrouvait ses propres impressions mais tellement irréelles et inimaginable pour la femme qu'elle était. Ou du moins celle qu'elle s'autorisait à être. « Mais je n'ai plus envie de détacher mes yeux des tiens. » Comme si le poème avait été écrit pour figer cet instant. Tout droit sorti de son imagination mais prédestiné à un moment comme celui-là. Ou à ce moment. 
Elle ne savait rien de lui, pas même son nom, son âge, peu importe ces détails. Mais ces quelques mots montraient de lui qu'il était quelqu'un de sensible, de poétique, de vrai. Et pour le moment, ça lui suffisait. De sa main libre, elle vient prendre la cigarette, aspire quelques bouffées de fumée. Pas par besoin mais par envie de partager quelque chose de plus avec lui. Un besoin d'être totalement dans le même cocon qu'il lui avait présenté. Venait-il ici souvent accompagné ? Ou avait-elle eu le droit à une exclusivité ? Finalement, peu lui importait. Elle voulait profiter du moment présent. Mais elle avait envie d'en découvrir plus. De quelque manière que ce soit. « J'aimerais vraiment pouvoir t'aider à le continuer. » Peu lui importait comment. Le processus d'écriture avait toujours été quelque chose qui la fascinait. Mais là il y avait autre chose. Quelque chose de plus personnel, plus précieux, comment cet instant en somme. 

➳ THE MEETING OF TWO LOST STARS
«Maybe that’s what life is… a wink of the eye and winking stars.» - KEROUACK
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J’avoue n’avoir jamais été fier de ce que j’avais écrit. Même les plus beaux mots enlignés contenaient parfois des dissonances dont je n’arrivais pas à changer la sonorité. Il y avait effectivement des poèmes, des courts textes écrits sous l’impulsion d’un état spontané qui ressortaient de la foulée, mais j’avais toujours cet ultime sensation de n’être jamais complétement satisfait. J’étais ma pire critique, mon plus difficile lecteur. Je cherchais la perfection si fort que je passais tout droit devant le fond censé guider toutes les idées.  Ce poème était celui qui m’avait demandé le plus de temps, à chercher le sens, à le comprendre seulement. Il m’était apparu au moment où je ne l’aurais jamais cru. Un moment noir, un moment imparfait, un instant de détresse. Le citer ainsi tout bonnement pour les oreilles d’une jeune femme qu’on connait à peine, mais dont on saisit l’énergie aussi aisément s’avérait plus émancipant que je l’aurais cru. Je guettais patiemment sa réaction. Un sourire. Une confirmation. Elle avait été touchée par un vieil écrit qui l’avait lui aussi tant secoué. Comment ne pas sourire? Je cachais à peine ma reconnaissance, la jouissance de croire encore un peu à son talent quelque part. J’étais ravi qu’elle partage un moment inouï en ma compagnie, même si le tout semblait irréel et presque tombé du ciel. Je lui chuchotait un remerciement discret, mais chaleureusement évoqué. Peut-être qu’en fait il avait été plus que parfait, ce poème, pour un moment comme celui-ci, tenant entre les brumes de toute une série d’impulsivités que je chérissais en secret, quelque part. C’était bien, tout était parti d’un rien pour en arriver à cet endroit, à cette heure, le soleil brillant, les mains se caressant, rien de calculé, juste deux petites étoiles qui s’étaient trouvées, pourrait-on dire. J’étais satisfait. Puis, quand elle lança sa phrase, que ses yeux ne voulaient plus quitter les miens, ma main tenant, j’avoue avoir eu un battement de cœur redoublant. Mes yeux s’accrochèrent au sien pendant la seconde la plus longue de tous les temps, touché quelque part qu’elle se sente aussi bien de m’avouer une si pure vérité. J’avais pas l’intention de détourner du regard. Il y avait un truc qui se passait, je sais pas comment on y était arrivé, mais ça devenait extraordinaire, une situation que je n’avais réellement pas prévue. C’était probablement ça la beauté du moment, l’écriture au fur et à mesure des évènements de nos vies. J’étais excité à l’idée de vivre un instant lyrique comme celui-ci, qui allait définitivement s’inscrire entres les lignes de ma vie, comme un souvenir qu’on revit chaque jour quand le noir nous poursuit. Je n’avais rien répondu, j’avais jugé que mon regard tourmenté, brillant, mon visage qui dégageait sans jugement la réciprocité de son affirmait était amplement suffisant. Putain, ça y’est, elle m’avait eu. Non seulement ses mots étaient d’une douceur pour mon cœur, elle venait tout juste de poser le geste qui avait officieusement fissuré brusquement mon cœur, elle avait capturé un bout de moi par cette magnifique spontanéité. Je la fixais prendre la cigarette de ma bouche et se l’approprier, elle qui ne fumait pas, comme pour doubler d’intensité l’instant que l’on partageait, elle et moi. Seulement ce geste aussi anodin avait réussi à m’agripper, c’était sans retour, la jeune femme dont j’ignorais encore le nom avait eu la merveilleuse idée de me faire tomber à ses pieds. Son regard, je le dévorais des yeux, la cigarette entre ses lèvres rosées, la fumée qui se dégageait, volupté parfaite sur les lèvres du sexe le plus élégant, la femme dans sa féminité, sa grâce et sa fragilité. C’était presque poétique comme moment. Je sais pas ce qui me retenait, je sais pas honnêtement. Je cherche encore la raison qui m’a pas poussé à l’embrasser ici, devant mon repère, mon univers. Fallait que je parle ici, que je reprenne vie. «T’as qu’à rester avec moi ici, on finira pas le recommencer à l’infini. »

Mon sang brûlait comme un gamin qui voit la plus belle fille du lycée, comme un putain d’enfant qui comprend pas le torrent qu’il a peut-être provoqué inconsciemment. J’avais tout d’un coup envie de lui balancer, tous mes poèmes, tout ce qui resortais à l’instant, elle, elle, elle. J’avais de l’inspiration tout d’un coup, je sentais ma tête qui venait tout juste de se réveiller. Et là j’ai souri comme j’ai jamais souri. Ca y’est, je l’avais. Ça venait. Mes mains se seraient agrippées contre son cou, l’entourant de mes paumes cherchant sa chaleur, approchant sa joue de la mienne, humant avec une extase démesurée son parfum angélique. Oh, nous aurions été comme deux jeune feuilles se mêlant entre les pousse du vent, Nous n’aurions fait qu’un, comme ce fût toujours le cas, elle et moi. Ah merde, c’était excellent. J’arrivais plus à freiner mon élan, ma main serrant la sienne, la lumière du temps qui réchauffait nos yeux, les mots qui s’envolaient à l’instant. Tant pis. Il n’y a jamais rien de plus réel que les impulsions qu’on arrive pas à retenir, les élans qu’on laisse vivre librement. Le regard perçant le sien, je pris une avancée, admirant par le fait même la perfection de ses traits et je venais déposer le plus délicat baiser, tout en douceur et en retenu, sur ses lèvres graciées. Juste comme ça parce que j’y arrivais plus, juste comme ça parce que j’avais l’impression de vouloir capturer ce moment en effleurant la magnifique réalité dont elle était constituée. Juste comme ça, faire briller les étoiles pour la nuit tombée.

Elle se demandait ce qui lui avait pris de lancer une telle question ouverte. Mais elle ne controlait plus rien. Elle était comme envoutée. Envoûtée par son regard dont elle ne se détache pas. Envoûtée par la sérénitude, le calme qu'il pouvait dégager mais à la fois une personnalité si complexe et profonde. Elle tire une dernière fois sur la cigarette avant de lui rendre. « L'infini c'est comme la voie lactée de ton poème. Comme cette terre qui s'arrête de tourner pour les autres, mais pas pour nous. » Ses mots sortent sans réfléchir, porté par le moment. Il éveille en elle une flamme endormie. Par ses quelques mots il la trouble. Par sa main toujours accrochée à la sienne, il éveille un désir défendu. Comment après si peu de temps elle peut être aussi perturbée par lui ? Elle était perdue, ne comprenant plus ce que son corps, son âme, ce qu'elle voulait vraiment. Elle avait toujours l'habitude de tout contrôler, de trop réfléchir, de ne laisser aucune place au hasard, mais là c'était différent. Et pour rien au monde elle n'arrêterait ce moment si inhabituel, mais si interessant. Et nouveau de surcroît. En fait, elle se redécouvrait à travers lui. Sans signe annonciateur, il se penche lentement et l'embrasse. C'est si doux, si bon. Elle pose sa main sur la joue, sur sa barbe naissante, comme pour participer et marquer l'instant elle aussi. Elle finit par s'écarter de lui, sans trop savoir ce qu'il lui avait pris de ne pas se détacher, de prendre part à ce baiser. Elle n'était pas comme ça d'habitude. Mais il lui faisait perdre tous ses repères, tout sens du bien et du mal.  « Tu crois que comme ça il avancera ? » Parce que si oui, elle était prête à recommencer.

Moi non plus. Moi non plus je ne sentais rien contrôler, comme elle dans son visage s'exprimait la totale liberté avec l'instant de notre impulsivité. J'avais choisi, naivement, de faire confiance aux élans du moment, à la fraicheur et à la nouveauté de la rencontre et de cette journée, s'inscrivant durant le temps présent, ribambelle improvisée. Et puis, c'est ça que je préférais le plus au fait d'être ici présentement, c'est d'avoir barré à double clés les barrières de la retenue et de la réflexion. Pas d'idées, pas de doubles-pensées. Imprévu, tout se dessinait à la trace à chaque lancée de pinceau que l'autre se décidait d'envoyer. Je peignais son visage sur les murs de mon esprit sans le vouloir, par elle et l'attrait involontaire qu'elle renvoyait. Une énigme aux longs cheveux bruns. Elle représentait tout une existence que je connaissais à peine, mais dont j'effleurais les parois, plongé par un désir forcément inconscient de creuser un espace dans la sienne, sa destinée. J'en changeais les allés à ma manière, juste ici aux secondes passagères. Le temps, lui, s'était figé. J'aspirais ses yeux, d'une force à peine modérée, ses lèvres caressant à nouveau l'extrémité de ma cigarette, jaloux quelque part de ne pas être cette fumée qui enlace l'intérieur de son être, la connaitre jusqu'an les moindres nerfs. Ses mots me frappèrent. Tonnerre. Elle avait pris un bout de mon feu habité pour s'en servir d'une justesse qui m'avait choqué. La beauté de l'écriture spontanée. Je serrais sa main tout en reprenant ma clope de l'autre. Faut respirer. Elle pouvait bien se consumer, je m'en fichais pas mal.
«Tu trouves pas qu'on a de la chance d'avoir un pouvoir aussi grand? Réunir les élèments, les contrôller par un simple alignement de mots parfaits? Ce que tu viens dire a sûrement déchainé des marées, remuer des étoiles pendues dans des cieux embuées. Je voudrais pouvoir l'entendre encore. » lui répondais-je presque emporté par un soudain emportement que je n'avais pas vu m'habiter depuis si longtemps. Les mots fusaient, les sensations s'aiguisaient, essentiellement après avoir libéré la pulsion du baiser. Sa main caressant mon visage, c'était la confirmation que j'avais écouté ce qu'il fallait. La confirmation que je vivais du réel, de la vérité et que cette inconnue était un incendie allumant mes inspirations endormies. Putain, merci Jonas, je lui devais ça. J'observais les moindres traits de son visage se plissant à la question naturelle qu'elle me posait. Si je pouvais déchirer les mots un jour pensés et les réecrire avec une parcelle de son coeur, il n'y a fondamentalement rien qui me retiendrait. Ses lèvres encore désir discret ne quittait pas mon esprit aussi facilement. Qui était-elle?
«J'pense pas, faudrait que tu réessaies ; chuchoter un mot par hasard ou m'expliquer comment t'arrives à me maitriser d'un simple baiser. Comment t'arrive. » D'un sourire, j'écoutais en boucle les mots que j'avais moi-même pesé. J'avais pas de fermeture tout d'un coup. J'avais pas à contrôler la mesure, tout se faisait si docilement. Une idée soudaine pénétra mon esprit. Une idée éclair, une idée sincère. Je baissa les yeux, caressant de mon pouce le revers de sa main, contemplant les mots qui s'affichaient devant moi. «Sois avec moi ce soir. S'te plait. On se connait à peine, mais je te montrerais un truc, j'sais pas, j'ai l'impression que je dois le partager. » Mystère déballé, secret craqué. Pour un bien comme pour un mal inexistant. J'avais le sentiment que le révéler, à elle exactement, ça allait le rendre encore plus signifiant.