can someone rescue me -r.

Le départ d'Anna avait été très dur à vivre. Elle était partie sans même venir te dire au revoir une dernière fois. Tu le vivais assez mal, d'autant plus avec la mort de Maisy. Tu n'étais pas particulièrement proche d'elle, mais tu avais pu voir ta colocation se dissoudre. Nelligan s'en aller bientôt en études, Jordan passait clairement son temps dehors, tandis que toi tu passais ton temps dans ta chambre. Tu avais besoin de bouger, de faire quelque chose parce que tu ne pouvais plus tourner en rond, tu ne le supportais plus. Tu avais entendu parler d'un centre pour aider les jeunes, une association. C'était ce dont tu avais besoin, te mettre dans un projet, te changer les idées et t'intégrer dans ta nouvelle vie. Sans plus attendre tu prenais ton téléphone pour demander un entretien. Tu ne pensais pas avoir une réponse positive pourtant, l'après-midi même tu avais un rendez-vous. Tu te préparais en vitesse, filant droit vers le quartier nord de la ville, passant sur la place, où une foule était rassemblée. Tu ne savais pas trop pourquoi, sûrement encore une manifestation pour la fin du monde. Pourtant, ça faisait déjà un mois que la fin du monde était annoncée et rien ne s'était passé. Ce n'était pas pour aujourd'hui, enfin c'était ta façon de penser clairement. « Bonjour Mr. Rosenbach, je suis Mlle Inan. » Tu tendais ta main timidement vers lui, un sourire crispé sur le visage. Les relations avec les hommes étaient toujours aussi compliqués, tu ne savais pas quelle mouche t'avait piqué pour te lancer dans ça. Tu n'avais même pas pensé que tu aurais du mal à être normal face à lui. Il t'invitait à t'asseoir et tu t'exécutais sans plus attendre, prenant rapidement la parole avant qu'il ne te questionne et que tu sois tétanisée dans un silence. « Je sais que c'est un centre qui voit par la danse, mais j'avais pensé à autre chose. » ajoutais-tu doucement en te triturant les mains. Tu avais eu une idée oui, tu ne savais pas ce qu'elle valait mais il fallait tenter le coup non ? « Je suis une grande cinéphile, je passe beaucoup de temps devant un écran et je me suis dis que si on pouvait réaliser un film amateur avec les jeunes, pour extérioriser tout ça, les intéresser au cinéma » Tu avais parlé rapidement, de peur qu'il ne te coupe la parole, pour te dire que tout ça était grotesque, peut-être un poil trop vite. Mais c'était toujours comme ça quand tu étais stressée, quand tu étais devant un homme et que tu n'arrivais pas à trouver ta place. « Qu'en pensez-vous ? » Tu avais levé le regard vers lui rapidement pour à nouveau le baisser sur tes mains. Son silence était un peu long pour toi, tu ne savais pas à quoi t'attendre, mais si tu avais pu connaître le personnage avant de venir ici, tu aurais su que tu n'avais pas de crainte à avoir, qu'il ne risquait pas de te manger, ni même de se moquer de toi. Au contraire, il serait peut-être même plus emballé par ce projet que toi. Mais tu ne savais rien de tout ça, tu te contentais d'attendre qu'il dise un mot.

En cette journée de la prétendue fin du monde, j’avais fait tout mon possible pour me tenir bien occupé et ne pas avoir à y penser. Je ne dis pas que j’y croyais dur comme fer. J’avais tendance à être plus rationnel que ça, habituellement, et pourtant une petite voix dans ma tête me disait depuis un mois que peut-être que je devrais réellement vivre ces jours comme s’ils étaient mes derniers. L’angoisse s’était faite bien présente dès la première nuit sur l’île. Depuis, elle ne me quittait pas. Elle se faisait silencieuse, petite, vautrée dans un coin de ma personne, mais elle était bien là quand même. Et aujourd’hui, alors qu’il s’agissait de la date exacte qui se trouvait sur les lèvres de tout le monde depuis trente-et-un jour, elle était à son comble. Je tentais donc de la faire taire en ne m’accordant aucune seconde de répit, de sorte à ce que la journée passe en un éclat de lumière. C’est d’ailleurs pourquoi, la veille, quand j’avais reçu un appel d’une certaine Ayda Inan, je lui avais tout de suite donné rendez-vous pour le lendemain, soit aujourd’hui. De toute façon, toute aide au centre était la bienvenue et puis elle semblait avoir des idées en tête. Aussi bien la rencontrer le plus tôt possible. Nous étions donc en fin de journée lorsque j’entendis la porte s’ouvrir. Je sortis de mon bureau pour aller accueillir la jeune femme. Elle tendit sa main vers moi et je l’attrapai avec fermeté pour bien sceller cette présentation. « Bonjour ! Tu peux m’appeler Concho, les jeunes vont rire de moi s’ils entendent quelqu’un m’appeler Mr. Rosenbach. » Je lui souris d’un air chaleureux. « De mon côté, puis-je t’appeler Ayda ? » Et j’espère avoir bien conservé en mémoire son prénom et sa prononciation. Je l’invitai ensuite à me suivre jusqu’à mon bureau, et on passa devant la salle de répétition où se trouvait Lexi en train de répéter un numéro pour l’ouverture de la galerie d’arts d’Ally. Je passai ma tête dans l’encadrement de la porte. « Lexi, je vais être dans mon bureau un moment, j’te reviens après ! » Lui lançais-je par-dessus la musique. Je me tournai vers Ayda avec un sourire. « C’est l’une des prof’ de danse pour les jeunes. » Lui appris-je avant de la conduire jusqu’à mon bureau, où je l’invitai à s’asseoir. Elle était bien silencieuse jusqu’à maintenant mais, une fois assise, la turque me déballa toute l’idée qui lui était venue en tête en prenant connaissance de Head Ahead. Elle me demanda finalement mon avis, moi qui avais bu ses paroles et qui en redemandais encore. J’haussai les sourcils, me laissant tomber contre le dossier de ma chaise. « Wow ! J’adore l’idée, Ayda ! Et ça tombe pile au moment où j’essaie justement d’ouvrir un peu plus les horizons du centre, sortir de la danse, en quelque sorte. Je suis vraiment, vraiment partant. » Lui avais-je déballé avec enthousiasme. Puis, une petite moue timide s’installa sur mon visage alors que je me penchais vers elle, les mains sur le bureau. « Mais, avant de trop m’emballer, je dois te dire qu’ici c’est un organisme à but non lucratif, du coup … quand on bosse ici, la rémunération ce n’est pas, disons … ce n’est pas vraiment … à considérer. » Bon, Lexi et les autres chorégraphes touchaient quand même un certain salaire, mais qui ne les faisait pas passer pour des salariés. Elles étaient avant tout des bénévoles, tout comme Eleanor et moi.

En tout cas, tu ne pourrais pas dire qu'il ne savait pas accueillir les gens. Au contraire, tu avais tout de suite eu envie de sourire en le voyant s'approcher de toi. Il s'exprimait un instant auprès d'une certaine Lexi, qu'il te désignait comme étant une prof de danse. Tu hochais la tête tout en le suivant, l'écoutant te dire qu'il ne faudrait pas que les jeunes t'entendent l'appeler par son nom. Comme si c'était embarrassant. « Euh.. Oui.. D'accord ! » bafouillais-tu. Tu n'avais pas l'habitude qu'un homme t'appelle par ton prénom, qu'on soit aussi familier avec toi alors que c'était une première rencontre et aussi un entretien. Tu avais l'impression d'être avec un ami alors que ce n'était pas le cas. C'était sûrement pour te mettre en confiance, mais ça te faisait plutôt l'effet contraire. « Ah oui ? » L'idée lui plaisait, l'idée l'emballait peut-être même plus que toi. Tu étais surprise puisque tu ne pensais pas avoir un avis aussi favorable. Il cherchait à sortir du champ de la danse et pour le coup, ton idée pouvait coller. Mais il ne tardait pas à clarifier un point, sur lequel son visage s'était presque refermé, effaçant rapidement tout l'enthousiasme qu'il avait pu avoir quelques secondes auparavant. « Je vous rassure, je ne cherche pas à gagner d'argent, juste à m'investir dans un projet pour me sentir chez moi. » Tu ne faisais pas ça pour l'argent, tu le savais qu'il n'y en aurait pas, mais ça semblait l'inquiéter. Comme si c'était la première question que les bénévoles devaient poser. Pourtant tu savais très bien ce que désignait le terme bénévole et tu l'acceptais sans aucune réticence. « Je cherche à m'intégrer dans cette nouvelle vie et je me suis dis que prendre part à une association pourrait être un bon moyen. Le cinéma a été mon échappatoire, il l'est toujours. C'est comme ça que j'ai eu cette idée. » Oui, un nouveau départ, voilà ce que tu voulais. Rien de plus. Et tu comptais bien mettre les choses à plat avec lui. « En tout cas je suis... » Tu n'avais pas pu terminer ta phrase, surprise par le sol. Par les secousses qui se faisaient ressentir. Tu ne comprenais pas ce qui se passait mais ça ne t'empêchait pas de te mettre à crier, te cramponnant à ta chaise. Les secousses se faisaient de plus en plus fortes, tu sentais de la poussière te tomber dessus, levant la tête au plafond, tu le voyais se fissurer et ton premier réflexe avait été de te replier sur toi-même, former une boule et prier. Tu avais prié si fort, essayant d'oublier tes cris, tes battements qui s'affolaient à mesure que la secousse se prolongeait. Tu ne savais pas ce qui se passait mais à présent tu étais sous les débris du centre dans lequel tu étais rentrée quelques minutes plus tôt. Couverte de poussière tu t'étais mise à tousser, ignorant encore la douleur qui t'accablait. « Concho ? » soufflais-tu doucement, manquant de t'étouffer avec toute la poussière dans l'air. C'était presque irrespirable. Et c'est maintenant que tu poussais une grimace de douleur, tu devais avoir une côté ou deux d'enfoncées, tu ne sentais plus tes jambes et il t'étais impossible de les bouger. Tu ne voyais rien, rien que de la poussière et tu entendais enfin les cris de l'extérieur, les cris paniqués des gens. Tu préférais ne pas savoir à quel point ça devait être horrible, là dehors, à quelques pas de toi.

J’arrivais à lire toute la sincérité sur le visage et dans le ton de voix d’Ayda lorsqu’elle m’assura qu’elle ne cherchait pas à gagner de l’argent, mais bien à s’investir et à s’intégrer. « Tu vas voir, avec tous ces jeunes, tu sentiras bien rapidement que tu fais partie d’une belle communauté. » Ajoutais-je, comme si c’était à moi de la convaincre de rejoindre nos rangs, alors qu’au départ c’était elle qui venait me vendre son projet. Comme quoi, j’étais réellement emballé par ce que la turque avait à offrir à Head Ahead. Ayda meconfia un peu plus d’elle-même en disant que le cinéma était son échappatoire depuis toujours, d’où cette idée en entendant parler de mon centre. J’hochai la tête. Elle allait ajouter quelque chose, une chose que je ne saurais jamais, quand des secousses se firent ressentir sous nos pieds. Ayda cessa tout de suite de parler, déstabilisée par le sol tremblant et la poussière qui s’échappait des murs. J’avais moi-même concentré mon attention sur les murs plutôt que notre entretien. Les secousses se faisaient de plus en plus fortes, et je savais pertinemment que le centre, n’étant qu’un ancien bâtiment vieux de bien trop de décennies déjà, ne tiendrait pas le coup si le tremblement durait plus longtemps. Mais il était déjà bien trop tard. Ayda et moi levâmes les yeux au plafond juste à temps pour assister à sa fissuration. « Attention ! » Avais-je crié plus par réflexe que pour un réel objectif quelconque. Nous avions beau vouloir faire attention, il n’y avait rien que nous pouvions faire contre l’effondrement du centre. Sur nous. Sur Lexi, de l’autre côté. Sur tout ce que nous avions construit. Je me réveillai quelques minutes plus tard, peut-être, je ne sais plus trop. En tout cas, la poussière continuait à danser dans les airs. Du moins, l’air que je pouvais voir. Parce que j’étais coincé sous tellement de débris qu’il était difficile de me situer dans l’espace. Je n’entendais que des bruits lointains, la panique extérieure, les sirènes de police de nombreuses rues plus loin. Ici, rien. Ni la voix d’Ayda, ni la voix de Lexi. « Ayda … Lexi … ? » Soufflais-je moi aussi, ne sachant pas que la première aussi cherchait à attirer mon attention, et que la deuxième avait déjà poussé son dernier souffle.