Toi et moi on se connaît si bien (pv Karma Lake)

Toi et moi on se connaît si bien

Si la sonnerie n’avait pas retentit à ce moment précis, j’aurai fini par croire que la journée ne se terminerai jamais. Les cours, c’est chouette, mais c’est toujours trop long. Surtout lorsqu’il s’agit de théorie : rester assis sur une chaise et maintenir une concentration correcte n’est vraiment pas mon truc.

D’un geste rapide, je ramassai mes feuilles en un tas uniforme, soin qui s’avérait inutile puisqu’elles allaient de toute façon finir en bazar dans mon sac parmi quelques stylos et ma brosse à cheveux. Je sorti de la salle en prenant soin d’esquisser un rapide signe de tête aux camarades à qui j’avais vaguement adressé la parole ces derniers jours. Ils n’étaient pas nombreux, mais ils avaient l’air plutôt… gentils. Je ne savais pas vraiment si j’allai réussir à me faire des amis dignes de ce nom dans cette fac. Mais c’est sans doute l’effet du stress : tout le monde me paraît inaccessible. J’avais hâte de rentrer dans mon nouveau petit cocon avec la seule personne de qui je ne craignais pas le jugement : Haley.

J’avais plein de choses à lui raconter : cette nouvelle journée, mes cours un peu particuliers, ces personnes dont j’avais obtenu quelques sourires gênés à cause de mes regards insistants un peu partout. J’avais difficilement réussi à contenir mon excitation aujourd’hui, les études d’art m’avaient toujours tentées, mais jamais je n’aurai cru que cela allait se concrétiser. Ici, et loin de tout.

Je passai la grande porte de l’université et pressai le pas pour atteindre le bus qui venait d’arriver. Haley avait fini plus tôt que moi aujourd’hui, et je me demandai comment s’était passée sa journée. Je passai mes écouteurs et fis défiler la musique sous mes doigts, jusqu’à m’arrêter à une chanson chargée de souvenirs, « Another day in paradise », de Phil Collins. Les paysages qui défilaient devant mes yeux me semblèrent soudain empreints d’une lueur étrange.

Plus rapidement qu’il ne le faut pour le dire, j’étais arrivée devant l’immeuble. L’avantage à habiter en ville, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’excuses pour s’épuiser à la marche : il y a des arrêts de bus à chaque coin de rue et tout ce dont on a besoin à portée de main. Je ne suis pas une grande sportive.

Arrivée devant la porte, je n’avais même pas encore actionné la poignée que j’étais déjà en train de m’adresser à Haley comme une pipelette :
« Coucou, je suis rentrée ! Alors c’était comment ? Parce que moi j’avais hâte de rentrer, franchement c’était… »
Une formidable odeur de légumes grillés et de sauce soja m’obligèrent à arrêter mon discours pour prendre une grande inspiration. J’avais presque oublié que je mourrai de faim et que ma meilleure amie avait toujours ce genre d’attentions géniales.

Avec un sourire plus expressif que je ne l’espérais, je couru –peut être un peu trop vite- pour la prendre dans mes bras.

Toi et moi on se connaît si bien

"Tadam !"

Je relâchai mon étreinte et adressai à mon amie un regard plein de remerciements. Des vrais repas faits maison, on en faisait pas souvent. Mais, malgré nos compétences culinaires plutôt limitées, on s'en sortait toujours, et les plats qui finissaient à la poubelle étaient de plus en plus rares.

Je pris place sur la chaise que me tirait Haley en vrai gentlemen, et l'observait peaufiner sa petite surprise tout en me racontant sa journée.

"Alors raconte moi ta journée ! Moi c'était très étrange aussi...On a eut une conférence et j'ai bien cru que j'allais attirer toute l'attention de l'amphi...heureusement le professeur a été cool et on a pu lancer un débat."

Elle posa un grand wok rempli de légumes finement coupés et bien dorés, duquel  dégageait un arôme divin. J'avais l'eau à la bouche.

Je remarquai la bouteille de vin qui trônait sur la nappe immaculée. Je ne me m'y connaissais pas particulièrement, mais il me sembla que celle ci fût loin d'être un grand cru, et je retins un ricanement alors que je m'imaginais quel goût allait avoir cette association entre la poêlée à la sauce soja et ce vin bizarre.
Dans tous les cas, elle s'empara de la bouteille et me servît mécaniquement un verre plein, et pour elle, seulement un fond. J'avais l'habitude qu'elle différencie nos quantités comme ça, Haley n'aimait pas trop boire. J'ai toujours pensé que cela venait de la peur qu'elle pourrait avoir à perdre le contrôle.

"A notre nouvelle vie alors !"

Nos verres s'entrechoquèrent dans un tintement aigu. Je pris une petite gorgée et remarquai que mon jugement sur la bouteille était fondé. Sans afficher aucune expression faciale, je me contentai d'avaler en espérant qu'Haley ne remarquerai pas que sa bouteille était mauvaise.

En ravalant un rire moqueur pour ne pas gâcher sa surprise, je poursuivi le discours que j'avais entamé :
- J'ai exagéré, ma journée s'est bien passée, mais c'était long. Tu me manques en cours, tu le sais ça ?! Je suis sûre que les gens te plairaient, à toi, dans cette classe. Ils sont presque tous aussi sérieux que toi ! Enfin, presque, hein.

J'engloutis mon assiette en prenant un plaisir certain, et sans me priver de le faire remarquer à mon amie à coups de gémissements satisfaits et de léchage de babines intensifs. Les légumes étaient parfait, et la quantité était parfaite. Haley devenait de plus en plus douée en cuisine.  

Toi et moi on se connaît si bien

"Berk ! Il est vraiment pas bon !"

Youps. Elle avait remarqué. Soulagée de ne pas avoir à finir mon verre, je repoussai celui-ci et me mit à rire.

"Tu as des beaux garçons au moins dans ta classe ?! Je sais que tu aime passer le temps en les admirant."

Absorbée par le sourire satisfait de mon amie, je me mis à réfléchir. J’avais passé un certain temps à observer les visages qui m’entouraient, mais plutôt par envie de m’intégrer quelque part que pour le véritable plaisir des yeux.

-Il y en avait quelques uns, oui, qui étaient plutôt mignons. Un grand brun avec les yeux verts, il était assis au fond de la classe à ma dernière heure de cours, à côté d’une jolie blonde, vraiment jolie, aux cheveux mi-longs, elle portait une veste en jean foncée comme celle que je voulais l’année dernière, elle avait les yeux clairs et un teint superbe, elle était vraiment…

Mais attend, qu’est ce que je raconte ?

-Enfin, le gars à côté, il était super mignon ouais.

Je fronçai les sourcils et plongeai le regard dans l’assiette d’Haley. Afin de me donner une contenance, j’attrapai un bout de pain et détachai la mie pour l’engloutir afin de ne pas donner à Haley l’envie de me poser des questions sur ce que je venais de dire. J’avais parlé sans réfléchir, en revenant seulement en arrière dans ma mémoire, et ce souvenir m’était revenu tout seul. Enfin, j’avais vu un joli garçon, une jolie fille, pourquoi est ce que je m’inquiétais d’un seul coup ? Ca n’avait rien de bien extraordinaire dans une fac.

M’apercevant que j’étais partie dans mes pensées depuis quelques secondes trop longues pour être naturelles, je relevai les yeux vers Haley et esquissai un sourire forcé accompagné d’un gloussement ridicule.

-Tu veux du pain ?

Toi et moi on se connaît si bien

La bouche pleine et le regard de biais, j’observai mon amie pleurer de rire devant son assiette.

"Non....merci...Je veux pas de pain..."

M’apercevant du ridicule de la situation, son rire devînt contagieux, et je me mis à mon tour à glousser. Pendant une bonne minute, aucune de nous deux n’aurait été capable de formuler quoi que soit. Reprenant son sérieux plus vite que moi, Haley réussit à reprendre son souffle :

"Pourquoi cette réaction ?! Tu sais très bien que je ne vais pas te juger par rapport à ça...En tout cas, je me souviens de cette fameuse veste en jean, elle était vraiment cool ! Je suis sur que cette fille devait être très belle dedans ! Tu aurais peut-être du lui parler un peu tu crois pas ?"

Je repensai à mon regard posé sur elle et imaginai la situation : je me serai sûrement pointée devant elle avec un sourire idiot en lui déballant 50 mots à la seconde en espérant qu’elle puisse en saisir le sens. Tout ça pour ne lui dire que des banalités. Et puis j’aurai finit par partir, honteuse, en me disant qu’elle était sûrement hétéro et que je n’avais aucune chance.

"Maintenant qu'on est plus dans la même classe, je pense qu'il serait normal qu'on se fasse de nouvelle connaissance...Et ça nous ferais du bien ! Et puis, ce pays est un moyen de repartir à zéro ! Enfin, je serais toujours la pour toi ! Tu le sais n'est-ce pas ?! Chumani !"

Le visage de mon amie avait pris une expression chaleureuse, presque maternelle. Je voyais dans son regard et son sourire qu’elle avait eu peur de me dire cette phrase, peur que je ne crois qu’elle veuille me remplacer, peur que je me sente mise à l’écart. Mais j’étais d’accord avec elle, j’en avais besoin.

-Tu sais quoi ?! T’as raison. J’aurai du parler à cette fille mais, tu me connais, je flippe pour rien. La prochaine fois que je croiserai une belle gosse promis je penserai à toi. Enfin, à tes conseils, hein ?

Je lui fît un clin d’œil et lui lançait une boulette de mie de pain en riant.

-Je finirai bien par rencontrer des gens, quand je me sentirai moi-même plus à l’aise ici. Et puis, ce sera chouette après, on pourrait faire des petites soirées tous ensemble où on se présenterait nos trouvailles. Et quand ils seront tous partis on pourra se vautrer dans le canapé pour parler d’eux. Ce serait bien d’avoir des amis en commun. Et puis ça ne pourra pas briser notre petit cocon, ça je n’ai aucun doute la dessus !

Je lui rendis son sourire chaleureux et, voyant son assiette vide, je fis mine de humer l’air…

-Ca sent le riz au lait nan ?

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J'aimai bien m'amuser à parler des gens que je remarquai et avec qui je flirtais devant Haley. Elle était beaucoup plus timide que moi dans ce genre de relations, et j'aimai pousser le détail jusqu'à ce que son teint devienne pourpre et qu'un sourire gêné étire ses lèvres. Elle était vraiment trop mignonne quand elle était mal à l'aise.

"Ouiiii !! J'ai tenté un petit truc, bon je te promet pas que ce soit bon vu mon niveau de cuisine hein ?!"

Mon amie disposa deux ramequins de riz au lait face à nous. J'attendis qu'elle reprenne place sur sa chaise puis enfonça ma cuillère dans le dessert... Il était très bien réussi. J'étais vraiment contente qu'Haley ait eu la patience de préparer ce repas, réussi du début à la fin, il n'y a rien de tel qu'un bon petit festin en rentrant des cours. La cuisine, c'était pas trop mon truc. Les dosages, la cuisson... J'arrivai à rater des pâtes alors, faire des petits plats de chef et des desserts réussi, j'avais arrêté d'espérer.

"Est-ce que tu pense rentrer un peu pour les fêtes ? Je sais que ça fait pas longtemps qu'on est là mais, je me demandais. Personnellement, ma mère m'a dit que mon cousin aurait bientôt son rite de passage à l'âge adulte, je pense y assister, en plus ça tombe pendant les vacances d'Halloween !"

Je n'y avais pas vraiment réfléchi. On était là depuis peu alors, je pensai que mon amie attendrai un peu avant d'avoir le projet de rentrer. Mais je n'avais effectivement pas pensé au fait que la fête d'Halloween approchait à grands pas et, avec elle, les rituels particuliers de sa famille. J'aurai dû prévoir qu'elle me demanderait ça. Et moi ? Est ce que j'allai rendre visite à ma tante tout de suite, ou est-ce-que j'allai rester ici et essayer de m'intégrer un peu plus à cette ville ?

-Hum... Je sais pas du tout ma chérie. Personnellement, je n'ai pas grand chose à faire là bas à cette époque de l'année tu sais... Ma tante serait sûrement contente de me voir mais je sais pas trop si ça vaut le coup que j'y aille maintenant. Je... vais réfléchir, d'accord ?

Je venais de tourner la page sur mon passé et mon coeur était chaque jour plus léger, ici à Bowen. J'avais peur de le remplir à nouveau d'angoisse, si jamais je retournai la bas. Je n'avais pas envie d'avoir à nouveau ce poids dans la poitrine...

Sortant de mes pensées, je décidai que je règlerai cette question plus tard et entreprit de débarrasser la table et de faire la vaisselle.

-C'était vraiment super bon, darling !

J'embrassai la joue de mon amie et me tournai vers l'évier.

Toi et moi on se connaît si bien

D’un sourire chaleureux, mon amie me rassura : "Pas de soucis, je comprend parfaitement....Je veux juste être sur que tu ne t'ennuiera pas sans moi !"

Je lui souris à mon tour. J’aimai sa façon de me comprendre, de savoir à quel moment parler, et à quel moment se taire. C’est comme si elle arrivait à entrer dans ma tête et à prendre en compte la moindre de mes pensées. Cela me faisait toujours un bien fou de lui parler.

"C'est pas de la grande cuisine mais, tant mieux si ça tu as aimé...On pourra se regarder un film après si tu veux...Je vais essayer de pas m'enfermé dans mes livres ce soir ! Enfin un film mais, pas historique tu sais bien comment je suis avec ça !"

Ca oui, je savais comment elle était ! Des commentaires toutes les deux minutes pour dénoncer les incohérences, montrer son désaccord ou m’expliquer des détails qui n’aident absolument pas à comprendre le film. Cette attitude était super énervante pour la plupart des gens, mais moi, ça me faisait rire. J’aimai bien aussi commenter les films ou parler à place des acteurs. C’était beaucoup moins profonds comme commentaires, mais ça me permettais de comprendre pourquoi elle avait cette manie, et à quel point c’était difficile de faire autrement.

Pour me moquer d’elle, j’ouvris des gros yeux et me mit à la fixer avec un air ridicule comme si il elle s’était transformée sous mes yeux en extra-terrestre.

-Un film ?! Un FILM ?! Pas historique ?! Pas de livres ?! Non non il doit y avoir un problème là.

Je me retournai tout en gardant mon air ridicule et repris machinalement la vaisselle, en voyant que Haley n’avait plus rien à essuyer. Faisant mine de ne pas prêter attention à elle, je reçu une giclée d’eau en plein dans la figure. Je levai les yeux au ciel, posai mon éponge sur le bord de l’évier et pivotai vers elle avec les lèvres pincées.

-Haleeeeeyyyyyyyyy….. Tu n’aurais jamais dû faire ça !

Je l’observai s’éloigner en riant et plongeai mes deux mains dans l’eau avant les projeter en direction de son T-shirt, déjà trop transparent. Heureusement qu’il n’y avait que nous, car les endroits mouillés laissaient maintenant apparaitre clairement ce qu’il y avait en dessous.

-Soutif bleu, j’en étais sûre !

Je haussai les sourcils dans un regard évocateur et attrapai le torchon en faisant mine de m’en servir comme fouet.

-Aller ! Va choisir le film puisque tu as décidé que ce serait une bonne soirée !

Toi et moi on se connaît si bien

Voyant Haley s'éloigner pour obéir à ma menace, je me retournai en souriant et fini d'essuyer ce qu'il restait de vaisselle.

A peine cinq secondes plus tard, j'entendis des pas rapide derrière moi, qui ne me laissèrent même pas le temps de me retourner : mon amie avait enfoncé ses mains sous mes côtes et plaqué une bouche pleine de bave sur ma joue. Elle lâcha prise et s'enfuit en riant comme une enfant pour aller se percher sur le canapé. L'air vengeur, j'essuyais la joue du revers de ma main puis avec tout mon avant bras. Aller vas y continue ! J'observai son sourire plein d'ambitions et reçu un coussin en plein dans la figure. Elle savait viser, la fourbe. "Bats toi ! Si tu es une femme ! Cette fois, tu ne gagneras pas !" Oh alors là.... Elle ne perdais rien pour attendre ! Dans un cri de guerre, je fonçai sur elle tête baissée et enroulais mes bras autour de ses mollets pour la faire tomber en arrière. Une fois vulnérable, je grimpais sur elle pour lui bloquer les jambes et enfonçai mes doigts à travers ses côtes pour la chatouiller.

Une fois que j'eût décidé qu'il y avait assez de larmes sur ses joues à force de rire et de se débattre en vain, je m'emparai du coussin qu'elle avait laissé tomber et le frottai sur ses cheveux pour la décoiffer.

-T'es plus jolie comme ça ! Les cheveux en vrac et le maquillage qui coule, une vraie bombe sexuelle !

J'attrapai mon portable dans ma poche et enclenchai l'appareil photo, tout en essayant difficilement de retenir ses mains qui essayaient de me faire tomber et de cacher son visage.

-Alors ?! C'est qui la femme hein ?!

Fatiguée, je baissai ma garde une fraction de seconde, résolue à remporter la victoire, puis tombait par terre d'une manière ridicule dans un grand cri, à cause d'un de ses mouvements de genou.
Merde. Elle va reprendre le dessus.