some people laugh, some people cry. some people fight, some people fall. (concho)

Les portes de l'ascenseur se refermèrent lentement devant ses yeux fatigués, grinçant avec légèreté lorsqu'elles se cognèrent l'une contre l'autre. Elle leva le regard vers les numéros des étages qui défilés sur un petit cadran lumineux, serrant contre sa poitrine la lanière de son sac. Alexandra avait pensé apporter une fleur, elle en avait vu des très jolies de l'autre côté de la rue avant de rentrer dans l'hôpital, mais elle s'était ravisée au dernier moment. Ses doigts tapotaient nerveusement contre son poignet, resserrant parfois l'élastique qui maintenait ses cheveux. Elle ne savait pas quoi faire de ses mains quand elle réalisa que l'ascenseur s'immobilisait à l'étage qui l'intéressait. Elle s'était assurée que sa famille allait bien, Cliff aussi, avant de venir jusqu'à l'hôpital pour retrouver Concho. Personne ne savait qu'elle viendrait ici aujourd'hui. Son jumeau avait été mis dans la confidence, parce qu'il était le seul à oser encore lui parler de l'australien, à lui avoir dit qu'il avait été blessé pendant le séisme. Il était le seul, aussi, après son accident, à lui avoir parlé de sa rupture avec Conchobahr. En franchissant les portes de l'ascenseur, elle toisa le long couloir dans l'espoir de repérer rapidement le numéro de la chambre qu'on lui avait donné. Elle avança de quelques pas, hésitant à faire demi-tour, parce qu'elle ne savait pas quoi penser de cette situation. Il fallait chasser Concho de son esprit, mais il était toujours là, quelque part, les souvenirs de leur relation bien présents dans ses pensées. Son amnésie l'avait ramené à une époque où elle était irrévocablement amoureuse de lui. Elle s'en voulait de penser à Conchobahr en premier plutôt qu'à Cliff. Elle se sentait seule, incroyablement vide sans la présence de cet homme qu'elle avait longtemps aimé. Finalement, elle se décida à cogner contre la porte, se faisant la promesse qu'elle ne resterait pas trop longtemps. Alexandra aurait sans doute continué de l'ignorer si son frère n'avait pas parlé de son hospitalisation. Elle inspira un grand coup avant de pousser sur la poignée, relevant les yeux pour trouver Concho dans un lit. Son cœur tambourinait dans le creux de sa poitrine, et si il avait pu, il serait sorti pour s'écraser sur le sol. Elle resta à l'entrée de la chambre, reposant sa tête contre le cadre de la porte. Elle ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. Il ne voulait sûrement pas la voir, il l'avait peut-être oublié. Peut-être n'avait-elle plus sa place à ses côtés maintenant. Leurs regards se croisèrent et ses lèvres s'étirèrent en un sourire sincère malgré la distance qui les séparait l'un de l'autre. « Est-ce que je peux entrer ? » La distance physique entre eux était une torture qu'elle n'avait, finalement, jamais vraiment connu. Elle le regarda de longues secondes, notant les cernes sous ses yeux fatigués et les ecchymoses sur sa peau. Ses blessures étaient peut-être impossibles à panser, mais elle aurait aimé avoir le pouvoir de le faire, s'approcher de lui, prendre sa main et retirer sa douleur.

Après des batteries de test, des prises de sang incessantes, des réveils au beau milieu de la nuit pour vérifier mes signes vitaux et un enchaînement de solutés interminable, les infirmiers et infirmières commençaient peu à peu à me laisser en paix dans ma chambre. On savait maintenant l’étendue des dégâts sur mon corps et on s’efforçait de contrôler et de réparer cela, le reste était mis de côté. Cela me soulageait, déjà, même si la douleur était là, au moins l’agacement s’effaçait peu à peu. Je comprenais que ces professionnels ne faisaient que leur travail, mais honnêtement, avec toutes les émotions vécues durant les derniers jours, je n’avais qu’une seule envie : être seul avec moi-même, ou auprès des gens les plus proches de moi. Il était certain que toute cette épreuve m’avait laissée bien des cicatrices physiques, mais c’était les plaies psychologiques qui étaient encore béantes et qui saignaient abondamment sur mes réflexions. Peu de temps après mon réveil, on m’avait appris – parce que j’avais insisté pour le savoir – que Lexi et Ayda étaient décédées dans l’effondrement de Head Ahead. Des trois personnes qui s’étaient trouvées entre les murs du centre, j’étais la seule à s’en être sortie. Pas indemne, mais vivante. La seule personne à avoir survécu. J’avais beau ne pas avoir connu Ayda plus de cinq minutes, elle était une femme extraordinaire, généreuse et pleine de bonté, j’avais pu le voir. Et puis c’était bien ça, le pire : elle n’était au centre que pour un bref entrevue. Cinq minutes de plus et elle se serait sans doute trouvée dans les rues, là où rien n’aurait pu lui tomber sur la tête sauf le ciel, et il se trouvait encore au-dessus de nous, celui-là. Bleu, brillant, comme si rien ne s’était passé. Et Lexi, Lexi était l’une de mes plus proches amies. Elle m’avait aidé, épaulé, avait tout partagé avec moi pendant la naissance et l’évolution du centre. Et elle n’était plus de ce monde. Mais moi oui. Bref, à chaque fois que je me retrouvais seul dans ma tête, la souffrance revenait. Et j’avais besoin de la ressentir, pleinement. Comme pour me punir. Pour ne pas oublier.

J’ouvris les yeux quand j’entendis un craquement à ma droite, là où l’entrée de ma chambre se trouvait. La porte était ouverte et, dans l’entrebâillement, se trouvait Alex. Cette ancienne petite amie avec qui j’avais renoué à mon retour à Bowen, il y avait déjà douze mois de cela. J’avais réellement pensé, à ce moment-là, que nous pourrions retrouver le chemin que nous avions laissé derrière nous, à l’abandon. J’avais réellement cru pouvoir reprendre ce que nous avions, là où nous y avions mis un terme. Ou une pause. Visiblement, ce n’était pas le cas, car peu de temps après nos retrouvailles, Alex n’avait plus donné de ses nouvelles. En lâche que j’étais, je n’avais pas vraiment cherché à comprendre non plus. Je m’étais dit que la rancune avait repris le dessus sur les anciens sentiments. Ou alors qu’elle avait décidé d’y aller de l’avant avec le petit ami dont elle m’avait parlé, en me laissant moi derrière. Je n’avais pas voulu me mêler de leurs histoires. Je n’avais pas voulu la briser encore plus, et briser ce qu’elle avait avec un autre. Et puis, j’avais rencontré Ally, aussi, et elle m’avait permis de tirer un trait sur Alex et moi. Je souris à Alex, tout de même content de voir qu’elle se souciait encore assez de ma personne pour venir me rendre visite à l’hôpital. « Bien sûr, Alex. » Je me relevai difficilement, grimaçant de douleur, afin de prendre une posture un peu plus présentable devant elle. Nos cœurs avaient beau avoir fait bien du chemin, je désirais toujours faire bonne impression devant elle. Ce devait être raté, pour le coup, avec la gueule d’enfer que j’avais. « Qui t’as dit que j’étais ici ? » Demandais-je, intrigué, puisque nous n’avions pas vraiment d’amis en commun, à ce que je sache.

La chambre était plongée dans le calme, seul le bruit des machines auxquelles Concho était relié brisait le silence de temps en temps. Ses doigts jouaient avec un fil qui dépassait de la couture de sa robe et qu'Alexandra aurait sans doute coupé si elle avait eu un ciseau sous la main. En découvrant Conchobahr, elle n'avait pu empêcher un sourire de naitre sur ses lèvres. Elle était heureuse de savoir qu'il allait bien malgré ce qu'il avait dû vivre là-bas, dehors, pendant le séisme, heureuse de voir qu'il était en vie. Elle ne pouvait pas imaginer ce qui s'était passé ou ce qu'il ressentait, la douleur physique ou psychologique, les images diffusées à la télé montraient qu'une partie de la catastrophe. Pourtant, Alex aurait donné n'importe quoi pour soulager sa douleur, en prendre un peu sur ses épaules pour l'apaiser. Sans trop savoir ce qui était approprié ou non de faire, elle se retient de courir vers le lit pour l'enlacer. Elle retrouvait ses traits, ce petit pli qui se formait au coin de ses yeux lorsqu'il souriait vraiment. Elle retrouvait un amour qui appartenait aux plus belles années de sa vie. Elle le détaille, remarquant qu'il avait beaucoup changé mais en restant toujours aussi beau. Elle ne pouvait concevoir qu'ils n'étaient plus ensemble. Elle savait que le chagrin créé par l'absence d'une personne était surmontable, que le temps guérissait les maux. Tout le monde le lui répétait. L'absence de Concho n'aurait pas dû la faire souffrir autant. Mais son sourire faiblit alors qu'elle baisse les yeux, se remémorant leur dernier moment passé ensemble. Un souvenir vieux d'une dizaine d'années, mais dans son esprit, il remontait à la semaine précédente, sans aucun doute. Ça lui donnait mal à la tête de réfléchir autant sur ses anciennes relations ou sur les nouvelles. « Qui t’as dit que j’étais ici ? » Il avait l'air de souffrir alors qu'il essayait seulement de s'assoir. Elle s'approcha timidement du lit pour tirer une chaise et s'installer près de lui. Elle dû se faire violence pour contrôler son envie de le toucher. En dix ans, il était sûrement passé à autre chose. Une autre femme partageait peut-être sa vie et elle se demanda à quoi pouvait-elle ressembler. Tout ce qu'elle n'était pas, peut-être. « Mon frère. Il est passé ce matin, il a dû te voir, j'imagine. » Elle lui sourit à nouveau, entourant finalement la main de Conchobahr entre les siennes. « Comment tu te sens ? Tu as besoin de quelque chose ? » Elle aurait pu lui dire n'importe quoi, elle aurait pu déposer un baiser sur ses joues, son nez, son front, sa bouche, seulement pour lui rappeler qu'elle était là. Mais c'étaient le genre de pensées qu'Alexandra devait faire taire, elle le savait. « Peut-être que j'aurais dû téléphoner avant de venir. »

Alex me regardait avec la même intensité que douze mois auparavant, quand nous avions pris tout le temps qu’il nous fallait pour nous remémorer l’autre. Elle me détaillait du regard, mais sans doute que cette fois c’était pour bien prendre conscience de mon état. Les ecchymoses, les égratignures, les boursouflures, les traits fatigués. Toutes ces blessures visibles à l’œil nu qui traduisaient tout l’enfer que j’avais vécu ces derniers jours, et surtout ces vingt-six heures passées sous les débris de mon centre. Je n’avais pas vraiment pris la peine de me regarder dans le miroir, mais allers et venues aux toilettes étant encore trop ardues pour que je prenne réellement le temps de m’arrêter devant la glace. Mais je pouvais bien imaginer à quel point ça me changeait, ces plaies, ces couleurs sur ma peau. Je me relevai difficilement, demandant à Alex qui l’avait informée de ma présence ici, ne faisant même pas le lien avec le fait que son frère était passé ce matin. Bien sûr. Quel con je faisais. J’imagine que j’étais tout simplement trop surpris par sa présence pour réfléchir correctement. Nous ne nous étions pas parlé depuis des mois et des mois, alors que j’avais sincèrement cru que nous repartions à zéro, elle et moi. Sur de bonnes bases. De meilleures bases. J’avais eu faux sur toute la ligne, et bien qu’aujourd’hui j’aie réussi à faire la paix avec ma relation avec Alex, le fait de la revoir, de la savoir inquiète pour moi, me rendait confus. J’hochai donc la tête quand elle évoqua Archie. « Oui, oui, bien sûr. Il est resté une heure environ. C’était gentil de sa part de passer. » Les mains d’Alex vint chercher la mienne, celle qui n’était pas encore attachée à ce maudit fil de soluté que je devais traîner partout où j’allais – c’est-à-dire à deux mètres de mon lit, pour pisser. Je levai les yeux vers elle, surpris par ce contact, me sentant comme si on pouvait me prendre la main dans le sac à n’importe quel moment si jamais quelqu’un rentrait. Ally, plus particulièrement. Mes sentiments pour Alex n’étaient un secret pour personne, je l’avais aimée d’un amour fort. Et comme Ally me connaissait déjà à l’époque où j’étais avec la grande blonde, elle le savait fort bien elle aussi. « Je me sens mieux. Les premières journées ont été difficiles mais … tranquillement … je reprends des forces. » Affirmais-je avec conviction et douceur dans la voix. Je lui souris. « Je n’ai rien besoin, merci. » Peut-être avais-je l’air froid et distant dans mes réponses, bien que ce ne soit pas mon intention, parce qu’Alex reprit la parole pour mentionner qu’elle aurait dû téléphoner avant de venir. Je secouai la tête. « Bien sûr que non. Je suis content de te voir, Alex. Juste … un peu surpris, j’imagine. » Commençais-je, incertain de comment présenter la chose. « Disons que … que je pensais pas que … que tu reviendrais me voir par toi-même. Enfin, après qu’on se soit vus en octobre dernier, je pensais que ça s’était réglé entre nous mais … tu ne m’as plus redonné de nouvelles. » Je caressai doucement sa main, sans même réellement en prendre conscience. « Je ne t’en veux pas, hein, je comprends. Mais je suis surpris de te revoir. Agréablement surpris. » Je souris.