Deux drôles d'oiseaux- ft Lorenzo

Elle savait que c’était bizarre…Oui. Elle le savait. Mais elle ne pouvait pas s’empêcher de trouver ça trop incroyable et trop beau. Elle tentait de ne pas trop les éparpiller dans sa chambre. Elle avait conscience que beaucoup n’était pas très à l’aise avec l’idée.

Mais c’était doux. Et cela la faisait sentir moins seule. Et après, chacun son truc! Ce n’est pas comme si elle faisait du mal à quelqu’un… Elle ne leur faisait même pas de mal à eux..ses animaux «empaillés».

Elle aimait la randonnée. Elle essayait de toujours sortir des sentiers, d’explorer la faune et la flore. En Norvège, elle occupait une grande partie de son temps à l’extérieur de la ville. Elle pouvait dessiner en paix lorsqu’elle allait camper. Elle avait été curieuse de voir ce que l’Australie avait à offrir. On lui avait, bien entendu, répété et répété que c’était incroyable et elle ne pouvait pas sincèrement répondre que c’était faux. Demeurait, qu’au fond d’elle,  elle savait que la nature de son pays natal allait lui manquer.

Mais bon.

Il était encore un peu tôt pour avoir le mal du pays et pour essayer de se convaincre qu’elle avait pris la bonne décision en venant s’installer ici elle avait pris sa tente puis était allée camper à l’extérieur de la ville. C’était si différent…Habituellement, en forêt, elle cueillait les champignons et les herbes qui l’intéressaient, mais cette fois-ci elle n’osa pas. Une chose toutefois avait attirée son attention…c’était un si bel oiseau. Elle avait trouvé par terre, mort récemment, un loriquet de Yaamba. On les trouvait sur la côte est de l'Australie... Elle l’avait pris dans ses mains et la texture délicates de son plumage l’émue presque. Elle s’était assez rapidement rendue chez un taxidermiste une fois retournée en ville. Elle espérait pouvoir ajouter ce spécimen à ceux qu’elle avait déjà…Elle avait un faible pour les oiseaux en réalité

Le son chaleureux, un peu vieillot mais cristallin, d’une clochete installée à la porte accompagna son entrée dans le commerce. Il n’y avait personne d’autre et seul le bruit nostalgique d’une horloge grand-père venait briser ce silence poussiéreux. Elle tenait avec beaucoup de précaution la boite contenant l’animal. Elle s’avança près du comptoir, mais ne vit pas le commerçant. Probablement dans l’atelier… D’un mouvement leste et candide, elle pivota son corps et arpenta les produits du magasins, étalés un peu pêlemêle. Toutes sortes d’animaux, certaines qu’elles n’avaient jamais vues. On était bien en Australie…

Elle leva la tête et regarda autour d’elle d’un air coupable avant de reporter son attention sur une bête un peu étrange. Elle approcha son doigt et l’effleura, appréciant la texture de cette peau sous la sienne.

Bowen, Bowen. Ça faisait maintenant 5 ans que tu vivais ici, tu avais eu l'impression de tourner en rond au bout de la première année. Puis tu t'y étais fait. Tu avais trouvé des nouveaux centres d'intérêts, puis tu avais changé de métier. Tu étais passé d'avocat à taxidermiste. Un gros virage à 180°. Cela faisait maintenant un an que tu avais tout plaqué pour faire ça. Au début ça n'avait pas marché du tonnerre, mais une fois dans le club des chasseurs de Bowen, tu avais su trouver ta place et ton commerce s'en portait très bien. Tu passais le plus clair de ton temps libre dans la forêt à chercher des animaux à empailler. Ce matin même tu avais trouvé un petit kangourou arboricole, une espèce sur laquelle tu n'avais pas encore eu l'occasion de travailler. Tu l'avais apporté à ta boutique pour le travailler dans l'arrière salle. Tu avais commencé par retirer la peau en prenant soin de ne pas l'abîmer. Fallait pas croire mais ce n'était pas aussi facile que ça y paraissait. A la moindre erreur, la peau pouvait s'arracher. Un travail qui demandait minutie et patiente. La cloche venait de retentir de l'autre côté, tu posais ton scalpel, retirant ta paire de gants avant de passer dans l'autre pièce. « Je peux vous aider ? » demandais-tu en posant enfin tes yeux sur ta cliente qui semblait perdue sur un de tes animaux naturalisés. Une nouvelle tête, ce qui te faisait plaisir de voir du nouveau monde, d'aider de nouvelles personnes. Ce n'était pas un métier commode, souvent on te regardait de travers, on pouvait aussi te traiter de meurtrier. Tu ne tuais personne puisque c'était déjà mort, ton travail consistait à donner un second souffle, une seconde vie à ces animaux qui n'ont pas eu de chance. Tu leur insuffler la vie, leur donnant un air heureux pour l'éternité.

« Je peux vous aider ? »

La voix, pourtant douce, la fit sursauter. Elle laissa s’échapper d’entre ses lèvres un «Oh» surpris tandis que son corps se souleva, comme s’il était pris d’un hoquet (mais sans hoquet). Ses mains laissèrent alors glisser sa boite celle, qu’elle tenait avec tant de précaution. Elle s’ouvrit sur le sol et le petit oiseau qu’elle contenait roula sur quelques centimètres. Horrifiée de le voir ainsi se balader sur le plancher, elle eut le réflexe de se pencher rapidement pour le remettre en sécurité dans le contenant. Son geste maladroit fit pencher dangereusement le spécimen naturalisé qu’elle avait observer avec tant d’attention et d’admiration. Il vacilla et bien qu’elle priait intérieurement pour que ce mouvement de ballant s’arrête, elle du accepter que ce ne serait pas le cas. Elle réussit à le rattraper avant qu’il ne tombe complètement sur le sol.

Les deux bras sous l’animal, le regard alternant entre son oiseau et le taxidermiste, Lila finit pas esquisser un sourire gêné, mais avenant.

- Hum. J’imagine qu’en ce moment vous pouvez m’aider de plusieurs façons?

Elle ajouta, dans son accent norvégien, espérant du plus profond de son être que cet homme à la chevelure rousse et, il fallait bien le dire, au visage adorable, avait le sens de l’humour :

- Une chance que vous les vider, hein? Sinon, il serait vraiment plus lourd!

Elle rigola, toujours gênée, mais tenant de le dissimuler. Ensemble, ils le replacèrent dans sa position d’origine. Les sourcils froncés, elle se pencha sur son petit oiseau qu’elle prit délicatement entre ses doigts.

- Ça va c’est fini petit! lui dit-elle doucement.

Elle regarda l’homme dans les yeux.

- Je…je sais qu’ils sont morts…mais je sais pas…j’ai l’impression qu’il a peut-être quand même eut peur. Je suis venue pour lui en réalité!

Elle se releva, redéposant l’animal ailé dans la boite en souriant. Elle put enfin détailler davantage son interlocuteur, son nez droit, sa bouche sur laquelle se dessinait ce qui semblait être une permanente petite moue, ses tâches de rousseurs… Elle se sentit rougir. Elle était là, à le trouver mignon, alors qu’elle avait failli abimer son travail et qu’elle parlait à des animaux morts. Elle toussota, tentant de prendre un air sérieux, ceux qu’ont les vrais adultes lorsqu’ils se parlent.

- Donc voilà, j’aimerais faire taxidermiser ce loriquet de Yaamba…

Elle jeta un œil au spécimen qu’elle avait presque fait tomber complètement par terre…

- Comme l’appelle-t-on, lui, d’ailleurs?

Visiblement ton entrée n'avait pas été assez sonore. Tu avais vu le petit sursaut qui lui faisait lâcher sa boîte et manquait de faire tomber un de tes spécimens. Tu avais ouvert la bouche en grand sans être capable de prononcer le moindre son, regardant le spectacle avec admiration. Elle avait réussi à le rattraper de justesse et tu sentais le soulagement te gagner. Tu tenais a chaque animal, chacun était une oeuvre, d'une certaine manière. Tu n'en faisais jamais deux pareils, il y avait toujours des détails qui changeaient la donne, aussi infimes soient-ils. Elle avait un grand sourire sur le visage et un accent coupé à la hache. Tu ne savais pas d'où elle venait, mais tu avais un peu de mal à tout comprendre du premier coup. « Et en moins bon état ! » S'ils n'étaient pas vidés, ils seraient tous en état de décomposition à l'heure actuelle. L'odeur ne serait pas top mais la pourriture et le développement des microbes eux pourraient se faire plaisir. Une idée qui te répugnait assez en fait. Elle le reposait assez vite sur le comptoir, se précipitant sur sa boîte, prenant des gestes tendres avec l'animal mort. Tu la regardais d'une manière assez curieuse à présent. « Je ressens ça aussi parfois. » Tu ne pourrais pas expliquer pourquoi ou comment, c'était comme ça. Tu leur parlais à chaque étape, verbalisant ce que tu faisais à leur corps comme si tu essayais de les rassurer, de leur expliquer que tout va bien se passer, qu'après ça, ils seront heureux pour l'éternité, que plus rien ne pourrait les blesser. « C'est avec plaisir que j'accepte votre commande, avez-vous un délai ou ai-je le temps qu'il faut ? » Parfois c'était un cadeau et tu avais moins de 24h pour t'en occuper. Tu avais un système de priorisation mais en général les gens étaient assez compréhensible et ne te donnaient pas de délais. « C'est un marsupial, plus précisément un péramélide, aussi connu sous le nom de Bandicoot » Cet animal en particulier était drôle pour toi parce que tu avais forcément en référence le jeu vidéo avec le petit renard orange qui se protégeait parfois avec des masques en bois. Tu y avais joué pendant ton enfance, c'était un de tes jeux préférés jusqu'à ce que tu t'en lasses. Mais avant l'Australie, avant ce métier, tu ignorais que ça existait en vrai même si la ressemblance n'était pas toujours frappante.

Lorsqu’il lui dit qu’il ressentait lui aussi cette affection et cette inquiétude pour le bien être ces petits êtres morts, Lila ne put s’empêcher de sourire de toutes ses dents. Enfin, quelqu’un qui semblait pouvoir comprendre…Andreas, son frère, jugeait relativement grandement l’intérêt qu’elle montrait pour la taxidermie et disons qu’elle ne s’en vantait pas vraiment à ses amies ou ses fréquentations…c’était rarement un sujet de discussion qui pouvait lui permettre de se rapprocher de quelqu’un. Tout d’un coup, l’homme qui se tenait devant elle devint encore plus intéressant.

- Incroyable! répondit-elle.

- J’ai toujours cru que j’étais la seule à ressentir ça…enfin, non, pas la seule…puisque que voilà, le monde est grand là, et on est pas mal de monde, je me doutais bien que j’étais pas LA SEULE, mais tu…vous vois, voyez ce que je veux dire!

Elle avait déclamé sa phrase d’une traite, en un souffle, comme elle le faisait souvent. Cette tendance à toujours parler très vite ne la quittait pas depuis son enfance.

- Bref..., elle glissa une mèche de ses cheveux très frisés derrière son oreille, et baissa les yeux, comme tout d’un coup, consciente qu’elle parlait trop vite. Elle lâcha un petit rire.

- Je suis contente d’avoir trouver quelqu’un à Bowen qui comprenne un peu.

D’une voix douce, qui semblait en total accord avec le calme qui régnait dans la boutique, il lui demanda si elle avait besoin d’une date précise de «livraison». Elle hocha vivement la tête.

- Non, non pas du tout! Prenez tout le temps qu’il vous faut, je veux qu’il soit parfait!

Elle rougit.

- Je veux dire, pas «parfait», je sais bien que vous êtes un humain là, c’est pas que je suis excessivement exigeante ou quoique ce soit, c’est juste, que oui, eh bien, vous pouvez prendre le temps , voilà!

Elle se tourna ensuite vers le spécimen qu’elle avait failli faire tomber alors qu’il lui expliquait ses origines et qu’il le lui décrivait.

Les yeux grands ouverts, tout comme sa bouche, elle écoutait avec attention, impressionnée.

- Ça fait longtemps que vous faîtes cela? Il est dangereux cet animal? Allez-vous tous les chercher vous-même ou on vous apporte les corps? Ça pue derrière? Est-ce que ça continue à saigner? Avez-vous tous fait les spécimens qui sont ici? Où on vous en laisse? Est-ce qu’on vous en vend? Si vous voulez je peux vous ramener un autre oiseau pour que vous puissiez en avoir un ici!

Elle tourna la tête vers lui, sautillant un peu sur le bout de ses pieds, un grand sourire enthousiaste sur les lèvres.

Elle s'était lancée dans un monologue sans fin, enfin c'est ce qui te semblait sans fin parce qu'elle ne prenait même pas le temps de respirer, jusqu'à ce qu'elle s'arrête. Tu opinais de la tête sans ajouter un mot. « Et moi dont ! » Une bonne partie de tes clients étaient des chasseurs, les émotions des animaux, ça leur passait bien au-dessus de la tête. « Vous êtes la cliente, vous avez le droit d'exiger la perfection ! Je ferais de mon mieux, je ne voudrais pas vous décevoir. » Après tout, le client était roi. C'était quelque chose que tu avais appris avec le droit, tu devais toujours répondre à ce que le client voulait. Tu ne devais jamais arriver à tes fins d'une quelconque autre manière à moins de vouloir t'attirer les foudres de ton client parce que ça peut parfois provoquer des petits imprévus. Quoiqu'il en soit, cette rigueur professionnelle tu avais su la conserver. « Ça fait déjà une année. » Tu avais pris le temps de compter mentalement les mois. Tu avais tout plaquer il y a quatre ans, mais entre temps tu avais traîner un peu pour chercher ta voix, et ensuite tu avais repris tes études pour en arriver là. Tu avais beau avoir la passion, la patience, il fallait aussi apprendre la technique. Maintenant c'était quelque chose d'acquis  depuis une bonne année, tu venais d'entamer ton treizième mois dans ce métier. « Non ce n'est pas dangereux comme animal et en général, ce sont les chasseurs du coin qui me les apportent. Parfois je pars à la chasse avec eux et comme ça je suis directement sur place pour les prendre. » Les chasseurs étaient aimables avec toi, mais parfois ils ne faisaient pas vraiment attention aux animaux, ils les prenaient n'importe comment, abîmant les tissus et t'empêchant de faire ton travail correctement. C'était bien pour ça que tu participais à leurs parties de chasses, au moins tu pouvais juger plus facilement par toi-même si c'était bon ou non. « Vous êtes bien la première à me poser ce genre de questions, vous savez ? » ajoutais-tu doucement en la détaillant un peu plus du regard. Elle était tout de même incroyable, elle était assez jolie physiquement, elle était douce et sensible. Et voilà maintenant qu'elle était curieuse. « Si vous voulez, vous pouvez m'assister, vous pourrez juger par vous-même de l'odeur, de si ça saigne, etc.. » Tu n'avais pas pour habitude de le proposer aux clients, mais elle semblait s'y intéresser de plus prêt, d'autant plus qu'elle pourrait juger par elle-même de ton travail, elle pourrait s'assurer que tu le faisais délicatement  « En règle général je n'achète pas, sauf si c'est un spécimen que je ne pourrais pas avoir. Je les garde uniquement sur la demande du client, et les spécimens qui sont là c'est ceux que moi j'ai trouvé et fait pour la plupart. » Sur tous ceux qui étaient là, il y en avait peut-être deux tout au plus, qui n'était pas de toi. Pas que tu n'aimais pas le travail des autres, mais si tu étais taxidermiste, ce n'était pas pour les exposer. Tout comme un boulanger n'expose pas les pâtisseries des autres boulangeries. Ce n'était pas une façon de faire en tout cas. « Et je serais très intéressé par un petit oiseau, j'en ai que trop peu vus en bon état pour les naturaliser. » Celui qu'elle t'apportait là était déjà un très beau spécimen et tu allais te régaler à le travailler.