No heroes. ➽ Ryder

No heroes.
MALOU & RYDER

Malou râlait, comme bien souvent, mais arborait un demi-sourire provocateur et laissait glisser un regard coquin sur les hommes autour d'elle. Après tant d'années, c'était fou que cela continue à lui déplaire à ce point. Elle détestait ça. C'était étrange, mais faire l'amour à ces hommes était moins dérangeant pour elle que se retrouver en petite tenue vulgaire sur une scène à danser devant eux autour d'une barre. Mais bon, elle ne choisissait pas ce qu'elle faisait ici. Un soir c'était servir en salle, un autre elle dansait, un autre elle restait dans une chambre à accueillir les clients. Ou elle combinait les trois. C'était pas elle qui décidait. Mais ça, c'était une réalité à laquelle elle s'était faite il y a bien longtemps déjà. Elle s'approcha du bord de la scène, vêtue uniquement de son soutien-gorge en cuir noir et de son string plein de froufrous. String dans lequel un personnage des plus dégueulasses lui glissa un billet. L'argent. Juste penser à l'argent. Elle n'en toucherait qu'une minuscule partie, après que la patron ait récupéré ses "pourboires", une fois le show terminé. Mais c'était toujours mieux que rien. En retour, la sulfureuse rousse lui offrit un sourire des plus charmeur. Se força en tout cas. Jouer la comédie, elle savait le faire aussi. Elle était devenue extrêmement douée dans ce temps. Encore une fois, elle avait de l'entraînement.

Le show se termina enfin pour elle et elle descendit enfin de la scène, de l'autre côté du rideau. Sa mine se renfrogna immédiatement. Putain, qu'est-ce qu'elle détestait ça. Elle était déjà d'extrême mauvaise humeur aujourd'hui : elle arrivait à la toute fin du mois et c'était pas joyeux niveau finances. Elle avait connu pire, mais elle savait qu'elle allait galérer avant de recevoir son salaire. Au moins pendant une semaine, voir deux si le patron tardait sur les payements. D'ailleurs en parlant du loup, ce dernier arriva sur elle pour venir lui demander de faire le service en salle. La jeune femme protesta sans lésiner l'acidité de sa voix et les éclairs dans ses iris bleus : elle était censée avoir fini sa nuit dès maintenant. Mais ce n'était pas discutable. Pas le choix. Comme toujours. Rappelle-toi, Malou, t'as pas le choix. Jamais. C'est en grommelant que la jeune femme changea de sous-vêtements, avant de saisir un plateau derrière le bar et de partir chercher des commandes. Le tout, c'était qu'aucun client dans le bar ne l'entende râler, mais elle ne put se contenir avant au moins une minute. Tant pis. De toute façon, suffisait d'agiter les fesses et de sortir son plus beau sourire, ça marcherait comme par enchantement. Une demi-heure de service supplémentaire, génial. Non-payé, elle supposait. C'était même plutôt certain, elle savait comment ça fonctionnait, par ici. La rouquine s'arrêta donc à une table pour prendre la commande, prenant soin de cambrer le dos et de mettre sa poitrine en avant.

Malou était repassée en mode professionnelle, s'intimant d'arrêter de tirer la gueule et sortant son plus beau sourire. Elle fut un peu surprise de découvrir un jeune homme, qui même s'il avait l'air extrêmement saoul, était plus frais que les trois quarts des hommes dans ce club. Il n'avait pas l'air SDF, ni balafré par la vie, et il ne ressemblait certainement pas à un vieux croûton en manque de paires de fesses et de seins. Il lui demanda un whisky, bien plus poliment que les autres habituels mecs qui venaient traîner par ici et que Malou côtoyait quotidiennement. C'était étonnant, il avait l'air pourtant bien éméché. Malou hocha la tête avec un sourire et reparti vers le comptoir. L'attitude du garçon suffisait à lui rendre un semblant de bonne humeur. La rouquine reprit quelques verres vides en passant, prit une ou deux commandes qu'elle alla passer au bar et revint distribuer les boissons, posant enfin le whisky devant le jeune homme.

« Vous êtes sûr que vous allez savoir le boire ? »

Ironisa Malou. En temps normal, jamais elle ne se serait permis ce genre de remarque au travail. Bon, quand un client dépassait vraiment les bornes, elle ne pouvait vraiment plus se retenir, et soit c'est que le client avait déconné et se faisait foutre à la porte par les gardes de sécurité, soit Malou se faisait descendre par son patron juste après et menacer d'être virée. Sinon, elle avait appris à fermer sa gueule, parce que le client est roi, surtout dans un endroit comme celui-ci. Mais en l'occurrence, la jolie rousse n'avait pu se retenir : le jeune homme semblait plus qu'ivre, c'était incroyable qu'il soit parvenu à aligner trois mots pour passer sa commande, et de toute façon il n'avait pas l'air plus vieux qu'elle. Puis de toute façon, elle emmerdait bien son patron et ses menaces, il venait de lui rajouter une demi-heure de service supplémentaire qui ne serait sûrement pas payée. Alors fuck it. Elle pouvait se permettre une remarque. Puis on sait jamais, peut-être qu'il était sympa ce mec. Il ferait peut-être passer le temps un peu plus vite, même si elle n'était pas censée faire la conversation plus que nécessaire, mais bien de servir les tables sans faire attendre les clients.

Malou haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire quand le garçon lui répondit qu'il ne comptait pas s'arrêter de boire tout de suite. De toute manière, elle n'avait pas le droit à faire un commentaire. Elle se contenta de hausser les épaules, au moins il n'avait pas l'air plus perturbé que ça d'avoir une serveuse à moitié nue devant lui. Note, s'il venait dans un endroit pareil, dans les bas quartiers de Bowen, il devait s'en douter un peu.

« 5 euros. »

Répondit machinalement la jolie rousse, allant récupérer des verres vides à d'autres tables en attendant, ne sentant même plus les regards avides glisser sur elle. Par contre, la petite claque sur les fesses, elle la sentit. Elle tourna la tête immédiatement, ses cheveux flamboyants s'envolant un bref instant. La vraie Malou aurait démonté cet imbécile sur place. Pas la Malou au travail. Elle lui adressa un sourire malicieux et se mordit la lèvre, avec cet air provocateur, avant de reprendre son chemin et de retourner à la table du garçon, pour récupérer sa monnaie. Enfin, pas la sienne, celle du bar. Elle, elle pouvait toujours courir. Tout ce qu'elle pouvait espérer c'étaient des pourboires discrets, que le patron ne remarquerait pas.

Malou haussa un sourcil et posa une main sur sa hanche quand le jeune homme lui tendit un billet de dix. Il lui assura qu'elle pouvait garder la monnaie. Soit il était vraiment beaucoup trop saoul et allait lui faire un coma éthylique dans dix minutes, soit il était super riche s'il balançait cinq euros de pourboire comme ça à chaque fois qu'il prenait à boire. Et visiblement, il avait déjà pris pas mal de boissons ce soir. Mais c'était trop tentant pour que la rouquine refuse. Elle jeta un coup d’œil discret autour d'elle. Pas de patron en vue. Elle prit le billet que le garçon lui glissa dans la main et lui adressa un sourire reconnaissant et poli.

« Merci. »

Répondit-elle simplement avec un sourire. Ce n'était pas difficile d'être agréable avec un client comme lui. Lui ne semblait pas s'intéresser à sa paire de seins et ses jambes dénudées. Ça aidait déjà beaucoup pour l'apprécier un petit peu. Et puis si en plus il lui donnait un gros pourboire sans rien demander en retour... Malou se sentait un peu mal d'accepter aussi facilement, il était complètement saoul et elle avait l'impression d'en profiter un peu. Il n'aurait peut-être pas eu la même générosité en étant sobre. Enfin, elle n'en savait rien et de toute manière, elle était trop dans la merde financièrement pour tergiverser longtemps.

Malou retourna vers le comptoir, s'affairant à préparer d'autres verres et passa le reste de son service imprévu à tourner dans la salle, passant d'une table à une autre, prenant les commandes et les délivrant, tout en recevant nombre de compliments sur la route. Certains moins polis et respectueux que d'autres. Certains plus tactiles. Rien qui ne sorte de l'ordinaire, quoi. À la fin de son service, Malou laissa échapper un grand soupir de soulagement. La bonne nouvelle, c'est qu'elle n'avait pas été de service toute la nuit, malgré cette demi-heure supplémentaire, il était encore tôt, il devait être deux heures du matin. Elle pouvait rentrer chez elle, manger quelque chose, boire un café et se foutre au lit pour profiter d'une longue nuit de sommeil. La rouquine alla aux vestiaires réservé au personnel - entendez, les prostituées - pour enfin avoir plus deux morceaux de tissu sur elle. Elle enfila son jean, ses bottes à talons et son grand caban rouge par-dessus, attrapa son sac et se dirigea vers la sortie sans saluer les autres, comme toujours. Elle n'était pas franchement de bonne humeur mais au moins elle avait fini et pouvait rentrer chez elle.

C'était sans compter sur l'idiot de service - et pervers, avec ça - qui l'appela en claquant la langue dès qu'elle mis un pied dehors. La jeune femme avait à peine rejoint le trottoir qu'un homme, visiblement trop saoul et bien trop entreprenant, se dirigeait vers elle tout en criant des adjectifs obscènes pour toute la rue. Malou avait continué son chemin, habituée à ce genre de choses à ses sorties de service. "Héééééé, la pute ! Où tu vas comme ça ? Sucer des bites ?! Commence par la mienne ma chérie !" Et dire que la soirée s'était si bien terminée. La jolie rousse n'avait vraiment pas envie de perdre son temps et son énergie avec cet énième connard, elle désirait juste rentrer sans accrocs, pour une fois. Mais fallait croire que c'était trop demandé. L'homme l'attrapa par la manche et la tira en arrière. Malou fit volte-face, son regard lançant déjà des éclairs, on aurait dit qu'elle allait réduire son interlocuteur en cendres d'un seul regard.

« Écoute mon grand, va agiter ta petite bite ailleurs. Si t'as besoin que quelqu'un s'en occupe, le bar est là, moi j'ai fini mon service, alors fous-moi la paix putain. »

Siffla Malou d'une voix aussi glaciale qu'un vent polaire. Elle dégagea son bras d'un geste violent, prête à lui donner un coup de poing dans la gueule s'il ne lui foutait pas la paix très vite. Elle avait déjà dépassé les bornes en lui parlant comme ça, si le patron l'apprenait, elle risquait - encore une fois - de se faire virer. Mais une fois qu'elle n'était plus dans son environnement professionnel, après tout ce qu'elle encaissait chaque jour, la nature impulsive et le manque de sang-froid de Malou revenait et là, elle ne le contenait plus. Elle tourna les talons et reprit sa route, mais l'homme se jeta sur elle, visiblement frustré de ne pas avoir eu la réponse à laquelle il s'attendait. Malou ne s'y était pas préparée, malheureusement, et se retrouva plaquée contre le sol, le souffle coupé. Putain de merde, quand est-ce qu'on allait enfin la laisser rentrer chez elle en paix ?

Elle sentait le poids écrasant de son agresseur sur elle, ainsi que son haleine qui puait l'alcool bon marché à trois kilomètres. Malou avait beau savoir se défendre et distribuer de bonnes droites, là elle se retrouvait en mauvaise posture. Il était couché sur elle et avec son poids et sa carrure, avait plus de force que la jeune femme rousse. Elle se débattit tant bien que mal sans grand résultat, hurlant des insultes à ce connard d'enculé de sa mère. Jusqu'à ce que soudainement, elle sente son poids se retirer de son dos et entende une voix masculine. Malou se retourna vivement, se relevant à moitié, à temps pour voir le jeune homme de tout à l'heure coller son poing dans la figure de l'autre plein mort. La jeune fille se releva rapidement, reprenant son souffle, un profond sentiment de dégoût l'étreignant après que cet homme se soit retrouvé allongé sur elle. Malou allait renchérir et s'occuper elle-même du cas de cet enfoiré, mais le garçon de tout à l'heure la saisit par le bras, l'entraînant plus loin avec une force assez convaincante. Malou ne quittait pas le connard bourré du regard, rechignant à s'éloigner, prête à lui régler son compte, mais le jeune homme parvint à l'emmener à bonne distance. Une fois éloigné, il lui demanda si elle allait bien.

« Moi oui, c'est ce fils de chien qui va encore trop bien ! Putain j'ai envie de le démonter là, mais c'est quoi ces merdes qui traînent tout le temps autour du bar pour agresser toutes les putes qui en sortent alors qu'il y en a plein qui bossent à l'intérieur, prêtes à les satisfaire ! AAAAH BORDEL JE COMPRENDRAI JAMAIS, ENCULÉS DE LEUR MÈRE ! »

Malou était hors d'elle et n'hésitait pas à hurler sa rage dans la rue à deux heures du matin. Elle avait l'habitude de gérer des cas comme ce mec agressif et trop saoul, mais elle commençait sincèrement a en avoir ras le cul de ces cas sociaux. Le garçon avait fini par lâcher son bras, et on ne savait même pas si c'était une bonne idée. Malou était encore capable de revenir sur ses pas et d'aller foutre une raclée au gars.

« D'ailleurs, d'où t'es sorti toi ? J'pouvais très bien lui régler son compte à cet ivrogne de merde ! »

Comme elle n'avait personne d'autre sur qui passer ses nerfs, la rouquine s'était tournée vers son sauveur, le transperçant de son regard noir. Malou n'aimait pas qu'on lui vienne en aide, elle était très indépendante et s'était déjà sortie de merdes incroyables au cours de sa vie. Elle ne supportait pas qu'on la prenne en pitié. Ainsi, elle préférait évacuer sa colère contre le jeune homme qui lui avait tout de même plus ou moins sauvé la mise.

L'ouragan Malou passait en ce moment dans les rues de Bowen, prévoyant une météo extrêmement rude pour les prochaines minutes et difficile à maîtriser. Le mieux est de se mettre aux abris et d'attendre que ça passe. C'est assez habituel, rien d'inquiétant. La jolie rouquine ne détournait pas son regard noir du garçon, elle était réellement en pétard. Mais quiconque la connaissait un minimum savait qu'elle ne supportait juste pas qu'on lui vienne en aide. Elle ne comptait que sur elle-même parce que, par expérience, elle savait que c'était la réalité, c'était comme ça que ça fonctionnait. On ne pouvait pas compter sur les autres. Alors autant s'y habituer tout de suite et prendre les devants, savoir se démerder seule et être totalement indépendante. Mais elle était plus en colère sur l'autre type et sur le fait qu'elle n'ait pas pu lui régler son compte. Et elle avait honte aussi, même si elle cachait ça sous son masque de fureur. Il l'avait plaquée au sol et elle n'avait pas pu se défendre. Heureusement, sans doute, que le garçon était intervenu, même si elle ne doutait pas qu'elle ait pu s'extirper de la situation délicate en quelques minutes. Jamais elle n'aurait avoué le contraire en tout cas. Tout ça pour dire que ce n'était pas contre lui que sa haine était dirigée. Juste contre cette ordure, et aussi parce que c'était une question de principe chez elle. Ne pas accepter d'aide.

« Mouais. T'as de la chance qu'il ait été encore plus bourré que toi, j'savais pas que c'était possible. »

Grogna Malou en enfonçant les mains dans ses poches, mais sa colère était descendue d'un cran. Valait mieux qu'il habite pas loin, ce gars, vu son état. C'était même incroyable qu'il ait réussi à dégager l'autre imbécile congénital. Il semblait avoir du mal à conserver son équilibre, même en restant statique.

La rouquine leva les yeux au ciel, d'un air presque désespéré : voilà qu'elle se coltinait le plein mort de service maintenant. Mais son expression n'indiquait aucune méchanceté et elle lança un regard sarcastique à son compagnon de route, qui ne semblait d'ailleurs plus capable de parcourir une quelconque route.

« Crois-moi, ça ne se voit pas... »

Souligna Malou sur un ton empreint d'ironie railleuse, tandis qu'un sourire amusé étirait discrètement le coin de ses lèvres. Qu'est-ce qu'elle allait faire de lui maintenant ? Déjà elle ne lui avait jamais rien demandé et il débarquait en prince charmant sur son destrier, maintenant elle se retrouvait avec un mec bien trop dégommé sur les bras. Super l'aide, merci.

« T'es bien mignon hein, mais maintenant c'est moi qui vais pouvoir te ramener chez toi pour vérifier que tu ne t'endormes pas sur le trottoir. Et dans ce quartier c'est pas conseillé. Bon, t'habites où ? »

Reprit la jeune femme avec un soupir, laissant entendre que la situation la désespérait un peu. Sa haine envers l'autre idiot de tout à l'heure s'était déjà évanouie, c'était le genre de choses qui se produisaient régulièrement, alors elle avait l'habitude. Là maintenant, c'était plutôt de devoir ramener l'alcoolo qui la soûlait - alcoolo, soûler, vous pigez ? -. Bon, il n'avait agi que par bonne volonté de cœur, elle pouvait bien le ramener chez lui si, comme il le disait, il n'habitait pas loin.