Surprise, love. + conchally

« Garde les yeux bien fermés! »  lui avais-je alors dit alors qu’on avançait et qu’il avait les yeux bandés. La période des fêtes battait de son plein dans tout Bowen et je me disais qu’il méritait bien d’avoir son cadeau en avance. C’était une façon adorable de dire que j’étais trop impatiente pour lui présenter. En fait, c’était une nouvelle partie d’Head Ahead. C’était les nouveaux locaux, un nouveau design plus épuré, plus neuf. Noah et moi avions travaillé très fort au cours des derniers mois pour rendre tout cela possible. J’avais sacrifié des nuits, des matinées pour ce projet et pourtant, je revenais toujours en douce dans le lit auprès de Concho. « Allez avance encore! » lui ordonnais-je doucement en sautillant sur place. « T’es certain d’être prêt? » que je lui demande en lui retirant doucement le bandeau qui bloquait ses yeux. Une grande salle, quelques unes étaient adjacentes dont deux bureaux. Il y avait même des salles de rangement et des toilettes non loin. « Parce que maintenant, c’est plus qu’Head Ahead. » J’avais même mon coin barista un peu plus éloigné où Sara pourrait travailler bientôt. Et j’avais même pensé à un petit coin In Memoriam qui incluait les noms de Lexi et de Ayda.  « Il reste encore quelques pièces vacantes, j’ai pensé que tu aimerais mettre tes idées. » Le local était lumineux, la pièce était elle-même envahie de soleil. Chaque jour où je passais, je m’en réjouissais davantage. Je frissonnais et je guettais maintenant sa réaction. «  Qu’est-ce que tu en dis, associé? »

Ally m’avait demandé de me bander les yeux dès que nous étions entrés dans sa voiture. Elle l’avait d’ailleurs fait par elle-même, en fait, pour être bien certaine que je ne triche pas – comme si c’était mon genre. J’avais passé tout le trajet à lui poser mille et une questions, comme un enfant qui demande à ses parents quand est-ce qu’ils arriveraient. Je cherchais des indices, tentais de comprendre la surprise, essayais de m’imaginer le plan de la ville et de deviner sur quelles rues on tournait après chaque arrêt. Une fois arrivés à destination, Ally refusa de me redonner la vue et préféra me guider en se positionnant derrière moi et me poussant légèrement dans le dos en s’assurant bien sûr que j’évite les obstacles. Après tout, mon corps était encore fragile et mon boitement ne pardonnait pas. Je sentais toute l’excitation dans la voix de ma copine, ce qui augmentait la mienne. Elle me demanda si j’étais certain d’être prêt, quand on s’arrêta enfin. « Qu’est-ce que t’en penses ?? » Demandais-je avec un rire. Elle me retira enfin mon bandeau et j’ouvris les yeux sur un grand espace vide, épuré, avec des locaux adjacents. Je fronçai les sourcils en la regardant. Elle me dit alors que c’était dorénavant bien plus qu’Head Ahead. Mon sourire en devint un de confusion. « Head Ahead ? » Je déglutis, regardant de nouveau la salle dans laquelle nous nous trouvions. Mon cœur s’emballait mais pas avec la même excitation que j’aurais dû ressentir. Ally continua en disant que certaines pièces étaient encore vacantes pour y accueillir mes idées. Je demeurai silencieux, regardant partout autour de moi, essayant encore de tout encaisser. Elle me demanda ce que j’en pensais, me nommant comme son associé. J’eus un rire nerveux. « Tu as fait tout ça avec Eleanor ? » Demandais-je alors, puisque c’était elle mon associée du début jusqu’à la fin du Head Ahead d’autrefois, ce centre qui n’était maintenant que mauvais souvenirs pour moi. Alors de réentendre ce nom, sous une autre image, me rendait franchement confus. D’où ma réaction sans doute décevante pour Ally.

Il était bien plus que prêt lorsque je le laissais découvrir ce que je croyais être une bonne et belle surprise. Il ne semblait pas aussi enthousiaste que moi, ce qui ne tardait pas à me faire perdre le sourire. « Tu as fait tout ça avec Eleanor? » demandait-il alors que je hochais doucement la tête. « Oui, la majeure partie. Elle est définitivement très gentille, cette fille. » lui avais-je donc gentiment confié avec un sourire. « Est-ce que tu m’en veux? » lui demandais-je alors en cherchant à comprendre sa réaction. Je prenais sa main doucement et je caressais le dessus. « Viens. » lui avais-je alors dit en le guidant vers le bureau pour le faire asseoir doucement. « Et dans ton bureau, tu te sens mieux? » questionnais-je de plus belle en esquissant un sourire. Sa réaction m’avait un peu déçue, mais d’un autre côté, je devais m’y attendre... C’était véritablement un quitte ou double. « Je ne pourrai jamais remplacer Lexi, mais j’espère pouvoir aider au maximum, comme elle le faisait. » lui confiais-je en haussant innocemment les épaules. « Et tu sais, que je suis ouverte à tous les commentaires. Noah est bien partant pour m’aider à replacer, si tu n’aimes pas ça. » C’était vrai. Il avait proposé toutes les modifications nécessaires. « Et j’ai décidé de fermer la galerie d’arts. » avançais-je davantage en me doutant que la conversation serait un peu plus houleuse.

La surprise était encore à son comble. J’avais demandé à Ally si elle avait tout planifié cela avec Eleanor, et elle répondit par l’affirmative. Une certaine vague de soulagement me traversa, même si la surprise et le regret de ne pas avoir participé à la reconstruction du centre restaient. L’amertume face à ce centre, aussi, était encore bien vive. Après tout, cet endroit, ce concept, m’avait volé une amie chère, m’avait volé mes capacités à danser – les médecins disaient que le temps me ramènerait à mon état d’avant, mais j’avais mes doutes -, et m’avait volé une femme que je ne connaissais même pas encore mais dont le visage hantait toutes mes nuits. Difficile de le voir avec le même regard d’avant, ce centre. « Oui, Eleanor est super … » Avais-je soufflé avec un mince sourire, continuant de regarder autour de moi. Ally m’arrêta et chercha mon regard, prenant ma main, et me demanda si je lui en voulais. Mon cœur se serra. Pauvre Ally, qui avait tout donné, et qui recevait ma seule confusion en tant que réaction. « Non, non, bien sûr que non … Je suis juste … très surpris. » Dis-je, sans pouvoir ajouter le mot agréablement surpris, parce que je ne savais pas encore où je me situais là-dedans. Elle m’amena finalement dans une petite pièce avec une chaise, un bureau, bref un arrangement qui ressemblait à nos bureaux, à Eleanor et moi, dans l’ancien Head Ahead. Je m’assis, écoutant la question d’Ally. « C’est joli. » Avais-je répondu, posant mes avant-bras sur le bureau, baissant les yeux brièvement avant de les relever vers ma copine qui me parlait de Lexi, de Noah, et de la fermeture de sa galerie d’art. « Tu … tu as fermé la galerie d’arts pour … pour aider ici ? » Je secouai la tête. « Ally, c’était ton rêve. Tu peux pas l’abandonner pour le mien. Je suis vraiment reconnaissant de ce que tu as fait pour Head Ahead, mais … mais maintenant faut rouvrir la galerie. C’est la prochaine étape. » Dis-je, en m’emportant légèrement sur mon ton de voix, parce que tout ça représentait un tas de décisions prises sans moi, et à ma connaissance, Ally et moi étions une équipe.

« Oui, Eleanor est super... » Je n’en ressentais pas vraiment ce qu’il venait de me dire à voir ses réactions et plus le temps passait, plus les mots s’enfilaient et plus je souffrais à mon tour. Une souffrance différente, sans doute. Il me disait être surpris. Était-ce une bonne ou une mauvaise surprise pour lui? Je ne savais pas, mais une boule se formait au niveau de mon estomac et elle se resserrait nerveusement. Puis, il retenait uniquement que quelques mots et je haussais simplement les épaules. « Je pouvais pas me charger des deux à la fois. » confiais-je donc tristement. « Ça et j’avais pris la décision de t’aider. J’ai reçu l’argent des assurances de la galerie, ça donne un coup de pouce pour ici... » Il s’emportait à son tour en me disant qu’il devait rouvrir ma galerie. Je secouais la tête négativement. « Je sais plus trop où j’en suis avec la galerie. J’préfère laisser les choses comme elles sont pour le moment. » Dis-je alors en cherchant comment mettre les mots sur ces sentiments. Je prends doucement la main de Concho. « C’est pour te donner l’espoir qu’il faut pour regarder en avant. Head Ahead. » J’esquissais un petit sourire. J’avais réellement envie de l’aider avec son projet et de l’autre, je nageais dans le néant quant à ma future carrière, celle que je n’aurais pas le choix de poursuivre bientôt.

Ally haussa les épaules, et elle me donna l’impression de se fermer face à moi. Je savais que ma réaction n’était sans doute pas celle à laquelle elle s’attendait, je savais que la déception la gagnait, et je faisais tout ce que je pouvais pour me racheter. Elle m’expliqua qu’elle ne pouvait remettre sur pieds mon centre et sa galerie à la fois, et qu’elle avait décidé de m’aider. « Mais … mais cet argent, tu l’as dit, c’est celui des assurances de ta galerie … je peux pas te laisser l’utiliser pour mon projet à moi … » Lui dis-je d’une voix douce, tentant de lui faire voir toute ma reconnaissance mais aussi mon inconfort face à cette extrême générosité. Je parlai donc de la prochaine étape : remettre sur pieds sa galerie. Je ne serais pas le seul à me relever. Pourtant, Ally me confia ne plus savoir où elle en était avec sa galerie. Je caressai ses doigts alors qu’elle venait de prendre ma main dans la sienne. « Je pensais que c’était ton rêve … Je pensais que c’était ce que tu avais toujours voulu ? » Je m’inquiétais pour elle, à travers ma propre surprise. J’hochai toutefois la tête quand elle parla d’aller de l’avant, en reprenant le nom de mon centre pour illustrer sa pensée. J’esquissai un sourire. « Et tu me redonnes espoir, c’est vrai. Tout ça, tout ce que t’as fait pour moi … Mais toi, quand tu regardes de l’avant, qu’est-ce que tu vois ? » Parce que son rêve n’était pas ce centre, son rêve n’était pas Head Ahead, je le savais. C’était le mien. Et j’avais l’impression qu’elle s’était réfugiée dans ma propre reconstruction pour oublier que ses morceaux à elle étaient éparpillés un peu partout autour d’elle.

À ses mots, je haussais simplement les épaules. « Cet argent, ça m’est égal. » lui confiais-je donc. Et c’était vrai, j’étais loin d’être celle à qui l’argent importait le plus. « C’était pour toi. Je voulais que tu vois que la vie continue, que ce n’était pas la fin. » Parce qu’à mes yeux, ce n’était que le début de quelque chose de grand, de magique. « Et ce n’était pas facile récemment avec le séisme et tout le reste. » De nouveau les questions concernant ma galerie d’arts et cette fois, je poussais un énorme soupir en cherchant les mots. « Je ne sais pas si c’est réellement ce que je veux. Je crois que j’ai peut-être juste besoin d’une pause, le temps de me remettre les idées en place. » Peut-être que ce n’était que ça, après tout. Et l’art était ce qui me gardait en vie, le reste n’importait que très peu. Il venait qu’à admettre que je lui redonnais un tant soit peu d’espoir ce qui me faisait esquisser un sourire. À sa question, mon sourire disparaissait. Parce que je l’ignorais, parce que je croyais être mes vœux, mes désirs commençaient à disparaitre. « Je ne sais pas encore. C’est pour ça que j’ai besoin de temps pour moi. » Confiais-je doucement comme si je me l’annonçais à moi-même par le fait même.

Je baissai lentement les yeux vers le bois du bureau quand Ally m’avoua que l’argent mis dans la reconstruction ne lui importait pas. Ce qui me rendait nerveux, là-dedans, moi, c’était que peu importe si j’arrivais à la convaincre de la rembourser pour ce travail, en tout ou en partie, il demeurait que les événements récents faisaient en sorte que notre avenir n’était plus du tout assuré comme auparavant. Si elle changeait d’avis à propos de sa galerie, si on amassait les fonds nécessaires pour la remettre sur pieds – et j’osais espérer qu’elle ne mettrait pas de côté ce rêve de côté pour moi -, nous deviendrions des gens normaux, avec un compte en banque des plus ordinaires. Je ne pourrais plus continuer à être à la tête de cet organisme sans but lucratif, pas sans financement, pas sans aide gouvernementale, pas sans salaire. Et Ally non plus. Alors ensemble, nous ne serions plus ce power couple que nous étions en bonne voie de devenir. « Je sais que ça n’a pas été facile … et je sais que je me suis montré pas mal pessismiste pendant ma convalescence. Je sais que ça a été difficile sur nous. » Dis-je. Mais je ne me serais pas attendu à ce qu’Ally pose un aussi grand geste sans m’en parler, même si ça me touchait énormément qu’elle ait fait tout ça pour moi. Ce fut plus fort que moi, je la questionnai de nouveau sur ses désirs concernant la galerie, tout simplement parce que je n’arrivais pas à croire qu’elle s’en soit à ce point détachée. J’hochai la tête quand elle me dit qu’elle avait besoin de temps pour elle. « Je comprends. » Je me levai, avec encore quelques difficultés à avoir des mouvements fluides, et j’allai la retrouver de l’autre côté du bureau, prenant sa main dans la mienne. « Tu me le dirais, s’il y avait quelque chose derrière tout ça, hein ? Tu m’en parlerais ? » Demandais-je avec inquiétude.

Il savait que ça n’avait pas été facile, qu’il avait été pessimiste. Ça me faisait mal de le voir prendre le blâme sur son dos comme ça. Et pourtant, je ne parvenais pas à lui dire le contraire. J’en ressentais une atroce culpabilité. Il en était conscient, je ravalais doucement. Je réalisais que lorsque j’aimais, j’aimais fort. Et que depuis quelques années, je ne m’aimais pas autant que j’aimais quelqu’un d’autre. Peut-être ne m’étais-je pas pardonné autant que je le prétendais? Puis, j’aurais voulu le réaliser, j’aurais voulu l’empêcher... Mais je devenais un peu plus dépressive. Je m’enfonçais. Il prenait ma main doucement et il posait la question à laquelle je ne voulais pas répondre. À laquelle, je ne voulais surtout pas être confrontée. Je regardais le brun avec un fin sourire aux lèvres et je hochais la tête positivement. « Oui, bien-sûr. » avais-je alors dit. Je gardais le silence quelques instants pour mieux reparler à la suite. « Je sais qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond avec moi, ces temps-ci. Mais je peux pas te dire quoi. » Je ne le savais pas moi-même. Je me contentais alors d’un sourire et d’un haussement d’épaules. Je lui donnais un baiser au coin des lèvres et je me relevais. « Écoute, j’ai encore quelques entretiens concernant la galerie d’arts, dont un sous peu. On se voit ce soir? » Suggérais-je avec un petit sourire alors que je lui tendais sagement les clés.