screaming inside + oscally

Je n’ai pas bougé depuis plus d’une heure. J’suis assise sur la plage alors que le vent frappe mes cheveux, mais caresse ma peau. J’ai froid, trop froid et pourtant j’ressens rien ni en dedans, ni en dehors. J’ai envie d’être loin, de ne pas être ici. Le mariage de Lily et Nelligan arrive à grands pas et j’sais plus trop ce que je ressens. J’suis perdue avec moi-même et j’ai pas un once d’alcool dans le sang. Les bouteilles près de moi sont restées intactes. Elles sont dans un sac et j’me contente de laisser vagabonder mes pensées au flot de l’eau. J’avais cette envie de tout fuir, de tout plaquer. J’réalisais que les efforts des derniers mois n’avaient pas portés fruits... Rebâtir un organisme, délaisser mes rêves pour quelqu’un d’autre, ce n’était pas Ally Carmichael. Ce n’était pas moi de m’oublier naturellement comme ça. Mentir à l’homme que je croyais aimer que son associée, maintenant décédée m’avait fait des avances que je n’avais su percevoir jusqu’à ce qu’elle m’embrasse et que j’m’éclipse. Parce que c’était tout ce que j’avais fait en 2016, j’m’étais éclipsée. Et j’entendais bien me sauver de Bowen de la même façon en début 2017. J’règlerais mes problèmes plus tard. J’pouvais semer la pagaille et partir pour de bon. C’était ce qu’égoïstement, je souhaitais. Mais j’savais que j’devais rester ici. Un soupir plus tard, je n’avançais pas davantage. Mon corps était courbaturé et les larmes perlaient mes yeux. Je n’aurais pas pu dire si c’était à cause du vent ou des sentiments. J’avais le cœur à l’envers, deux ou trois tours de montagnes russes. J’avais envie de vomir, de pleurer et d’hurler. J’me levais de sur le sol après ce temps passé immobile et j’regardais encore la mer. Et j’hurlais à m’en crever les poumons. Après tout, j’étais toute seule. Et ça me ferait du bien. J’avais soudainement envie d’aller escalader une montagne pour refaire pareil.

En cinq années passées à Bowen, c'est la première fois qu'il se rend sur la plage seul. Il se remémore encore facilement la dernière fois, avec Luce, occupée à construire des mottes de sable alors que lui restait derrière elle, à la regarder comme un père regarde sa fille. Ça lui fait encore bizarre de s'appeler comme ça, d'ailleurs. Il en est encore perturbé de l'entendre l'appeler papa, de se dire qu'il est responsable de cette petite tête blonde qui ne lui ressemble pas. Et pourtant, alors qu'il n'était absolument pas prêt à se retrouver avec cette charge sur le dos, alors qu'il était tout sauf la personne assez mature pour ce genre de situation, Oscar a finit par s'attacher à elle. Pire même, il en est totalement fou, de cette poupée aux joues rouges. Ce soir, pour la première fois, sa présence a même fini par lui manquer. Il a eu besoin de se changer les idées, peut-être même de trouver l'inspiration dans cet endroit tant chéri par Luce. Même si du sable s'introduit dans ses chaussures, il n'en a rien à faire. Il a les mains plongées dans les poches de son pantalon, le regard perdu dans l'horizon, et il pense. Il tourne des scénarios dans sa tête, cherche quoi faire de son début de pièce, puis, il sursaute. Un cri l'a tiré de ses rêveries et il s'empresse de regarder en direction de la jeune femme qui vient d'émettre un tel son. Elle n'est pas loin, seulement quelques pas. Curieux, ou peut-être juste un peu seul, Oscar s'approche d'elle. Il remarque que ses joues sont humides et ne peut s'empêcher d'en avoir le cœur serré. « Je sais que ça me regarde pas et que tu risques de m'envoyer bouler, ce que je ferais sûrement à ta place d'ailleurs... » Il se poste à coté d'elle. « Mais... tu veux un Petit Prince ? Parce que j'en ai dans ma poche, c'est encombrant.» Cette fois, il détourne son regard vers l'horizon. Elle va sûrement le prendre pour un taré, mais lui n'en a rien à faire. « Je vais pas te demander si ça va, si t'as besoin d'aide ou quoi que ce soit. Parce que je me doute bien que tu serais pas en train de crier seule sur la plage si tout roulait dans ta vie. »

J’pensais être seule, donc c’est normal que je sursaute quand j’entends la voix d’un homme. « Je sais que ça me regarde pas et que tu risques de m’envoyer bouler, ce que je ferais sûrement à ta place d’ailleurs... » J’le regarde, j’dis pas un mot pour lui donner raison. Je hausse simplement les épaules, puis il me propose un livre et j’ris doucement en essuyant mes yeux. « C’est le pire livre de l’univers, j’ai jamais été capable de le terminer. » que je lui confie alors avec un léger sourire. Si c’était si encombrant, il y avait encore la mer droit devant nous. Il avait exactement les bons mots. Il n’allait pas me demander si ça allait et je l’en remerciais intérieurement. Il comprenait mon désespoir uniquement par mon cri. « Merci. » lui répliquais-je alors en retrouvant un petit sourire. « J’crois juste que j’me suis perdue. » Voilà qui était fort simple. « Et j’vais devoir me retrouver bientôt. » confessais-je alors gentiment. Me perdre pour les autres, ne pas avoir de cœur, causer des emmerdes à qui le veut bien. Plus rien ne me semblait facile. « J’ai tellement causé de problèmes à trop de gens, mais ça, tu t’en bats les couilles. » J’ai un petit rictus mauvais alors que j’essuie ces nouvelles larmes qui coulent tout au long de mes joues. Il ne me connaissait pas et étais-je devenue ce genre de femme facile qui raconte leur problème à qui veut bien l’entendre? Bon ok, faut dire qu’il a dû fliper un peu vu mon cri. Ce cris qui me démolissait l’intérieur. « J’crois que j’ai envie de partir. » confiais-je à mi-voix plus pour moi-même que quiconque.

En l'entendant critiquer une des livres qu'il a le plus aimer durant son enfance, Oscar fronce légèrement les sourcils. «Hey, c'était pas si terrible. Puis de toute façon, je parlais pas du livre. » Il sort de sa poche en emballage déjà ouvert où se trouvent deux biscuits en forme de tête de Prince. Les autres ont sûrement été mangés par Luce durant la journée, quelques heures avant qu'elle ne retourne chez sa mère. Remarquant que le reste des biscuits est en miettes, il les range là où il les avait laissés et lève les yeux vers l'inconnue. Elle sourit d'abord, puis le remercie, mais Oscar peut toujours voir la tristesse dans son regard. Maintenant qu'il a entamé la conversation, il a l'impression qu'il est de son devoir de remonter un minium le moral de cette fille. Ses paroles le font réagir, mais il ne répond pas tout de suite. Il la laisse parler, presque vexé quand elle lui dit clairement qu'il s'en bat les couilles. « Bah justement, figure-toi que j'ai vécu ça récemment, je peux même te filer quelques conseils si tu veux. Déjà, je te déconseille les cures d'absinthe. » Il a souvent bu jusqu'à trop plein à l'époque, et se souvient encore de ces fois où son corps lui a bien fait comprendre que ce qu'il faisait était clairement une mauvaise idée. En la regardant à nouveau, Oscar a tout juste le temps de remarquer cette larme qui perle le long de sa joue, et qu'elle s'empresse d'effacer. Il ne pourra pas la faire sourire indéfiniment, peut-être qu'elle a simplement envie de parler. De vider son sac, se défouler, d'utiliser quelqu'un comme punching ball. Oscar ne se sent pas vraiment prêt à tenir ce rôle, il préférerait encore de loin jouer le meilleur ami gay sur le coup. « Pourquoi pas ? T'as jamais pensé à sortir un peu de Bowen ? Ou de l'Australie ? » Il regarde devant lui en plongeant ses mains dans les poches arrières de son pantalon, profitant du bruit des vagues ajouté aux couleurs impressionnantes qui se mélangent dans le ciel à l'horizon.

Il s’offusque légèrement alors que je critique le livre de Saint Exupéry en me disant qu’il ne me parlait pas du livre. Je fronce les sourcils alors qu’il sort deux biscuits et je grimace. Il poursuit en m’expliquant qu’il l’a vécu récemment et j’arque un sourcil. Comment peut-il avoir trahi sa meilleure amie? Mal vivre la réaction de son copain? Mais bon, après tout, chaque vie est unique, tout comme les réactions. Il me conseille d’éviter les cures d’absinthe et j’grimace vraiment. « C’est pas l’alcool de vieux qui goûte dégueulasse? » Que j’demande avec une mine dégoûtée. J’ai peut-être 28 ans, mais sérieux ce truc est d’un enfer. Mon père devait en avoir une réserve que j’ai jeté rapidement suite à son décès. L’odeur, le goût... Pas étonnant qu’il me le déconseille. Il me demande si j’ai jamais pensé à sortir de Bowen et j’émets un rictus mauvais. « La dernière fois que j’suis partie, j’suis revenue avec plus d’emmerdes que quand j’ai quitté. » commentais-je. Et c’était vrai, l’année où j’étais partie pour New York, pour gagner l’argent de mon père, pour lui faire un service digne de ce nom, j’suis revenue encore plus dégoûtée et avec le cœur en miettes. Ce souvenir était probablement aussi amer que l’absinthe. « J’crois que j’ai envie de faire comme dans Eat, Pray & Love ou comme dans Wild, partir en quête de je-sais-pas-quoi, que je vais trouver et ensuite, je verrai. » Voilà qui me faisait de belles jambes. J’envoyais mes cheveux vers l’arrière en essuyant les dernières larmes qui restaient sur mon visage. J’avais là une ébauche d’une solution. Ensuite, je verrais bien.

Décidément, la fille n'a vraiment pas l'air d'humeur à discuter avec lui, ou avec qui que ce soit. Peut-être qu'il devrait s'en aller, la laisser tranquille, continuer son chemin et passer sa soirée seul comme il aurait dû le faire plutôt que d'embêter une inconnue en essayant de lui tirer les vers du nez. Et pourtant, Oscar reste là. Debout à coté d'elle, à l'écouter cracher sur l'absinthe et lui parler de ses envie de Eat, Pray & Love. Il n'a jamais vu ce film, quand il est sorti au cinéma il avait peur d'y aller seul, de se mettre à pleurer, et de passer pour une fille en pleine rupture amoureuse seulement bonne à élever quatre à cinq chats. « Faut encore le trouver, ce truc que tu cherches sans savoir c'est quoi. » Il hausse un sourcil et tourne la tête vers elle. Car lui aussi a voulu fuir ses responsabilités, et c'est pour ça qu'il la comprend. Il n'a d'abord pas voulu assumer cette charge qu'on lui a imposé, a préféré tourné le dos à celle qui avait besoin de lui et a failli passer à coté de la découverte d'une personne encore plus merveilleuse, sa propre fille. « Je veux pas être rabat-joie, mais c'est pas en fuyant tes problèmes qu'ils vont se résoudre. » Il laisse un silence planer quelques secondes avant d'ajouter « Désolé de parler comme un moine bouddhiste. Je sais que c'est pas toujours facile. »

« Faut encore le trouver, ce truc que tu cherches sans savoir c’est quoi. » J’aurais voulu lui fournir la réponse, mais je n’étais bonne qu’à hausser vaguement les épaules. J’étais pas en mesure de le lui dire. « Et comment on fait ça? » Questionnais-je donc, légèrement dans les vapes. « C’est pas non plus en restant immobile que je vais les régler. » Comme si j’avançais. Je soupirais doucement en balançant mes cheveux vers l’arrière. Il s’excuse de parler comme il le fait et je hausse les épaules de plus belle. « On a tous nos lots d’épreuves difficiles. J’crois quand même que pour l’instant, ça me semble être la meilleure solution. » Je le regarde puis je tourne la tête. « J’ai besoin de me retrouver en tant que personne. J’ai pas envie d’être l’amie de, la copine de, l’ex de, la sœur de... Tu vois ce que je veux dire? J’ai pas envie de vivre dans l’ombre de quiconque. J’ai pas envie de m’investir autant dans un projet pour ne pas avoir un minimum de reconnaissance. J’ai pas envie de m’impliquer sans en voir les retombées. » Voilà, je m’étais emportée, mais au final : c’était moi que j’allais chercher. « C’est moi que j’ai besoin de retrouver, ô grand moine bouddhiste. » lui confiais-je en échappant un sourire pour la première fois depuis le début de cette conversation.

Il l'écoute, la regardant de temps à autres, puis fixant à nouveau l'horizon en écoutant le bruit des vagues. Ce genre de lieu l'apaise, ça lui donne l'impression d'être en plein dans une carte postale et ça lui permet d'être plus posé quand il s'agit d'écouter les autres parler. Comme elle, cette fille, la rouquine sans prénom fixe. Il a l'impression que peut-être elle est tombé sur lui au bon moment, qu'il pourrait lui être utile sans encore trop savoir comment. Il hoche la tête, car elle a raison en disant que ce n'est pas en restant immobile que ses problèmes se régleront. Du coin de l'oeil, Oscar la voit balayer ses cheveux en arrière, et ça le fait regarder dans sa direction. Elle croise son regard, mais le dévie aussitôt. « Tu sais, si tu me dis qui t'es, je te verrai pas comme la soeur du mec de Machin. Parce que je le connaîtrai pas, ce Machin.» Et en entendant sa dernière phrase, il ne peut que sourire avant de baisser les yeux en direction du sable. « Ça se comprend, on a tous besoin de fuir la réalité lorsque celle-ci devient trop compliquée à gérer. Sauf que certains en sont pas capables, alors ils se replient sur eux-mêmes et ne deviennent plus que l'ombre de quelqu'un. Si t'as besoin de t'échapper, c'est clairement pas moi qui vais te retenir.» À nouveau, il ose un regard dans sa direction sans trop savoir l'impact qu'auront ses mots.