a drop in the ocean. a change in the weather. (concho)

Elle se tourna une nouvelle fois, cherchant dans la foule ce visage qu'elle connaissait par cœur. Ces cheveux bruns, cette carrure imposante, un corps dessinait à la perfection. Encore une fois, ce fut la déception qui monta dans sa poitrine, tandis qu'elle restait plantée au même endroit, les bras croisés, les pieds dans le sable, les petits grains recouvrant tout doucement ses orteils. Puis, une lueur. Une couleur brillante attrapa familièrement son regard ; le bleu de ses yeux à lui. Conchobahr était là. Il avait toujours été là, dans un coin de sa poitrine, au dessus de ses côtes, au fond de son cœur. Elle se tenait d'un côté du bar, alors que Concho était assis de l'autre côté et probablement ne l'avait-il pas encore remarqué. C'était évident, qu'il ne l'avait pas vu, là, installée sur un tabouret, une limonade au citron à la main alors qu'elle le dévorait du regard, littéralement, elle le déshabillait complètement. Ça lui avait brisé le cœur de renoncer à lui, mais ça faisait tout aussi mal de le voir ici sans avoir le droit de le toucher, de courir pour venir se blottir dans ses bras. Elle sentit son cœur se serrer à la pensée qu'il puisse être accompagné ce soir. Il était beau, Concho, et si, longtemps il avait été son fantasme, Hanna savait qu'il l'était probablement aussi aux yeux de d'autres femmes. Elle ne voulait pas admettre qu'il lui manquait, que la pensée qu'une autre femme ait pris sa place –  à ses côtés, dans son cœur, dans son lit, – la rendait jalouse. Elle se leva pour descendre de son tabouret, ses chaussures dans une main, laissant ses pieds s'enfoncer dans le sable de la plage. Un léger vent balayait ses mèches brunes, relevait lentement les pans de sa robe. Elle abandonna son tabouret pour rejoindre l'autre côté du bar, là où se trouvait Concho avant de s'arrêter brusquement, à un mètre de lui. Un frisson parcourut lentement son corps et elle s'approcha pour s'assoir sur le tabouret à côté du sien. « Tu me laisses t'offrir un verre ? » s'enquit-elle, un mince sourire en coin se dessinant sur ses lèvres. Le regard pétillant de Conchobahr troubla un instant le rythme calme de son cœur, son équilibre, qui se réglait sur son souffle plus rapide. Il avait encore cet effet troublant sur elle. Cette attraction physique, entre son corps et le sien. Quelque chose qui aurait dû s'éteindre après leur séparation mais qui était pourtant, toujours là. Elle leva une main pour attirer l'attention du barman. « Et si t'es gentil, je t'en offre même un deuxième. »

La vie va reprendre son cours, tu vas voir. Laisse le temps faire son œuvre. Change-toi les idées, elles finiront par s’en aller. Aller chercher réconfort auprès de mes amis devenait lassant, autant pour eux que pour moi. Sans doute pas mal plus pour eux, même. Même mon humour devenait à chier, pire que mon humeur, alors franchement personne n’avait de véritable intérêt à traîner avec moi. Bien sûr, bien sûr, j’avais de magnifiques amis qui passaient par-dessus ça et qui venaient quand même me sortir de chez moi, de ma torpeur, pour m’alléger l’âme et l’esprit. Sauf que ça ne durait que le temps de quelques heures et, à chaque fois que je revenais à la colocation, même le silence le plus perturbé se faisait lourd. Il y avait toujours du bruit, toujours du mouvement, à l’appartement. Les petits comme les grands. Pourtant, j’arrivais à me retrouver dans ma bulle, dans ma petite prison où plus rien ne pouvait m’atteindre si ce n’était que les dernières paroles d’Ally qui résonnaient dans ma tête alors que je me remémorais cette cruelle façon de me laisser derrière. Elle avait marché le Pacific Crest Trail et à chaque pied qu’elle mettait l’un devant l’autre, elle laissait une petite partie de moi, de nous, derrière. Sauf que ce n’était pas pour retrouver son chemin, ce n’était pas comme dans Le Petit Poucet, non. Ally n’avait jamais prévu revenir vers moi. Je soupirai, accoudé au bar de la plage où je chantais à tue-tête avec Zelda il y avait une semaine de cela. Peut-être qu’en buvant autant que cette soirée-là, je retrouverais le même bonheur à portée de la main. Sauf que j’étais seul, complètement seul, et que même la meilleure bière de leur menu ne savait me réconforter. Peut-être était-ce mes nombreuses prières dans le vide, peut-être était-ce ma détresse qui faisait tellement pitié même aux yeux invisibles du destin, mais dans tous les cas, la vie mit devant moi un petit miracle. Hanna. Elle s’était assise tout juste à côté de moi, son sourire au coin des lèvres après m’avoir proposé un verre. Je me redressai, relevant légèrement mes épaules qui s’affaissaient de plus en plus jour après jour. « Hanna ! » M’exclamais-je avec un sourire naissant, avant de répondre à sa proposition : « C’est gentil. » Dis-je en hochant la tête. De tout ce que j’aurais pu attendre de cette soirée, Hanna était sans doute la plus inespérée, mais Dieu que c’était bon de la revoir. Elle était tout ce dont j’avais besoin, présentement. Parce que même lorsque j’étais en couple, Hanna avait réussi à maintes reprises à me le faire oublier, pire, à me le faire regretter. Même si elle, de son côté, m'avait depuis été inaccessible en raison de la bague passée autour de son doigt. La jeune femme leva une main vers le barman afin d’attirer son attention pour nos prochaines consommations. Elle parla même d’une éventuelle seconde tournée. « Je suis toujours gentil. » Mentis-je, parce que s’il y avait bien une personne envers qui j’avais été mauvais, c’était Hanna. Je l’avais fait souffrir, par le passé, avec mes réactions impulsives et folles de gamin perdu dans un monde trop grand pour lui. « Tu peux même pas savoir à quel point tu tombes bien, Hanna. » Dis-je en la regardant dans les yeux, tout d’un coup bien plus léger. Certes, Hanna était mariée, mais elle demeurait un baume sur mon coeur esseulé.

Elle leva les yeux au ciel, amusée, et de très bonne humeur. Encore hier elle n'aurait jamais imaginé partager une conversation avec Concho autour d'un verre. Parce que leur dernière rencontre remontait à plusieurs mois et qu'elle ne s'était pas assez bien terminée pour qu'ils envisagent de devenir amis. C'était stupide tout ça, au fond, de lui proposer un verre, de venir le voir alors qu'elle ne pourrait pas faire comme si rien ne s'était jamais passé entre eux. Ils ne pouvaient pas être amis et se torturer, comme ça, n'était pas non plus une bonne idée. Hanna le savait, si elle se sentait bien maintenant, le réveil du lendemain s'annonçait beaucoup plus douloureux. Parce que Conchobahr, avec son beau sourire et son regard envoutant, lui rappelait toujours qu'ils ne passeraient plus aucune nuit ensemble. Son regard balaya la plage rapidement, - presque déserte, tout le monde préférait profiter de la bonne ambiance du bar - avant de reporter son attention sur lui. Ses yeux se posèrent sur son sourire en coin, sur ses lèvres. Ces lèvres qui lui manquaient encore, tout le temps. Et ces bras dans lesquels elle aurait aimé se blottir. Hanna était consciente que le temps les avaient changés, elle un peu, lui surtout physiquement, et qu'il n'était plus l'adolescent qu'elle avait connu. La vie avançait, eux aussi, mais elle le voyait encore comme le seul homme de sa vie, le seul amour qui lui avait brisé le cœur. Une bague au doigt, des années de mariage et pourtant, cette certitude était toujours là. « Je suis toujours gentil. » Elle penchait la tête sur le côté avant de se redresser, droite, correcte, lorsque le barman déposa devant eux une série de shots. « J'ai toujours pensé que t'étais un voyou. » souffla-t-elle, amusée, avant de lui adresser un clin d'œil qui se voulait complice. Prenant un verre, elle le lève à la hauteur de ses lèvres pour le boire cul sec. Les températures étaient déjà chaudes, mais l'alcool la réchauffa un peu plus. « Tu peux même pas savoir à quel point tu tombes bien, Hanna. » Elle releva la tête pour croiser son regard, un sourire plus heureux se dessinant sur ses lèvres. « Je savais bien que tu m'attendais pour illuminer ta soirée. » Elle plissa le nez dans une moue moqueuse, un léger brin d'égocentrisme tirant sur sa voix légère. Ses doigts s'enroulèrent autour d'un deuxième shot. L'alcool qu'il contenait n'était pas son favori, mais elle avait toujours adoré enchaîner les petits verres pour faire comme dans les films. « Est-ce que tout va bien toi ? » Avec douceur elle posa une main sur son poignet, pas certaine que ce geste soit approprié dans leur situation, dans ce qu'ils étaient aujourd'hui l'un pour l'autre. Mais elle avait remarqué, derrière son sourire, son regard plus sombre et triste. Il ne lui devait plus rien, et ses secrets ne la concernaient pas, mais Hanna voulait le sauver, de tout, même des choses les plus bêtes. Elle contempla son expression, la brillant de ses yeux, les plis de son front, quelque chose clochait. Même des années plus tard, elle aimait croire qu'elle le connaissait encore par cœur, au point de deviner lorsqu'il était triste, mais Hanna se trompait probablement. « Tu as l'air préoccupé. Ou alors j'ai choisi un alcool que t'aimes pas. »

Au moment de nos retrouvailles, l’année dernière, Hanna et moi étions restés plongés dans les regrets et l’amertume, coincés dans un passé qui ne nous appartenait plus puisque nous ne pouvons rien y changer. Le passé appartenait au passé, tout simplement. Pourtant, nous avions été incapables de nous projeter dans un quelconque futur ensemble, même si ce n’était qu’en tant qu’amis. Comme s’il n’était pas envisageable que nous soyons autre chose que des amoureux. Comme s’il était impossible de tasser du revers de la main tout le bagage qui se trouvait entre nous deux. Je m’étais d’ailleurs fait à cette idée, tentant de ne plus m’accrocher à un éventuel retour aux sources avec Hanna qui elle, de toute façon, avait tourné la page sur cet aspect de notre relation. Elle était mariée, je l’avais appris à ma plus grande surprise, perdant toute ma contenance devant elle. Ma déconfiture n’avait pas duré bien longtemps, parce que j’avais débuté une relation plus sérieuse avec Ally quelques semaines suivant mon retour à Bowen. Ce soir, malheureusement, je n’étais plus dans une aussi bonne place. Je n’avais personne à qui m’accrocher alors que je me faisais rappeler à coup de magnifiques souvenirs que Hanna m’avait été dérobée. Que j’étais seul, complètement seul, et que mes différents choix de vie m’avaient conduit ici, à ce bar de la plage, dans un état des plus lamentables. Je tentais toutefois de ne pas le montrer à Hanna parce que devant elle, j’avais toujours eu besoin de paraître à mon meilleur. Pour qu’elle ne cesse jamais de me voir comme l’être qu’elle avait un jour aimé. « J'ai toujours pensé que t'étais un voyou. » M’avait-elle répondu en un souffle, un souffle que je sentis contre ma peau, une odeur sucrée de limonade enivrant mes sens. Je ris. J’attrapai à mon tour un verre que je bus cul-sec, un eu pour confirmer sa précédente affirmation. Un voyou, sans doute pas, mais je n’avais jamais été reconnu comme quelqu’un de sage non plus. Le liquide alcoolisé me réchauffait encore la gorge alors que j’avouais à Hanna à quel point elle tombait bien ce soir, et dans ma vie. « Je savais bien que tu m'attendais pour illuminer ta soirée. » Ce qu’elle ignorait c’était que je l’avais attendue pour bien plus que ça, avant d’avoir rencontrée Ally, avant de m’être fait berner par l’amour. Et maintenant que tout cela était terminé, je retombais dans mes vieilles habitudes. Mes mauvaises habitudes. « Ne fais pas comme si ce n’était pas vrai. » Répliquais-je face à sa moue moqueuse. Elle pouvait se le permettre, son égocentrisme. À certains moments, tout gravitait autour d’elle ; ou du moins, moi, j’étais dans son orbite. À notre deuxième shooter, Hanna décela en moi ce que je tentais vainement de cacher. « Est-ce que tout va bien toi ? Tu as l'air préoccupé. Ou alors j'ai choisi un alcool que t'aimes pas. » Si seulement. Je souris, fixant le petit verre vide entre mes doigts. « Je t’ai déjà dit que la tequila était la dernière sur ma liste. Je te pensais plus attentive que ça. » Lâchais-je sans vraiment me croire moi-même. Puis, je soupirai, redressant les épaules et me penchant légèrement vers l’arrière en passant mes mains sur mes cuisses. Je levai le visage vers elle, la regardant dans les yeux. « J’ai été en couple avec une fille pendant plusieurs mois. Et un jour, sans prévenir, elle est partie à l’autre bout du monde. J’ai su qu’elle ne reviendrait pas quand elle a enfin daigné me passer un coup de fil. » Avouais-je d’un trait, haussant les sourcils avant de me pencher de nouveau vers le bar, m’accoudant à celui-ci avant de faire un signe au barman, pour qu’il nous amène de nouveaux verres. « J’ai jamais été très bon pour les garder, hein ? » Les femmes de ma vie, j’voulais dire. Le serveur posa les verres devant nous et je m’enfilai le shooter sans plus attendre.

Les lumières du bar brillaient au-dessus de leurs têtes. C'était une belle soirée, une chaude nuit d'été, la lune se reflétant dans la noirceur de l'eau. Hanna avait toujours connu ce genre de nuit, ce plaisir de rester dehors, tard dans la soirée, et de ne pas ressentir le froid. Elle accueillit avec plaisir une deuxième tournée d'alcool, laissant la tequila glisser sur sa langue. Elle buvait plus pour oublier que par plaisir, alors qu'elle n'était pas venue dans ce bar pour ça, à l'origine. Ne fais pas comme si ce n’était pas vrai. Les mots de Concho raisonnaient encore contre ses tympans. Elle ne voulait pas qu'il lui dise ça, pour ensuite que leurs chemins se séparent à nouveau, la laissant seule avec un désir trop profond pour lui et des envies à combattre. Elle préférait blaguer, plutôt que de croire qu'elle illuminait réellement sa soirée, qu'elle était seule à en avoir le pouvoir. Il n'avait pas le droit de lui dire ce genre de mots, tout simplement parce que son cœur les prenaient trop sérieusement et elle finirait, inévitablement, par en vouloir plus. Plus de mots, plus de lui, plus de tout. La bague à son doigt lui rappelait qu'elle était mariée, et même si son mariage était fini, aux yeux de la loi, elle était toujours l'épouse d'un autre. « Je t’ai déjà dit que la tequila était la dernière sur ma liste. Je te pensais plus attentive que ça. » Un faible sourire s'étendit sur ses lèvres. « J'étais sûrement distraite à ce moment-là. » Comme elle l'était, à cet instant, parce que Concho avait toujours eu cet effet-là, sur Hanna. Il accaparait ses pensées, son attention, peu importe toute la force qu'elle y mettait pour résister, pour s'obliger à penser à son mari plutôt qu'à lui. Ça ne marchait pas. Ça n'avait jamais vraiment marché. Elle ne comptait plus le nombre de fois où il l'avait surprise à l'observer avec des yeux d'amoureuse, l'esprit complètement perdu. Un frisson parcourut lentement tout son corps, et Hanna savait, que ce n'était pas la fraicheur de la nuit qui en était la cause. La proximité avec Conchobahr était difficile à supporter, parce qu'elle n'avait plus le droit de le toucher. Pire, il venait de se faire briser le cœur par une autre femme et elle ne savait pas quoi dire, ni quoi faire. Elle était piégée entre ses sentiments pour lui et son envie de bien faire les choses. Il avait tourné la page – en un sens, Hanna aussi avec son mariage raté – et elle devait se faire une raison, effacer tous les sentiments qu'elle nourrissait depuis des années pour Concho. « J’ai jamais été très bon pour les garder, hein ? » Ironique lorsque Hanna repensait à la façon dont lui l'avait quitté neuf ans plutôt. De la même façon, sans avoir pris le temps de l'appeler ou de lui expliquer pourquoi. Il avait juste disparu, comme ça, la laissant attendre, tout simplement. Elle lui offrit un sourire rassurant, cachant du mieux possible ce qu'elle avait vraiment en tête. « Dis pas ça. J'espère qu'elle le regrettera tous les jours. De t'avoir quitté. » Le barman déposa des nouveaux verres que Concho venait de commander et pour se donner du courage, Hanna en bu deux autres. Elle devait essayer d'agir comme une amie l'aurait fait, non ? « Elle savait pas sa chance d'être avec toi. Et tout ira bien pour toi, avec le temps, tu verras. » Et elle vida un autre verre. « Et tu devrais commencer dès maintenant. » Son regard cherche le sien, un sourire bien présent sur les lèvres alors qu'elle tend sa main vers lui. « Viens, on va faire un tour sur la plage. »

Cette nuit qui, pour moi, avait parue froide aux premiers abords, se réchauffait peu à peu depuis qu’Hanna s’était jointe à moi. Je me sentais moins seul, je me sentais moins abandonné, j’avais l’impression que tout n’irait pas aussi mal que ce que je l’imaginais. Et puis, les verres de tequila qu’on s’enfilait depuis cinq minutes n’étaient pas étrangers au réchauffement de mon corps, de mon cœur. Et de mon regard. En effet, ce dernier, qui avait perdu sa lueur depuis les dernières semaines, semblait briller d’un nouvel éclat. C’était l’effet qu’Hanna avait sur moi, depuis toujours. Depuis le tout premier jour. Pourtant, je savais que c’était mal, de me réjouir de sa présence. Elle était mariée, j’étais en peine d’amour. C’était un très mauvais cocktail lors d’une soirée qui s’annonçait arrosée comme celle-là. Je jouais avec le feu, pour ne pas dire que nous jouions avec. Je ne savais pas trop où se situait Hanna dans cette rencontre fortuite. Ce qu’elle attendait de moi, de nous. « J'étais sûrement distraite à ce moment-là. » Je souris. En même temps, cette confidence devait remonter à loin, à mes débuts avec l’alcool, parce que ce n’était certainement pas le genre d’information que nous nous étions donné l’année dernière. Nous avions eu bien plus d’éléments importants à aborder. Mon départ, mon retour, son mariage, notre relation. Le passé. Notre incapacité à y retourner. Je lui parlai finalement d’Ally, la seule et unique raison de mon chagrin, parce qu’en partant elle avait emporté une partie de moi qu’elle ne viendrait jamais me rendre. « Dis pas ça. J'espère qu'elle le regrettera tous les jours. De t'avoir quitté. » Je la fixai un moment, alors qu’elle s’emparait d’un verre pour le boire, ne me portant plus d’attention. Ce qui me permis de me perdre dans son visage, dans ce qu’elle venait de me dire. J’avais sans doute l’air bien con, là, de pleurer pour le départ imprévu et brutal de ma petite amie alors que j’avais fait le même coup à Hanna il y avait des années de cela. « En tout cas moi je l’ai regretté. À tous les jours. » Avais-je déclaré alors qu’elle redéposait son verre sur le comptoir. Quand elle tourna la tête vers moi, j’ajoutai, pour que ce soit bien clair : « De t’avoir quittée. » Et je le regrettais encore plus quand je voyais tout ce que j’avais perdu, tout ce que j’aurais pu avoir. À mon tour, je descendis d’un trait, un après l’autre, les deux verres qui m’étaient destinés. Pour des raisons que je ne saurais m’expliquer, Hanna continua d’agir en bonne amie, alors qu’elle aurait pu agir complètement à l’opposé. « Elle savait pas sa chance d'être avec toi. Et tout ira bien pour toi, avec le temps, tu verras. » Elle vida son second verre. « Et tu devrais commencer dès maintenant. Viens, on va faire un tour sur la plage. » Je me levai et je la suivis, sur la plage. J’aurais voulu oublier ses dernières paroles, j’aurais voulu me sentir plus léger en suivant le mouvement des vagues qui s’écrasaient sur nos chevilles, mais alors que nous marchions côte à côte au bord de l’eau, je lui demandai : « Tout va bien pour toi, maintenant, alors ? Avec le temps ? » Je savais qu’elle était mariée, ce qui voulait sans doute dire qu’elle s’en était sortie, oui, malgré ma connerie. Qu’elle avait réussi à être heureuse sans moi. Mais je voulais l’entendre de vive voix. Pour réellement avoir espoir que, moi aussi, je saurais tourner la page sur le passé. Autant celui partagé avec Ally qu’avec Hanna.

« Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? » Elle releva les yeux pour croiser son regard. Rien n'arrivait par hasard. Leur rupture, leurs retrouvailles, son mariage, cette soirée, la rupture récente de Conchobahr avec cette fille. Elle ne comprenait pas pourquoi il lui disait ça, ses regrets, là, maintenant alors qu'elle avait tout fait son possible, en prenant place sur ce tabouret, pour qu'ils ne parlent pas d'eux. Elle laissa son regard voguer sur le visage de Concho, sur ces traits qu'elle connaissait pourtant par cœur mais dont elle était incapable de se lasser. Hanna en connaissait encore toutes les expressions, elle en était certaine, si on le lui demandait. Et elle se leva, à sa suite, sans aucun autre mot, marchant à ses côtés pour rejoindre la plage. Le silence de l'endroit était seulement brisé par le bruit des vagues qui s'écrasaient contre le sable et ses chevilles, mouillant aussi le haut de ses mollets, de ses genoux. Ses pieds baignaient dans l'eau tiède de la mer. Elle avait envie d'y plonger, de profiter de sa soirée avec Concho. Elle ne prêtait pas attention aux futilités, au froid qui paralyserait sans doute ses membres une fois hors de l'eau, elle voulait simplement y aller. « Tout va bien pour toi, maintenant, alors ? Avec le temps ? » Son regard croisa le sien et elle y voyait tout l'espoir qu'il attendait de sa réponse. Il méritait tellement plus. « Bien sûr. » souffla-t-elle doucement, guidée par l'envie de le soulager. « Mais ça ne veut pas dire que, nous deux, ça ne me manque pas. » Elle détourna son regard vers les vagues pour éviter délibérément celui de Concho. Parce que c'était inscrit tellement fort en elle et dans son cœur, que d'aimer Conchobahr, c'était comme respirer. Mais savoir qu'aujourd'hui, il en aimait et pleurait le départ d'une autre femme, était une lente torture. Ses sentiments, elle avait réussir à les faire taire pendant tellement d'années, elle pouvait peut-être encore le faire ce soir. A en faire abstraction, à les effacer le temps de quelques secondes. Mais ils ne disparaitraient jamais totalement. Ils ne demandaient qu'à exploser. Ce soir, elle essayait de se comporter comme une pote aurait été avec lui, pour se convaincre qu'être amie avec Conchonbahr était potentiellement possible. Ils pourraient peut-être continuer à se voir sans être obligatoirement des amoureux. Elle souriait, tentait de le consoler du mieux qu'elle pouvait. Mais à peine une minute, deux peut-être, après s'être plongée dans ce rôle de bonne copine qu'elle en avait déjà assez. Elle essayait de faire bonne figure, un sourire au bout des lèvres, parce que Hanna s'était promis, des années plus tôt, de ne pas lui faire de mal, d'être sa meilleure partenaire, de le soutenir, lui transmettre tout son amour, toute sa force et d'accourir dès qu'il aurait besoin d'elle. Elle chercherait sans doute, pour toujours, à être la première pour Concho, même si elle devait le voir l'abandonner à chaque fois. Égoïstement, elle aurait aimé lui hurler que, cette rupture ou l'échec de son mariage, n'étaient qu'une étape, qu'un jour où l'autre, ils se retrouveraient. Mais Hanna n'était pas naïve, ça ne fonctionnait que dans les films, ce genre de scénario. « N'importe quelle femme rêverait d'être avec toi, tu devrais le savoir. Et cette fille, ce n'était juste pas la bonne pour toi. » Se retournant brusquement, elle commence à marcher à reculons sur la plage, de telle manière à faire face à Concho. Elle le fixa, les yeux pétillants de malice. « Maintenant, profitons de cette soirée. Tu as envie de faire quoi ? »

« Pourquoi est-ce que tu me dis ça ? » Je baissai les yeux vers elle, croisant son regard, alors que sa question me prenait par surprise alors que j’aurais dû m’attendre à cette réaction. De quel droit est-ce que je me permettais de lui dire ça alors que nous étions tous les deux à des années-lumière de notre rupture ? Qu’est-ce qui me prenait de retomber dans le passé et de tourner le couteau dans la plaie ? Ce n’était bon pour ni l’un ni l’autre. Ni pour elle, ni pour moi. Et pourtant, j’avais eu besoin qu’elle sache. J’avais eu besoin qu’elle comprenne que j’avais toujours regretté, en quelque sorte, de l’avoir laissée derrière moi alors qu’elle n’aurait jamais dû quitter mes côtés. Ce sentiment se décuplait aujourd’hui, depuis que j’étais à la croisée des chemins face à ma vie. Je regardais de tout côté et ce qui me semblait le plus confortable se trouvait derrière moi, une dizaine d’années en arrière, quand Hanna et moi étions heureux. Ça me semblait avoir été la période de ma vie la plus simple. Avant que tout mon monde ne s’écroule, et que je me perde dans le chaos qu’il était alors devenu. Que j’étais devenu. « Je ne sais pas. J’avais besoin que tu le saches … Je suis désolé, je n’aurais pas dû, je sais. » Mais rien n’arrivait par hasard, c’était vrai, et si j’avais prononcé ces paroles en cette soirée où nous nous étions retrouvés alors que nous étions tous les deux à des places bien différentes par rapport à l’année dernière, ce n’était pas pour rien. Rien n’arrivait pour rien. Hanna se leva et nous entraîna vers la plage. Je marchais à ses côtés, dans un silence de culpabilité. J’aurais pensé que mes paroles rouvriraient des sentiments pour elle aussi, mais visiblement, j’aurais dû garder pour moi mes regrets. Je ne voulais pas faire remonter à la surface l’amertume d’Hanna. Je voulais qu’on puisse enfin tourner la page, au fond. Vivre dans le passé ne me conduirait nulle part ; c’était seulement la seule chose à laquelle je pouvais actuellement m’accrocher. Mais pour elle, je lui parlai de son présent, indirectement de son mariage, voulant savoir si elle était heureuse. Si elle avait réussi à retrouver le bonheur bien que je lui ais arraché celui que nous avions construit de nos mains. Je la regardai dans les yeux malgré la pénombre qui nous enveloppait peu à peu alors qu’elle me répondait. « Bien sûr. Mais ça ne veut pas dire que, nous deux, ça ne me manque pas. » Elle détourna son regard du mien, posant ses yeux sur l’océan, alors que je tentais encore, moi, de décrypter le fond de sa pensée. Mais même si j’avais un jour osé penser connaître Hanna par cœur, je me rendais compte que maintenant, elle m’était indéchiffrable. « Je suis content pour toi, alors. Et ça me manque aussi. » Conclus-je, ne voulant pas en ajouter davantage, de peur qu’elle réagisse de la même façon que lorsque nous étions accoudés au bar. Étrangement, l’alcool qui s’infiltrait peu à peu dans mon sang me ramenait sur terre. Me redonnait un peu de raison. « N'importe quelle femme rêverait d'être avec toi, tu devrais le savoir. Et cette fille, ce n'était juste pas la bonne pour toi. » Hanna se retourna et me devança de quelques pas, marchant à reculons devant moi. Je la regardai avec un sourire. Putain ce qu’elle était belle, Hanna. L’âge ne faisait que la complimenter davantage. Elle ne vieillissait pas, elle valsait dans l’espace-temps. « Maintenant, profitons de cette soirée. Tu as envie de faire quoi ? » Je regardai l’océan à perte de vue, dont on ne discernait même plus la fin puisqu’il se confondait avec le ciel. « J’ai envie qu’on redevienne les ados qu’on était. » Mais cette fois, je parlais non seulement de notre amour léger mais aussi de nos cœurs d’enfants. De notre folie passagère. De notre goût pour la vie. Alors je m’élançai vers Hanna avec un sourire et je la soulevai dans les airs pour m’avancer un peu plus dans l’eau et la faire tournoyer dans mes bras. « Est-ce que t’as ton téléphone portable sur toi ? » Demandais-je, avec une idée bien claire derrière la tête, et si Hanna était toujours aussi futée qu’avant, elle le devinerait bien vite.

Elle glissa un regard surpris, peut-être aussi un peu las, vers Concho. Elle se remémorait toute leur histoire et de savoir, qu'à lui aussi, ça lui manquait, ça ne l'aidait pas. Rien n'aidait lorsqu'il parlait d'eux, parce qu'il avait le don, volontaire ou non, de lui donner envie d'en avoir plus et d'être à nouveau la femme qui partagerait son quotidien, sa vie, tout. Elle crevait d'envie qu'ils se créent des nouveaux souvenirs à deux, qu'ils avancent ensemble, mais une voix dans sa tête lui disait que c'était impossible. « J’ai envie qu’on redevienne les ados qu’on était. » Un sourire se dessina sur ses lèvres en le voyant approcher, elle n'était pas certaine de ce qu'il comptait faire, mais Hanna avait un doute. Son regard brillant, son sourire, leurs pieds dans l'eau, ne laissaient présager rien de bon. Mais rien non plus qu'elle n'avait envie d'éviter. Hanna rêvait de tout vivre, de tout faire avec cet homme. Alors si Concho voulait redevenir les deux ados fous qu'ils avaient un jour été, elle le ferait. Elle avait peut-être pensé qu'il voudrait retourner au bar, ou simplement marcher sur la plage jusqu'à ce que l'un ou l'autre en ait marre ou ait trop froid. Faisant mine de vouloir reculer davantage, elle finit par éclater de rire en voyant Concho fondre dans sa direction, la saisissant entre ses bras immenses sans qu'elle n'ait le temps de voir le coup venir. Ses propres bras s'enroulèrent instinctivement autour de son cou pour s'accrocher à lui et faciliter la position. « Est-ce que t’as ton téléphone portable sur toi ? » Un nouvel éclat de rire s'échappa d'entre ses lèvres, alors que son attention se reporta brièvement sur l'eau qui s'agitait désormais, juste au-dessous. Maintenant qu'il en parlait, Hanna se rappelait avoir oublié son téléphone sur une table, chez elle, celle qui se trouvait dans la cuisine. Elle plissa les paupières, le fixant avec une lueur amusée. Elle ne redoutait pas de finir dans l'eau, c'était tout le contraire, parce qu'elle avait toujours été joueuse et, adolescente, elle aurait sans doute été la première à se jeter dans la mer avant de le convaincre de l'y rejoindre. « Attends attends... Je l'ai pas mais si je... » Avant même que Hanna ne puisse négocier et sortir tout un tas d'arguments idiots dont elle seule avait le secret, elle se retrouvait jeter dans l'eau, le corps totalement engloutit sous les vagues, le temps de quelques secondes. L'eau n'était pas très chaude, mais l'alcool dans ses muscles l'empêchait de s'y intéresser. Elle finit par ressortir la tête, manquant de s'étouffer avec de l'eau avalait par inattention. Et même si l'air lui manquait un peu, Hanna, hilare, finit par exploser de rire à nouveau, tout en essayant avec difficulté, de se remettre sur ses deux jambes. Le tissu de sa robe lui collait au corps, comme une seconde peau. Ses cheveux lui venaient dans la bouche et dans les yeux, mais elle s'en fichait bien. « Traitre. Tu vois que tu n'es pas toujours gentil. » Son sourire s'élargit, alors qu'elle était prête à tout pour que Conchobahr se retrouve, à son tour, dans le même état. Ses doigts s'agrippèrent avec douceur au t-shirt du jeune homme, reculant de quelques pas sans le lâcher des yeux, le dévorant littéralement du regard, pour qu'il la suive totalement dans l'eau. « Téléphone ou pas téléphone. T'es obligé de me rejoindre. » Tentant le tout pour le tout, elle sauta par surprise dans ses bras, espérant le faire basculer dans la mer.

Je la tenais toujours au-dessus de ma tête, son ventre légèrement appuyé sur mon épaule droite, quand mon humour me porta encore plus loin, encore une fois. Je demandai à Hanna si elle avait son téléphone portable sur elle, ce qui me fit réaliser par la même occasion que le mien était toujours sur le comptoir du bar. Tant pis, peut-être qu’une âme généreuse allait le remettre au barman, ou peut-être que le barman lui-même l’avait récupéré et le gardait dans un endroit sûr en attendant que je revienne. Et sinon … et sinon, ben merde. Je m’en remettrais. Ce n’était que du matériel. Il y avait tellement de choses pour lesquelles je ne pensais jamais me remettre que je devais bien surmonter la perte d’un gadget, parce qu’aussi utile soit-il, il ne me permettrait pas de ravoir Ally. Ni Hanna d’ailleurs. « Attends attends... Je l'ai pas mais si je... » Mais je n’attendis pas qu’elle termine sa phrase. Ça me suffisait amplement de savoir que sa petite baignade improvisée ne lui coûterait pas le remplacement de son téléphone. Je la lançai à bout de bras vers l’eau, me tournant vers l’océan pour m’assurer qu’elle tomberait là où c’était plus creux, là où la pente déclinait vers les abysses. Là où je me serais sans doute rendu ce soir si Hanna n’était pas apparue. Réapparue.

Quand elle manqua de s’étouffer, je me rapprochai d’elle par instinct, la culpabilité reprenant le dessus sur l’euphorie de l’avoir vue tomber. « Ça va ? » Avais-je demandé d’un ton inquiet, avant de rire quand Hanna se reprit et qu’elle m’agrippa le chandail pour me tirer vers elle. « Téléphone ou pas téléphone. T'es obligé de me rejoindre. » Alors que je me préparais à tirer vers l’arrière pour qu’elle n’arrive pas à me tirer vers l’avant, Hanna me prit par surprise en se jetant dans mes bras avec une force capable de déséquilibrer n’importe qui. Je basculai donc vers l’arrière, enroulant mes bras autour d’elle afin de l’entraîner avec moi. Avant d’atterrir dans l’eau, j’eus le temps de crier : « Si je tombe, tu tombes avec moi ! » Et les éclaboussures autour de nous partirent dans tous les sens alors que je me retrouvai submergé, Hanna contre moi. Je dénouai mes bras et la laissai partir. Je la laissai partir encore une fois. Je remontai à la surface, retrouvant la brunette qui attendait déjà la tête hors de l’eau. Je secouai la tête en riant. « J’ai pas dit mon dernier mot. » Et comme de fait, je lui lançai de l’eau à la figure. Comme le grand enfant que j’étais. L’eau était effectivement plutôt fraiche, le temps se refroidissait et l’hiver allait bientôt arriver en Australie, et même si nous avions des hivers très doux et ensoleillées, les plages étaient toujours plus désertes. Finalement, je nageai pour me rapprocher un peu plus d’Hanna. Nous étions à une distance que nous n’avions plus connue depuis des années. Physiquement et émotionnellement. Mais elle était mariée. Il ne fallait pas que je le perde de vue, ça.

« J’ai pas dit mon dernier mot. » Un nouvel éclat de rire s'échappe de ses lèvres, ses paupières se ferment et se ré-ouvrent aussi vite, chassant du revers de la main l'eau qui bloquait sa vue. Elle riait encore avec Conchobahr, il avait toujours eu cet effet positif sur Hanna, en dehors de leur rupture qu'il lui avait brisé le cœur. Elle l'observa approcher, sans émettre de mouvement de recule, parce qu'elle avait envie qu'il soit plus près et elle lui adressa un sourire timide. Ses yeux brillaient d'une nouvelle flamme, peut-être l'alcool qui jouait sur son état, ou leur proximité. Ou un mélange des deux. Mais Hanna, qui résistait à ses envies pour lui depuis tellement longtemps que, ce soir, être près de Concho en était douloureux. Elle avait appris à combattre son besoin de lui, sans avoir totalement réussi à s'en débarrasser. Son corps réclamait plus, il en voulait plus, toujours plus, son cœur aussi. Mais une petite voix dans sa tête, les débris de sa conscience sans aucun doute, lui hurlait de ne pas aller plus loin. Elle était mariée et puis, Conchobahr en aimait, et pleurait le départ d'une autre femme. Hanna ne pouvait pas faire comme si cela ne comptait pas ou n'avait aucune importance. Ils ne s'étaient pas non plus revus depuis plusieurs mois, ça aussi, ça comptait. Pourtant, elle ne résista pas à l'envie de briser les derniers centimètres qui la séparaient de lui, un sourire timide aux coins des lèvres alors que son corps se collait au sien. Un frisson parcouru ses muscles à son contact. Ça paraissait tellement simple, naturel aussi, comme de revenir à la maison après un long périple. C'était facile, pour l'instant, le plus compliqué avait toujours été de savoir quand s'arrêter, de savoir où étaient les limites à ne pas franchir. Son regard glissa vers ses lèvres avant de se plonger dans le bleu de ses yeux, puis de fixer à nouveau sa bouche, son corps dans l'eau. C'était étrange, comment ce soir, sa capacité à lui résister faiblissait mais il aurait été difficile pour Hanna d'être insensible alors qu'elle se tenait si près de Concho, que son corps touchait le sien et qu'elle cherchait délibérément cette étreinte. Elle se pinça les lèvres, cherchant quelque chose à dire, n'importe quoi, même une blague débile. Mais ses bras s'enroulèrent autour de son cou tout doucement, laissant librement ses doigts glisser dans ses cheveux humides et bon sang qu'elle allait finir par regretter son attitude. Elle ne pouvait pas totalement blâmer l'alcool, Hanna le savait, mais ça serait son excuse, si Concho décidait de le repousser pour s'être montrée si proche. Elle essayait, aussi, de se convaincre qu'ils prenaient le chemin d'une potentielle amitié, mais une amie, une vraie, n'aurait jamais fait ça. Elle était simplement perdue, sous le charme de Concho et incapable de s'imposer les mêmes limites qu'elle avait eu la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Elle fronça les sourcils en secouant la tête, tentant de combattre, encore, ce désir fou qu'elle ressentait pour lui. Elle laissa sa tête tomber avec douceur contre le cou de Concho, son parfum masculin mélangeait à l'eau salée de la mer l'enivrait. Il fallait qu'ils s'éloignent, c'était inévitable. « On va nager ? Une course, jusqu'au rocher là-bas. » proposa-t-elle, en désignant du doigt un rocher qui se dessinait dans l'horizon, sur lequel les vagues s'écrasaient. Hanna n'était pas réellement convaincue par l'idée mais après tout, ils ne pouvaient pas rester comme ça. Pire, elle ne pouvait pas rester si proche de lui.

On s’éclaboussait, riait, se chamaillait, jusqu’à ce que nos rires s’unissent au silence, que nos corps cessent de bouger au point de rendre l’eau presque immobile malgré nos jambes qui se battaient pour nous maintenir à la surface. Pour ne pas nous laisser sombrer dans un passé auquel nous n’appartenions plus, malgré notre désir indéniable de nager à contre-sens. De regagner l’autre côté de la rive, celle que nous avions quittée trop tôt. Celle que nous regrettions amèrement. Hanna s’avança dans l’eau, brisant la distance qui agissait comme une sorte de barrière entre nous. Celle qui nous imposait une limite qu’on se devait de respecter, pour elle, pour moi, pour son mari. Pour toutes ces années passées loin l’un de l’autre. Pourtant, nos corps se collèrent l’un à l’autre quand Hanna décida que cette distance n’avait pas lieu d’être. Je plongeai mon regard dans le sien, pouvant ainsi discerner chaque moment où ses yeux descendaient jusqu’à mes lèvres avant de revenir jusqu’à mes iris. Je ne m’autorisai pas à lâcher les siens, parce que si je m’aventurais à la redécouvrir dans tous les détails qu’une telle proximité me permettait, je savais pertinemment que je ne retrouverais plus jamais mon chemin. Je me perdrais en elle, parce qu’il m’avait toujours été trop facile de m’égarer dans les sentiments trop intenses que j’éprouvais envers Hanna. Elle avait cette emprise sur moi que je n’arrivais pas à m’expliquer. Les bras d’Hanna s’enroulèrent autour de mon cou, me donnant par le fait même la permission de passer les miens autour de son corps, dans le bas de son dos. Deux amoureux à la dérive. À la dérive depuis déjà bien longtemps. Trop longtemps. Alors que je m’autorisai enfin à baisser le regard vers ses lèvres, Hanna me déroba ce droit en posant sa tête dans le creux de mon épaule, contre mon cou. Je fermai les yeux, déglutissant et serrant la mâchoire. Comment quelque chose pouvait-il être aussi beau et aussi douloureux à la fois ? Cette étreinte me faisait vivre et m’étouffait à la fois. Je la pressai un peu plus contre moi, dans l’espoir qu’on ne se laisse plus jamais, mais Hanna ne tarder pas à reculer dans l’eau, reprenant une distance trop grande. La lueur de déception dans mon regard ne faiblit que légèrement lorsque la brunette me proposa un défi, une course, jusqu’au rocher qu’elle désigna plus loin. « Un, deux, trois. Go ! » Lançais-je, ne voulant pas refuser de retomber dans la légèreté. Ne voulant pas briser ce que nous pouvions avoir. C’était mieux que de ne rien avoir du tout. Je commençai donc à nager vers les rochers mais, n’ayant aucune technique de nage, Hanna garda une bonne longueur d’avance sur moi sur toute la distance. À bout de souffle, je la rejoignis sur ce rocher qui nous permis de sortir de l’eau sans toutefois regagner la terre ferme. Rester dans notre fantaisie sans risquer de nous heurter à une dure réalité. Et pourtant, quand j’eus repris mon souffle, je nous ramenai à celle-ci par moi-même : « Pourquoi t’es là, Hanna ? Pourquoi t’es pas avec ton mari ? » Elle disait être heureuse et pourtant, elle était ici avec moi, l’alcool brûlant notre corps, à la recherche d’une affection dont nous avions tous les deux besoin.

Tout ce qu'elle retient, c'est la sensation des mains de Conchobahr, le frisson qui la saisit lorsqu'il les pose là, entre ses reins, et qu'elle regrette de porter une robe, d'être privée du contact direct de ses doigts sur la peau de son dos. Elle aurait aimé se montrer plus résistante, elle aurait aimé parler d'autre chose aussi, savoir si il avait fini par ouvrir son centre de danse et comment s'y passait ses journées. Mais Concho la rendait faible, tout simplement. Hanna se retrouvait vite impuissante face à son charme, qu'il en soit conscient ou non, il avait toujours eu cet effet là. Même avec son nouveau physique, parce que ce n'était pas quelque chose sur lequel Hanna s'arrêtait. Un sourire se dessina sur ses lèvres rosées et elle plongea dans l'eau au compte de trois. Elle avait toujours été comme un vrai poisson, elle se sentait étrangement mieux lorsqu'elle se retrouvait au contact de l'eau plutôt que de la terre. Elle n'y voyait pas grand chose dans la nuit, mais sur le moment, ça lui importait vraiment peu de ne pas savoir où elle mettait les pieds. Le rocher apparaissait toujours au loin et elle entendait Concho qui nageait un peu plus loin derrière. De toute évidence, elle gagnait largement la course, et elle ne cacha pas son plaisir de finir première. « J'en connais un qui traine. » lança-t-elle sur un ton taquin, et avec agilité, elle s'assit sur la surface plate de la pierre, pour attendre que Conchobahr finisse par la rejoindre. L'endroit était beau, maintenant qu'elle y prêtait attention, Hanna n'était pas déçue d'avoir proposé cette course pour atterrir sur ce caillou qui offrait une vue imprenable sur la mer et l'horizon. Elle laissa ses pieds pendre dans l'eau froide, grelotant malgré elle dans sa robe humide. Le vent caressait sa peau, la fraicheur de la nuit se faisait sentir maintenant qu'ils étaient tous les deux mouillés. « Pourquoi t’es là, Hanna ? Pourquoi t’es pas avec ton mari ? » Elle se tourna légèrement pour lui faire face, autant que possible, et son sourire disparu. Son cœur se souleva de chagrin, parce que Hanna ne s'était pas préparée au choc d'une question pareille. Des gouttes d'eau glissaient le long du visage de Concho et ses doigts remplacèrent une des gouttes, avant que sa main ne retombe le long de son corps. « Pour illuminer ta soirée. Tu as déjà oublié ? » s'enquit-elle tristement. Elle jeta un coup d'œil à l'alliance qu'elle portait toujours à son doigt. Ce bijou qu'Hanna aurait dû enlever depuis longtemps, et qui avait perdu toute sa valeur sentimentale. Peut-être y tenait-elle encore un peu, elle l'ignorait parce que c'était une question qu'elle ne se posait jamais. Elle releva ses yeux vers ceux de Concho, et elle se sentit bien bête d'être là, alors que lui aussi, comme son mari, elle avait fini par le perdre. « On s'est séparé, alors il doit pas avoir très envie de passer la soirée avec moi en ce moment. » Elle s'apprêta à se justifier, à lui dire que oui, elle lui avait menti par rapport à son bonheur, mais Hanna n'en avait plus la force. Qu'espérait-elle neuf ans plus tard ? Que Conchobahr lui retombe dans les bras ? C'était un espoir bien naïf, et elle le réalisait maintenant. « Tu vois, moi non plus j'ai jamais été très douée pour les garder près de moi. » Les hommes de sa vie, comme lui avait parlé des femmes.

Hanna ne manqua pas de me remettre sous le nez ma défaite, avec son air de triomphe et son sourire de gagnante. Elle monta sur le rocher, là où il était assez plat pour s’y installer plus ou moins confortablement, avec une grâce que je ne possédais pas. J’utilisai mes muscles plutôt que mon agilité, en me hissant sur la roche pour me sortir de l’eau. J’allai m’asseoir à côté d’elle, reprenant mon souffle. « J’dois avoir 100 lbs de plus que toi à traîner, aussi. » Me défendis-je en la regardant avec un sourire. Je n’étais pas forcément mauvais perdant, je disais plutôt cela avec humour. En même temps, ce n’était pas faux. Je portai finalement mon regard sur l’horizon et, même si la beauté de l’endroit et la proximité entre Hanna et moi faisaient glisser mon cœur vers la confusion, je savais que je ne devais pas me laisser aller au passé. Je savais que ça ne me servirait à rien de m’accrocher à notre relation que j’idéalisais plus j’y songeais avec nostalgie. Je n’avais peut-être jamais retrouvé avec une autre la complicité, l’intensité et l’attirance que j’éprouvais avec Hanna, encore aujourd’hui, mais cela ne signifiait pas que nous étions faits l’un pour l’autre. Si ça avait été le cas, je n’aurais pas le cœur brisé et Hanna ne serait pas mariée à un autre. D’ailleurs, ce mari-là, j’avais tendance à l’oublier ce soir, dans nos moments d’égarements, dans nos sourires rêveurs, dans nos échanges de regard qui disaient tout. Qui ne disaient rien. Qui me laissaient dans le brouillard le plus total. Dans l’espoir de dissiper un peu la brume qui nous entourait, je demandai à Hanna ce qu’elle faisait avec moi alors que cet homme à qui elle s’était unie l’attendait sans doute à la maison. Peu importe où était sa maison maintenant. Même si ce n’était plus dans mes bras. Je tournai la tête vers Hanna, même si j’avais peur de ce que je lirais dans ses yeux, même si je redoutais les mots qui sortiraient d’entre ses lèvres. Elle porta un doigt à ma peau pour en essuyer une goutte d’eau que je sentais glisser le long de mon visage. Je fermai les yeux, ne les rouvrant que lorsqu’elle ouvrit la bouche. « Pour illuminer ta soirée. Tu as déjà oublié ? » Un mince sourire amusé se dessina sur mes lèvres, même s’il cachait des sentiments plus tristes. Je la regardai en haussant les épaules, ajoutant au même moment : « Come on, tu ne savais pas que je serais là … » C’était le coup du hasard, encore une fois. Depuis mon retour à Bowen, Hanna et moi, ce n’était que du hasard. Elle marqua une pause, les yeux rivés sur son alliance. Je la regardai moi aussi, cette alliance, en me disant que j’avais été bien con à ne pas être celui qui la marierait. Mais elle m’avoua finalement la vérité, la vérité qui choque. « On s'est séparé, alors il doit pas avoir très envie de passer la soirée avec moi en ce moment. Tu vois, moi non plus j'ai jamais été très douée pour les garder près de moi. » La bouche légèrement entrouverte, je dévisageais Hanna, essayant de déchiffrer si c’était une blague ou non. Parce qu’elle m’avait dit, une quinzaine de minutes plus tôt, qu’elle était heureuse dans son mariage. Voilà que j’apprenais que ce mariage n’existait plus … plus vraiment. « Je … je suis désolé. » Arrivais-je à articuler. J’eus finalement eu un rire nerveux en reportant mon regard vers l’horizon. Regarder vers l’avant était tellement plus beau que de regarder vers l’arrière, en ce moment, et pourtant … « Qui aurait cru, hein ? Que toi et moi, à presque trente ans … qu’on en serait là. Alors qu’on aurait pu tout avoir ensemble. » Je secouai doucement la tête en la baissant vers mes jambes.

« Come on, tu ne savais pas que je serais là … » Elle laissa échapper un rire d'entre ses lèvres, mi-gêné, mi-amusé, balayant ses mots d'un geste de la main, parce que Hanna ne voulait pas y répondre. Ni même songer à sa réaction si il avait su qu'elle le cherchait partout dans Bowen, tout le temps. Parce qu'elle se sentait à la maison, seulement lorsqu'elle retrouvait Concho. Un jour, elle avait lu quelque part, qu'un foyer ce n'était pas forcément quatre murs avec une porte, mais que ça pouvait être bien plus. Des bras, l'étreinte d'un homme et les battements d'un cœur qui bat pour quelqu'un d'autre. Elle se sentait, comme à la maison, avec Concho. Elle plissa les paupières, lui lançant un regard en coin, serrant les dents pour contenir un frisson. Les vagues s'écrasaient contre la roche, et dans le tissu humide de sa robe, elle commençait à greloter de froid. « Je … je suis désolé. » Il disait ça et Hanna aurait aimé que ça suffise à tout effacer. Son mariage, les neuf années loin de Conchobahr. Elle aimait tout chez cet homme. Son sourire, sa voix grave, son parfum, ses conversations, ses longs silences, son rire, son humour, son corps, ses mimiques qu'il ne remarquait sans doute jamais. Elle en avait mal au cœur, au corps, la respiration coupée de devoir tout intérioriser. Elle lui en voulait de ne pas voir ses sentiments, l'attirance physique entre son corps et le sien. Ou peut-être qu'elle devenait folle, peut-être que tout ça, c'était juste dans sa tête. « Qui aurait cru, hein ? Que toi et moi, à presque trente ans … qu’on en serait là. Alors qu’on aurait pu tout avoir ensemble. » Il baissa la tête et sans un mot Hanna se pencha pour poser ses mains sur sa mâchoire et l'obliger ainsi à relever le visage pour la regarder, caressant du bout des doigts ses joues, la commissure de ses lèvres. Cette fois-ci, elle évitait de baisser le regard vers sa bouche, ou de donner de l'importance à la proximité entre leurs visages. Elle avait été la femme mariée, l'épouse d'un autre homme, mais l'amoureuse transis de Conchobahr pendant des années. Elle observait son visage, chaque traits, le bleu de ses yeux, parce qu'ils ne s'étaient pas tenus aussi près l'un de l'autre depuis trop longtemps. Les battements de son cœur défaillants n'étaient qu'un détail auquel Hanna était habituée. Avec douceur, ses pouces passèrent sur ses lèvres. « Souris. » Elle souffla, doucement, sourire aux lèvres pour montrer l'exemple, le regard fixé dans celui de Concho. « C'est toujours possible maintenant, tu sais. On pourrait tout avoir. » Et alors, elle cessa de respirer, prenant conscience des mots, peut-être un peu niais selon elle, qui venaient de franchir la barrière de ses lèvres. Elle se recula, un peu trop brusquement, contraste étrange avec la douceur qui émanait toujours de ses gestes. Les paupières battantes, le bruit de la mer, tout revenait. « Je sais qu'on peut pas retourner en arrière, c'est pas ce que je dis mais... » Elle se perdit un moment dans le regard perçant de Conchobahr. Elle avait l'impression d'être engloutie par l'océan, de se perdre, d'être nulle. Elle retint son souffle, secouant la tête avant de laisser échapper un rire gêné. « On peut oublier ce que je viens de dire ? »