I will keep saving you.

Atteindre le fond du baril, je croyais l’avoir déjà fait, quand ma mère s’était enlevé la vie à mes seize ans, quand mon père avait refusé de m’accueillir chez lui par la suite, quand je m’étais retrouvé à la rue. Je pensais que c’était ça, le moment le plus bas de ma vie. Je pensais avoir survécu à ce qu’on m’avait réservé de pire. Et pourtant, sans doute que le temps m’avait fait oublié l’ampleur de la souffrance que j’avais pu ressentir plus de dix ans auparavant, parce que maintenant qu’Ally avait rompu avec moi, j’avais l’impression de ne jamais m’être senti aussi seul. C’était con, je ne l’étais pas, pas du tout, ce n’était rien comparativement à ce que j’avais ressenti à mes seize ans et pendant le plus clair de mon enfance et, pourtant, couché sur mon lit avec ma bière à la main et les nombreuses bouteilles vides qui s’alignaient sur la table de chevet, je me sentais vide de sens, vide de vie. Ça devait bien faire deux heures que je perdais mon temps, mon ordinateur portable sur les cuisses, faisant défiler des vidéo stupides ou les photos Instagram d’Ally, me torturant plus qu’il ne le fallait. Mon téléphone portable sonna à de nombreuses reprises, mais il était posé sur mon bureau de l’autre côté de ma chambre et je n’avais ni la force ni l’envie d’aller le chercher. De toute façon, je ne saurais pas comment affronter la voix au bout du fil. J’avais du mal à me supporter moi-même, et mes idées étaient de plus en plus floues, perdues dans ce brouillard qui les paralysait par ma faute. Le temps passa encore, j’avais finalement délaissé mon ordinateur quand j’eus terminé la dernière bière qui se trouvait dans le frigo et qui ne m’appartenait même pas. Je me faisais penser à ma mère, cette dépendante aux drogues et à l’alcool qui terminait chacune de ses journées dans un état quasi-léthargique. Ça me dégoûtait de me dire que je pouvais moi aussi me rendre jusque-là. J’étais à la fenêtre quand j’entendis mon prénom et une voix qui me suppliait de lui répondre. Je sursautai tout légèrement avant de me retourner pour découvrir Phoebe qui se tenait à l’entrée de ma chambre. Je fronçai les sourcils, et d’une voix surprise mais douce, je demandai : « Phoebe ? Qu’est-ce que tu fais ici ? » Elle s’était précipitée vers moi. Je faisais sans doute peur à voir. « Comment t’as su où j’habitais ? » Demandais-je, visiblement confus. J’avais oublié lui avoir laissé mon adresse, à mon départ.

Quand Phoebe me parla de ses tentatives de me rejoindre sur mon téléphone portable, mes yeux se posèrent sur ce dernier, qui était posé sur le bureau à un mètre de nous. Elle continua en me rappelant la journée de notre rencontre. J’hochai la tête, reportant mon regard vers elle. « Oui, oui bien sûr que je me rappelle … » Lâchais-je d’une voix basse, douce. Je portai une main à mon front, frictionnant lentement ma peau. « Je suis désolé, j’ai mal à la tête, j’ai pas … j’ai pas les idées claires … » Je n’eus pas besoin d’en dire davantage que Phoebe partait déjà vers la salle de bain après m’avoir demandé de l’attendre ici le temps qu’elle aille chercher une serviette froide. Ce n’était pas une mauvaise idée, ça me ferait sans doute du bien. Je retournai m’asseoir sur le bout de mon lit et quand elle revint, Phoebe prit place à côté de moi et passa doucement la serviette imbibée d’eau froide sur mon visage. Je fermai les yeux alors qu’elle me demanda ce qui s’était passer. Je déglutis, gardant le silence un court instant, permettant à Phoebe de me rassurer en me disant que je pouvais le lui raconter. J’hochai la tête et j’entrouvris les lèvres, avant de finalement lui avouer : « Euhm. C’est … C’est Ally. Elle … » Je m’arrêtai, sentant ma gorge se bloquer par l’émotion. Je pris une pause. « Elle m’a laissé. » Ça ne justifiait pas mon état lamentable, je le savais. J’avais reproché tellement de fois à ma mère qu’elle s’évade aussi lâchement de la souffrance, en buvant et en se droguant jusqu’à en paralyser tous ses sentiments. J’avais toujours été dégoûté par ce comportement, et voilà que je tombais aussi bas cette fois. Je regrettais déjà mes actes, et heureusement que Phoebe était arrivée à ce moment, avant que je n’aille plus loin.

Je serrai sa main dans la mienne quand elle me dit être désolée. Je lui souris distraitement. Je devais avouer que sa présence me faisait du bien, déjà bien plus que ces bouteilles d’alcool qui, au fond, ne m’avaient rendu que plus vide encore. Je regrettais d’avoir été aussi faible et pourtant, je savais qu’à ce moment-là, c’était ce dont j’avais eu besoin. Maintenant, j’avais besoin de Phoebe. « Non, non elle ne m’a pas vraiment expliqué … Enfin elle … elle m’a dit qu’elle avait besoin de se retrouver. Qu’elle était perdue. Qu’elle devait réapprendre à s’aimer, à penser à elle d’abord … » J’haussai les épaules. Repenser aux paroles d’Ally me rendait confus. « Je ne lui ai jamais demandé d’être quelqu’un d’autre pour moi, pourtant … » Je culpabilisais alors que je n’avais sans doute rien à voir là-dedans. Mais comment faire autrement ? Notre rupture avait été si soudaine et imprévisible. Je ne pouvais que me remettre en question. Bref, la blonde me dit alors que je devrais me reposer, qu’elle serait là à mon réveil. J’hochai la tête. « Merci, Phoebe … t’as pas à faire ça, mais … ça me touche beaucoup. » Je m’allongeai, avec l’aide de Phoebe, parce que visiblement mon équilibre n’était pas à son meilleur. Exténué par mon temps perdu à fixer le plafond de ma chambre, je ne mis pas de temps à m’endormir. À mon réveil, j’avais un sacré mal de tête, une haleine de fond de bière et encore quelques effets de l’alcool. Cette sieste n’était rien comparativement à une bonne nuit de sommeil, mais c’était mieux que rien. Après avoir repris mes esprits, je me levai et me rendis à la cuisine, où j’entendais l’eau couler. Je trouvai Phoebe en train de laver la vaisselle, et l’appartement n’avait jamais été aussi propre. « Oh, Phoebe, non … t’avais pas à faire tout le ménage, voyons ! On est plusieurs à vivre ici, ça devait être le bordel … » Je me sentais franchement con qu’une fille que je venais à peine de rencontrer ait été aussi généreuse de son temps et de sa personne alors que je dormais comme un imbécile ivrogne dans mon lit. Je m’approchai d’elle. « Merci. T’es vraiment une bonne personne. » Je la regardai avec un mince sourire, le mieux que je pouvais offrir dans les circonstances.

Je souris en regardant Phoebe, après l’avoir remerciée, et qu’elle me répondit que ça lui faisait plaisir. J’hochai la tête, n’ajoutant rien. La blonde me proposa d’aller prendre une douche, de me raser la barbe et de revenir regarder des films d’horreur avec elle. Quand elle parla de ma pilosité, je passai une main dans ma barbe qui était effectivement bien longue, moi qui me rasais au moins un jour sur deux, habituellement. « Je pense que ça me ferait du bien, ouais. » Admis-je avec un sourire gêné. Puis, Phoebe vint derrière moi et me poussa légèrement vers la salle de bain, en m’inventant un surnom plutôt approprié pour la situation. « Oui, oui, j’y vais, j’y vais ! » Dis-je en pressant un peu le pas avec un rire, même si mon mal de tête se faisait encore sentir dès que je forçais un peu trop. Je refermai la porte derrière moi et je me déshabillai avant d’entrer dans la douche et de laisser l’eau chaude couler sur moi pendant de longues minutes. Je pris le temps de bien me laver, car je devais avouer que je m’étais effectivement négligé ces dernières journées. Comme si Ally était la seule personne pour laquelle je devais bien paraître. Ce n’était pas le cas, mais je m’étais égaré dans mon chagrin. En sortant de la douche, j’enroulai le bas de mon corps d’une serviette blanche, nouant celle-ci sous mon nombril, avant d’aller me raser devant le miroir. Quand je sortis de la salle de bains, j’étais comme neuf. Phoebe venait de terminer de ranger la cuisine, et elle s’approcha de moi, avant de poser son regard sur mon torse. « Tu m’as pas laissé le temps de me prendre des vêtements propres. » L’accusais-je pour plaisanter. Visiblement gênée, elle me donna le temps d’aller me changer pendant qu’elle préparerait les films. « Ok ! » Lançais-je tout en retournant à ma chambre, qui était maintenant la seule pièce bordélique de l’appartement, bien que Phoebe ait ramassé les quelques bouteilles. Quand je revins au salon, la blonde m’attendait sur le divan. J’allai la rejoindre, m’asseyant tout juste à côté d’elle. Je volai un peu de popcorn qui était posé sur ses cuisses, dans un bol. « J’espère que t’es pas du genre à crier à chaque fois qu’y’a un truc qui fait peur … c’est un plan pour que j’aie une crise cardiaque. » Mentionnais-je, même si ce n’était pas du tout un risque.  

J’éclatai de rire quand elle me mentionna avoir le RCR, au moins. « Ah bah on est sauvés ! » Lançais-je en levant mes mains au ciel comme pour remercier l’au-delà. Je continuai de rire un peu avant de tout simplement sourire. D’une minute à l’autre, Phoebe m’avait sorti de ma torpeur, sans prévenir, sans effort. C’était vrai, qu’elle était ma sauveuse, en quelque sorte. Autant des menaces physiques comme le cheval que des menaces émotionnelles comme ma peine d’amour. D’un regard, d’un sourire, d’une étreinte, elle arrivait à chasser les nuages noirs. Comme quoi, l’autre soir, j’aurais bien pu braver la tempête si Phoebe était là pour veiller sur moi. Bref, par chance j’étais prévenu de ses frayeurs, parce que dès le premier suspens suivi d’une surprise effrayante, Phoebe cria et se blottit contre moi. J’éclatai de rire, passant mon bras autour d’elle pour lui offrir une sorte de protection. Elle releva la tête et me regarda, un moment, avant de me dire que j’étais exceptionnel. Je souris, rougissant sans doute un peu, je ne saurais dire. « Je crois pas mériter ce compliment en ce moment mais … merci. T’es une perle toi aussi Phoeb’s. » Je le pensais vraiment. Après tout, elle était là pour moi et prête à me changer les idées, à panser mes blessures, alors qu’on se connaissait à peine. Tout d’un coup, l’atmosphère était devenue plus lourde, plus tendue. Mais une de ces tensions qui n’était pas forcément inconfortable. Une tension de gêne, d’incertitude. Agréable et menaçante à la fois. Je continuai à regarder Phoebe un moment, avant de tourner la tête vers la télévision, gêné. Mon bras était toujours autour d’elle, et mes doigts commencèrent à doucement caresser la peau de son bras.

Je continuai de regarder le film, mon pouce caressant encore de temps en temps le bras de Phoebe. Mon regard, incapable de rester rivé sur l’écran de télévision plus de deux minutes, faisait des allers et retours entre les images et le visage de Phoebe. Et son corps, aussi. Sans doute était-ce ma solitude des dernières semaines, mon cœur qui avait perdu le cap et ma tête qui ne savait plus quoi penser, mais dans tous les cas, la présence de Phoebe aujourd’hui était davantage qu’un baume sur le cœur. Pourtant, je savais bien qu’elle était en couple, elle m’avait parlé de Hayden dès notre première rencontre. Cela avait bien vite mis les choses au clair quant à notre relation : amis, tout simplement. Sauf qu’au moment de notre rencontre, j’étais encore techniquement avec Ally. Maintenant, il n’y avait plus d’espoir de réconciliation. Elle ne vivait même plus sur ce continent. Tout changeait dans ma façon de voir Phoebe. Tout d’un coup, la blonde se tourna à son tour vers moi et me regarda. En temps normal, j’aurais détourné les yeux, gêné, mais cette fois je soutenus son regard. Comme si j’essayais de lire en elle. Comme si j’essayais d’y retrouver la même flamme qui brûlait en moi. Après un moment de silence, elle brisa ce dernier en déclarant qu’il manquait d’eau. « Euh … ouais, ok. De l’eau. Bonne idée. » Bon, et puis, après toutes les bières que je m’étais enfilées, il était vrai que j’avais besoin de me réhydrater. J’aurais cependant profité un peu plus encore de notre proximité. Le contact d’une femme me manquait. Je souris bêtement en la regardant s’en aller, autant décontenancé qu’amusé par la gêne de Phoebe. Au moins, cela voulait dire que je n’étais pas le seul à avoir ressenti la chimie, l’attraction, la tension entre elle et moi. Je l’attendis toutefois sagement, après avoir arrêté le film pour qu’elle ne rate rien – même si c’était sans doute déjà le cas. Quand elle vint s’asseoir de nouveau et qu’elle déclara qu’il faisait froid, je répondis : « Oh, je vais aller nous chercher une couverture, si tu veux. » Je m’exécutai, me levant et me dirigeant vers une garde-robe dans laquelle étaient pliées des couvertures supplémentaires. J’en choisis une bien chaude et je revins m’asseoir, couvrant Phoebe et me glissant sous la couverture, moi aussi. Ce qui nous obligeait à une certaine proximité. Phoebe me demanda alors si j’aimais bien le film. « Euh, ouais j’ai … j’ai pas tout suivi mais c’est pas mal. » Répondis-je. Je me perdais dans mes pensées, c’était plus qu’évident. « Et toi ? » Demandais-je timidement. Je me sentais comme un adolescent, c’était con.

À quoi bon continuer le film si de toute façon, ni l’un ni l’autre n’y portait réellement d’attention ? D’ailleurs, Phoebe ne tarda pas à me parler de son ranch, alors je redéposai la télécommande que j’avais prise dans l’intention de repartir le film. Ça attendrait. Je l’écoutai avec un sourire, la trouvant adorable quand elle parlait de sa passion. « Wow ! C’est génial ! T’as fait une offre d’achat ? » Demandais-je, heureux pour elle. Peut-être qu’elle était déjà la fière propriétaire, même, si tout s’était bien passé. Ça ne devait pas être donné, un grand terrain aux limites de Bowen, mais je ne connaissais pas la situation financière de Phoebe. Je ne voulais d’ailleurs pas m’en intéresser, à mes yeux ça avait peu d’importance. Tout comme je ne criais pas sur tous les toits que j’avais gagné le million à la loto – de toute façon, il ne restait pas beaucoup de ce million, et ça commençait à se faire sentir dans mon compte en banque. Je lui tirai la langue quand elle me dit qu’elle m’avait enlevé de sa liste en raison de mon manque de muscles. La bonne blague ! « Je vais t’aider avec plaisir. Il faut bien qu’ils me servent à quelque chose, ces muscles. » Dis-je en sortant mon bras de dessous la couverture. Loin de moi l’envie de faire mon gros macho, mais en même temps, elle m’en donnait l’occasion sur un plateau d’or. Après qu’elle m’ait dévisagé un moment, Phoebe tourna finalement la tête vers la télévision, avant de me parler de Hayden. De leur relation qui n’allait pas bien. Cela me rappela Ally et, tout de suite, l’ambiance s’alourdit. Je n’étais sans doute pas le mieux placé pour lui donner des conseils, d’autant plus que mon opinion était biaisé. Phoebe m’attirait, c’était indéniable, et la seule chose qui m’arrêtait était justement ce Hayden. « Écoute, j’en sais rien, visiblement j’suis pas doué dans les relations amoureuses non plus, à en voir où ça s’est terminé avec Ally … Mais … si tu ne veux pas être dans cette relation avec lui, si tu ne l’aimes pas comme lui t’aime, si ce n’est pas ce dont tu as envie … tu devrais lui dire. C’est mieux maintenant que trop tard. » Je la regardai avec un mince sourire compatissant. Je me mettais à la place de Hayden. J’aurais préféré qu’Ally me jette dans les premières semaines plutôt que de me faire tomber éperdument amoureux d’elle avant de partir sans jamais revenir.