I will keep saving you.

Je me plaisais à croire que c’était vrai, que ce que je faisais était un beau geste pour ces jeunes, que ça les aidait vraiment. Je ne me pensais pas capable de changer leurs vies, je ne me prenais pas pour un tout-puissant, mais je savais ce que c’était que d’être seul et perdu à un si jeune âge. Je savais ce que c’était que d’avoir trop de chagrin et trop de responsabilités avant son temps. Si je pouvais alléger ce fardeau ne serait-ce que l’espace de quelques soirées pour ces adolescents, alors je continuerais à mener ce centre contre vents et marées. « Merci. » Répondis-je tout simplement, content de voir dans le regard de Phoebe la reconnaissance et la compréhension de ce projet qui me tenait à cœur. Elle quitta finalement la tente pour aller aux toilettes – même si ce n’était qu’une expression, dans ce cas-ci, puisque des toilettes nous n’en avions pas en pleine nature. J’attendais patiemment son retour, me demandant quelle idée elle avait pu avoir eu encore une fois. Elle débordait d’imagination, Phoebe. Bref, après sa grosse blague avec l’ours, nous reprîmes nos esprits en arrêtant de rire comme deux enfants, et elle me partagea enfin son idée. C’était en lien mon centre. Je l’écoutai avec des étoiles dans les yeux. « Je pense qu’ils adoreraient ça. » Habituellement, nous restions entre les murs du centre, et justement ils se lasseraient peut-être de faire les mêmes activités, encore et encore. Même si le lien entre l’art et les chevaux n’était pas nécessairement là, je m’en fichais bien. L’essence de Head Ahead était l’entraide. Et si ce partenariat avec Phoebe pouvait amener un peu de bonheur dans leurs journées, leur offrir un être vivant à qui s’attacher, alors je trouvais l’idée excellente. « Merci, Phoebe, c’est vraiment une idée géniale, et ça me touche que tu y aies songé. » Je lui souris, la regardant avec des yeux honnêtes. Elle revint finalement sur sa semaine chargée, dont nous n’avions pas davantage discuté en raison de son urgence-pipi. Quand elle me parla des raisons qui la poussaient à rompre avec Hayden, elle m’en avoua une troisième qu’elle ne m’avait pas encore partagée. Elle avait rencontré un autre homme avec qui elle se sentait bien. Je ne me prenais pas pour un autre, loin de là, mais évidemment ça m’effleura l’esprit … et si c’était moi ? Après tout, ça faisait du sens. Nous nous étions rencontrés depuis peu, nous nous entendions à merveille et il y avait ce je-ne-sais-quoi d’inexplicable quand on se regardait. C’était une évidence. C’était moi. Je déglutis. « Tu sais … Si tu juges que tu as été trop vite avec Hayden, si tu te dis encore que tu veux profiter de ta vie … ce n’est peut-être pas la meilleure idée pour toi, actuellement, d’être avec cet autre homme … non ? » Dis-je, la gorge serrée. En réalité, c’était moi qui n’étais pas prêt.

Alors que j’étais en train de me persuader moi-même que Phoebe parlait de moi, que c’était avec moi qu’elle se sentait bien, la jeune femme me parla d’un homme rencontré sur la plage, Jordan. Je fronçai légèrement les sourcils, ce prénom ne me disait rien. Mais bon, je ne pouvais pas non plus prétendre connaître tous les habitants de Bowen. Mais alors pourquoi est-ce que je me trouvais ici ? Pourquoi étais-je sous cette tente avec Phoebe, en plein milieu de la nature de son futur ranch, prêt à passer la nuit à ses côtés ? Pourquoi était-ce moi qui partageais tous ces moments avec elle et pas lui ? Et, putain, pourquoi ça me rendait aussi mal et jaloux ? « Oh. » Dis-je d’abord, le temps de m’organiser une pensée. Moi qui croyais que Phoebe ressentait elle aussi ce courant électrique invisible quand on se regardait. Elle le ressentait avec un autre. « Je suis content pour toi, alors. Faudra que tu me le présentes, hein ! » Parce que visiblement, nous n’étions que des amis, dans la plus grande des simplicités. Et si je voulais être un aussi bon ami qu’elle l’avait été pour moi, j’allais devoir rencontrer l’homme qui lui faisait tourner la tête. J’hochai la tête quand elle me dit qu’elle verrait où ça la mènerait puisque de toute façon, elle n’était pas prête à s’engager. Puis, elle affirma vouloir s’allonger, sans pour autant s’endormir. « Ok. » Dis-je en la regardant s’exécuter. Je restai assis, sur mon sleeping bag, ne sachant pas vraiment comment gérer la proximité qu’obligeait cette tente alors que je savais maintenant que je me berçais d’illusions. Alors c’était ça, la deuxième phase d’une peine d’amour ? S’imaginer de nouvelles histoires, de nouvelles romances, dans chaque regard ? « Tu devrais demander à Jordan de venir t’aider pour le ranch, aussi. Plus t’as des paires de bras, plus vite ça ira. » Et ça me permettrait de le rencontrer, de les voir ensemble, et de passer à autre chose. De toute façon, ma vie sentimentale était déjà assez bordélique. Il valait mieux oublier tout ce qui la rendrait davantage chaotique.

Une fois couchée dans son sleeping bag, je proposai à Phoebe d’inviter Jordan lorsque viendrait le temps de mettre la main à la pâte pour la construction de son ranch. Après tout, ce serait le moment de voir ce qu’il était prêt à faire pour elle. La jeune femme me confia alors qu’elle ne me le présenterait pas, pour la simple raison qu’il n’existait pas. Je levai un regard surpris vers elle. Et la suite de ses paroles me confirma qu’il s’agissait bien de moi, finalement. Mon cœur se serra un peu plus, parce que je ne savais pas vraiment comment gérer ces sentiments qu’elle semblait éprouver pour moi. Et les miens qui étaient plus confus que jamais, parce que mon cœur appartenait encore à une autre même si je tentais tant bien que mal de tourner la page sur un chapitre qui n’avait plus aucun sens. « Tu sais … je suis pas dans une très bonne place, en ce moment. L’état dans lequel tu m’as trouvé tout à l’heure le prouve par lui-même … » Admis-je en baissant les yeux. Je ne voulais pas que Phoebe s’attache à moi si c’était pour que je lui fasse de la peine, au final. « J’sais pas trop où je me situe présentement. J’t’aime bien, j’t’apprécie beaucoup même, Phoebs. Je suis bien avec toi, tu me redonnes le sourire … » J’haussai les épaules, cherchant mes mots. « Mais je suis amoureux d’Ally. » Avouais-je, me brisant le cœur à moi-même de nouveau en l’admettant. Elle ne reviendrait pas, elle avait recommencé sa vie ailleurs et sans moi, mais ça ne voulait pas dire que je pouvais l’oublier du jour au lendemain, moi. Quelques minutes plus tard, Phoebe mentionna avoir froid, me demandant si moi je ressentais cette baisse de température. Je secouai la tête. « Non, j’suis plutôt bien. Tu veux mon sleeping bag ? Je peux dormir sans … » Proposais-je. Je n’avais pas de manteau à lui offrir comme dans les films, mais je faisais de mon mieux.

Je n’en voulais plus, de ces yeux brillants en prononçant le nom d’Ally. Je voulais pouvoir tourner la page, je voulais pouvoir recommencer à aller de l’avant sans avoir un pincement au cœur en me disant qu’il fallait peut-être encore que je m’accroche, au cas où elle reviendrait. Et pourtant, Phoebe avait raison. Dès que je parlais d’Ally, mon cœur s’emballait encore, même si c’était à la foi d’amour et de tristesse. De détresse, même. Je baissai donc les yeux, coupable. Je ne les relevai que lorsqu’elle me confia que ce qu’elle avait voulu dire, c’était simplement que je la faisais sentir bien, qu’elle voulait se concentrer sur notre amitié, notre relation en général. Peu importe où elle nous mènerait, au fond. J’hochai la tête. « Je comprends. » Je ne trouvais rien à ajouter, cette situation était plus grande que moi, plus grande que nous. Je n’avais jamais appris à gérer à ce point mes émotions, à m’organiser une pensée alors que le chaos régnait partout. Quand la blonde mentionna avoir froid, je lui proposai mon sleeping bag, mais elle le refusa bien vite, d’une voix plus sèche qu’à l’habitude. Je fronçai les sourcils quand elle me dit qu’elle revenait. « Euh … ok. » Lançais-je, d’un ton de voix hésitant, confus, dubitatif. J’avais gaffé, visiblement, sans savoir trop comment. Les mots n’avaient jamais été ma force. La résolution de conflit non plus. Mais l’honnêteté, par contre, ça je pouvais miser dessus. Je me levai donc à mon tour et j’allai rejoindre Phoebe qui, comme je l’avais pressentie, avait juste profité de ce moment pour s’éloigner. Prendre du recul. J’allai m’asseoir à côté d’elle, gardant d’abord le silence tout en arrachant quelques brins d’herbe à mes côtés. « Je suis désolé … Je voulais pas avoir l’air … enfin, je sais pas, mes propos se voulaient pas méchants, Phoebe. » J’haussai les épaules. « Je pense que mes paroles s’adressaient davantage à moi qu’à toi, au fond … » Avouais-je. « C’est le bordel dans ma tête, et je veux … j’veux juste tellement pas te faire de la peine. » Je levai les yeux vers elle. Je l’appréciais trop pour la blesser, même involontairement.

Alors que je m’excusais, le regard de Phoebe se perdait vers l’eau, ses pieds pataugeant légèrement à la surface. Je la rejoignis dans ce geste, remontant légèrement mes pantalons jogging à la hauteur de mes genoux pour tremper mes pieds jusqu’aux chevilles. Quand je l’entendis parler de comment elle pensait que je la percevais, je me sentis mal qu’elle ait interprété de cette façon mes paroles. « Ce n’est pas ce que je voulais dire, Phoebe, pas du tout. J’ai jamais pensé que tu voudrais me sauter dessus. » Moi qui avais l’habitude d’utiliser ces mots-là si facilement, moi aussi, avec elle je ne me voyais pas dire de telles paroles. Pas de cette manière-là, pas quand il était question d’elle. « Tout ce que je voulais dire c’était que … que faut pas s’attacher à moi. C’est … je suis pas … » Je secouai légèrement la tête de gauche à droite. « C’est pas le bon moment. » Et je ne savais même pas combien de temps cela prendrait avant que je guérisse complètement, avant que je me sente capable de laisser l’amour entrer à nouveau dans ma vie. Sans doute que d’ici-là, Phoebe aurait trouvé quelqu’un d’autre. D’où le fait que je préférais la prévenir. De ne pas attendre après moi. De ne pas laisser sa chance passer avec d’autres. La jeune femme me dit finalement que pour l’instant nous étions amis et que ça lui convenait. J’acquiesçai. Elle me parla ensuite de sa difficulté, encore aujourd’hui, à accepter que son ex petit ami l’ait trompée. Elle sembla alors comprendre ce que je voulais dire. Je ne voulais pas que Phoebe soit celle qui me ferait oublier Ally en attendant que la douleur passe. Je ne voulais pas qu’elle soit un simple pansement que je n’aurais qu’à enlever une fois la plaie guérie. « On est d’accord là-dessus. » Je lui souris alors qu’elle me prit dans ses bras. « Je t’adore, tu le sais ça ? C’est que notre deuxième sortie et déjà, j’t’adore. » Et pour me remercier de cette magnifique déclaration, Phoebe me poussa dans l’eau. Quand je remontai à la surface, je la regardai avec une fausse colère. « Ah ben c’est malin, ça ! Maintenant je n’ai officiellement plus aucun vêtement chaud pour la nuit ! » Elle était bien mieux de me le proposer à son tour, son sleeping bag.

Une fois remonté à la surface, complètement trempé, mes vêtements me collant à la peau, je rageai humoristiquement contre Phoebe. Je n’étais pas le genre d’homme à m’énerver pour une plaisanterie du genre. J’étais loin d’être susceptible face à ce genre d’attaque anodine, au contraire je prenais toujours cela à la légère, avec humour. Devant ma réaction, Phoebe décida de se jeter à son tour à l’eau, question qu’on soit quittes, en quelque sorte. Je ris. « T’as jamais pu te baigner la nuit ? C’est quoi, y’a pas d’eau en Amérique ? » Lançais-je en riant, tout en faisant doucement aller mes bras et mes pieds dans l’eau pour me maintenir à la surface. Le nombre de bains de minuit auxquels j’avais participé ne se comptaient même plus sur les doigts de ma main. Que ce soit à Bowen ou à Melbourne, j’avais souvent été faire trempette nocturne dans l’océan. Seul, avec des amis, avec des amantes. « Ça paraît que t’es heureuse. Tu rayonnes. Et je suis vraiment content pour toi aussi. » Elle était dans son élément, Phoebe. Elle me faisait penser à moi-même quand j’avais acheté les locaux pour mon organisme, quand tous mes plans s’étaient enfin concrétisés. J’avais la même passion, la même lueur dans les yeux. Un bonheur indestructible. Nous nous dévisageâmes un moment, avec que Phoebe ne déclare qu’il valait mieux sortir de l’eau si nous voulions nous réchauffer avant d’aller dormir. Je la suivis hors du petit lac et je rentrai dans la tente directement après elle. « Ok. Je vais me changer en attendant. » J’allais remettre mes vêtements de tout à l’heure, même si je les avais déjà portés, même s’ils étaient moins chauds, au moins ils n’étaient pas mouillés. Phoebe arriva au moment où je baissais mon chandail sur mon ventre. Je m’allongeai auprès d’elle, la chaleur de nos corps tentant tant bien que mal de s’unir pour nous réchauffer tous les deux. « Bonne nuit Phoebs’. » Lui souhaitais-je à mon tour, m’endormant au rythme de la respiration assoupie de la blonde.

Mes yeux s’ouvrirent sur le visage angélique et endormi de Phoebe. Elle dormait encore à poings fermés. Un sourire se dessina sur mon visage, et pour ne pas la déranger en me revirant dans tous les sens et en cherchant quelque chose à faire pour passer le temps, je sortis directement de la tente, en silence. Elle ne sembla pas s’être réveillée. Je m’installai sur l’une des deux chaises laissées là pendant la nuit, et j’ouvris le sac de provision dans lequel j’avais amené du pain et du beurre d’arachides. Je me fis un rapide sandwich que je mangeai en silence, fixant l’horizon, la nature, la beauté de l’endroit. Phoebe en avait, de la chance, d’être tombée sur un terrain pareil. C’est elle qui me sortis de mes pensées en sortant la tête de la tente et en venant me rejoindre. Je lui souris. « Bon matin. Bien dormi, et toi ? » Visiblement, elle avait bien dormi, puisqu’aucun de mes mouvements ne l’avait réveillée depuis que j’étais debout, jusqu’à maintenant. Après le petit-déjeuner, nous décidâmes qu’il était temps de partir, alors on s’attela à la tâche de tout ranger dans la voiture. Phoebe me remercia d’être venu, quand nous allâmes tous les deux nous asseoir dans la voiture. « Ça me fait plaisir, Phoeb’s. Merci à toi de m’avoir proposé cette escapade, ça … ça m’a vraiment fait du bien. » J’attrapai sa main pour la serrer dans la mienne un moment, signe de toute ma reconnaissance. Vu l’état de mon cœur, me changer les idées de cette manière était évidemment appréciée. Une fois garés devant chez moi, Phoebe me raconta son planning pour les prochains jours, comme pour mettre de l’ordre dans ses idées avant qu’on ne se quitte. « J’irai y jeter un coup d’œil, j’irai donner un coup de main aussi. Je vais m’assurer que tout se fait selon les règles de l’art. » Lui promis-je avec un sourire. J’avais travaillé pendant des années dans la construction, alors je savais de quoi je parlais. « Promis, j’te téléphonerai. Mais tout va bien se passer. De ton côté aussi. Ça va bien aller. » Lui assurais-je avec conviction. Je la saluai, la remerciai encore une fois, avant de récupérer toutes mes affaires et de rentrer chez moi. De nouveau livré à moi-même et mes peines, même si Phoebe avait réussi à les délivrer un peu.

FIN