Rien ne vaut une bonne soirée entre potes. ( Lennox

L’avenir le lui dirait, c’était vrai. Ce putain d’avenir qui leur cachait à tous tellement de choses. Lennox se serait bien passé de quelques années de sa vie, s’il avait su ce que l’avenir lui réservait, parfois. Mais ce ne serait pas vivre, pas vivre d’une façon juste en tout cas, aux yeux de certains. Lennox était juste trop lâche pour accepter d’avoir à être confronté à certaines situations, ce qui faisait en sorte que chaque porte de sortie était la bienvenue. Mais il savait bien que pour connaître l’avenir, il avait à la vivre, sa vie. C’était ça qui était parfois difficile, puisqu’il avait parfois l’impression que rien ne l’attendait au bout du chemin. Étrangement, depuis qu’il était avec Andreas, ces pensées-là s’estompaient. D’où le fait qu’il pensait pouvoir gérer seul ses sentiments. Parce qu’il ne serait plus jamais vraiment seul, à présent. « T’as sans doute raison. Quand je me sentirai prêt à m’ouvrir, promis je viendrai vers toi, Daemon. T’es l’une des rares personnes à qui je me sens à l’aise de me confier, de toute façon. Je te fais confiance. » Il ne le jugerait pas, il serait là pour le soutenir dans n’importe quelle épreuve. Parfois, l’égoïsme de Lennox prenait le dessus et il se surprenait à souhaiter que Daemon parte moins souvent en tournée. Sauf qu’il se raisonnait bien vite et culpabilisait. Le piano était la passion de Daemon, et ne serait-ce que lui souhaiter d’en être détaché était bien cruel. Et puis, avec tous les moyens de communication qui existaient de nos jours, la présence de Daemon était à portée de la main, peu importe le nombre de kilomètres qui les séparaient réellement. Les deux hommes parlèrent finalement de sa relation avec Lou, relation qui n’était plus, et ce depuis bien longtemps avant son décès, sans aucun doute. Il n’avait tout simplement pas voulu se l’avouer avant. « Ce n’est pas pour rien qu’on dit que l’amour rend aveugle. J’étais bien pris au piège. » Ajouta-t-il avec un faible sourire, espérant bien que cette fois-ci, l’idylle qu’il vivait avec Andreas n’était pas aussi parfaite que parce que Lennox se voilait le regard sur les problèmes gravitant autour d’eux. Certes, ils avaient quelques problèmes, mais rien d’assez fort pour les éloigner l’un de l’autre. Au contraire, même, certains conflits les rapprochaient, parce qu’ils n’avaient pas peur de s’ouvrir l’un à l’autre. De tout se dire. D’être transparents. Ils n’avaient rien à se cacher, semblerait-il. Daemon ne tarda pas à comprendre toute l’importance de cette nouvelle relation, parce que Lennox se montrait sous un tout autre jour quand il parlait de lui. C’était comme si tout son corps flottait tout d’un coup, son âme avec. Il était sur son nuage, oh ça oui, et il espérait ne jamais avoir à en redescendre cette fois. Andreas était son salut. « Ouais, ça doit être assez surprenant de me voir comme ça, pas vrai ? » S’amusa-t-il de lui-même. « Il me fait voir des choses en moi que … que je ne m’autorisais pas à voir. » Avoua-t-il. Il avait gardé ses sentiments envers Andreas pour lui pendant tout ce temps, honteux d’être ainsi tombé amoureux d’un homme aussi rapidement. Et il ne disait pas tous ces mots à Andreas de peur de le faire fuir. Alors quand il en parlait à Daemon, c’était un sentiment bien étrange, mais agréable. Il extériorisait enfin son amour pour le norvégien autrement que par les baisers, les caresses et les je t’aime à la dérobée. Toutefois, même s’il aurait pu vanter son amant pendant bien des heures encore, Lennox avait toujours un éternel nuage au-dessus de sa tête, et il avait beau vouloir le chasser, la pluie continuait de tomber. Même par rapport à son couple. Parce que son homosexualité était encore bien nouvelle, difficile à digérer autant pour lui qu’elle le serait sans doute pour d’autres. Raison pour laquelle peu de gens étaient au courant de sa nouvelle flamme. Peut-être que Daemon saurait le rassurer de par ses propres expériences, qu’il ne tarda pas à lui partager d’ailleurs, pour le plus grand plaisir de Lennox. « Comment tu as amené ça à tes parents ? Les miens ne sont toujours pas au courant et … j’n’ai aucune idée de comment le leur annoncer et pourtant, j’veux qu’ils le sachent … » Les parents de Lennox attendaient que leur fils trouve une certaine forme de bonheur depuis tellement longtemps. Ils seraient tellement soulagés d’apprendre que quelqu’un le rendait aussi heureux. Il espérait juste que le fait qu’il s’agisse d’un homme ne vienne pas changer quoi que ce soit à ça. Daemon lui partagea alors ses expériences en public, et Lennox constata qu’il n’échapperait jamais totalement aux regards et aux jugements. Il n’y avait pas de solution miracle. Juste d’accepter de vivre avec. « J’ai juste peur qu’Andreas pense, à un moment, que c’est de lui que j’ai honte … C’est pas le cas. J’ai … j’ai jamais supporté le regard des autres sur moi, peu importe la raison. Mais là, d’être en public avec un homme, inévitablement ça attire l’attention. Et je ne sais pas quand je serai capable de l’endurer. Depuis que je suis ado que je suis comme ça … » Il soupira. Il était une cause perdue, Lennox.

Ça l’attristait, Lennox, que Devan soit probablement en train de traverser ce qu’il avait lui-même traversé. Il ne souhaitait cela à personne, parce que l’alcool pouvait transformer un homme. Complètement. Et il ne voulait pas que Daemon perde Devan. Il ne voulait pas que Devan se perde lui-même. Comme Lennox s’était perdu sans jamais se retrouver complètement. « Au contraire, je pense que ça l’aiderait de savoir que tu te préoccupes de lui. » Lennox haussa les épaules. « Qu’il t’en veuille encore ou non, dans des moments pareils … on a tous besoin de voir que quelqu’un tient à nous. » Peu importe qui c’était, peu importe de quelle façon on nous le montrait. Lennox avait eu certaines attentions, quand il était bien bas dans sa vie, mais aucune personne qui ne lui avait tendu la main avec la force nécessaire pour le relever, pour le sortir de là. Bien des amis lui avaient prêté oreille pour l’écouter, mais la plupart avait réalisé trop tard, après sa tentative, à quel point la souffrance de Lennox était sérieuse. Même Lou n’avait pas su, à ce moment-là, être totalement présente pour lui. Si seulement il avait eu quelqu’un comme Andreas à ce moment-là, peut-être n’aurait-il pas été jusqu’à commettre ce qui aurait pu être irréparable. Maintenant, au moins, il pouvait s’accrocher à l’idée qu’il serait toujours là pour lui. Du moins, il osait l’espérer. Lennox hocha la tête aux paroles réconfortantes de Daemon. Il n’y avait rien de mal. Voilà ce que le notaire devait se rentrer dans la tête. Première étape vers cette acceptation : questionner Daemon concernant sa propre expérience de sa sortie de placard. Tout ça était tellement nouveau pour Lennox qu’il se disait qu’avec quelques points de repère, quelques conseils et comparaisons, il réussirait peut-être à mieux le vivre. Il écouta Daemon sans l’interrompre, buvant ses paroles, tentant d’appliquer certaines informations à sa propre situation et à se projeter dans l’éventualité où il le dirait à ses parents. Rien que d’y penser, il en avait l’estomac à l’envers, mais il savait bien que ce jour-là devrait venir, et bientôt. Après tout, sa relation avec Andreas était de plus en plus sérieuse. « T’as sans doute raison. J’imagine qu’au point où j’en suis, tant que je suis heureux, mes parents béniront la personne qui me rend comme ça … C’est juste que … je me sentirai toujours coupable, au fond, parce que … Quand j’étais avec Lou, ils trépignaient d’impatience à l’idée d’être grands-parents, tu sais ? Et ça avait toujours été une possibilité avec Lou et ils le savaient, on ne le cachait pas … Ma mère rêvait de notre mariage, aussi … » Il esquissa un léger sourire avant de baisser les yeux. Parce que ce sourire n’avait plus raison d’être. « Avec Andreas ça ne pourra pas se passer comme ça. On ne pourra même pas se marier, on ne peut pas avoir d’enfants non plus … Disons que la vie qu’ils avaient en tête pour moi, et que j’avais moi-même en tête pour moi … eh ben … elle sera pas comme prévue. » Réalise-t-il. Il avait beau doucement avancer dans la trentaine sans pour autant avoir fondé de famille, cette idée n’avait jamais quitté son esprit. Bref, après avoir plus longuement parlé du cas des parents, Lennox partagea à Daemon ses inquiétudes quant à ce qu’Andreas ressentait face à la difficulté que présentait le trentenaire à vivre publiquement leur amour. Encore une fois, son ami sut trouver les bons mots. « C’est gentil, Daemon, t’as même pas idée à quel point ça me fait du bien d’en parler autant, à quelqu’un d’autre qu’Andreas. Il a beau se montrer rassurant, patient, aimant, on dirait que … que je ne sais jamais s’il le pense réellement ou s’il m’aime juste trop pour m’avouer que ça le dérange … » Il esquissa un sourire, posant sa main sur l’épaule de son ami à son tour.

De toutes les places où cette conversation aurait pu les conduire, Lennox ne s’attendait pas à une telle question de la part de Daemon. Ce dernier lui demanda s’il ne voudrait pas aller lui parler, à Devan, cet homme qu’il ne connaissait même pas, sauf via son meilleur ami. Pire encore, Devan n’avait sans doute jamais entendu parler de Lennox, ce qui était encore plus délicat dans l’éventualité où Lennox irait lui parler. Voyant sans doute la frayeur dans les yeux du notaire, Daemon lui dit de laisser tomber, réalisant la difficulté de cette requête. De savoir que Lennox pourrait se faire revirer à la porte et que l’homme avait un sale caractère ne l’encourageait d’ailleurs pas vraiment à le contredire. Pourtant, en voyant à quel point son ami tenait à cet homme visiblement en détresse, il soupira doucement et répondit : « Parfois quand on a du mal à voir ses propres problèmes, et à les accepter, c’est en en parlant à d’autres qu’on ouvre les yeux. Et je pourrais le comprendre de ne pas avoir envie de t’en parler à toi, vue votre relation … » Il hésita un moment, et ajouta : « Alors si tu y tiens, Daemon, j’irai lui parler. Je ferai ça pour toi, et pour lui. » Il esquissa un faible sourire, même si cette simple acceptation venait de le rendre bien nerveux, même si cette rencontre n’était pas pour aujourd’hui. Bref, une fois le sujet Devan classé pour le moment, Lennox et Daemon parlèrent du processus de coming-out du notaire. Surtout vis-à-vis de ses parents, qui avaient bien le droit de savoir à ce point-ci, que leur fils était en couple et de plus en plus heureux. Quand il parla de mariage et de gosses, Lennox eut un rire léger. « T’as raison. Enfin … Pour le mariage et peut-être même les gosses aussi, j’crois bien que je devrai faire une croix sur cette partie-là de ma vie. L’Australie n’est pas aussi ouverte que certains endroits de ce monde … Tu vois vraiment une solution à ce problème-là, toi ? » Et ça lui faisait mal, ça aussi, à Lennox. Avec Lou, il avait déjà la bague de fiançailles, qui traînait d’ailleurs encore dans son tiroir à chaussettes depuis son décès, depuis qu’on l’avait retirée de son doigt. Avec Andreas, ces rêves éveillés d’un avenir avec une grande famille et les alliances aux doigts n’étaient plus vraiment possibles. Tout changeait, tout d’un coup, dans la vie de Lennox. S’il avait toujours baigné dans l’incertitude, là, son futur était encore plus flou. Même s’il s’y voyait avec Andreas, certainement. Mais Daemon avait raison sur un point : il devait accueillir le bonheur présent et ne pas s’en faire avec mille et une questions qui pouvaient attendre. Il le remercia donc pour ses précieux conseils et surtout, son écoute. Il hocha la tête à la conclusion de son ami. « Oui, un pas à la fois. J’y arriverai. » Il lâcha l’épaule de Daemon après ce petit moment de contact chaleureux, et déposa devant lui le verre de jus terminé. « Je devrais te laisser, il commence à se faire tard … » Releva Lennox en consultant sa montre.