Hate being misunderstood | Alfie

Plus de neurones actifs, plus de problèmes ? C'est un peu dans cet état d'esprit que je me suis rendue dans la forêt, comme s'il n'y avait pas un meilleur endroit pour courir, comme s'il n'était pas facile de s'y perdre aussi. Deux fois plus facile, je précise, quand on est partiellement amnésique, à bout de nerfs et excessivement parano. J'ose espérer que j'étais plus sage avant l'accident...

Je n'étais pas très sportive en tout cas, et mes poumons jugent nécessaire de me le rappeler toutes les dix minutes. Prenant finalement appui sur un arbre au beau milieu de nulle part, je tente de calmer ma respiration erratique. A part un puissant sentiment de culpabilité et des informations étranges pas très fiables sur moi, il n'y a pas grand-chose dans ma tête. C'est du vide, du néant, du vent, de... l'obscurité, rien qui m'aiderait à me sentir moins idiote. Alors que je détache les écouteurs de mes oreilles, je sursaute en sentant quelqu'un passer son bras autour de mon épaule et ne prends même pas le temps de me retourner pour vérifier de qui il s'agit. Il se prend un coup de coude bien placé dans les côtes alors que j'installe sur-le-champ une distance de sécurité entre nous. C'était encore une super idée de venir ici, cet endroit isolé doit être le préféré des pervers. Même si, en le regardant bien, il est vraiment pas mal, a-t-il besoin de recourir à des techniques de drague aussi nulles ? « Non mais, ça va pas ? Dégage ou... je vais hurler très fort.  » Je tourne déjà les talons, me remettant à courir, en espérant qu'il ne me suive pas.

Courir lui a toujours fait du bien. Ça l'aide à ne plus penser, à faire semblant d'oublier, à mettre toutes les conneries de la vie et à faire comme si rien ne l'atteignait. La forêt est un endroit calme, vide, son préféré. Déjà plus de trente-cinq minutes qu'il va à une vitesse assez rapide pour faire augmenter les battements de son coeur, des gouttes de sueur perlant sur son front bien qu'il s'efforce de les effacer encore et encore du revers de la main. À force de s'enfoncer dans les bois, il ne tarde pas à remarquer la petite silhouette d'une fille qui s'arrête, visiblement épuisée d'avoir elle aussi fait son sport de la matinée. En s'approchant de plus en plus, il ne tarde pas à réaliser qu'il connait cette fille, ou du moins il le pensait. Alfie ne la savait pas sportive, si il avait su il lui aurait bien proposé de l'accompagner plutôt que d'aller se dépenser chacun de son coté. Ralentissant la cadence, il s'avance jusqu'à elle pendant que sa respiration saccadée tente de se calmer petit à petit. Comme il le faisait si souvent, il entoure son bras autour de ses épaules et s'apprête à lui lancer le genre de remarque habituel qu'il aime prononcer, les phrases typiques du dragueur raté. Ce n'est qu'un jeu pour lui, jamais Alfie n'irait attraper Monica entre ses filets. Il n'a pas le temps de dire quoi que ce soit cependant, elle lui assène un coup dans les côtes qui le fait reculer vivement alors que sa main se porte instinctivement à son flan. « Sérieusement Monica, le coup dans les côtes c'était pas nécessaire. » Il se frotte le flanc avant de faire retomber son bras le long de son corps, levant vers elle un regard rempli d'incompréhension. « Désolé de t'avoir prise par surprise mais de là à me demander de dégager, c'est pas cool. Je pourrais presque être vexé. » Il lui offre une moue faussement triste.

Monica ? On se connait ? Je me stoppe net à l'entente de mon prénom et ma main vient instinctivement frapper mon front. Je le contemple mais ma tête reste désespérément vide, je n'ai aucun nom à mettre sur son visage. Il m'est totalement étranger. « Ah bah mince, pas encore... » si ça continue comme ça, je finirais par demander à Dan de dresser une liste de noms de mes proches, avec photos évidemment, consultable à chaque nouvelle rencontre. Ça m'évitera de m'embarrasser comme ça. Mais en attendant... « Non non non, te vexe pas, ok ? Le truc c'est que j'ai juste oublié qui tu es... » comme si c'était moins grave... n'importe qui aurait préféré que je sois du genre à en faire des tonnes, plutôt que d'être oublié. Je secoue légèrement la tête, fichue amnésie. Mais il a l'air bien sympathique, pour ne pas tourner les talons illico presto et n'être que "presque vexé". Je suis curieuse de savoir qui il est et ce qu'il représentait pour moi. Mais avant ça, je lui dois sûrement des excuses.

Ça sera la joie... j'ai toujours eu du mal avec les explications, mais depuis l'accident, ça a empiré. Ah oui, l'accident ! Ce serait un bon commencement. Mais c'est pas chose facile qu d'en parler. « T'as un peu de temps devant toi ? Je te promets que j'aurais moins l'air d'une folle à la fin de la conversation. » mes propos seront sans doute plus logiques. Je me rapproche un peu, affichant un petit sourire. « Et désolée de t'avoir pris pour un pervers, je me disais bien que t'en avais pas l'air.  »

Dans un premier temps, il n'essaie même pas de comprendre ce qu'elle lui dit. Alfie se contente de froncer les sourcils, un peu perdu, puis part dans un éclat de rire nerveux. « Tu te fiches de moi ? Tu me fais une blague, c'est ça ? » Il regarde tout autour de lui à la recherche d'un possible complice, sauf qu'il n'y a qu'eux-deux dans ces bois. Enfin, ça fait ding dans sa tête. Elle est sérieuse, Monica ne se souvient vraiment pas de lui. Petit à petit, son sourire s'efface et laisse place à des traits remplis d'incompréhension. À sa question, il hoche la tête. « Ouais parce que là, je suis totalement paumé. » Même si son visage se fait pendant un moment plus sérieux, un nouveau sourire ne tarde pas à venir une nouvelle fois étirer ses lèvres alors qu'elle s'excuse de l'avoir pris pour un pervers. « Je prends ça pour un compliment, alors merci. » Un pervers, lui ? Alfie n'est pas l'homme parfait, il n'a rien de romantique ou n'est même pas toujours poli, mais il a cependant bien trop de respect pour les femmes que pour agir comme tel. Ne se sentant plus vraiment d'humeur à courir, il commence à marcher en suivant le sentier de la forêt en plongeant ses mains dans les poches de son short. « Je te proposerais bien d'en parler autour d'un truc à boire, mais j'ai pas l'impression que cet endroit soit du genre à cacher un café. Et je compte pas non plus attendre d'être ailleurs pour que tu m'expliques. » Trop curieux qu'il est, et aussi un peu inquiet pour elle. Après tout, Monica est une de ses plus proches amies même si ils se sont un peu perdus de vue ces derniers mois. Enfin, seulement de son coté vu que visiblement elle ne se souvient plus de lui.

J'aurais aimé que ce soit une blague, mais malgré mon humour vaseux, je n'ai pas un si mauvais goût. Il me dit être complètement paumé, je ne le suis pas moins. « Tu m'étonnes... » Son merci étire mes lèvres en un petit sourire, avant de passer aux choses sérieuses. Bonne chance pour trouver les mots ! Je marche tranquillement à ses côtés, toujours souriante : « Et moi, je te proposerais bien de t’asseoir avant de parler, mais je doute qu'il y ait un truc confortable quelque part. » Alors, par où commencer ? « Pour faire court, j'ai été victime d'un accident de voiture. Et avant qu'il se produise, j'avais la bonne idée de détacher ma ceinture. Résultat : je me suis cogné la tête bien fort. » Je fais une grimace de douleur, bien que je m'en souvienne pas, ça a dû faire très mal. « On m'a "endormie"  comme ils disent si bien pour quelque temps, et à mon réveil mes souvenirs des six dernières années sont partis en fumée. Je savais qui j'étais, mais impossible de deviner mon âge, mon boulot... je ne savais même pas en quelle année on était, ni qui était le président. » Petit sourire, ce n'est pas à prendre à la légère mais il vaut mieux en rire qu'en pleurer, j'ai versé assez de larmes de toute façon. « C'est vraiment frustrant, d'avoir l'impression que tout le monde en sait plus sur toi... » Je m'arrête un instant, guettant sa réaction et enchaînant avec un sourire désolé : « Du coup, il va falloir que tu te présentes. »

Il ne répond rien, se contente de hocher la tête en ne voyant de toute façon pas un rondin de bois qui pourrait leur servir de banc. Trop intrigué par ce que s'apprête à lui annoncer Monica, Alfie marche sans regarder où il va avec les sourcils légèrement froncés. Il lève rapidement le regard vers elle quand elle prononce le mot 'accident', puis les neurones se connectent rapidement entre eux à la fin de sa phrase. Accident, problème de reconnaissances des gens qu'elle est censée connaître, il lui semble avoir déjà vu ça dans un film que regardait sa plus jeune soeur. Une histoire bateau, un peu stupide, avec une fille qui oublie son mari et le mari qui s'acharne à lui rappeler qui elle est vraiment. Elle est amnésique. À sa dernière phrase, celle sur le président, Alfie ne peut s'empêcher de laisser s'échapper un rire discret. Il reprend rapidement son sérieux en remarquant à quel point la situation la frustre, chose qu'il peut comprendre. « Si ça peut te rassurer, j'ai tout le temps l'impression que tout le monde en sait plus sur moi et pourtant, j'ai pas eu le moindre accident. » Ce n'est peut-être pas la réaction à la quelle elle s'attendait, mais Alfie ne trouve rien de mieux à dire. Après qu'elle n'ait mentionné une seconde présentation, il se tourne entièrement vers elle et commence à marcher à reculons. « Je pense pouvoir en être capable, » dit-il en commençant à écrire ses phrases dans sa tête histoire que ça sorte de manière plus fluide. « Donc pour commencer, je m'appelle Alfie. Je pense que c'est important à savoir. On se connait depuis un moment toi et moi, mais on s'est un perdus de vus parce que, et bien, disons que je suis pas très doué quand il s'agit de conserver mes relations sociales. Je pense que tu m'apprécies au moins un peu, tu peux déjà noter ça dans tes registres. Sinon, hum. » Il réfléchit, se pince les lèvres puis se gratte le menton. « J'ai trois ans de plus que toi, enfin je crois. J'ai jamais été très doué pour retenir les dates. Et oui, comme tu peux le voir, je suis un ami extraordinaire qui mérite l'Award de l'année. » Il lève les yeux vers Monica et esquisse un sourire un peu maladroit. Alfie n'a jamais été très doué pour parler de lui, et lui mentionner des choses qu'elle est déjà censée savoir ne l'aide absolument pas.

C'est le genre de choses stupides dont on pense "ça n'arrive qu'aux autres" ou "que dans les films". Et pourtant, je me retrouve bien dans le rôle principal de la jolie blonde amnésique, mais je doute qu'un happy-end m'attend au bout du chemin. Certaines choses n'arrivent vraiment que dans les films, et je ne m'imagine pas retrouver miraculeusement mes souvenirs parce que mon cœur n'arrive pas à oublier telle ou telle personne gnagna. Mon cerveau est carrément formaté. Tout ce que je peux faire, c'est essayer de m'adapter à la situation et d'espérer, en l'occurrence, qu'il ne me rira pas au nez ou que je ne le choque pas trop. Mais, surprise, il répond par une blague qui m'arrache un franc rire. « Je vois maintenant pourquoi je t'appréciais. » Il m'amuse en marchant à reculons pendant que je suis sa présentation très attentivement. Non, pas envie de l'oublier à nouveau celui-là, je l'aime carrément bien. Vraiment bien.

Je lui tends la main, tout sourire. « Enchantée Alfie. Tu sais, je peux en dire plus sur toi : t'es canon, sympa et t'as sûrement été ma pilule de bonne humeur. » cette conversation doit être tellement plus déprimante sur papier, mais il rend les choses plus amusantes, je me sens bien avec lui. « Et on doit être nuls tous les deux en tant qu'amis... il va falloir se rattraper. » je lui décoche un clin d’œil, comptant bien le revoir et reconstruire notre relation. « Petite amie ? » Mes lèvres s'étirent dans un sourire un peu niais alors que je me demande s'il est casé ou plus du genre playboy. Dans tous les cas, je me doute qu'il n'y avait rien entre nous, vu que j'étais fiancée et qu'il était probablement au courant. J'ai dû le considérer comme un frère, reste à savoir si j'ai une belle sœur du coup.

C'est une situation étrange, lui qui la voit si familière et elle qui doit probablement le considérer comme un parfait inconnu. Alfie pourrait être vexé d'avoir été oublié, ne plus penser à cet accident et avoir mal de n'être plus pour elle qu'un souvenir jeté à la poubelle surtout après qu'elle, elle ait presque été spéciale pour lui. Mais si il lui en voulait, Alfie ne serait pas Alfie. Il a toujours été si peu rancunier, sans pour autant se la jouer compréhensif. Il ne prend pas sur lui, il décide simplement de tourner la page et de faire comme si rien n'était grave. Comme si la vie entière était plus légère, du moins la sienne. La réflexion de Monica lui tire un sourire qu'il ne prend pas la peine de cacher. « Et pourtant, il a fallu du temps avant que tu arrêtes de me juger du regard. » Son sourire s'étire un peu plus. Si elle l'a réellement jugé, elle n'a probablement pas été la seule. Alfie a changé depuis son arrivée à Bowen, il a grandi. Il n'est plus le crétin qu'il a pu être, même si il est encore loin d'être aussi respectable qu'il le devrait. À peine sérieux, toujours trop taquin, toujours trop volage. Mais contrairement à avant, il n'a plus cette sale habitude de se cacher derrière une carapace du type sans coeur, sans remord, préférant sa liberté à ses sentiments. Et puis, voilà un moment déjà qu'il ne joue plus. Au revoir coups d'un soir, mais certainement pas pour toujours. Il sert cette main qu'elle lui tend et hausse un sourcil en l'entendant le complimenter. « Si je te connaissais pas, je pourrais presque croire que t'es en train de me draguer là. » Et dans une autre vie, une où elle n'aurait pas été fiancée, ça ne l'aurait en aucun cas dérangé. Elle est jolie Monica, jolie et drôle. Elle n'est pas qu'un visage, un corps sans personnalité qui ne plaît que par son physique. « Je peux faire l'effort, pour toi. » Alfie esquisse un nouveau sourire. À sa question quant-à son statut actuel, il ne peut s'empêcher de rire. « Je pourrais en profiter pour te donner une image tellement meilleure de moi mais je préfère rester honnête. Éternel célibataire. » Il ne dit pas ça pour se rabaisser, plus pour signaler qu'avec elle, il a toujours été honnête et compte bien le rester. « Pourquoi, t'es intéressée maintenant ? » lui demande-t-il en lui adressant un regard en coin amusé.