we've come too far to turn back, you're just a whisper away (théia)

Dans un premier temps, le compliment la surprend. Elle ne sait pas si c'est parce qu'elle n'y est plus habituée ou parce qu'avec Woody, elle a fini par être plus familière aux réflexions joueuses et autres piques lancées dans un éternel duel entre deux personnes têtues et amusées. Mais rapidement, elle se sent naïve, semblable à une gamine de quinze ans embobinée pour la première fois. Théia pourrait se mettre en tête que ces mots, il a dû les prononcer des dizaines de fois à un nombre de femmes plus important que celui de vêtements qui composent sa garde-robe. Sauf qu'elle s'en fiche. Ses mots ont l'air sincères, autant que ses sourires et que l'étincelle qui anime son regard. Et même si ils ne l'étaient pas, elle ne devrait pas à avoir à s'en soucier. Elle ne le remercie pas, se contente de sourire avant de simplement hausser les épaules. « T'étais pas mal non plus. » Ces mots qui sonnent comme un compliment sortis des lèvres de Théia, un vrai. Elle n'a jamais été très douée lorsqu'il s'agit de s'exprimer, ou d'aligner plusieurs mots pour rendre explicite ce qu'elle préfère la plupart du temps garder implicite. Il est souvent impossible de savoir si elle plaisante ou si elle est sincère, si elle ne fait pas semblant ou si elle est réellement blessée. Mais ce soir, elle ne se cache pas. Elle ne voile pas le plaisir qu'elle a d'être sur ce toit derrière le masque d'une fille peu impressionnée. Elle ne baisse pas ses barrières, elle oublie de les mettre. Nouveau sourire sur ses lèvres provoqué par l'idées de nouveaux défis. « Moi te battant au cent mètres, par exemple. Ou, attends, est-ce que c'est obligé d'être lié au sport ? Parce que j'ai des tas d'idées de défis à te lancer pour d'autres événements. » Elle le regarde avec l'enthousiasme d'un enfant le jour de Noël. Ses traits sont rieurs, cachant mal ce plaisir qu'elle a à s'imaginer le futur, à les voir elle et lui agir comme si rien autour d'eux n'avait vraiment de sens. Deux êtres hors du temps, deux personnes décalées du réel que rien n'arrêterait. À présent figée devant lui, ses mains sur ses épaules, Théia se pend à ses lèvres et attend qu'il annonce la suite de ce programme pourtant totalement improvisé. Elle aime sa réponse, elle l'approuve d'ailleurs d'un hochement de tête. « Je pense que nous en sommes capables, » dit-elle avant de se détacher de lui, rompant tout contact physique. Elle tourne à nouveau la tête vers le vide qui s'étend à perte de vue devant eux. « J'aime bien être ici, sur-élevée à des mètres au-dessus du sol. J'ai l'impression de veiller sur les gens là en-bas, si petits. » Elle s'approche prudemment du bord et observe le monde qui semble vivre à une plus grande vitesse qu'eux. « Ce soir Woody, toi et moi dominons le monde entier. » Elle sourit sans le regarder, amusée par cette idée.

Un léger rire s’échappa de Woody, sans qu’il n’entrouvre ses lèvres, sans qu’il ne s’abandonne à cet éclat de bonheur. Il baissa les yeux, sa bouche bien fermée mais les coins de ses lèvres relevés vers le haut, accompagnant le son de sa joie, le son de son plaisir à entendre Théia le complimenter de la sorte. Il hocha doucement la tête de haut en bas, avant de relever les yeux vers la jeune femme. Il avait, au cours de sa vie, reçu une myriade de compliments sur son apparence, mais bien rarement ils avaient su se créer un chemin droit vers son cœur de cette façon-là. Tous les mots que prononçait la jeune femme prenaient une signification tellement plus grande, par le simple fait qu’ils émanaient d’elle. « Merci. » Lâcha-t-il finalement, après ce qui lui sembla être une éternité à la regarder, alors que quelques secondes à peine s’étaient écoulées. Ce même sentiment d’éternité qu’il vivait à chaque fois qu’il se sentait auprès de Théia, il avait envie qu’il perdure encore longtemps. Que ces moments durant lesquels le temps s’arrêtait complètement persistent. C’est pourquoi il la priait presque de rester là, auprès de lui, jusqu’au plus loin de leurs futurs. Sous prétexte qu’ils avaient encore bien des défis à relever ensemble, Woody demandait à la jeune femme de ne pas partir. Il avait déjà perdu Sara. Il ne supporterait pas de perdre Théia. « Si tu veux avoir une chance de gagner, ce n’est pas du tout obligé d’être li au sport. » La nargua Woody avec un rire. « J’peux avoir quelques exemples de ces idées, question que je me prépare un minimum mentalement ? » Osa demander le jeune homme, même s’il se doutait bien que la demoiselle ne voudrait aucunement partager ses plans machiavéliques avec lui. De toute façon, ils étaient tous les deux figés dans le moment présent. Les mains de Théia sur les épaules de Woody, et le regard de ce dernier perdu dans les yeux de celle-ci. Jusqu’à ce qu’il déclare vouloir rendre cette nuit inoubliable, et qu’elle rompe le contact entre eux pour se rapprocher du bord du toit, à moins d’un mètre du vide. Son rythme cardiaque s’accéléra légèrement en la voyant aussi près du précipice, mais il n’en laissa rien paraître. Il l’écoutait. « Dominer le monde, c’est une idée qui me plaît bien. Veiller sur eux, par contre … je ne pense pas que ce soit dans mes cordes. Ils s’en sortent sans doute bien mieux sans. » Déclara-t-il avec un air léger au visage, un sourire au coin des lèvres, malgré la tristesse de ses paroles. Ça ne le rendait pas triste, Woody. Il ne veillait peut-être pas sur les gens en bas d’eux, mais il veillait sur celle à ses côtés. Sur Théia.   

Il ne répond pas tout de suite et, autour d'eux, le monde entier semble retenir sa respiration. Il n'y a plus de bruit, à part quelques fois une légère brise de vent qui se fraie un chemin entre eux. En bas, à plusieurs mètres sous leurs pieds, les passants parlent sans produire le moindre son. Il n'y a plus le crissement des roues de voitures contre le tarmac de la route pendant seulement quelques secondes qui semblent s'éterniser. Le regard de Woody fixe celui de Théia, semble vouloir observer le moindre changement d'expression dans ses traits. Et au lieu qu'elle ne dévie le sien, ses pupilles restent immobiles et, elle, curieuse. Ce n'est qu'un mot qu'il finit par prononcer, mais elle s'en contente amplement. Au lieu de répondre, elle se limite à un simple mouvement de tête, comme un "il n'y a pas de quoi" silencieux. Ce soir, Théia a l'impression d'être face à un Woody totalement différent de celui avec qui elle partageait la piste, ou celui qu'elle a croisé au Gala. Elle ne saurait dire ce qui a changé chez lui, mais ce détail fait qu'elle n'a plus autant envie de jouer à celui qui aura le dernier mot qu'avant. Pour une fois, elle se sent prête à être une personne différente de cet être si confiant qu'elle montre devant pratiquement tout le monde. Pour une fois, Théia se plaît à être elle-même. Sa réponse sur les défis autres que ceux concernant le sport créent d'abord une expression de surprise sur ses traits. « Tu dis ça parce que tu as peur. Tu es effrayé de te faire battre par une fille. » Elle sourit, même si elle sait qu'il a bien plus de chances de gagner contre elle si il se donne à son maximum. Quoi qu'avec tous ces entraînements, ces séances où il a réussi à sortir le meilleur d'elle, Théia ne se sent plus aussi faible qu'elle a pu l'être. Elle a l'impression d'être une version améliorée d'elle, une capable de gravir des montages et, aussi, d'avoir des rêves à perte de vue. « Mmh, » réfléchit-elle, son regard un moment dirigé vers les étoiles. « À la prochaine soirée organisée par le Maire, tu le sauras, » conclut-elle finalement, reportant son attention sur lui. À la fin de la chanson, le temps retrouve son rythme normal. Fascinée par la vue, Théia regarde tous ces habitants qu'elle a peut-être déjà croisés à force de se balader dans les rues, parfois sans but. Elle les voit téléphoner, conduire, rire ensemble sans pouvoir les entendre. Elle les voit heureux. À sa réponse, Théia se tourne vers lui sans un sourire, pour une fois. Ses traits sont sérieux mais doux, comme apaisés après une trop longue douleur. « Peut-être que je suis mal placée pour dire ça, peut-être même que tu ne me croiras pas mais Woody, tu es une meilleure personne que ce que beaucoup semblent croire. » Elle sent son ventre se nouer en réalisant à quel point ses paroles sonnent cette fois bien plus comme un compliment que celles qu'elle a prononcées plus tôt. « Tes actes ne définissent pas qui tu es, » souffle-t-elle avant de continuer, un fin sourire aux lèvres. « Et puis, au final, on s'en fiche d'eux. Peut-être qu'ils s'en sortiront bien sans toi mais t'as au moins été capable d'aider une personne sur cette Terre. Moi. » Elle le regarde avant de baisser les yeux sous le poids de la sincérité de ses mots.

Théia n'aurait pas pu viser plus juste. Elle n'aurait pas pu atteindre la cible en plein dans le mille mieux que maintenant, même si elle l'avait voulu. Son intention n'était que pure, que bonne, elle ne voulait que plaisanter, sur cette même lancée qui les gardait en haleine depuis le tout début de leur relation. Sauf qu'elle avait réussi à toucher la corde la plus sensible qui soit, elle avait réussi à gagner haut la main la manche, sans même se rendre compte de l'impact que ses paroles avaient pu avoir sur la perception que Woody avait de lui-même. Effrayé, c'était le terme à employer, oui. Woody était effrayé de se faire battre par une fille. Parce que lorsque ce moment viendrait, lorsqu'il se mesurerait à un adversaire et que ce dernier le battrait à plate couture, il saurait qu'il avait atteint un point de non-retour dans sa maladie, que celle-ci s'était emparée de tout même de sa fierté. Contre une fille, ce serait encore pire, parce que Woody vivait encore selon cette pensée machiste que les femmes n'avaient pas la même force que l'homme. Et alors, il se sentirait réduit, émasculé, perdant. Inutile, vide. C'était le moment de sa vie qu'il appréhendait le plus, qu'il combattait sans cesse à coup de matchs de bras de fer avec la vie. Un jour, Woody perdrait, et si c'était contre Théia, il ne s'en remettrait sans doute jamais. « T'as encore bien du chemin à faire avant de pouvoir seulement prétendre arriver à me battre. » Il rigola, même si ce chemin-là serait peut-être écourté selon la progression de la sclérose en plaques de Woody. Qui sait, d'ici un mois, s'il arriverait encore à se lever le matin avec autant d'aise qu'il le faisait actuellement. Qui sait si les fantasmes qu'il pouvait avoir à l'égard de Théia ne resteraient que ça, des fantasmes, emprisonnés avec tous les autres qu'ils auraient et qu'il ne pourrait plus réaliser avec qui que ce soit, faute d'avoir le contrôle sur son corps pour ce faire. Elle parla alors des défis, dont elle ne révélerait pas la consistance avant la prochaine soirée organisée par le maire. Surpris, le jeune homme laissa s'échapper un rire d'entre ses lèvres. « Heureusement qu'il est bien fêtard, notre maire. Tu ne pourras pas faire durer le suspens bien longtemps. » Ils gardèrent leur sourire et leur silence jusqu'à la fin de la chanson, avant de se détacher l'un de l'autre pour s'approcher du rebord du toit. Sous eux, le vide. Et alors que par ses paroles, Woody se rabaissait plus bas encore que ces gens minuscules qui marchaient sous leurs yeux, Théia lui montra sa façon à elle de le voir lui. Woody, il en avait fait, des conneries. Des actes immondes qu'il regrettait, d'autres qu'il préférait nier. Et si ses actes ne le définissaient pas, ils ne faisaient malgré tout pas de lui une bonne personne. Théia mettrait peut-être plus de temps que les autres à le voir, mais un jour, elle le verrait elle aussi. Mais pour le moment, si Woody pouvait l'aider à sa façon, alors il gagnait, à quelque part. Son existence n'était pas vaine. « Ah ouais, c'est vrai ? Je t'aide ? » Demanda-t-il avec un sourire. Elle l'aidait aussi, et il aurait aimé le lui partager. Sauf qu'il serait incapable de lui expliquer en quoi elle l'aidait. Il ne voulait pas qu'elle sache qu'un jour, bientôt sans doute, il ne serait plus rien.

Il l'a retrouvée brisée, en deuil de quelques années de vie qu'elle ne connaîtra jamais. Les deux options qui s'offraient à elle encore un an plus tôt, une impliquant une fatigue incessante et une autre réduisant son existence de moitié, étaient rapidement passé de l'état de choix à celui d'obligation. Peut-être que Théia ne pourra jamais avoir d'enfant. Ou peut-être que si, si elle se décide à les plonger avec elle dans le tourbillon infernal qu'a toujours été sa vie. Et pendant sa dernière année, pendant la quinzième de son premier gamin, il la regarderait mourir alors qu'elle, elle ne pourra que le rassurer dans des mensonges. Dire que tout ira bien, le supplier d'être fort pour eux deux. De vivre cette vie qu'elle n'aura pas connue. Alors non, il est hors de question qu'elle entraîne une énième personne vers sa chute en direction des enfers. À ses yeux, Théia a déjà fait souffrir trop de monde que pour condamner un enfant à devoir enterrer sa mère, traumatisme qui s'ajouterait à une puberté à peine entamée. « Ne me sous-estime pas, » réplique Théia, ses yeux plongés dans ceux de Woody. Il l'a trouvée brisée et pourtant, jamais elle ne lui a montré ses fêlures. Peut-être qu'il les remarquera un jour, intentionnellement ou pas. Elle a beau tenter de les cacher, essayer de se prouver à elle-même que son propre destin ne l'atteint à présent plus, les cassures qui font de Théia une personne imparfaite restent belles et bien présentes. Elles sont là, des fois vives et des fois invisibles, prêtes à resurgir à tout moment. Elle attendent le prochain moment, son prochain coeur brisé pour la faire retourner vers ses vieux démons qu'elle n'a jamais réussi à faire fuir. Oui, peut-être qu'un jour il les verra, ou peut-être qu'ils finiront réellement par disparaître avant qu'il n'en ait l'occasion. Il suffit de la regarder ce soir, d'observer ses yeux qui brillent au rythme des étoiles, ou d'écouter les battements de son coeur tantôt rapides, tantôt plus lents. Toutes ses pensées sont recroquevillées en boule dans un coin de sa tête, tous ses démons sont en sommeil. Comme si elle n'était plus elle-même, prisonnière d'un corps meurtri par tant d'épreuves. Comme si Woody n'avait en sa compagnie qu'une âme rêveuse, rieuse, détachée des remords et du poids de ses erreurs. « Alors je compte sur toi pour m'emmener à cette très prochaine soirée, » conclut-elle, un sourire satisfait accroché aux lèvres. Devant elle, face à son être flottant, le monde se reconstruit lentement et les pièces se retrouvent pour former un paysage qu'elle ne risque pas d'oublier. Théia gesticule, tourne sur ses pieds, son regard passant des rues à celui de Woody, pour ensuite atterrir sur le sol. Elle hésite entre continuer avec ce pour quoi elle est si douée, soit camoufler la vérité derrière une réflexion osée, ou s'essayer à quelque chose de nouveau. Une sincérité sans barrière, sans glace, sans sourire faux. Son coeur fait un nouveau bond dans sa poitrine. « C'est vrai, » souffle-t-elle. « Il y a pas mal de choses que tu ne sais pas et que tu ne voudrais probablement pas connaître, mais disons que... le sport m'a fait du bien. » Le sport. Pas lui, pas eux, le sport. Son poul ralentit mais, à la place, son ventre se noue. Elle a été incapable d'être sincère dans ses mots, mais son regard trahit malgré tout le sens réel de ses paroles maladroites. Elle glisse une main dans ses cheveux avant de croiser ses bras contre sa poitrine. Peut-être qu'un jour, Woody comprendra que ce soir-là, Théia était seulement effrayée de lui faire découvrir cette part trop fragile d'elle qu'elle se tue sans arrêt à cacher. Une part d'elle qu'elle n'aime pas, un coté de sa personnalité qui prouverait à Woody qu'elle n'est rien d'autre qu'un assemblage de morceaux cassés.

Depuis belle lurette déjà que Woody avait fait une croix sur l’idée d’avoir des enfants. Plus tôt dans sa vie, ça avait pourtant été une idée qui ne lui déplaisait pas, pas totalement. Il s’était toujours imaginé profiter de sa vingtaine au maximum et se poser enfin, pour s’unir à une femme et avoir une famille. Sauf qu’à l’âge de vingt ans, on lui avait diagnostiqué sa sclérose en plaques et tous ses plans de vie avaient dû être reconsidérés, changés. Woody ne devait pas seulement profiter de sa vingtaine, il devait profiter de chaque journée qui s’offrait à lui sans qu’il n’ait de difficulté à la vivre. Et il ne devait pas profiter de sa vingtaine pour ensuite s’assagir, il devait en profiter parce qu’après ces années-là, il ne lui resterait plus rien. Sa vision du futur avait donc drastiquement changée, et il s’était alors interdit de s’attacher au point de vouloir goûter à une vie normale, la white picket fence et tout ça. Des enfants, Woody n’en aurait pas, non, parce que ce serait d’accepter que des personnes de plus voient son état se dégrader. Et en tant que père, c’était à lui d’être fort et de protéger ses enfants. Dès leur plus tendre enfance, il n’arriverait pas à jouer ce rôle comme il le devrait. Qui sait s’il allait seulement être capable de le tenir dans ses bras sans craindre qu’il lui glisse d’entre les mains, absence de force oblige. Il raterait tellement d’étapes de leur vie, il serait un fardeau pour eux, comme il le serait pour une femme s’il tombait amoureux. Voilà pourquoi Woody se condamnait lui-même à la vie de célibataire, en faisant croire au monde entier que c’était un choix volontaire, une décision bien éclairée. Il préférait être le fuckboy de la ville plutôt que le malade à prendre en pitié. « Ne me sous-estime pas non plus. » Répliqua Woody avec un sourire et un regard tout aussi brillant que le sien. Ils se tenaient tête, comme prêts à se prouver ici et maintenant qui d’eux deux était le meilleur. Mais leur force ne se calculait pas, pas de cette façon-là. Leur résilience faisait d’eux des êtres forts et courageux, et c’était ce qui comptait, mais leurs situations ne se comparaient pas. Alors que l’un ou l’autre gagne un bras de fer ou une course, peu importait au fond, car ce n’était pas la bonne mesure à prendre. « C’est un rendez-vous. » Conclut donc Woody en hochant doucement la tête, comme pour ponctuer cette idée, acquiescer à ses propres paroles. Ils se retrouvèrent bien vite en haut du monde, le regard rivé vers le bas, la sensation d’être si près de tomber si loin et si proche à la fois. Un pas de plus et c’était le vide, et pourtant, avec Théia, Woody avait l’impression qu’il ne risquerait rien. Au pire, ils s’envoleraient. Au pire, ils tomberaient ensemble. « Et si je te disais que j’ai envie de tout connaître de toi ? » Demanda Woody avec une certaine curiosité, et un grand sérieux dans la voix. Il haussa tout légèrement les sourcils, tournant la tête vers la jeune femme et guettant sa réaction. Que pouvait-elle cacher de si grand ? De quoi pouvait-elle être tant effrayée ? À ses yeux, rien de ce que pouvait être Théia ne pourrait le faire reculer. Au contraire, il avait l’impression que ça les ferait avancer, même si le néant se trouvait devant eux et qu’ils n’avaient aucune idée d’où ils allaient.

Quitte à vivre moins longtemps, autant ne pas se contenter de seulement survivre. Théia, elle a préféré aller jusqu'au bout des choses. Rire jusqu'à en avoir mal au ventre, aimer jusqu'à tout foutre en l'air, transformer chaque jour comme si sa deadline l'attendait déjà, prête à l'emmener avec elle dans un monde sans douleur, sans erreur. Vivre jusqu'à en crever. Et c'est cet état d'esprit qui l'a aidée à tenir bon jusque là, cette envie de consumer sa vie comme un ado consommerait sa première clope. Comme une belle journée d'été qui s'étendrait sur plusieurs semaines, plusieurs années, un instant qui s'étirerait dans le temps jusqu'à ce que vienne la pluie. Quand le jour viendra, quand la pluie tombera, Théia regardera derrière elle et sourira. Elle sourira de sa vie, de toutes ces si belles expériences qu'elle a pu connaître et qu'elle emportera dans sa tombe. Elle demandera à ceux qui ont eu la malchance de croiser sa route de ne pas pleurer, préférant emporter quelques images heureuses en tant que derniers souvenirs et non pas des visages remplis de larmes. Elle finirait par s'éteindre en silence. Soleil disparaissant dans l'horizon, bougie s'éteignant après avoir brûlé trop longtemps. Mais le jour suivant, le soleil se lèvera à nouveau. « Je n'oserais pas. » Ce soir, Théia n'est pas une bougie. Elle ne brûle pas, ne décompte pas les heures, n'a pas l'impression de sentir petit à petit la vie quitter son corps jusqu'à la délaisser entièrement. Ce soir, elle est plus que ça. Un soleil entier, un feu d'artifice aux milles couleurs, rien d'aussi vacillant qu'une flamme pouvant s'éteindre à tout moment. Car sur ce toit, elle est invincible. Non, ils le sont à deux. Lorsqu'il annonce le rendez-vous, elle sent son ventre se nouer. Rendez-vous. Elle sourit, même si elle pourrait rire. Elle ne sait pas si c'est lui, elle, l'instant présent, ou encore l'idée de pouvoir revivre une soirée comme celle du Gala où elle passerait une nouvelle fois son temps à regarder les autres faire semblant d'être civilisés, déjà à moitié ivre. Peut-être même un mélange de tout ça. Mais Théia, elle se sent pousser des ailes. Elle a le monde entre ses mains, l'impression que pendant l'espace d'un instant, il lui appartient. Sa question la fait cependant rapidement redescendre. « Tout ? » répète-t-elle, comme pour s'assurer d'avoir bien compris. Il y a tant à dire, mais pourtant tant qu'elle ne prononcera jamais à voix haute. Une nouvelle hésitation vient diviser ses pensées en deux mais bien vite, Théia décide de s'en débarrasser. « J'espère que tu as du temps devant toi, » dit-elle finalement, encore incertaine de ce qu'elle confessera et de ce qu'elle gardera sous silence. Elle prend place là où elle était debout, à présent assise en tailleur à quelques mètres du bord, avant de se tourner vers lui. « Je veux bien te parler de moi Woody, mais seulement si tu le fais aussi. C'est donnant donnant. » Et elle est sincère. Elle ne mentira pas, mais n'ira jamais non plus dans les sujets trop sensibles que pour être évoqués. Elle mentionnera le cinéma, les courses de caddie, tout ce qui a petit à petit fait d'elle la personne qu'elle est. Et peut-être qu'un jour, dans un futur proche, elle parlera de son coeur.