standing in the middle of it (thomas)

Plus tôt cette semaine, Thomas avait passé un coup de fil à August, pour la première fois depuis des semaines, afin de lui donner rendez-vous dans les prochains soirs. Il voulait parler avec lui, il voulait le revoir, qu’ils se parlent d’ami en ami, comme dans le vieux temps. Le bon vieux temps. August avait encore du mal à y penser avec une douce nostalgie, tout simplement parce que ces beaux souvenirs étaient également reliés à de mauvaises mémoires. Celles durant lesquelles Sunny et Thomas s’étaient laissés, en raison de la trahison de l’homme envers elle. August, qui avait toujours été leur meilleur ami à tous les deux, qui était aujourd’hui le parrain de la petite Iris, avait rapidement pris la défense de Sunny, elle qui n’était que victime des écarts de conduite de son mari à l’époque. Peu à peu, sa relation avec Thomas s’était donc dégradée, partie à la dérive parce qu’August avait coupé les ponts. Lorsque le prénom de son ancien ami revenait dans une conversation avec Sunny, le professeur d’histoire n’hésitait jamais de parler en mal de lui, comme s’il avait vécu la trahison aussi fortement que son amie. Sans doute que leur histoire ne le regardait aucunement, mais il avait lui aussi vécu la déchirure, puisqu’ils formaient un trio autrefois soudé comme personne d’autre. Aujourd’hui, il ne restait plus rien de tout ça, plus rien d’autre que des souvenirs qui lui étaient violemment revenus en tête quand il avait entendu la voix de Thomas à l’autre bout du fil. Malgré tout, August avait accepté de le rencontrer, et avait proposé de se rejoindre au billard. C’était une activité qu’ils aimaient pratiquer auparavant, et pour August, cette proposition était comme un signe d’ouverture. Pourtant, il avait bien longuement hésité à accepter. Il ignorait encore ce que Thomas avait à lui dire et, surtout, il ignorait comment il allait réagir, peu importe de quoi il s’agissait. August gardait une rancune, un goût amer dans la bouche quand il repensait à ces nombreuses soirées durant lesquelles Sunny avait pleuré dans ses bras après avoir appris pour l’infidélité de Thomas, et ensuite après avoir signé les papiers de divorce. August s’était dit qu’il laisserait une chance à Thomas, ce soir, et qu’il écouterait ce qu’il avait à dire. Il était donc vingt-et-une heure, le trentenaire venait de quitter la rhumerie et attendait debout à côté du bar, guettant la porte d’entrée du billard.

Autrefois, August considérait également Thomas comme un frère, le frère qu’il n’avait jamais eu, au fond. Ils étaient tellement soudés. Sauf que le trentenaire avait bien vite pris la défense de sa femme, Sunny, qui était également son amie, quand tout était parti en fumée dans leur couple. Tout simplement parce qu’il ne voulait pas cautionner des actions pareilles, des actions d’infidélité. Cela allait à l’encontre de ce qu’il était, de ce qu’il croyait. August s’était donc juré de soutenir Sunny à travers cette épreuve, et puisque c’était le divorce qui avait été la prochaine étape, il avait rapidement pris son côté. Laissant Thomas seul, de l’autre côté. Sans doute était-ce injuste que le professeur d’histoire l’ait ainsi rayé de sa vie à son tour, déjà qu’il perdait son épouse, mais August n’arrivait plus à le voir comme le même homme, de toute façon. Il n’arrivait plus à reconnaître son ami dans ce visage qui avait bousillé une si belle relation. Malgré tout, il avait accepté de rencontrer Thomas ce soir quand ce dernier lui avait téléphoné pour qu’ils s’organisent un moment à deux. August se disait que son ancien ami avait bien le droit à cette chance de s’expliquer, ou d’essayer de renouer. Qui sait ce qui se passerait par la suite. Sunny avait toujours dit à August qu’elle accepterait qu’il reparle à Thomas, elle comprenait qu’ils étaient amis depuis longtemps et ne voulait pas être la raison de cette amitié brisée. Depuis des années, August lui assurait que ce n’était pas sa faute, que Thomas se les était mis à dos par lui-même, mais ce soir il essaierait de se montrer un peu moins fermé. En souvenir du bon vieux temps, peut-être. Ce serait sans doute difficile de briser la glace, dans les premières minutes, mais si August faisait un effort, peut-être qu’ils pourraient baisser leurs barrières. « Bonsoir Tom. Ça va, et toi ? » Heureusement, Thomas ne lui présenta que sa main, parce qu’August se serait montré réticent à lui offrir une accolade comme avant. Sans hésiter, il lui présenta sa main et la serra fortement, avant de la relâcher. « J’dois admettre, j’étais un peu surpris que tu me téléphones. Après tout ce temps. » Tout ce temps de distance, de non-dits, de colère endormie. Qu’est-ce qui l’avait poussé à se réveiller, là, maintenant ?

Si Thomas disait être en train de réparer ses dégâts, peut-être August n’était-il pas le seul sur sa liste d’amendements. Il espérait, du moins, que son ancien meilleur ami avait trouvé, ou trouverait, le courage et les mots pour aller vers Sunny. C’était elle qui méritait le plus ses excuses, au fond. August n’avait que suivi le chagrin de son amie, mais si cette dernière trouvait le moyen de pardonner à son ex-mari, alors le professeur d’histoire ne pourrait qu’en faire autant. August ne répondit rien pour le moment, serrant la main de l’homme avant qu’il ne prenne place à côté de lui au bar. Le trentenaire ne manqua pas de faire remarquer le timing de ces retrouvailles, de cet appel inattendu qui avait ressorti de vieux souvenirs, de vieilles blessures mais également de belles pensées. Thomas, Sunny et August avaient passé de belles années, quand même, avant que tout ne s’envole en fumée pour un écart de conduite impardonnable – ou du moins, qui l’était sur le coup. De se retrouver seul à seul avec son ancien meilleur ami, ça lui faisait bizarre, à August. Ça devait être la première fois depuis la séparation de son couple d’amis. « Non, t’as raison, j’ai pas cherché à le faire. J’avais plus grand-chose à dire, pour être honnête. » Ce n’était pas dans les habitudes d’August d’être aussi froid, sec, ou même rancunier. En même temps, rares étaient les situations où on pouvait voir ce côté-là du professeur d’histoire. Il se mettait rarement les gens à dos. Il se retrouvait rarement au beau milieu d’un conflit du genre. Quand Thomas se commanda un verre, August fit de même. Ils en auraient tous les deux besoin, ça ne faisait aucun doute. Ses excuses débutèrent, mais il ne termina pas sa phrase quand son verre arriva, puisqu’il le cala d’un trait. De toute façon, August devinait la suite, devinait la fin. Son verre arriva aussi, mais il le garda un moment entre ses mains, le faisant tourner doucement de droite à gauche. « Dans ce cas-ci, j’avoue que peu importe l’intention qui se trouvait derrière l’acte, c’est le geste posé et ses conséquences qui m’ont toujours importé. T’as vraiment merdé, Thomas. Alors si t’avais pas prévu de la faire souffrir, j’sais vraiment pas ce que t’avais dans la tête à ce moment-là. » Répliqua August.

Si August avait autant de mal à passer par-dessus l’infidélité de Thomas par rapport à Sunny, allez imaginer de quoi il aurait l’air si c’était Willow qui devait le tromper. Il ne s’en remettrait sans doute jamais, il aurait sans doute énormément de mal à tourner la page. Il ne s’était jamais imaginé à ce point rancunier, August, mais probablement était-ce parce qu’il n’avait jamais vraiment eu l’occasion d’en vouloir à qui que ce soit pour une erreur aussi grosse que celle que Thomas avait commise. August n’avait jamais eu de grosse dispute avec qui que ce soit, il ne s’agissait la plupart du temps que de simples détails, de petits écarts de conduite qui se pardonnaient en un clin d’œil. Mais là, Thomas avait brisé le cœur de Sunny, il avait brisé leur couple, et avait jeté leur amitié aux poubelles par le fait même. Ça ne s’oubliait pas si facilement, ça, encore moins en sachant que c’était August qui avait consolé Sunny, soir après soir, pour l’aider à s’endormir. « Parce que tu sais pas, Thomas, tu sais pas toutes les répercussions que ta connerie a eue dans la vie de Sunny, et dans ma vie, aussi. Elle était en mille morceaux, Tom. Et qui l’a ramassée à la petite cuillère ? C’est moi ! » Lâcha-t-il, la colère se faisant sentir dans sa voix. « Et ne va pas croire que je ne voulais pas prendre soin de Sunny, non, je la consolerais encore à chaque jour si elle en avait besoin. Je serais là pour elle. Mais c’est quand même moi qui l’a vue autant brisée, attristée. Et ce n’est pas une image qu’on veut avoir d’elle. » Elle était un rayon de soleil, Sunny, et la trahison de Thomas et son départ l’avaient mise plus bas que terre. Alors la question qui demeurait, oui, c’était pourquoi ? Pourquoi avait-il fait ça ? Il avait tout, avec Sunny. Tout ce qu’un homme voudrait. Mais il avait quand même tout fichu en l’air. « C’est juste arrivé. Ce ne sont pas des choses qui ne font qu’arriver. » Dit-il en secouant la tête. Ou alors, lui ne serait jamais capable de faire une telle chose à Willow, même perdu, même irréfléchi. C’est dans un soupir qu’August écouta Thomas prendre des nouvelles de lui. Arriverait-il à faire semblant que tout était normal, que les voilà dix ans en arrière ? Il prit enfin une gorgée de sa bière. « Je suis avec une femme que j’aime de tout mon cœur. Elle s’appelle Willow. Et j’peux t’assurer que jamais je ne lui ferais un coup pareil. » C’était bas, pour August, ça. Mais il ne pouvait s’en empêcher.