there's no more days to count (phoebe)

Comme elle me l’avait demandé, j’avais laissé du temps et de l’espace à Phoebe. Des semaines et des semaines sans la voir, des journées entières à songer à lui téléphoner et prendre de ses nouvelles, sans pour autant le faire. Elle avait des sentiments pour moi, je lui avais sans doute fait de faux espoirs sans même le vouloir, et elle avait eu besoin de prendre du recul face à moi, face à nous. Je ne pouvais que comprendre, et d’ailleurs du temps pour moi m’avait également fait le plus grand bien. Depuis notre première rencontre, ma relation avec Phoebe avait rapidement évoluée, et nous nous étions tous les deux perdus là-dedans. Avec ces quelques mois passés sans la voir, j’avais moi-même pris des décisions, amené des changements dans ma vie, et le plus important de ceux-là était sans doute ma relation naissante avec Zelda. Nous avions été des amis pendant si longtemps, sans jamais se rendre compte que ce que nous avions était bien plus grands que ce que nous pouvions imaginer. Je ne savais pas comment Phoebe prendrait cette relation que je vivais à présent, moi qui avais tellement mis l’emphase sur ma peine d’amour causée par Ally et mon besoin de me reconstruire. La vérité était que je n’avais pas vu venir la suite des choses, ça m’avait pris de court, par surprise, mais au final j’étais heureux. C’était l’important. J’espérais que Phoebe l’était aussi, là où elle en était rendue. J’espérais parfois la croiser dans les rues, comme ça, par hasard, deviner sous la courbe de ses vêtements si elle avait décidé de garder son bébé ou non, lire sur son visage si elle était heureuse ou s’il y avait encore des nuages au-dessus d’elle. Mais je ne l’avais pas revue, pas une seule fois depuis notre dernière soirée. Et si je ne m’autorisais pas à l’appeler le premier, je me donnai quand même la permission de me ramener quelques souvenirs d’elle en me rendant à son ranch, là où les autres du chantier étaient sans doute encore en train de bosser. Je voulais voir où ça en était, la construction, même si je n’y participais plus. Je conduisis donc jusqu’au terrain pour me rendre compte, à mon plus grand étonnement, qu’il ne s’agissait plus d’un terrain en chantier, mais bien d’un magnifique ranch bien dressé, terminé. Je me garai et fis rapidement le tour de la propriété, constatant que les travaux avaient été terminés bien en avance. Sans moi pour y faire les touches finales, comme il avait pourtant été convenu. La gueule bien basse, je me rendis jusqu’à la porte d’entrée de la maison longeant le ranch et, après un moment d’hésitation, je cognai. Elle ne serait sans doute même pas là, de toute façon.

J’eus à peine le temps de cogner à la porte que Phoebe en sortait, comme si elle était déjà sur le point de partir, ou comme si elle avait guetté mon arrivée pendant tout ce temps. Il était vrai qu’avec ma voiture, j’avais bien laissé entendre ma présence. Sans doute que Phoebe m’avait aperçu faire le tour du ranch et était venue à ma rencontre. Je me reculai donc légèrement sur le perron, la laissant me rejoindre à l’extérieur. Je plongeai mes mains dans mes poches, réflexe lorsque j’étais mal à l’aise et que je n’avais aucune idée d’où me mettre. Je ne savais pas où se situait Phoebe, maintenant, vis-à-vis de nous deux. Je ne savais pas non plus si elle était ravie de me voir, parce que même si elle arborait son éternel magnifique sourire, je savais bien qu’elle m’avait demandé du temps, de la distance. Ce que je n’avais pas été capable de lui donner plus longtemps. « Je suis désolé, je sais que j’ai dit que j’attendrais que tu sois prête à ce qu’on se reparle … Je devrais pas être là, mais je m’ennuyais de toi. » Déclarais-je avec la plus grande sincérité. Je pensais tellement souvent à mon amie, à ce qu’elle faisait, à ce qu’elle pouvait penser. J’en avais eu marre d’attendre qu’elle fasse les premiers pas, ne sachant pas si cela arriverait bientôt ou pas. J’avais eu besoin de la voir et je l’avais fait. Je regardai autour de moi encore une fois, admirant le domaine autour de nous. « Je vois que t’as terminé tous les travaux … » Constatais-je, même si le constat était fait depuis plusieurs minutes maintenant. J’avais simplement encore du mal à avaler qu’elle ait pu faire appel aux autres mais pas à moi pour les dernières retouches.

Contrairement à moi, Phoebe semblait radieuse et enjouée de me voir. Ne vous méprenez pas, je l'étais aussi, énormément. Dans le cas contraire, je ne me trouverais pas sur le pas de sa porte. Toutefois, je devais avouer que ma visite était aussi accompagnée de son lot d'angoisse et d'appréhension. Je n'avais aucune idée de la réceptivité de Phoebe à ma venue, mais à en voir sa réaction, ma présence ne la dérangeait pas. Au contraire, même. « Tu m'aurais téléphoné bientôt ? » Demandais-je comme un enfant qui s'ennuie depuis trop longtemps. J'avais besoin que Phoebe me rassure, qu'elle me fasse comprendre qu'elle ne comptait pas m'éjecter de sa vie aussi facilement, aussi rapidement et, surtout, sans que je puisse le voir venir. J'émis alors ma réflexion sur l'avancement des travaux - quasi-terminés, à ce que je pouvais voir. Phoebe me parla de ses vacances, des autres gars qui avaient continué pour lui en faire la surprise. « Non, ils ne m'ont rien dit ... » Cela ne m'aidait pas vraiment à me sentir mieux. Si même les autres travailleurs du ranch n'avaient pas voulu de moi sur le chantier, alors franchement, je me remettais en question. Voyant sans doute mon trouble, Phoebe m'invita à aller visiter l'intérieur, où elle faisait encore quelques rénovations et aussi un jardin, à l'arrière. « Oui, je veux bien. Sinon, comment tu vas, toi ? » Demandais-je, ne voulant pas directement parler de sa grossesse.

Comme un gamin, comme un enfant qui a besoin de se faire rassurer, j’avais demandé à Phoebe si elle songeait à me téléphoner bientôt, après tout ce temps à être séparé d’elle. Je m’ennuyais d’elle, de mon petit rayon de soleil, de celle qui me faisait rire et me prenait par les sentiments avec son sourire, ses doutes, ses rêves. Oh, comme j’aurais aimé pouvoir l’aimer comme elle m’avait aimé, lui donner ce qu’elle attendait de moi, mais c’aurait été malhonnête. Autant envers elle qu’envers moi. J’espérais que même si une telle relation n’était pas possible entre nous, nous serions capables de garder notre belle amitié. Le temps et la distance m’en faisaient douter, par contre, et cette première visite mettrait sans doute les choses au clair. « Et maintenant, en face, tu sais quoi me dire ? » Demandais-je avec un mince sourire en coin, gêné. Je savais que je lui avais fait du mal, même involontairement. Je savais que j’avais brisé une partie de son cœur et ça, je ne me le pardonnerais pas de sitôt. Je ne me pardonnerais pas de l’avoir laissée croire à ce que j’étais incapable de lui donner. J’avais pourtant été capable de le donner à Zelda, quelques mois après. Peut-être était-ce une question de timing. Un bien mauvais timing. Après avoir appris que les autres gars de la construction m’avaient tout simplement laissé à l’écart de la fin du projet, je ravalai ma fierté et j’acceptai la visite guidée de la part de Phoebe. « Je vais bien aussi … » Dis-je, en rentrant et en la suivant vers la cuisine. « C’est joli, vraiment joli. C’est lumineux, épuré, … t’as fait de très bons choix. » Et même si les meubles et les décorations n’étaient pas encore là, je savais que Phoebe ferait du bon boulot de ce côté-là aussi. Elle me parla des animaux qu’elle pouvait voir par la fenêtre, et je ris devant la beauté de cette situation. Ce devait être magique. Elle me montra sa chambre, rustique-chic, ainsi que la chambre du bébé. Cette affirmation me prit par surprise, et je la regardai avec un regard brillant, et un sourire aux lèvres. « Tu as décidé de le garder ? » Demandais-je avec une légère pointe d’enthousiasme, ne voulant pas trop m’emballer.

Ses phrases eurent l’effet d’un couteau dans mon cœur, et pourtant c’était con, pourtant j’aurais dû être soulagé que Phoebe ne m’aime pas, pas de cette façon-là. C’aurait dû me réjouir qu’elle ne souffre plus autant que ce que je pensais lui avoir infligé comme souffrance. Elle avait su tourner la page, elle avait su prendre le recul nécessaire pour réaliser qu’elle avait idéalisé notre relation, que ce n’était pas tout à fait ce que nous étions. Pourtant, aucun soulagement ne s’empara de moi, au contraire. Un sentiment de déception, de chagrin, m’envahissait alors qu’elle disait avoir réalisé qu’elle ne me voulait que comme ami. C’était bien mieux ainsi, après tout j’avais Zelda, c’aurait été chaotique si elle en avait voulu autrement. Peut-être n’était-ce que ma fierté qui venait d’en prendre un coup, mon honneur, mon égo. Qui sait. J’hochai la tête, troublé par ma propre réaction. « Ce n’est pas une bêtise de me l’avoir dit, même si ça n’est plus aussi vrai aujourd’hui. Au moins on aura été honnête l’un envers l’autre. Et pis, ça change rien, au final … on est amis, pas vrai ? » Demandais-je avec un mince sourire au coin des lèvres, tentant de dissimuler ce qui se passait entre mes deux oreilles. Phoebe me montra finalement sa maison, me faisant faire le tour de la propriété, celle sur laquelle j’avais quand même pas mal bossé, même si ce n’était pas jusqu’à la toute fin, faute d’avoir été prévenu. Elle me conduit finalement jusqu’à la chambre de son futur bébé, m’apprenant du même coup qu’elle comptait le garder. J’avais gardé une certaine retenue, avec mes yeux brillants, attendant une réponse positive de sa part avant de trop m’emballer. Les larmes me montaient aux yeux en même temps qu’elle. « Oui, moi aussi, c’est ça, ce sont les hormones. » Me justifiais-je avant de rire. Je la pris dans mes bras, ma belle Phoebe, qui serait bientôt maman. Quand je me défis de notre étreinte, elle me demanda si je voulais bien l’accompagner à son premier rendez-vous durant lequel elle pourrait voir sa petite crevette, entendre son cœur, savoir que tout allait bien. Je souris. « Bien sûr que je viendrai avec toi, Phoebs. Ça me ferait extrêmement plaisir d’être là pour toi, pour ce moment. » Je sortis mon téléphone portable de mes poches et me rendis jusqu’à mon calendrier. « Quelle date, quelle heure ? » Demandais-je, bien sérieux dans mon engagement.

J’esquissai un sourire. Au fond, je préférais largement que Phoebe et moi restions amis plutôt que de la perdre complètement. Elle avait su prendre une place bien importante dans ma vie, et même si elle n’avait pas capturé mon cœur comme avait pu le faire Zelda, elle avait assez fait sa place à l’intérieur pour que ses paroles arrivent à me chagriner, sans même que je puisse me l’expliquer. Comme quoi, l’amour, les sentiments, ça ne se limitait pas qu’à une seule et même personne. J’aimais Phoebe, au fond, simplement pas avec la même force. Ça ne m’empêchait pas d’être attristé de voir ce lien spécial se brisait entre nous. Je ne pouvais qu’espérer que tout finirait pas rentrer dans l’ordre, retourner à la normale. Elle me fit finalement faire le tour de sa maison, faisant un arrêt des plus importants devant ce qui serait bientôt la chambre de son enfant. Je lui avais promis d’être à ses côtés peu importe sa décision, et puisque celle-ci était de le garder, je réitérai pour moi-même cette promesse de l’aider à élever cet enfant, d’être là avec elle si elle en avait le besoin, de ne jamais la laisser dans les ennuis. « Ça me fait plaisir, tellement plaisir. T’imagines même pas à quel point. » Je lui souris, l’étreignis, avant de prendre mon téléphone pour noter le mardi, dix heures du matin, dans mon calendrier. « Je viendrai te chercher ! » Insistais-je. Elle allait être toute excitée, toute nerveuse aussi, alors pas question qu’elle prenne le volant. Elle pourrait se laisser conduire, l’esprit tranquille. « Je te suis ! » Elle m’emboita le pas après avoir déclaré m’emmener au ranch. Nous redescendîmes pour finalement nous retrouver dehors. Nous faisions le tour des zones clôturées, des écuries, des longues plaines d’herbes. Nous nous retrouvâmes au bord du ruisseau, ce ruisseau dans lequel nous nous étions baignés en nous imaginant qu’un jour, ce terrain serait à elle. Je souris. « Tu te souviens en début d’année, quand on avait la tête pleine de rêves pour tes projets ? Eh bien voilà qu’ils sont devenus réalité. Il s’en est passé, des choses, en neuf mois. » Déclarais-je, mon regard se perdant sur la vue. Nous en avions fait, du chemin, elle et moi. Ensemble, mais surtout chacun de notre côté.

Faire partie de cette chaîne d’événements dans la vie de Phoebe ne pouvait que m’apporter le bonheur. D’abord, j’avais assisté à ses rêves à propos de ce terrain, ensuite à la construction de son ranch sur ce même terrain – même si je n’avais malheureusement pas été là pour la toute fin -, et maintenant voilà que je serais aux premières loges pour sa grossesse. Après tout, si elle m’invitait à son écographie, je ne pouvais que comprendre que Phoebe m’attribuait une place importante dans sa vie. Et c’était réciproque, absolument réciproque, alors bien évidemment que j’étais aux anges à l’idée d’être auprès d’elle pour cette prochaine grande étape. Pour le moment toutefois, nous allions terminer de souligner celle-ci, celle de sa nouvelle propriété fraîchement construite. Comme je n’avais pas eu la chance de voir la fin des travaux, la jeune femme me fit visiter l’endroit de fond en comble. Nous nous étions alors arrêtés au bord de l’eau, comme pris d’une nostalgie commune. Mais Phoebe était tournée vers l’avant, elle. Et sans doute était-ce le temps que je fasse pareil. « Moi ? Je t’ai inspirée ? » Demandais-je avec un sourire, surpris mais aussi touché. Je n’avais pas l’impression d’avoir joué un aussi grand rôle, mais je prenais volontiers le compliment. « Je pense qu’on s’est tous les deux aidés à regarder vers l’avant. » Même si, parfois, cet avenir-là que nous contemplions n’avait pas été le même. Finalement, tout semblait rentrer dans l’ordre, se placer comme ça devait l’être. Du moins, je l’espérais. Phoebe me proposa alors qu’on aille se baigner. « Cette fois, je n’ai rien pour me changer après … » Je n’avais que ces vêtements-là … mais au fond, on s’en foutait bien, non ? « Alors tu devras faire avec mes caleçons complètement trempés sur ton divan ! » M’exclamais-je tout en commençant à me déshabiller, ne gardant que mes sous-vêtements avant de m’élancer dans l’eau, dans une magnifique bombe qui éclaboussa partout autour de moi.