sombre dans les ténèbres -r.

Tu n'avais pas eu l'occasion de voir ton ami depuis longtemps. Il était rentré de la croisière depuis près de deux semaines et tu n'avais pas eu le temps de l'appeler. Tu avais d'autres problèmes à gérer. Iris avait même été compréhensive. C'était pour la récompenser d'avoir été patiente avec toi et ce qui t'arrivait, que tu lui avais proposé de venir dîner avec Willow. Il affirmait qu'il serait seul, Willow ayant beaucoup de travail en ce moment. Tu décidais de passer la journée aux fourneaux, tu n'aimais pas tant cuisiner, mais tu savais suivre une recette à la lettre et obtenir le résultat escompté. Vers 19h, on sonnait à la porte, pile à l'heure. Tu filais lui ouvrir, un sourire figé sur le visage. « Bonsoir August ! » Tu lui ouvrais la porte, l'invitant à entrer chez toi. Tu l'invitais même jusqu'à te suivre dans la cuisine où tu avais dressé la table. Iris jouait dans sa chambre. Tu attrapais un verre de vin blanc pour en prendre une gorgée pendant qu'il s'installait en face de toi. Tu le regardais longuement sans dire quoique ce soit, tu avais déjà les larmes qui te montaient. « J'ai l'impression que je viens te voir en ce moment juste pour pleurer sur ton épaule. » La dernière fois, c'était Adrian, et Tom aussi un peu. Entre temps, vous vous étiez revus puisqu'il avait toujours Iris pour vous obliger à vous voir de temps en temps mais vous n'aviez pas vraiment eu le temps de discuter. De parler sérieusement de ce qui se passait dans la vie de l'un ou l'autre. Et puis il y avait eu la croisière, Tom en avait profité pour revenir dans ta vie. Et tu avais perdu ton boulot. C'était ta faute, tu avais voulu jouer à un jeu dangereux une seule fois, tu t'étais brûlée les ailes. Tu ne savais pas comment cette information avait pu fuiter, mais l'hôpital a voulu enquêter et les faits étaient là. Le conseil d'administration avait voulu te punir. Tu étais suspendue sans solde.

Malgré les événements qui auraient pu gâcher la croisière pour August et Willow, le couple avait réussi à surmonter leur malentendu ainsi que la confession du trentenaire, en lien avec ses pertes de mémoire. Ils avaient donc passé deux belles semaines en compagnie l’un de l’autre, à faire la grasse matinée, se faire bronzer sur le bord de la piscine et profiter de toutes les activités offertes. De vraies vacances à se montrer paresseux et gourmands. À leur retour, ils étaient bien reposés, et prêts à retrouver le boulot. August avait repris les rênes de la rhumerie, laissée entre les mains de son employé le plus fidèle, et avait commencé à préparer les cours pour la rentrée. Willow, de son côté, s’était replongée dans le travail pour rattraper le retard accumulé. Près de deux semaines après leur retour, elle n’était pas passée au travers de la tonne de dossiers qu’elle avait à consulter pour se mettre à jour. August passait donc énormément de temps à la rhumerie aussi, testant de nouvelles recettes pour sortir de nouveaux rhums à la prochaine saison. Toutefois, il ne refusait jamais une invitation qui l’extirperait de son travail et lui permettrait de souffler. L’appel de Sunny tombait donc à pic et il avait gentiment accepté de dîner avec elle, malgré l’absence de Willow. Ils avaient tout le temps du monde pour se reprendre. Le professeur d’histoire s’était donc présenté chez son amie à dix-neuf heures tapante, comme prévu. Sunny lui ouvrit quelques secondes plus tard, souriante. « Bonsoir Sunny ! » Il s’approcha d’elle pour lui faire la bise, et entra dans la maison en refermant la porte derrière lui. Il suivit la jeune femme jusqu’à la cuisine et s’installa aux côtés de son amie, qui lui offrait un verre de vin blanc. « Comment vas-tu ? » Avait innocemment demandé August, pour prendre de ses nouvelles. À peine installés, un silence s’était installé alors que Sunny le regardait sans répondre, les larmes commençant à lui monter aux yeux. August fronça les sourcils avec une expression soucieuse alors qu’elle affirmait que ces derniers temps, il n’était qu’une épaule pour pleurer. « J’suis là pour ça, pour toi, tu le sais bien. Mais qu’est-ce qui se passe Sunny ? » Comme à chaque fois, ses pensées allaient d’Iris vers Tom, et maintenant vers Adrian puisqu’ils en avaient discuté quelques mois auparavant. Il était loin de s’imaginer que les dégâts s’étendaient encore plus loin cette fois. Le trentenaire se leva et rapprocha sa chaise de celle de son amie, pour être tout près d’elle, à l’écoute.

August t'avait suivi jusque dans la cuisine où il s'était installé après t'avoir demandé comment ça allait. Tu avais secoué doucement les épaules. Ce n'était pas une mauvaise journée en soi, tu avais passé l'après-midi avec ta fille, à jouer, à dessiner, à rire mais pourtant ce n'était quand même pas un bon moment. Ta vie partait en couilles et tu ne savais pas comment tu pourrais rattraper tout ça un jour. Tu imaginais déjà l'image que ta fille pourrait avoir de toi quand elle serait en l'âge de comprendre ce que tu avais fait. Peut-être qu'elle ne te jugerait pas mais l'âge rendant ingrat, tu ne pouvais pas t'empêcher de te questionner. Tu aimerais qu'elle reste une enfant toute sa vie, qu'elle n'ait que d'intérêt pour les poules, pour les poupées, pour le coloriage mais tout ça finirait par disparaître. Pourtant tu ne devais pas penser à ça sinon tu allais finir encore plus mal qu'avant. « Ce n’est pas la grande forme, comme tu te doutes. Je sais, mais on y reviendra plus tard » Tu passais rapidement à autre chose, comme savoir comment lui se portait. Tu ne l'avais pas vu depuis quelques semaines. Et même si tu l'avais fait venir parce que tu avais besoin de parler à quelqu'un, tu ne voulais pas être égocentrique et avoir l'attention toute la soirée. Au contraire, tu voulais penser à des choses joyeuses. « Et toi ? Comment c’était cette fameuse croisière ? Et Willow, elle va bien ? » Tu avais enchaîné les questions avec un léger sourire, curieuse d'en apprendre plus. Mais avant même de le laisser répondre, tu en profitais pour glisser une autre information. « D’ailleurs, si tu veux faire une surprise, ta filleule t’attend sagement dans sa chambre. » Elle était cachée derrière la porte, prête à lui faire peur, telle une petite chipie farceuse. Et toi tu devais l'aider à réaliser son plan.

À peine arrivé, August avait déjà deviné sur les traits chagrinés de sa meilleure amie que celle-ci n'était pas en forme, qu'elle traversait une période difficile. Ça lui brisait le coeur, à Gus, de la voir comme ça. Parce que ce n'était pas la première fois, Sunny semblait prise dans un tourbillon, une tempête, incapable de regagner son ciel bleu. Ironique, pour une femme qui portait un prénom présageant le beau temps. Il la questionna, tenta de la faire parler, parce qu'il savait à quel point ça pouvait être bénéfique de se vider le coeur. Sauf qu'elle balaya le sujet du revers de la main, pour le moment, disant qu'ils y reviendraient plus tard. Il hocha la tête, à contre-coeur, et s'apprêta à répondre aux questions qu'elle avait pour lui, quand elle lui mentionna que sa filleule l'attendait sagement dans sa chambre. August mit de côté toutes les questions de Sunny dès qu'il sut pour sa petite Iris. « Il faudrait quand même pas que je la fasse attendre trop longtemps ... » Releva-t-il en se relevant tout de suite, un sourire malicieux sur les lèvres. Il se rendit jusqu'à la chambre de la jeune fille, toquant d'abord avant de pousser la porte, pour retrouver une chambre bien rangée et, surtout, vide. Il fronça les sourcils, prêt à la chercher sous le lit ou dans les penderies, quand tout d'un coup elle lui sauta sur le dos en criant telle une guerrière. August sursauta et exagéra sa réaction en criant, s'agenouillant au sol avec sa filleule sur le dos. « Tu m'as eu, tu m'as eu ! » Disait-il avant de se laisser tomber au sol, prenant la petite dans ses bras pour la chatouiller. « Ma vengeance sera terriiiible ! » Ils rigolèrent ensemble, se chamaillant pendant un petit moment avant qu'ils ne se calment. August discuta avec Iris pendant quelques minutes, sous le sourire de Sunny, avant de retourner vers cette dernière et de laisser sa filleule jouer dans sa chambre. Il avait promis de revenir jouer avec elle un peu plus tard. Regagnant le salon, August se rappela des questions de son amie. « Sinon, la croisière, c'était génial. On en a vraiment profité, Willow et moi, pour se faire plaisir, prendre du temps pour nous et nous gâter. » Il sourit, avant de reprendre la parole. « Et j'lui ai enfin dit, pour ma condition ... enfin, pour ma mémoire. J'comptais pas le faire mais ça m'est arrivé pendant notre séjour alors ... j'ai pas vraiment eu le choix. Mais j'aurais dû le faire depuis longtemps déjà. » Sunny elle-même avait suggéré à August de le faire, avant qu'il n'ait une perte de mémoire qui aurait pu impacter sa relation avec Willow. C'était arrivé. Heureusement, elle s'était montrée très compréhensive et ne lui en avait pas voulu de ne pas avoir parlé auparavant de son accident, et surtout des séquelles de celui-ci.

A la simple mention d’Iris qui l’attendait sagement dans sa chambre, August se levait pour se mettre en quête de la retrouver. Tu le suivais au pas, un léger sourire sur le visage,tu avais presque des petites cornes rouges qui te poussaient sur la tête à mesure que vous vous rapprochiez de sa chambre. Il poussa la porte, la cherchant du regard mais elle n’y était pas. Elle était caché dans ta chambre, arrivant à pas feutré derrière lui pour lui faire peur « Yeah ! T’es la meilleure ! » Tu attrapais ta fille pour l’embrasser sur la joue avant de la reposer au sol, elle s’était mise à danser pendant qu’August la prevenait que sa vengeance serait terrible. Iris ne pouvait s’empêcher de rire avant de filer à toute vitesse dans sa chambre où elle allait sûrement reprendre son coloriage, peut-être lire un livre le temps que tu profites de ce moment avec ton ami. « Je suis vraiment contente pour toi ! » Un grand sourire naissait sur ton visage à mesure que tu l’entendais parler. Mais il y avait un mais qui ne tardait pas à se montrer. « August ! Je te l’avais dit mais j’espère que ça s’est bien passé. » Tu ne voulais pas avoir l’air condescendent, ce n’était pas du tout ton genre. Au contraire, tu ne voulais pas que ce petit secret puisse provoquer une plus grosse dispute que ça ne pouvait l’être réellement. « D'ailleurs, pardonne mes manières mais tu veux boire quelque chose avant qu'on passe à table ? » Tu ne savais pas trop où tu avais la tête, mais clairement pas sur les épaules puisque tu étais assise tranquillement face à lui avec ton verre de vin à la main alors que lui n'avait toujours rien à boire et qu'il était arrivé depuis presque un bon quart d'heure si ce n'était pas plus.

Fière de sa petite, qui était aussi sournoise qu’elle par moment, Sunny avait embrassé Iris sur la joue en la levant dans les airs comme une championne, avant de la redéposer les deux pieds sur terre. August en avait profité pour se relever complètement, après leur séance de chamaillage et la peur bleue qu’il avait eue. « Ouais elle a eu un sacré coup de main de sa mère, aussi ! » Si Sunny avait aussi rapidement mentionné sa fille et son impatience de voir son parrain, c’était parce qu’elle était dans le coup elle aussi. August secoua la tête en riant, avant de regarder Iris filer de nouveau vers sa chambre pour s’occuper pendant que sa mère et son parrain retournaient vers les cuisines. Elle savait, Iris, qu’ils avaient parfois besoin de se retrouver entre adultes. En échange, August lui réservait des moments privilégiés, rien que tous les deux. « Ça s’est bien passé, oui, bien mieux que je pensais. Elle n’a pas du tout mal pris le fait que je le lui ais caché, en quelque sorte … Elle était surtout inquiète, en fait. Inquiète de l’évolution, des répercussions, tout ça. » August baissa les yeux et haussa doucement les épaules, voulant dédramatiser la situation, même si ce qu’il ajouta était loin d’aider. « Elle a sans doute raison d’être inquiète, en plus. J’ai pas osé lui en parler, pas après tout ça mais … j’ai l’impression que mes pertes de mémoire, mes absences, se font de moins en moins distancées. » Son prochain rendez-vous de suivi avec son neurologue était dans deux mois, environ. Il attendrait. Ce n’était peut-être que la fatigue, à force de jongler entre la rhumerie et l’école. Sunny lui proposa alors de boire quelque chose. « Je prendrais bien comme toi, du vin, s’il-te-plaît. » Demanda-t-il avec un mince sourire. August ne refusait jamais un bon verre, peu importe ce que c’était sauf de la tequila.

« Tss ! Tu n'as aucune preuve d’abord ! » Tu secouais la tête avec un très léger sourire sur le visage. Bien sûr que tu étais dans le coup, Iris t'avait demandé de l'attirer à elle afin de pouvoir le surprendre et comme une enfant, tu t'étais prise au jeu parce que tu trouvais ça vraiment drôle et intéressant pour passer à côté de cette chance. Une fois tout revenu à la normal, de retour dans la cuisine, tu l'écoutais te parler de Willow, de ses problèmes et de sa grande annonce. Soulagée d'apprendre que le couple ne s'était pas disputé et qu'elle avait été très compréhensive. Tu ne connaissais pas cette Willow, mais plus tu entendais parler d'elle, plus tu l'aimais. Elle semblait vraiment douce, attachante et compréhensive. C'était la personne idéal pour ton ami, alors le savoir si heureux, ça te faisait chaud au cœur. « Ce qui est tout à fait normal. » Les pertes de mémoires d'August étaient assez aléatoire, c'était déjà arrivé avec toi, il y a longtemps, lorsqu'il devait récupérer à l'école et que tu avais reçu un appel de son professeur deux heures après. Pendant des jours entiers, il s'était excusé mais jamais tu ne lui en avais voulu, c'était plus fort que lui, c'était indépendant de sa volonté. Par chance, ça ne s'était pas renouvelé avec Iris, mais tu restais toujours vigilante au cas où. « Tu as consulté ? » Autant, depuis deux ans, depuis son accident, il avait eu quelques trous de mémoires mais si ça se rapprochait, c'est que quelque chose clochait. Le savoir, t'inquiétait un peu maintenant mais il ne fallait pas s'en faire tant qu'il n'y avait pas de verdict. « Et voilà. » ajoutais-tu avec un petit sourire en coin en posant son verre de vin juste devant lui. Tu levais le tien, pour porter un toast. Entre lui et ses pertes de mémoire, et toi avec ta perte de boulot, vous étiez vraiment bien lotis. Mais lui avec Willow pour s'en sortir, ainsi que toi. Quant à toi, tu l'avais lui et tu avais Iris.

Après la blague d’Iris fortement aidée de Sunny, les deux adultes étaient repassés à la cuisine où August s’était confié sur ses pertes de mémoire plus fréquentes et l’annonce de celles-ci à Willow. Somme toute, ça s’était bien déroulé, malgré le contexte de cette mauvaise nouvelle. Après tout, cette croisière aurait dû être un moment de détente, des vacances joyeuses, et pas noircies ne serait-ce qu’un peu par cette condition désagréable chez August. Heureusement, Willow s’était montrée compréhensive et attentionnée, et il savait maintenant qu’elle le soutiendrait à travers les épreuves à venir. Et puis, August était digne de confiance, Willow devait forcément savoir qu’il n’utiliserait jamais son état neurologique à son avantage, en prétextant avoir eu des pertes de mémoire pour se sortir d’une situation embarrassante. Ce n’était pas du tout son genre, et là-dessus, Willow pouvait dormir tranquille. C’était toutefois August qui dormait de moins en moins sur ses deux oreilles, en sachant que son état pourrait se dégrader au fil des années. C’était ce qui semblait être en train de se produire, même s’il préférait ne pas dramatiser et attendre son rendez-vous de routine. « Pas encore, j’ai mon rendez-vous dans deux mois, je verrai d’ici-là comment ça se passe et avec les scans, on verra à ce moment-là si y’a changement ou pas. » Tout pouvait jouer, ce pouvait autant n’être que la fatigue que carrément être une aggravation de ses lésions. Il valait mieux ne pas trop stresser là-dessus, en attendant de connaître les explications. Sunny lui demanda finalement s’il désirait boire quelque chose, elle qui sirotait son verre de vin depuis son arrivée. August ne se fit pas prier pour recevoir la même chose. « Merci. » Dit-il avec un sourire. Ils trinquèrent, comme à chaque fois, sans pour autant trouver une raison de le faire. Même dans le silence, ils savaient qu’ils trinquaient à eux, à cette amitié qu’ils chérissaient plus que tout. « À ton tour, maintenant. Tu veux me parler de ce qui t’as mis les larmes aux yeux, tout à l’heure ? » Les blagues d’Iris et les problèmes d’August avaient peut-être chassé loin ces pensées plus sombres, mais August n’oubliait pas que sa meilleure amie avait elle aussi ses démons, qu’elle avait besoin de lui pour l’épauler à travers ce qu’elle vivait.

Tu hochais la tête doucement en entendant les mots de ton ami, même si une question te brûlait les lèvres et lorsque tu eus la parole, tu la posais sans attendre. « Tu n'as pas voulu l'avancer en voyant que tes épisodes se rapprochaient ? » demandais-tu en fronçant doucement les sourcils. Peut-être qu'il pensait que ça ne servait à rien de se précipiter et de laisser un peu de temps, en plus en deux mois, il aurait sûrement le temps de voir mieux l'évolution de tout ça. Une fois son verre de vin servi et la conversation sur sa maladie plus ou moins close, il était temps de revenir au premier sujet de la soirée. Celui pour lequel tu l'avais appelé, celui pour lequel tu allais encore te retrouver à pleurer sur ton épaule. Celui que tu redoutais un peu parce que ce n'était pas très glorieux pour toi et même si August t'avait toujours soutenu, tu avais cette petite boule dans le creux de l'estomac. « Je te préviens, ça ne va pas être très joyeux. » Tu soupirais un grand coup, avalant ta salive avec un peu de difficulté. Tu ouvrais la bouche pour lancer le sujet mais rien n'en sortais. Tu pris alors ton verre de vin pour en boire plus de la moitié d'une traite, après quoi, tu serais capable de raconter n'importe quoi. Mais tu allais commencer par la vérité. « Je suis suspendue pour le moment et j'ai des chances d'être virée. » Il y avait très peu de chance pour que ton erreur passe à la trappe. Tu n'avais aucune raison de faire ce que tu as fait et ce n'était pas très éthique tout ça. Maintenant, tu ne pouvais pas non plus revenir en arrière, tu ne pensais pas que ça se saurait et c'est là que tu avais eu tort.

Alors qu’il confiait ses craintes, son prochain rendez-vous et son désir d’attendre les résultats avant d’en parler à Willow, ou avant de lui-même céder à la panique, il voyait bien que Sunny avait une question qui lui brûlait les lèvres, ou au moins une inquiétude en tête. D’ailleurs, quand il termina sa phrase, elle lui demanda sans plus tarder s’il n’aurait pas pu devancer son rendez-vous en voyant son état qui semblait dépérir, ne serait-ce qu’un peu. Il hocha la tête, sentant son cœur se contracter un peu plus dans sa poitrine, envoyant une décharge de nervosité dans tout son corps. Il serra la mâchoire, un moment, se contrôlant un peu, avant de déclarer : « J’aurais pu. But I’m too fucking scared. Si j’peux vivre dans le déni encore un peu, j’vais le prendre, ce temps … » Avoua-t-il. Il n’y avait personne d’autre qu’avec Sunny qu’il s’ouvrait autant, August, sur ses peurs et sur ce qui prenait toute l’espace dans sa tête. Même avec Willow, il n’avait pas cette même tendance à tout dire, comme s’il voulait la protéger de ce qui l’angoissait lui-même. C’était plus facile de passer à travers ses journées en ne voyant pas constamment l’inquiétude dans les yeux de la femme de sa vie. Après avoir discuté davantage de la condition du trentenaire, Sunny lui proposa finalement une coupe de vin qu’il ne refusa pas, surtout vue la soirée de confidences qui s’installait peu à peu. Ce fut au tour de sa belle amie de le faire, d’ailleurs. Ça lui donnerait un petit moment de répit, même s’il ne doutait pas une seule seconde qu’il n’aimerait pas ce qu’il entendrait. Il détestait voir Sunny triste, peu importe la raison. Quand elle lui dit que ça ne serait pas joyeux, il posa sa main sur celle de la jeune femme, comme pour lui donner le courage de se lancer, et elle le fit. Sa révélation prit August par surprise, car il n’avait aucune idée de ce qui aurait pu la conduire jusque-là. Il ne suivait pas les rumeurs sur les blogs, si certaines venaient jusqu’à lui c’est seulement quand il entendait ses élèves en parler, mais ça n’arrivait pas si souvent. La plupart du temps, il ne connaissait même pas les personnes visées et ne retenait donc pas les noms mentionnés. « Mais qu’est-ce qui s’est passé ? T’as fait une erreur ? » Lui pensait surtout à une erreur médicale, technique, ou quoi que ce soit, mais aucunement à une faute déontologique. Il allait être encore plus surpris.

« Je comprends, et puis attendre, te permettra de voir comment évolue ta maladie avant ton rendez-vous. » Tu comprenais parfaitement que pour lui cette situation n'est pas des plus idéales, à sa place, tu aurais aussi les chocottes de te rendre à ton rendez-vous médical. Mais étant aussi du corps médical, tu savais que repoussais n'était pas toujours une bonne idée, nombre de personnes qui n'ont pas voulu consulter par peur du verdict et quand ils l'ont fait, leur situation était souvent pire et parfois inévitable. « J'ai merdé oui. » soupirais-tu doucement. Tu avais vraiment peur de te livrer, peur de lui dire à voix haute ce que tu avais fait. Heureusement pour te donner du courage, tu avais ton verre de vin, que tu terminais d'une traite. August ne disais rien, il attendait que tu expliques un peu plus la situation. Il devait comprendre que ça t'angoissait et il te laissait le temps de le faire correctement. « J'ai couché avec un de mes patients. C'était un jeu de séduction au début mais avec le départ d'Adrian, l'histoire avec Thomas, je crois que je me suis fait prendre au jeu. » Tu n'étais vraiment pas fière de toi. Coucher avec un patient, ce n'était pas professionnel, mais faire ça sur ton lieu de travail, pendant un rendez-vous, ce n'était vraiment pas mieux. Tu n'avais pas pensé à mal, mais si jamais il avait porté plainte contre toi, on aurait pu t'accuser d'abus de pouvoir et d'attouchement sans consentement. Le genre de scandale qui ruine une vie. Il n'avait jamais porté plainte, tu ne l'avais plus jamais revu d'ailleurs mais pourtant le bruit avait fini par arriver aux oreilles du conseil, qui ne prenait pas ça à la légère. « Ça remonte à des mois maintenant mais l'information à fuité, je ne sais pas par qui ni comment, mais maintenant, je passe en conseil de discipline.. » Et une fois que tu serais passée, tu perdrais ton boulot. Tu n'aurais plus jamais le droit d'exercer dans le paramédical et ça allait te suivre dans ton dossier pour de longues années. Tu allais devoir penser à une reconversion professionnelle et ça t'effrayait déjà.

Il hocha la tête, grimaçant un peu en entendant Sunny parler de maladie. Il n’avait jamais voulu la voir comme ça, sa condition. Il la décrivait comme un traumatisme, comme une séquelle, mais jamais comme une maladie. Pourtant, elle avait tout ce qu’il y avait de plus handicapant, bien plus encore maintenant qu’il lui manquait carrément de nombreux morceaux du casse-tête. Ça en devenait flippant, parfois, quand on lui posait des questions à propos de discussions dont il n’avait aucun souvenir, quand ses élèves revenaient sur des notions du cours dernier alors qu’il n’avait même pas cru l’avoir déjà abordé. Et c’était la panique quand il songeait à ce qui se passait réellement pendant ces bouts de vie oubliés. Qu’avait-il dit ? Est-ce que ses paroles, ses enseignements, avaient du sens ? Était-il en contrôle de lui-même ? Son neurologue lui affirmait que oui, que c’était lui-même qui parlait, vivait, et pas qui que ce soit ou quoi que ce soit d’autre prenant le contrôle de son esprit. C’est juste qu’à un certain moment, le disque dur était effacé, égratigné sur une seule et unique partie, brouillant les pistes à propos de certains moments de la journée. Mais tout ce qui se passait pendant ces périodes était normal, c’était August, personne d’autre. Il oubliait, c’est tout. Et si ces mots l’auraient autrefois réconforté, ils n’étaient maintenant qu’une attaque. Parce que ça ne se minimisait pas, une telle condition. « Exactement … ça me donnera davantage à discuter avec le médecin, et ça lui donnera une meilleure idée à lui de … de c’qui m’arrive, de c’qui faut faire. » Parce qu’August jugeait qu’il fallait faire quelque chose, si ça continuait comme ça. Et il avait besoin de croire qu’il y avait quelque chose à faire – même si on lui avait bien souvent répété que ce n’était pour le moment pas possible. Peu importait pour le moment, il n’y avait rien de plus à dire, alors que Sunny, elle, en avait gros sur le cœur. Aussi bien l’écouter et la réconforter plutôt que de tourner autour du pot sans jamais pouvoir l’atteindre. Elle lui parla de son job, qu’elle avait perdu, de son erreur, et il attendit patiemment qu’elle s’ouvre à lui, même si ça le tracassait. Et quand la brunette lui avoua la vérité, il sentit la surprise déferler sur lui comme un électrochoc. « Tu crois que c’est ton patient qui aurait pu en parler ? Porter plainte ? » Il n’allait pas se mettre à reprocher à Sunny de ce qu’elle avait fait, lui dire que c’était mal, tout ça elle le savait déjà. « Elle est quand, ton audition devant le conseil ? » Peut-être qu’ils ouvriraient enquête, peut-être qu’ils iraient fouiller dans les dossiers et la vie de Sunny alors qu’elle aurait préféré garder cette porte fermée. Elle aurait besoin de soutien, assurément, et August se promit d’être là. Sans jugement. Juste cette amitié inconditionnelle qu’il avait toujours éprouvée pour elle.

August était du même avis que toi. Tu avais bien vu que son regard avait changé lorsque tu avais parlé de maladie parce qu'il ne devait pas encore la considérer comme tel mais c'était un handicap pour lui lorsque ça arrivait puisqu'il ne pouvait pas se souvenir de ce qu'il s'était passé. C'était peut-être encore un peu trop précipité pour lui, qu'en savais-tu après tout. Tu lui demandais très peu comment ça évoluait, souvent c'est lui qui t'en parlais mais tu n'avais rien de plus à lui offrir qu'une oreille attentive. Tu n'étais pas neurologue et tu ne t'avancerais pas sur ce terrain là. Tu n'avais pas grand chose à ajouter, tu attendrais toi aussi que son rendez-vous passe pour venir prendre des nouvelles de tout ça. « Je ne crois pas, en tout cas, il n'avait pas eu l'air d'être mécontent mais qui sait.. » Tu ne pouvais pas vraiment savoir de qui venait la fuite. C'était lui qui avait lancé le jeu parce qu'il n'arrivait pas à se détendre pour sa séance et tu avais essayé de le mettre dans une autre ambiance mais tu avais fini par l'embrasser. Une chose en entraînant une autre, ça s'était passé d'une façon bien différente de ce que tu faisais d'habitude. Et même si c'était contre tes principes parce que tu voulais être une bonne professionnelle, le manque avait fait que tu n'avais pas su résister. « C'est dans deux jours. » Tu attrapais ton verre de vin pour le finir. Jouant avec ton doigt le long du rebord avant de jeter un coup d’œil à l'horloge. Ce qui te fit sursauter parce que tu ne croyais pas qu'il était déjà si tard et il fallait que tu t'actives un peu. Ne serait-ce que pour ta fille, qui continuait de jouer tranquillement dans sa chambre après son joli coup de maître. « Bon, avec tout ça, est-ce que tu as faim ? » Tu n'avais pas tellement d'appétit mais l'heure tournait et il fallait bien qu'Iris puisse manger pour enfin aller au lit parce que même si tu étais dans l'incertitude pour ta vie professionnelle mais Iris avait école demain et le monde n'allait pas s'arrêter d'avancer pour toi.  

La situation aurait pu être drôle, dans un tout autre contexte, en entendant Sunny lui dire qu’elle n’avait pas eu l’impression que son patient avait été mécontent de ce qui s’était passé entre eux. En d’autres termes, il avait pris son pied. Sauf que les conséquences qui découlaient de cet acte n’avaient rien de drôle, alors August garda son regard sérieux en hochant la tête, ne pensant même pas une seule seconde à alléger l’atmosphère en riant de tout ça. Ça n’avait pas sa place. Ça n’avait rien d’amusant de savoir que sa meilleure amie risquait de perdre son job pour une telle erreur, si humaine. « Ça peut être après-coup, en resongeant, en laissant la culpabilité prendre le dessus … et c’est malheureux, mais comme il est dans la position du client, c’est lui qui a le dernier mot, peu importe ce qu’il ressentait au moment des faits. » Releva August, même si Sunny devait bien être au courant de tout ça, à force d’avoir analysé la situation, repassé les événements dans sa tête, s’être mordu les doigts de sa faute. C’était elle la professionnelle dans l’histoire, et au sens du conseil de discipline, c’aurait été à elle de mettre un terme à la situation avant même qu’elle ne se concrétise. Les véritables sentiments derrière, les envies de chacune des parties, ça n’importait que très peu, au fond. August lui demanda alors quand était son audition, et il fut surpris d’entendre que ce serait dans deux jours. On parlait si souvent des longs délais au cours de telles enquêtes, mais visiblement ils ne perdaient pas de temps pour Sunny. « Au moins … tu seras plus rapidement fixée. Tu n’auras pas à rester dans le néant trop longtemps. » Il essayait de voir le bon côté des choses, August, mais il n’y en avait pas réellement. Sunny allait juste apprendre plus rapidement qu’elle ne pourrait peut-être plus pratiquer du tout. Il n’osait même pas imaginer comment on pouvait se remettre de ça, surtout qu’elle avait tellement travaillé pour en arriver là. Son amie amena finalement le sujet du repas, et même si August avait l’estomac à l’envers en raison de toutes ces révélations, il ne voulait pas s’en aller maintenant et laisser Sunny et Iris manger seules dans une telle ambiance. Il voulait être là pour son amie. « Il serait effectivement temps de passer à table. Je peux t’aider à préparer quelque chose ? » Demanda-t-il en se levant, apportant avec lui sa coupe de vin à la cuisine. « Est-ce qu’Iris commence un peu à jouer à la chef cuisinière ? » Il se l’imaginait, le visage plein de farine, un grand sourire scotché au visage.  

C'était bien vrai ça, comme l'adage le disait, le client était roi. Dans l'histoire, que ce soit lui ou non qui t'ait dénoncé, c'est toi qui allait le plus en pâtir. Malheureusement tu ne pouvais rien faire pour changer la donne puisque tu ne savais pas qui était la source de toute cette histoire. Peut-être la rumeur des Writers qui a fini par faire plus de bruit que tu ne le croyais. « Oui je sais bien malheureusement.. » Tu haussais doucement les épaules, tu jetais un coup d’œil à ton verre vide mais tu n'allais pas en boire un second avant de passer à table parce que tu allais finir par être ivre. Et tu ne voulais pas qu'Iris puisse te voir dans cet état. August t'aiderait sûrement à faire diversion mais si tu pouvais éviter, tu allais le faire. « Je pense que je sais déjà ce qui m'attend. J'ai même commencé à refaire mon CV parce que je vais devoir trouver rapidement un boulot. » Tu voulais espérer mais tu savais qu'il y avait de fortes chances que tu perdes ton boulot. Tu pourrais juste avoir une petite suspension ou être en congés sans solde pendant une année pour que ça se tasse mais tu avais des raisons de penser que ça ne se ferait pas. « J'ai juste à faire réchauffer mais si tu veux, tu peux aller chercher Iris. » ajoutais-tu avec un léger sourire alors qu'il te posait une nouvelle question. « Pas tellement, seulement quand on fait des crêpes mais on en fait pas si souvent. » Tu n'aimais pas tellement cuisiner, tu le faisais parce qu'il fallait qu'Iris puisse avoir quelque chose d'équilibré dans son assiette mais si tu avais été seule, tu n'aurais jamais pris la peine de faire des légumes sautés. Contrairement à ta fille, tu étais bien plus sucré que salé et tu pourrais te nourrir exclusivement de gâteaux. « Elle est plus du genre à jouer au docteur avec ses poupées. » Tu rigolais doucement, avec deux parents dans le monde de la médecine, ce n'était pas tellement étonnant. Elle avait toujours grandi avec vous qui parliez de vos journées, de vos patients et de votre travail pour leur venir en aide. Forcément, ça avait fini par faire son bout de chemin dans son esprit. August se levait alors pour la chercher et tu en profitais pour dresser les assiettes. Une fois tout le monde assis à sa place, tu repris la parole. « Bon appétit ! » Tu attrapais ta fourchette pour commencer à manger.