(woody) what a lovely night.

Elle avait raison sur un point, Ruby, là-dessus elle pourrait se vanter de bien l’avoir saisi, oui : il jouait un jeu. Il était devenu un acteur dans sa propre vie, suivant un script préétabli pour être bien certain de ne pas se perdre dans un flot de sentiments dans lequel les humains se laissaient bien trop souvent couler. Il jouait le fier et fort Woody, celui qui ne dépendait de personne, celui qui avait de l’assurance à revendre, celui qui n’avait besoin de personne pour l’élever parce qu’il était déjà bien assez haut comme ça. Ce n’était qu’une façade, Woody cachait bien des faiblesses qu’il s’efforçait de garder pour lui, de peur qu’on ne le voit plus jamais de la même manière. Il préférait renvoyer une fausse image plutôt que de présenter au monde entier ce qu’il était réellement. Et pour maintenir cette réputation, Woody se devait d’être seul, oui. Parce que dès que les rideaux se fermaient, dès qu’il se retrouvait protégé entre quatre murs, il se permettrait de s’écrouler, Woody. Il laissait sa force s’affaisser, et se laissait crever à petit feu. « Personne ne veut être seul ? Ah, d’accord, je ne savais pas que tu détenais la vérité concernant les êtres humains au grand complet, Ruby. Je ne savais pas que parce que toi tu ne voulais pas un truc, personne ne le voulait. » Lâcha-t-il d’abord, avant d’ajouter : « Et bien franchement, ne vois-tu pas la différence entre une nuit passée avec une femme et une éternité à ses côtés ? Y’a peut-être bien souvent une fille dans mes draps mais au final, personne ne s’endort dans mes bras. » C’était bien mieux comme ça, de toute façon. Woody n’avait aucune chaleur à offrir aux autres, il n’était qu’un corps perdant peu à peu sa vie, il devenait un fantôme à vue d’œil. Il s’effaçait. Et au petit matin, qui sait dans quel état il se trouverait. Il valait mieux qu’il le vive seul, ce réveil, parce qu’un jour ce serait la fin, et il voulait la vivre seule, celle-là. Voilà ce que Ruby ne semblait pas saisir, parce qu’elle ne pouvait pas comprendre. Et alors qu’elle fuyait, alors qu’elle abandonnait l’argument, Woody lui lança qu’elle avait peur, que c’était pour cette raison qu’elle s’en allait précipitamment. Elle avait peur de ressentir quelque chose, et en la poussant à ce point à bout, Woody finirait par la briser. En se brisant lui-même, du même coup. La rousse rebroussa chemin et, avec une violence qui le prit surtout par surprise, elle le colla au mur. Woody se laissa faire, par la suite, laissant son dos bien appuyé contre la brique même s’il aurait pu reprendre sa liberté n’importe quand. Sauf que leurs regards étaient plongés l’un dans l’autre, ils se scrutaient en silence, à la recherche d’une quelconque réponse, d’une ressemblance, d’une étincelle autre que la haine. Elle sembla les trouver, puisqu’elle se détendit, et laissa seulement ses doigts agrippant son t-shirt, avant de déposer ses lèvres sur la joue d’un Woody complètement déconcerté. Il ne dit rien de tout son monologue, son discours qu’il aurait très bien pu lui réciter à elle mot pour mot, sauf que si lui ne s’était pas jeté du haut d’un point, il avait quand même tiré un trait sur le restant de sa vie depuis un bon moment. Après avoir effleuré ses lèvres des siennes et être retournée vers l’entrée du bar, elle lui balança des dernières paroles qui le laissèrent encore plus vide que quelques minutes plus tôt. Il resta sans doute cinq minutes seul, dehors, avant de rentrer à son tour dans le bar. Il alla retrouver Ruby, s’assit face à elle, et cette fois c’est lui qui monopolisa le droit de parole : « Alors avant d’boire un coup et de se faire un billard, il faut mettre des choses au clair de mon côté aussi. Si tu ne veux pas être mon défouloir, alors pas question que je sois le tien non plus. Tes envies sexuelles incontrôlables et incohérentes, tes confessions overdramatiques qui visent, je sais pas, peut-être à me faire culpabiliser ou d’quoi, puis tes psychanalyses de ma personne alors que t’as pas tous les éléments … tout ça, j’n’en veux pas. » Il n’était pas un pantin dont on faisait ce qu’on voulait, Woody. Il avait le contrôle sur ce qui se passait, il avait son mot à dire, et si Ruby comptait faire de lui un instrument de manipulation, alors elle le verrait bien disparaître. Il continua : « J’suis pas mieux que mort non plus, Ruby. Parfois, se battre contre l’inévitable, c’est se battre contre soi-même. » Il haussa les épaules, fit signe au barman de lui amener la même chose que Woody, et il se cala contre le dossier de sa chaise.

Il était pathétique. Pourquoi diable restait-il ? pourquoi diable voulait-il chercher le conflit ? ça n’arrangerait en rien nos rapports. Je détestai peu de gens. Personne à vrai dire. « Je te hais. » J’avais craché ses mots venimeux. Mon poing se serra. Tout mon être le haissait. Tout mon être voulait qu’il disparaisse. Et pour la première fois, je voulais le ruer de coups jusqu’à temps qu’il se taise. Jusqu’à temps qu’il arrête de s’en prendre à moi. L’étau autour de mon crâne, la pression était trop forte. J’allais finir par exploser. Pourquoi ? Pourquoi sa colère était-elle donc dirigée vers moi ? Je décide donc d’y mettre un terme en lui tournant le dos. Ce n’était pas que je voulais ressentir quelque chose. C’est plutôt ce que j’avais peur de faire. Dans un cri de rage, je la plaquai contre le mur. Le souffle court, je scrutai la noirceur de son âme. Et là, je compris. Ça le faisait se sentir vivant. De s’en prendre à moi. Je sentis mes ongles rentrer dans la paume de ma main, je sentis la vive douleur sur le coup sans rien dire. Alors, je me confiai. Je savais qu’il allait se foutre de ma gueule sans doute me cracher quelque chose au visage. Mais je m’en foutais. Je voulais juste que ça s’arrête. Un baiser plus tard, je suis assise sur une chaise. Sur un tabouret. J’ai l’impression d’être vide. Quelle image donnai-je de moi ? Je pensai avoir jeter un drapeau blanc. Un cessez le feu mais le voilà qui s’en prenait de nouveau à moi. Je sens l’étau qui se resserre de plus en plus. Alors, je prends ma tête entre mes mains. la douleur devint insupportable. J’en avais assez de me battre. Je ne suis pas douée pour me battre. Je n’ai pas envie de faire du mal à quelqu’un. Je n’avais pas envie qu’on me voit comme ça. « Arrête, s’il te plait, le suppliai-je. » Overdramatiques ? Ma vie sexuelle étrange ? Je n’ai eu qu’un seul rapport de toute ma vie ? Il avait gagné. Il avait pris une batte et il l’avait abattu sur moi me laissant au sol. Ses paroles tournaient dans ma tête. Je ne remarquai même pas que je tremblai. Ou même que je pleurai. La tête toujours dans mes mains, le visage baissé. Une crise d’angoisse. Alors j’attrapai mon téléphone, le souffle court. J’allais composer le numéro de Freja lorsqu’un de mes amis de début de soirée vint se poster entre nous. Ma respiration plus sifflante, mon visage en proie à des larmes incontrôlables. Overdramatiques. Tes envies sexuelles incohérentes et incontrôlables. « Un problème ? » Il suffirait d’une parole pour qu’il fracasse Woody. J’en avais envie. Une partie de moi avait envie de lui faire aussi mal qu’il me l’avait fait. Je chasse alors mes larmes d’un revers de manche découvrant par la même occasion l’un de mes poignets bandé. « T… T… T… » Incapable de parler, incapable de dire quelque chose. Le géant tape du poing sur la table avant de regarder Woody. Je me sens devenir toute petite dans ma coquille. « Tu lui as fait quoi, toi ? » Je pose ma main tremblante sur la sienne avant de hocher la tête à la négative. Je renifle alors. Consciente que ce geste est peu séducteur. « On parlait de Sally, voilà tout. » Oui et il s’est foutu de ma gueule. Parce que c’est un monstre. Mon ami se détend avant de poser une main conciliante sur mon épaule. J’attrape donc mon téléphone pour chercher à envoyer un message. SOS. Rien de plus, rien de moins. Puis vaincue, j’attends. Je reste là à attendre. « Va-t-en s’il te plait, implorai-je, je… je… je… » Je ferme les yeux, parler m’était devenu trop douloureux. Pourquoi m’expliquer ? Pourquoi parler ? Il allait retourner la situation, être méchante ou bien. Je reprends alors ma tête entre mes mains, relâchant mes épaules et ma peine. Les autres comprenaient, les autres étaient sympa. J’avais perdu toute ma famille. Il ne restait plus rien. Il n’y avait que lui pour demeurer monstrueux. Car dans le fond, c’est ce qu’il était. Un monstre.

Une de plus, une de moins. La liste était si longue, de ceux et celles qui détestaient Woody, à tel point que plus personne ne s’y intéressait. C’était loin d’être la première fois qu’on lui crachait de tels mots de haine au visage, à Woody, et bien honnêtement, provenant de certaines personnes, ça ne lui faisait plus ni chaud ni froid. Comme si on pouvait s’adapter, s’habituer, à être détesté. Comme si ça pouvait devenir normal. Il regarda donc Ruby serrer ses poings alors qu’émanait d’elle toute cette hargne à son égard, sans broncher. Il la regarda s’éloigner, lui cria ses dernières attaques, pensant qu’elle continuerait son chemin sans plus jamais se retourner. Ce ne fut pas le cas, elle revint à la charge, mais Woody n’avait de toute façon pas non plus dit son dernier mot. Alors même après cette violence mélangée à la douceur d’un baiser dont Ruby avait fait preuve, il continua à frapper, toujours frapper, de ses paroles cruelles qui laissaient bien entrevoir qu’il n’avait plus de cœur. Ou alors qu’il ne s’autorisait plus à montrer qu’il en avait un. En effet, alors qu’ils auraient pu dévoiler le drapeau blanc, le hisser au-dessus de leur tête et le regarder planer en silence, Woody décida de repartir l’affront, en martelant Woody des vérités qu’il voyait en elle. Elle le suppliait d’arrêter, elle menaçait d’éclater en sanglots, et pourtant il avait été jusqu’au bout de son idée. Il fallait que ça soit dit, entre eux. Ça passerait ou ça casserait. Ça avait cassé, ça aurait cassé même sans l’aide de son ami qui était venu à sa rescousse et que Ruby avait gentiment détourné de leur conversation. Il ne comprenait pas trop pourquoi elle l’avait indirectement protégé, d’ailleurs, en lui évitant de se prendre un coup de poing en pleine gueule. Il ne chercha pas à comprendre, encore moins quand Ruby lui demanda de partir. Il hocha la tête. « Très bien. » Et avant même que sa bière n’eut le temps d’être posée sur leur table après qu’elle ait été commandée, Woody se leva, jeta un billet de dix dollars sur la table. « Au moins, tu pourras pas me reprocher, cette fois, de ne pas avoir été honnête. » Elle prit sa tête entre ses mains, tandis que lui tournait le dos à cette scène et s’éloigna, quittant le bar sans se retourner. S’il l’avait fait, sans doute aurait-il laissé la culpabilité l’envahir et ça, il ne pouvait pas se le permettre.  

TERMINÉ