(Jaeby) full of love, full of light, full of fight 'cause i'm back from the dead tonight.

L’été durait plus longtemps en Australie qu’en Europe. On pouvait aisément passer notre temps à flâner tant le temps était clément. Il ne pleuvait quasiment jamais. Et pourtant, je n’ai jamais eu autant le mal du pays que lors de cet été. D’habitude pendant la pause estivale, Sally et moi rentrions au pays pour retrouver nos proches. Mais Sally et proches il n’y avait plus. Il ne me restait que Zéro, le chat, Monsieur Moustache et mon furet. Tout ce joyeux monde du royaume animal qui ne remplaçait en rien, les rires, les sourires et la chaleur d’une étreinte affectueuse. Je ne parle pas de sexe car la chose ne m’a jamais intéressée, je parle bien entendu d’un lien fraternel si fort qu’on croit voir l’être aimé à tout instant. Je reste cependant toujours la même. La sage et la gentille Ruby. Ragdoll comme on m’appelait. C’était pourtant mon ainée qui en portait le patronyme mais j’étais la rouquine. Toujours demeurée fidèle à ma tignasse de feu. A moi-même. J’aimais mes cheveux et dans le fond ne faisait-il pas partis intégrante de moi-même ? Je portais le prénom d’une pierre précieuse couleur sang. J’inspirai doucement tandis qu’assise sur le muret, je regardai la jetée en contrebas. Les vagues déferlaient telles de gros rouleaux. Je me souvenais ma tentative de suicide. Je suis tombée. Négligente et maladroite. Pourtant toujours en vie. On m’a hospitalisée de force. Il faut me nourrir, continuer à me lever, à vivre comme si ce jour serait le dernier. C’est pour cette raison que je fume cigarette sur cigarette, que je bois outre mesure et que je me suis essayée à des choses que je n’aurai pas faites auparavant. La sage et la douce Ruby.

Mes cheveux tombaient négligemment sur mes épaules devenues frêles. Une robe qui m’appartenait cette fois-ci couvrait mon corps. Zéro, mon cavalier king charles, fidèle compagnon dormait à mes côtés. Les mégots commençaient à s’accumuler en bas. Mais je m’en foutais. Je battais des jambes en l’air comme une sorte de toc. La brise était douce et le soleil commençait à se coucher. Le ciel se fit orange, rose. Je ne bougeai pas d’un cil tandis que derrière moi, Bowen s’activait. Dans quelques jours, je devrais reprendre le trajet des plateaux. Mettre de côté mon envie de dessin, cette BD sur laquelle je travaillais et faire comme si tout allait bien. « Tout va bien, murmurai-je comme pour moi-même. » Je n’ai tué personne, je n’ai même pas eu d’aventures. Je me contente de me lever, de respirer, d’être une sorte d’automate. Mon regard éteint se perdit dans le vague et mon chien se rapprocha pour poser sa tête sur ma jambe. Distraitement, je caressai la tête du canidé. Puis, je pris une profonde inspiration pour essayer de me résoudre à bouger. Je ne sais pas si c’était la destinée. Mais si j’avais tourné la tête une seconde trop tard ou trop tôt, je ne me serai pas heurtée à ce corps familier. « Pardon, j’avais la tête ailleurs, dis-je en me frottant frénétiquement la tempe. » Puis, je levai les yeux, toujours assise sur le mur vers l’homme que j’avais percuté. Putain, on me fait une blague. Encore une énième fantôme de mon passé. Et pas des moindres puisque je lui avais gâché la vie. « Sa… » Je pris une inspiration. « Sa… salut J… J… Jaeden. » Je ne suis plus si docile maintenant. Je ne suis plus qu’une fille brisée par les évènements face à l’homme dont j’avais foutu la vie en l’air. Sans doute ma plus grosse connerie. Ma seule erreur.

Son regard se perdait dans l’ensemble de la pièce, tout était rangé comme la propriétaire voulait, les cartons étaient dans chacune des pièces souhaitées, le lendemain il s’occuperait de tout déballer et ranger comme s’il n’avait pas déjà assez fait ça de sa vie, comme si ça l’intéressait vraiment. Un coup d’œil sur sa montre, pile à l’heure. Il ne tardait pas à prendre ses affaires et dévaler les marches pour sortir de l’immeuble. Ses collègues étaient déjà partis, il rentrerait à pied, passant sans doute dans un bar en prétextant que ça le décompressait de boire un peu en voyant des gens. Puis il irait récupérer ses deux amours qui apprenaient à gambader dans la maison de son père. Jaeden prévoyait ses journées, s’installait une routine, ce qu’ils n’avaient pas fait pendant des années, à chaque fois il vivait avec le rythme et c’était ce qui l’animait le jeune homme. Il se remettait doucement dans cette vie dictée par l’horloge, un jour ça lui passerait, il n’y penserait plus à son passé. Ou alors il ferait tout pour y replonger dedans bien que ça relevait de la mission impossible. Clope dans le bec, Jaeden tournait la molette de son briquet plusieurs fois, parvenant difficilement à y faire apparaître du feu. Il fumait trop, ses briquets se perdaient tous ou rendaient l’âme plus rapidement qu’il ne le voudrait. Le bruit des vagues fredonnaient dans ses oreilles à défaut d’avoir oublié ses écouteurs, sa musique qu’il traînait avec lui du matin jusqu’au soir. Il n’était jamais contre un moment de silence, ce moment où son cerveau se mélangeait entre les souvenirs et le moment actuel où tout devenait un grand n’importe quoi. Il laissait s’échapper la fumée d’entre ses lèvres, ses yeux suivaient doucement le paysage, l’eau qui clapotaient sur les roches, le sable, le peu de gens qui se baladaient côte à côté ou avec leurs animaux.Il avait l'impression d'être au premier rang d'un vieux film où les plans seraient centrés sur le monde parfait. Jaeden fut vite interrompu dans ses pensées, manquant de percuter quelqu'un au passage. Il aurait bien dit quelque chose, il se serait bien excusé mais la vision qu'il avait lui faisait remonter des souvenirs qu'il essayait d'enfouir sous les tapis de sa mémoire, ce genre de souvenir honteux qu'on ne voudrait plus jamais voir réapparaître. Pourtant, il fallait bien croire que ça lui poursuivrait longtemps. Ruby, ça faisait bien longtemps qu'il avait passé sa rancœur, celle de devoir accepter que pour le bien de tous, il devait se retirer de ces missions. « C'est pas ta faute. » Lui avait l'esprit ailleurs. Et encore maintenant, il essayait de ne pas continuer sa route, pas qu'il lui en voulait, juste qu'il ne savait pas quoi lui dire. Qu'il savait qu'une retrouvaille pareille ne pourrait s'avérer que gênante, qu'au fond, ça le pinçait un peu au cœur. « Salut Ruby. » Un sourire s'affichait sur son visage pour essayer de la mettre un peu plus sereine, elle bégayait, est-ce qu'elle avait peur ? Il n'en savait rien. « Tu bégayais moins dans mes souvenirs. » Lançait-il avec un ton qui se voulait rieur. Il faisait plus une référence malsaine à quand elle avait criée son prénom plusieurs fois quand il était en mission, quand elle avait tout ruiné, elle n'avait pas eu l'air d'avoir du mal cette fois-ci. Il se sentait horriblement con face à elle.

Ma vie est comme l’eau. Insaisissable. Elle s’échappe relativement vite comme un torrent. J’ère dans cette ville sans but, à la recherche de mon mari pour obtenir le divorce. Un mariage raté à Las Vegas, une solitude recherchée. Je n’ai plus personne dans ma vie. Il me reste un peu de famille éparpillée en Ecosse, des grands parents, un oncle sans doute mais je ne voulais pas les revoir. Je ne suis plus qu’une coquille vide, brisée qui ne peut plus parler. Mon bégaiement a régressé au fur et à mesure des semaines. Je me répète la même litanie pour y palier mais c’est peine perdue. « J… J… Je s… s… suis pl… plus f… f… forte qu… que le b… b… bégaiement. » Echec. Je me sens comme un vieux logiciel qui plante. Zéro couché à côté de moi, je fixe l’horizon. Je répète cette phrase cent fois, un peu trop mais je n’arrive toujours pas à la prononcer. Alors devant cet échec cuisant, je me retourne pour partir mais je rentrai assez vite dans quelqu’un. Sur mon épitaphe on lira : ci gît Ruby, une nullité impressionnante qui bégayait. Je lève le regard pour croiser un assez familier. Marron comme le chocolat, brillant mais pas de joie. Jaeden. Ça remontait à quelques années maintenant, j’en ai perdu le fil. Un appel un peu trop insistant et une vie foutue en l’air. Une vie que j’ai détruite. La honte s’abat sur moi et je baisse le regard pour regarder un instant mes chaussures. Une main négligente passe dans mes cheveux alors qu’il me salue. Bien sûr, il ne peut s’empêcher de faire une remarque sur ma capacité à communiquer avec les gens. Je hausse les épaules. En quoi ça intéressait quelqu’un ? Je soupire alors avant de me lever, imitée par mon chien. « ç… ç… ç… ça m… m… m’a f… f… fait pl… pl… plais… plaisir de t… t… te r… r… revoir. » Je dis ceci péniblement. Alors j’ose enfin croiser son regard, toujours prise de remords quelques années après. « P… P… P… Pardon en… en… enc… encore u… u… une f… fois. » J’en ai payé les frais. J’ai même tenté d’échapper à cette vie mais sans succès. Le gros hématome sur ma tête le prouvait. Les blessures cicatrisent mais pas celle que j’ai dans mon cœur.

Il ne saurait dire si les traits de ce visage le torturait, s'il lui faisait regretter de nouveau son choix. Celui d'avoir abandonné son métier pour le bien de ses proches, de ses amis, pour ne pas un jour avoir le regret d'apprendre que leur tête toucheront le seul, que leurs corps se retrouvent sans vie parce qu'ils avaient des informations trop privés. Si quand il s'était engagé, il avait conscience des risques, ou alors qu'il était dans l'excitation total d'avoir eu le métier qu'il voulait, celui que tout le monde idéalisait dans les films, il savait les risques. Il n'avait simplement jamais eu de problème et fuir avait été la meilleure solution à ça. Parce qu'au final, la mission n'avait pas été un échec, il avait quand même réussit à finir ce qu'il avait commencé, du moins ses collègues l'avaient aidé, Jaeden avait fauté mais était arrivé au bout de ce qu'il devait faire. Quelque part, il aurait pu passer à autre chose, effacer ce souvenir de sa mémoire. Mais cette femme à la chevelure flamboyante avait été comme un déclic ou un dégoût du risque pour quelques instants, ces quelques instants où il avait signé ses papiers pour démissionner plutôt que d'attendre que ça lui passe, parce qu'il avait largement regretté son choix et pendant un bon nombre de mois. Maintenant il faisait genre qu'il était passé à autre chose, pour lui et ses enfants, mais il lui restait l'envie du défi. Le jeune homme lui balançait quelque chose de maladroit sans doute, parler du défaut d'une personne ne faisait jamais plaisir, elle devait l'entendre à longueur de journée ce mot ; bégaiement. Mais c'était l'amertume qui parlait. Peut-être que ça n'avait fait qu'empirer les choses vus comment elle finissait par lui parler, répétant des lettres, des débuts de mots qu'il essayait de comprendre en se concentrant un peu. Il restait silencieux avant de lui offrir un léger sourire, maigre mais présent. « “Ça m'a” ? Tu comptes t'enfuir ? » Il regardait autour d'eux en riant un peu. Il n'allait pas la retenir, il pouvait aussi continuer sa route, mais puisqu'il était devant elle, autant qu'ils parlent. Après tout, dans le passé, ils avaient déjà été amis, elle avait été une qui comptait beaucoup ou non, ça ne changeait rien. Peut-être même qu'en lui parlant, il se rendrait compte qu'il avait merdé à ne pas reprendre contact avec elle depuis l'accident, il ne l'avait fait qu'une fois à vrai dire, par sms pour lui demander s'il allait bien. Quel loser. « Te pardonne pas … Au final, on n'est pas mort, je boite peut-être un peu parfois, mais ça me donne un style. Je crois. » Il arquait un sourcil en regardant sa jambe qui avait été touchée. Ça ne lui donnerait qu'un style minable, mais c'était déjà ça. « Ruby, ce qui s'est passé … » Il se stoppait, ça commençait trop mal. « Je ne vais pas t'en vouloir toute ta vie, c'est pas de ta faute, c'est moi qui suis un peu con. »

Poser mon regard sur lui. Il fallait que dans tout l’univers je recroise Jaeden au moment où ma vie s’effrite. Plongeant dans l’abysse de son regard, je n’ai jamais autant désirée être un papillon qu’à cet instant. Comme Victoria. M’envoler ou avoir une mort poétique. A la place, j’avais encore toute ma tête, j’étais belle et bien en vie. Face à Jaeden. Je n’ai pas fait grand-chose de mal dans ma vie. Rien pour ainsi dire. Mais tu as tout de même gâchée la vie de quelqu’un, me susurre ma conscience d’une voix sournoise. Je baisse alors la tête, prise de remords. Mon chien sent que quelque chose ne va pas et s’approche de moi pour poser sa tête rousse sur ma cuisse. Je le caresse d’une main aussi tremblotante que ma voix, peinant à m’exprimer, à dire le fond de ma pensée. A exprimer mes excuses. Comment le faire correctement quand on peine à dire un mot sans trébucher dessus. Est-ce que j’allais m’enfuir ? Oui. Partir loin de cette Australie moralisatrice et oublier. Oublier que ma vie n’est désormais qu’un gouffre béant, prêt à m’avaler. Comme le Gouffre de Helm. Je hausse alors les épaules. Je n’ai pas envie de me ridiculiser encore plus. Ou alors j’allais fondre en larmes. Depuis que je m’étais ouverte au chagrin avec Freja, je pleurai tout le temps. En silence. Seule. Avec ma bouteille de vin. J’avais recommencé à mentir à ma meilleure amie en lui disant que tout allait pour le mieux alors que rien n’allait. Il boite. Je déglutis. Je me sens pâlir un peu. Je me rassois pour fixer un point invisible devant moi. « D… d… d… dé… déso… so… so… lé. » Navrant. Trois minutes pour dire un pitoyable petit mot de trois syllabes. Tu n’es qu’une loque ma pauvre fille. Je serre les dents. On pourrait entendre leur grincement à des kilomètres. Alors, je secoue la tête à la négative. « T… t… t’es p… p… pas c… c… con. L’… l’im… l’im… l’imbécile s… s… s… s’est m… m… moi. » Vrai. 100% vrai. « C… c… c… com… comment t… t… t… tu v… v… vas ? » J’ose alors rencontrer son regard empli d’eau, pendu à ses lèvres, anxieuse d’entendre sa réponse.

Il restait là devant elle, essayant de ne pas créer un silence qui pourrait se montrer gênant pour eux-deux. Ça lui faisait de la peine de l'entendre essayer de prononcer un mot qu'il ne voulait plus entendre de sa bouche, qu'il voulait passer à autre chose pour ne pas la détester toute sa vie. Parce qu'au fond elle n'avait rien fait, c'était lui qui s'était montré imprudent, il ne pouvait pas l'empêcher de voyager, de l'avoir reconnu. « Je ne boite que quand je bosse de trop alors t'excuse-pas, ça va passer de toute façon. » Il l'espérait que ça ne l'avait pas endommagé à vie, que cette blessure n'allait pas lui rappeler continuellement cet accident, qu'il ne regretterait pas toute ma vie ce jour où il s'était réveillé pour aller faire son affaire. Peut-être qu'un jour, il se trouverait brave d'avoir fait ce qu'il avait fait, de l'avoir protéger au risque de sa vie, de savoir qu'elle pouvait toujours se tenir debout aujourd'hui. Il regrettait également de ne pas l'avoir mise au courant de son métier, mais ça lui était juste impossible de donner ses informations aux grands nombres, il devait le garder le secret pour le plus de monde possible, y compris ses amis. Il n'y avait que ses employeurs, ses collègues et ses proches qui étaient au courant et même à eux, il ne disait pas ce qu'il faisait en mission. Ils étaient juste au courant d'où il partait et généralement ce n'était pas pour des courtes périodes, même si c'était toujours plus bénéfique quand ses voyages étaient réduits en temps. « T'es pas une imbécile Ruby, tu ne pouvais pas savoir. Je te jure, faut pas que tu t'en veuilles, puis qui sait, si ce n'était pas toi, ça aurait sans doute été quelqu'un d'autre. » Il haussait les épaules, il avait réagi égoïstement, rejetant la faute sur la rousse et son silence n'avait sans doute pas aider à lui enlever sa culpabilité, Ruby s'en était sans doute plus voulu que Jaeden lui en voulait pour son acte. Aujourd'hui encore, parfois, il s'imaginait comment aurait été sa vie si ça s'était passé comme le plan le voulait, mais parfois on ne pouvait pas contrôler les plans et il ne pouvait pas faire sa vie sur des suppositions, ce qu'il s'était passé était passé. Il devait apprendre à ne plus avoir de remord et à ne plus lui en vouloir. « Je vais bien et toi ? » Il allait mieux. Du moins il essayait tous les jours de redevenir le Jaeden qui n'avait pas été brisé par toutes les erreurs de ces deux dernières années et c'était plutôt concluant, il laissait ses problèmes de côté et se vidait la tête, même si parfois ses démons lui revenaient en pleine face. Bowen lui redonnait un nouveau souffle et il se redonnait le droit d'aller bien.

Il était toujours aussi beau Jaeden. Autrefois, j’aurai pu l’appeler mon ami mais j’avais tout gâché. J’ai tendance à briser mes amitiés masculines d’un claquement de doigt. Celle avec Alfie était ma peine la plus récente et pas seulement car il était mon ami, sans doute plus. Mais à mes yeux, Jaeden resterait Jaeden. Lorsqu’il mentionna sa jambe, je me pinçai les lèvres en proie à la culpabilité. Mes épaules s’affaissèrent d’elle-même et je détournai le regard. Je n’ai pas envie de parler, ça m’est devenu douloureux à cause de mon bégaiement. A cause de ma vie en général. Alors, je me contente de caresser distraitement Zéro. Un silence s’installa. Sans doute gênant pour lui mais pas pour moi. J’appréciai la brise du vent sur mes cheveux qui caressait mon visage et qui semblait m’appeler. J’aspirai à la mort, j’aspirai à les rejoindre mais je ne voulais pas faire souffrir Freja. Désormais morte-vivante, je ne pouvais plus respirer, marcher, me nourrir sans éprouver de la peine, sans être coupable d’être encore en vie. Je l’imite tandis qu’il hausse les épaules, je l’imite dans sa posture, sa manière d’être. Jouer la comédie, oui, je sais jouer la comédie. De nouveau du mensonge. J’inspire alors et je tente un sourire. « ça va. » deux mots, et pourtant un énorme mensonge. « T… t… t… tu ne d… d… devrais p… p… pas rester au… au… auprès de m… m… moi. » J’attire le mauvais œil sur moi, sur mon entourage. « J… j… j… je p… p… porte ma… ma… malheur. » Alors, je me dérobe à nouveau, sans rougir me sentant pâlir. Puis, je déglutis avant de passer une nouvelle main dans mes cheveux ne sachant que dire de plus.

Il hochait simplement la tête, quand elle lui disait aller bien. Il n'allait pas remettre sa parole en question, si elle estimait aller bien après tout ce qu'elle lui avait dit. Même s'il n'y avait pas beaucoup de mots qui étaient sortis de sa bouche, sa manière de parler, ses actes avaient changés. Il avait comme au fond de lui, l'impression de l'effrayer. Il faisait peur à la personne qu'il avait tenté de protéger au péril de sa carrière, de sa vie. Et si ce n'était qu'une idée, ça ne l'affectait pas moins. Pendant ces dernières années, il avait renvoyé l'image de lui une personne qui la détestait alors qu'au fond, sa colère s'était assagit, elle ne le dominait plus, parce que les événements avaient fait que la tristesse avait coulée ce sentiment en prenant le dessus et que maintenant, il se sentait neutre, il se sentait presque bien. Une partie vide régnait toujours dans ses pensées, son cœur et son crâne, mais il laissait ce néant de côté, s'occupant l'esprit pour ne pas y plonger entièrement et redevenir l'homme qu'il détestait tant. Peut-être que ce n'était que la surprise de la voir dans cette ville qui le faisait regretter, peut-être qu'il voulait au fond de lui fuir pour ne pas lui dire du mal. Peut-être que plus tard, quand il n'irait pas bien, il regretterait de ne pas avoir passé sa colère sur elle. Mais pour l'instant, il voulait lui laisser une autre chance. « Tu portes malheur ? » Il esquissait un léger sourire, ne comprenant pas vraiment où elle voulait en venir. « Je te l'ai déjà dit, cette histoire à deux ans, tu peux pas estimer toujours porter malheur. Enfin … je ne veux pas que tu penses ça de toi et je m'en veux terriblement si tu le penses de ma faute. » Il ne faisait que s’excuser, chercher à s’expliquer sur son action impardonnable pour son silence, se rendant compte que c’était idiot. Parce qu’au fond il ne savait même pas ce qu’il ressentait en la voyant, de la colère, de la sympathie ou de la mélancolie. « Puis là, qu’est-ce qu’il pourrait m’arriver ? Un ouragan va venir bouffer Bowen en m’emportant le premier ? » Son rire se fit léger alors qu’il regardait la rousse qui se triturait les cheveux sans doute par la gêne. « Puis si ce n’est pas en référence à ça … bah je sais pas quoi te dire, être maladroite ne veut pas dire que t’es une traîne-malheur. » Il haussait les épaules, peut-être qu’elle n’avait trouvée ça que comme excuse pour pouvoir partir, Jaeden n’allait pas la retenir en otage, il pouvait la laisser partir en laissant sa curiosité de côté, en laissant ses questions sur sa présence en ville de côté.

Sans elle, j’étais perdue. J’avais perdu ma boussole, j’avais perdu le nord. J’errai dans cette ville comme une âme en peine. Le dessin animé que j’avais vu récemment me revint en tête. Le pays des oubliés, je finirai aux pays des oubliés car plus personne ne pourrait se souvenir de moi. Je n’avais plus de famille, je n’avais plus de sœurs. Perdant la première en début, perdant ma moitié tout récemment. La cicatrice sur le sommet de mon crâne était un rappel. Le rappel que je m’étais loupée, que j’étais encore en vie. En sursis. Je regarde alors Jaeden, fantôme de mon passé. Des fois, je croyais la voir. Je savais que mon imagination me jouait des tours, que je perdais la tête mais je croyais la voir. Alors je mens. J’ai appris à mentir. A dire que j’allais bien alors que je ne pensais qu’à me jeter à nouveau dans le vide. La nouvelle avait fait le tour du monde. L’actrice ayant perdu toute sa famille, l’actrice ayant perdu sa sœur jumelle. La série annulée. Les journalistes avaient appris à me laisser tranquille. Je n’étais pas intéressante. Je n’étais pas Sally. Bien qu’il me soutînt que je n’étais pas un chat noir. J’en suis un. Je portais malheur à tout le monde. Je serrai un peu plus les poings, sentant mes ongles entrer dans ma peau, voutant mon dos comme une tortue. Mes longs cheveux roux tombant de part et d’autre de mon visage, ma respiration était pourtant régulière. « Je… » le mot resta en flottement dans l’air. « Je… je… je ne… » contrôle les pulsations de ton cœur, ne cède pas à la panique. « Je ne parlais pas de toi, murmurai-je comme à bout de force. » Je savais cette histoire trop vieille et sa simple vision ne rouvrirait pas d’anciennes cicatrices. Je pris ma tête entre mes mains, en proie à la folie, à la peine, à la douleur. Les larmes jaillirent en torrent, sans prévenir, sans signe annonciateur. « ils sont tous morts, répétai-je en boucle. Ils sont tous morts, ils sont tous morts. » D’une main tremblante, j’attrapai mon sac pour en sortir le dossier. J’ignorai pourquoi j’avais amassé tous les articles qui relataient de l’incendie mais je les gardai toujours auprès de moi comme une piqûre de rappel. « J’ai tout foiré. » Ma voix était quasi inaudible. Mon chien se rapprocha un peu plus de moi pour couiner doucement près de moi, comme s’il pouvait sentir ma peine, comme s’il pouvait… la faire sienne.

Il voulait que cette histoire reste dans le passé, qu'elle arrête de surgir à chaque fois qu'il posait les yeux sur une chevelure rousse, pensant que c'était elle qui flânait devant lui. Pendant deux ans, il ne l'avait pas vu, il l'avait juste imaginé parmi des couleurs, il s'était imaginé ce qu'il aurait pu lui dire, mais rien ne sortir. Parce qu'il ne savait pas ce qu'il pourrait ressentir en la voyant et encore aujourd'hui il se sentait comme perdu, pris au dépourvu. Comme sur une scène où il devait faire de l'improvisation, il était mauvais dans cette pièce, dans ce théâtre. La haine n'était plus, c'était quelque chose de moins profond, de plus calme, il lui en voulait peut-être, mais pas aujourd'hui, rien ne le montrait, il lui avait balancé une phrase remplie de remord, mais il s'en était voulu. Il changeait ses positions rapidement parce qu'il ne savait pas ce qui était bon ou mauvais pour elle, pour eux deux, il déchargeait l'électricité qu'il avait dès qu'il l'avait vu, calmant ses pensées rapidement, restant dans le néant le plus total en quête d'une réponse. Il lui donnait une nouvelle chance, mais une chance de quoi ? Il n'y avait plus rien à rattraper, il n'y avait plus rien à gâcher non plus. Quand elle disait qu'elle portait malchance, il restait interdit quelques secondes avant de prendre la parole, ce n'était pas ce qu'il pensait. Peut-être qu'elle faisait des gaffes, mais tout le monde en faisait, l'humain n'était pas parfait et même Jaeden faisait n'importe quoi, souvent. Il observait son comportement changé, sans savoir ce qu'il avait dit de mal, il voulait simplement la consoler, lui faire relativiser, elle n'était pas une mauvaise personne, elle n'était pas un chat noir, elle ne portait pas la malchance comme manteau. Et si elle ressentait ça comme un boulet, il fallait s'en séparer, laisser son manque de confiance partir, pour laisser place au monde qu'un peu de bonheur pouvait lui offrir. « Tu parlais de qui alors ? » Ruby, il ne connaissait pas sa vie dans le détail, il ne s’intéressait pas aux gens au point de connaître les affaires privées, il acceptait ce qu’on acceptait de lui donner comme information et faisait avec. Puis elle changeait du tout au coup, tremblante, pleurante, répétant une phrase en boucle qu’il ne comprenait pas. « Hé, Ruby, de quoi tu parles ? » Il se sentait désemparer face à cette réaction, n’en comprenant la racine, ce qui lui avait fait penser à ça. « Qui ... Qui sont morts ? » Alors elle sortait de son sac des papiers, il  fronçait les sourcils, zieutant rapidement. « Un incendie ... Pourquoi tu traînes ce genre de truc dans son sac ? » S’il ne lisait pas dans le détail c’est parce qu’il voulait avoir ses mots à elle. Il voulait que ce soit elle, qui explique. « Tu as tout foiré ? J’accepte cette phrase uniquement si tu me dis que c’est toi qui a foutu l’feu. »

Ranimer les vieilles blessures, rouvrir les plaies. En ce moment, je ressentai la souffrance comme si elle était décuplée. Comme si elle me provenait de part et d’autre. Depuis ma discussion avec Woody, j’avais fini bien bas. Par cette soirée où tout était parti de travers et où j’avais fini mentalement cassé. Je ne me relèverai jamais. Je le savais. Revoir Jaeden ramenait des vieux souvenirs à la surface. Que j’étais maudite. Que j’allais finir ma vie seule. Dans le noir. Mes tentatives répétées de rejoindre ma famille, les sauvetages réguliers. Tout était devenu factice. Ça aurait dû être moi. Mon bégaiement qui avait empiré. Je marchai comme morte dans les rues de Bowen. Quelque chose était définitivement brisée en moi. J’étais venue regarder la mer pour essayer de me plonger dans la peau d’Ariel. Un gros contrat. J’en avais tellement rêvé et maintenant que je touchai cet univers du bout des doigts, je n’en voulais plus. J’espérai dans le fond que je finirai par me noyer. Je voulais mourir par l’eau. Elle était morte par le feu. Brûlée vive. « M… M… ma f… f… famille. » Je parlais de ma famille. Il ne restait plus personne. Mes grands-parents étaient morts depuis bien des années. Il ne me restait qu’eux. Aucune tante, aucun oncle, aucun cousin. Sauf Emrys que je considérai comme tel mais nous nous étions perdus de vue depuis des années. Un semblant de retrouvaille pour mieux nous éloigner. La nouvelle crise pointait le bout de son nez. Je tremblai comme une feuille. J’étais une feuille. Je voulais voler comme une feuille. Je n’osai regarder Jaeden. « Pour… pour ne pas les oublier. » Je lève alors le regard vers lui pour mieux baisser la tête. « ça aurait du être moi. J’étais en tournage. J’aurai du être là. Elle était mieux que moi. Toujours souriante, toujours drôle, les gens l’aimaient. Deux copies mais totalement différentes. Je porte malheur. A toi, à elle, à d’autres personnes ici. » Je chasse les larmes. « Désolée je deviens overdramatique, murmurai-je en reprenant les mots de Woody

Il lui lançait un regard désolé. Il n'était pas au courant que sa famille était décédée, à vrai dire, il n'était pas au courant de grand-chose la concernant, la relation amicale qu'ils avaient pu avoir s'était soudainement stoppé et il ne s'y était plus intéressé. Il y avait pensé à cette fois, parfois il l'avait maudit, mais il finissait toujours par effacer ça avec l'alcool, se retournant la tête pour s'évanouir dans son lit et ne plus penser à rien, ne plus penser à elle. « Je … je suis désolée … je ne savais pas. » Il n'en restait pas moins pensé qu'elle ne devait pas se balader avec ça dans son sac, que des souvenirs, il y en avait pleins ailleurs, des meilleurs. Que la mort était une épreuve à surpasser, difficilement, la douleur et la tristesse étaient toujours présentes, mais ils ne voudraient pas la voir au sol, assommé par celles-ci. « Tu ferais mieux de prendre dans ton sac une photo de famille, pas une maison en feu. » Pour lui, ça revenait à se balader avec des photos de cercueil, ça ne rimait à rien, ça ne l'aiderait jamais à aller mieux, au contraire et il ne voulait pas le malheur des gens. « Comment veux-tu avancer ? Ruby, dis-le-moi. » Jaeden voulait simplement lui ouvrir les yeux, il parlait doucement pour ne pas la brusquer, il était bien trop confus pour être en colère de toute manière. Dans un sens, elle avait le droit de faire ce qu'elle voulait, ce qui semblait bon pour elle. Mais elle devait revenir sur terre, arrêter de vouloir s'envoler avec eux, puisqu'elle était présente. « Ça aurait pu être toi, ça aurait pu être n'importe qui, mais t'es là, en face de moi. Essaye de te réjouir de la vie qu'on t'a laissée et je sais que c'est difficile, j'en ai conscience. Tu mérites tellement mieux que d'être triste et pleurer sur son sort. » Le jeune homme était sincère, elle méritait mieux. « Peut-être que je dis ça pour rien … j’ai juste espoir qu’un jour tu puisses vivre sans penser que tu aurais dû mourir. » Il se rapprochait rapidement d'elle, la glissant dans ses bras pour quelques secondes. « Tu n'es pas coupable, tu n'es que la victime, rentre-toi ça dans le crâne. » Aucune agressivité, il soufflait, essayant d'afficher un léger sourire.

Évidemment qu'il ne savait pas. personne ne savait. Je secoue la tête avec mon air triste tandis qu'une larme coule long de mon nez. Je ne saurai pas aller au-delà. La preuve avec ma tentative de suicide. Je relève la tête vers Jaeden mais je décide de ne rien dire. Je décide de ne pas accepter ses condoléances. Tout le monde me les avait présentés. " Je… " Je sais. Mais je voulais garder cet article. Comme mon pugilat. Je n'arriverai pas à avancer. Je savais que je foutais la vie des gens en l'air. Celle de mes parents, celle de mes sœurs, celle de Jaeden. Il en était la preuve vivante. Comment pourrais-je aller au-delà ? " je ne veux pas avancer. " Je ne voulais même plus vivre. Ma vie était insignifiante. J'allais fêter mon anniversaire sans ma sœur jumelle. J'allais le faire seule. J'écoute Jaeden me parler mais il ne savait pas ce que ça faisait. " C'est toi qui me dit ça ? " je relève la tête. " J'ai gâché ta vie Jaeden. J'ai gâché la vie de mes parents, de mes sœurs. Je gâche tout. Je suis un putain de chat noir. Et je maudis le mec qui m'a sauvée. " je sens la crise monter alors je fouille dans mon sac pour en sortir cette foutue seringue pleine d'anxiolytiques. " calme-toi, c'est pas de la drogue. C'est un médicament qui permet de me calmer plus vite, plus rapidement. " mes mains sont fébriles et la seringue tombe au sol. " Je suis coupable. Je devrais mourir. Je devrais être morte. "

Le brun espérant que malgré ses mots elle avancerait, qu'avec le temps, elle se rendrait compte qu'on ne pouvait rester sur des tristesses, mais il était mal placé pour le penser. Bientôt deux ans qu'il avait décidé de quitter sa femme et il était toujours aussi malheureux. Sauf que la douleur n'était pas comparable, il pouvait bénir le monde de faire en sorte que la mère de ses enfants était toujours présente parmi eux, que malgré le mal qu'elle pouvait donner, elle respirait. Ruby n'avait pas cette chance et puisque ça semblait récent, il ne pouvait pas l'engueuler, la forcer à sortir de ce brouillard, elle devait se guider elle-même vers la lumière et il ne pouvait pas l'aider pour le moment, il pouvait faire comme il pouvait que ça ne changerait rien. Elle avait beau être une ancienne bonne amie, tout était différent maintenant, ce rôle ne lui revenait pas de droit et femme comme elle était, des amies, elle devait s'en faire facilement malgré son bégaiement. C'était ce qu'il pensait du moins. « De quoi tu parles ? » Il fronçait les sourcils. « Bien sûr que c'est moi qui te dit ça. Tu ne m'as pas gâché la vie Ruby. Ma carrière ou risquer de perdre des gens qui me sont proches, le choix est vite fait. » Ce jour-là elle ne pouvait pas savoir, c'était dans ses devoirs de garder son boulot secret et d'avoir un job autre envers les gens et sur les papiers. « Un boulot ne fait pas ma vie, sinon je serai déjà sous-terre. C'est moi qui ai choisi de démissionner, c'est pas le destin qui a dit à mes supérieurs de me virer. » Il n'allait pas se suicider pour avoir démissionné. Il parlait calmement pour ne pas la brusquer, il n'avait même pas idée une seconde d'hausser le ton, ce n'était pas dans ses cordes. Pas pour ça. « Cesse de dire que tu es un chat noir, la malchance d’une personne n’est pas de la faute d’une autre. » La vie ne tournerait pas rond à ce sens. Mais elle pouvait bien penser ce qu’elle voulait. « J’ai l’air paniqué ? J’suis calme, t’inquiète pas. » Il se mettait à rire légèrement, se doutant bien qu’elle n’allait pas sortir n’importe quelle drogue face à lui. « Bien. Dis-moi que c’est toi qui a allumé le feu, Ruby. » Il se plaçait correctement face à elle, regardant les traits de son fin visage avant de se concentrer sur ses pupilles. « Si ce n’est pas toi, alors tu n’es pas la coupable. Si c’était toi, tu devrais être en prison. Et je dois pas être la première personne à te le dire. » Il haussait les épaules. « Ce qu’il te faut au lieu de cette seringue et tout ce bordel, c’est de la confiance en toi, mais ça se trouve pas dans les  médocs. La mort, ce n’est pas quelque chose fait pour toi, tu as encore pleins de choses à vivre. »