master of none -r.

Déjà sept mois, le temps s'écoulait à une vitesse folle, tu ne le voyais vraiment pas passer, tu avais rouvert ta boutique depuis deux mois à peine. Le monde revenait progressivement tandis que toi tu avais de plus en plus de mal à gérer tout ça. Tu étais super heureuse d'être enceinte, mais tu n'avais jamais pensé que ce serait si difficile pour toi. A mesure que ton ventre grandissait, tu sentais de plus en plus de douleurs dans tes lombaires, tu ne tenais plus aussi bien la cadence, rester plus d'une heure debout, ça devenait douloureux. Tu avais installée une chaise mais très vite elle était inconfortable, il n'y avait qu'en étant allongée où ça allait à peu près bien mais tu ne pouvais pas vraiment accueillir tes clients comme ça, ce ne serait pas du tout professionnel. Assise sur ta chaise, tu lisais le petit journal du matin, alors que la clochette retentissait. Il venait de passer la porte de ta boutique, Rory. Ce grand jeune homme qui était venu chercher des bouquins d'astronomie il y a des mois de ça, te posant parfois diverses questions amusantes. Tu n'avais pas toujours les réponses et tu faisais tes devoirs, cherchant toujours sur internet au cas où il reviendrait rapidement pour reprendre votre conversation là où elle en était. Comme à son habitude, il allait s'installer au fond de la boutique et comme elle était vide, tu t'empressais de le rejoindre. « Alors dis-moi, quel est le sujet du jour, je suis impatience de le savoir ! » Un grand sourire venait s'étirer sur tes lèvres alors que tu venais t'asseoir non loin de lui. Tu ne l'avais pas vu depuis des semaines, tu te posais beaucoup de questions, que tu gardais pour toi, parce que tu n'étais pas assez courageuse pour les lui poser, trouvant ça peut-être trop indiscret.

Plusieurs mois se sont écoulés depuis son arrivée à Bowen et pourtant, Rory continue de vivre dans le déni. Il fait semblant d'oublier la véritable raison de sa présence ici, agit comme si il n'était là que pour finir ses études dans un endroit carrément plus stylé que Denver. Un déni qui n'a cessé de grandir et pourtant, seulement quelques jours plus tôt, il a fait le premier pas. Il a vu Perry, cet homme qui s'occuper de Penny 24h/24 et 7j/7, celui qui l'aura vue grandir alors que lui n'avait même pas encore la moindre idée de son existence. Même si Rory sait pertinemment qu'il serait très probablement le pire de tous les pères, il a petit à petit commencé à s'intéresser au sujet "gosses". Il a lu des bouquins, parce que c'est toujours grâce à ces assemblages de bouts de papier qu'il créé le peu de culture générale qu'il possède. En entrant dans sa librairie favorite, il ne fait même pas attention à qui tient la boutique ce matin. Comme chaque jeudi de chaque semaine, il fonce droit vers le fond de la boutique et attrape le premier livre qu'il voit avec, dessus, une photo de gamins qui jouent au ballon. Parfois, il oublie que sa fille n'est pas un bébé, qu'elle a même déjà quoi ? Onze, douze ans ? Bordel, il était déjà hyper fertile quand il n'était qu'un gamin. Cette voix familière qui s'adresse à lui lui fait relever les yeux de son bouquin et, immédiatement, un grand sourire vient étirer ses lèvres quand il voit le visage de poupée de Lily. « Mais, attends, t'es pas censée être en congé maternité toi ? » lui demande-t-il en fronçant les sourcils avant de hausser les épaules, signe qu'il n'y connait de toute façon rien dans ce domaine de congés pour futures mamans. « Je lisais un truc sur... » il reclape le livre pour lire le titre du bouquin qu'il a entre les mains. « Comment empêcher à son enfant d'être malheureux. Mais c'est pas pour moi, je m'entraîne pour quand le tiens fera ses crises d'adolescence et qu'il aura envie d'aller à des concerts de métal. Tu vois, je serai là pour l'en empêcher, » ajoute-t-il en tapotant le titre à l'aide de son index, absolument pas convainquant.

La première question qu’il te posait te fit rire et il avait raison, tu aurais dû être en arrête depuis quelques jours maintenant mais tu avais réussi à négocier avec ton médecin, tant que tu étais assis, pour éviter de faire grimper ta tension au plafond, ce n’était pas bon pour le bébé, tu avais bien compris. Tu avais réussi à continuer de travailler jusqu’au début du 8ème mois. Et puis comme le bébé ne s’était pas encore retourné, c’était une façon pour toi de le motiver, plus qu’en étant allongée toute la journée. Même si pour tes lombaires, ce serait fortement agréable. « Je le serais à la fin du mois ! » Ce n’était pas facile pour toi de partir. La seule fois où tu avais quitté ta boutique pendant quasiment une année c’était lorsque tu t’étais faite tirée dessus. Rien que le souvenir, tu frissonnais. Ce n’était pas une histoire que tu aimais te remémorer. Mais depuis ton grand retour dans le monde de la librairie, tu n’avais pas décroché. Sauf après la séisme, mais tu avais tout mis en œuvre pour la remettre en place le plus rapidement possible une fois que tu avais sauté le pas, préférant au début te concentrer sur la remise en forme de Nelligan, puis votre mariage. Après le bébé était venu lui aussi tout seul, vous comblant tous les deux. Tu le regardais tourner son livre pour qu’il puisse te lire la première de couverture. Encore un bouquin sur les enfants, la dernière fois déjà c’était sur le sommeil de l’enfant, tu commençais à avoir des questions, mais comme toujours, tu les gardais pour toi. « Hum.. C’est intéressant ça ! » C’était une question que vous vous étiez bien sûr posé. Est-ce que vous serez capable de le rendre heureux ? La réponse avait été assez positive parce que vous aviez tous les deux eu de belles enfances et que vous aviez vraiment les cartes en main pour combler ses besoins. Il n’y avait pas de doute, ton bébé aurait deux parents présents et fou amoureux, l’un de l’autre, mais surtout de lui. « Tu compte t’y prendre comment au juste ? » demandais-tu avec un léger sourire, curieuse de savoir ce que préconisait le livre dans ce genre de situation. Tu imaginais déjà une conversation franche, sur le fait qu’il veut faire ça uniquement pour se rebeller mais que ses parents sont à l’écoute et qu’il n’a pas besoin de faire ça pour se faire remarquer.

Ce que lui répond Lily lui fait secouer négativement la tête avant qu'il ne pousse un léger soupir. Au fond, Rory n'y connait rien aux grossesses. Il a été poussé à lire quelques articles dessus parce que c'était tout ce qu'on lui proposait durant son vol d'au moins 792 heures, mais il n'a jamais eu l'occasion de fréquenter une véritable femme enceinte. Il aurait pu si il en avait eu l'occasion, ou si il n'avait pas réussi à se mettre son ex enceinte sans qu'il ne le sache sur le dos. « Tu vas nous pondre un bébé athlète qui aura déjà des abdos à la naissance. » Quoi qu'au final, ce ne serait pas si négatif. Il aurait aimé ça de naître avec des abdos, et de ne pas être obligé de se mettre au sport pour éliminer ses paquets de chips du vendredi soir. En tant que grand observateur quant-aux expressions du visage, Rory n'a pas de mal à remarquer l'air dubitatif de Lily-Anaëlle lorsqu'elle réalise que oui, il possède encore entre ses mains un livre sur les mômes. Il ne l'aurait sûrement pas caché si il l'avait vue arriver plus tôt, mais il aurait au moins été capable de trouver une meilleure excuse que celle des concerts de métal. La question qu'elle lui pose le prend au dépourvu, mais il arrive plus que trop bien à faire comme si de rien n'était. Dans un premier temps, il hésite à continuer dans sa lancée de mensonges. Il pourrait, ce serait tellement plus facile de ne pas avoir à expliquer le débat incessant qui oppose deux parties de son esprit depuis déjà plusieurs mois. Après avoir poussé un soupir, Rory se lève, remet le livre à se place, et place ses mains sur les épaules de Lily. « Ok, je sais pas c'est quoi ton pouvoir, mais je suis incapable de te cacher un truc dont j'ai parlé à personne alors... tiens, assieds-toi. Je voudrais pas que le choc te fasse accoucher. » Il dirige Lily vers la chaise sur laquelle il s'était installé en éternel paresseux, puis frotte ses mains l'une contre l'autre. « J'ai un gosse. Wow, ça fait trop bizarre de le dire tout haut. Mais c'est vrai, j'ai une fille quelque part dans cette ville, et j'ai clairement aucune idée de ce que je suis censé faire. »