Cause now, we have our chance. Conchobe

Trente-trois ans, voilà le chiffre que j’avais sur mon décompte, tout en haut de ma tête, en ce moment. Et pourtant, ce décompte-là n’agissait pas du tout telle une épée de Damoclès. Je n’avais pas l’impression d’avoir pris un coup de vieux, pas vraiment. Je me sentais en forme, je me sentais bien, et ce malgré le fait que la vie ne m’avait pas épargnée, encore une fois, pendant les cinq dernières années. Elle s’était montrée clémente aussi, par moment. Ça m’avait aidé à me garder la tête hors de l’eau. C’est surtout après ma rupture d’avec Zelda que j’avais eu besoin d’un peu de lumière pour chasser l’ombre. J’avais eu besoin des gens qui m’étaient les plus chers pour me rappeler que même sans elle, j’étais encore entouré mieux que personne. J’avais des gens sur qui compter, des gens qui m’aimaient et que j’aimais. Alors même si Zelda était partie, à son tour pour les États-Unis, comme Ally des années auparavant, je survivais. Les femmes de ma vie m’étaient peut-être infidèles avec cet autre continent mais moi, je restais ici, à Bowen. Persuadé qu’un jour, cette ville m’offrirait ce que j’attendais d’elle. Ce que je ne réalisais pas encore, c’était que ce que j’attendais, je l’avais directement sous les yeux, sous le nez, et ce depuis plus de cinq ans maintenant. J’avais fait des erreurs de parcours, j’avais pris des détours qui m’auraient épargné une grande peine d’amour, mais au final je revenais au point de départ. À elle. Phoebe. Notre histoire n’était composée que de mauvais timings, de sentiments brouillés par ce qui se passait dans nos vies, mais j’avais comme l’impression que nous nous retrouvions présentement tous les deux au même point. Finalement, et enfin. Elle était mère célibataire, vivait sur son ranch avec sa petite perle, Ailye. Je passais une bonne partie de mon temps libre avec elle, j’avais participé à élever sa petite comme si elle était la mienne, parce que c’était un peu la promesse que j’avais fait à Phoebe, de ne jamais la laisser seule dans cette situation. La vie nous avait donné des citrons, et nous en avions fait de la limonade. La limonade la plus douce et sucrée qui soit. Ce soir, pas d’Ailye, juste deux vieux amis qui auraient sans doute dû être bien plus que ça. Je m’étais rendu à son ranch, ce ranch que j’avais aidé à construire cinq ans plus tôt. Ce ranch que je connaissais par cœur comme ma propre maison, à force d’avoir joué à cache-cache avec Ailye et Phoebe pendant des heures et des heures. Je toquai à la porte, et j’attendis, le bouquet de fleurs caché derrière mon dos.

Dès qu’elle m’ouvrit la porte, un sourire niais s’installa sur mes lèvres. Sa robe noire épousait ses formes à la perfection, me laissant découvrir son corps mince, féminin, me laissant m’imaginer de quoi elle pouvait avoir l’air sans cette robe. Ses lèvres étaient colorées d’un beau rouge qui lui donnait des airs de femme fatale même si, au fond, elle avait toujours ce regard prêt à faire chavirer n’importe quel homme. Moi y compris ; j’avais juste mis un peu plus de temps à me laisser complètement renverser par sa beauté. Je m’étais bien attaché de peur de me noyer si je passais par-dessus bord. Mais, finalement, aimer Phoebe comme je me surprenais à l’aimer depuis quelques mois ne ressemblait en rien à une noyade, au contraire, j’avais plutôt l’impression de m’envoler. Quand elle eut complètement ouvert la porte, je sortis ma main de derrière mon dos, tendant vers elle les fleurs qu’elle pris avec un grand sourire, avant de me saluer et de m’enlacer. « Bonsoir, Phoebs. » Cinq plus tard, mais les surnoms affectueux restaient bien ancrés. J’étreignis mon amie, la serrant bien fort contre moi, la gardant contre moi un peu plus longtemps qu’à notre habitude, aussi. C’était peut-être son parfum qui m’enivrait, ou alors c’était le mien qui me faisait perdre la tête. J’en avais trop mis, sans doute, et l’avoir respiré pendant toute la route dans la voiture, ses vapeurs artificielles, ça m’avait grisé. Je ne voyais pas double, au contraire, j’avais l’impression de voir trop clair dans des sentiments qui n’allaient qu’à sens unique. Phoebe m’avait bien fait comprendre, il y avait des années de cela, qu’elle ne m’avait pas aimé. Qu’elle avait confondu amour et amitié, cette forte amitié qui nous définissait, qui nous liait l’un à l’autre pour toujours. Je ne pouvais m’attendre à plus, maintenant. Nous avions tourné cette page depuis bien longtemps. Finalement, je repris ma place sur le perron, bien droit, avant que Phoebe ne m’invite à rentrer à l’intérieur. Elle se dirigea à sa cuisine pour plonger les fleurs dans un beau vase, pendant que je prenais place à table sous ses ordres. « Oh, tu nous amènes l’Italie ! Ça va être délicieux. » Des pâtes, c’était un classique, une formule gagnante. Juste pas très facile à manger en tête-à-tête, dans un premier rendez-vous ou un truc dans le genre. Mais Phoebe et moi étions déjà bien loin de ça, nous nous étions vus sous toutes nos coutures ou presque, alors même si elle me voyait avec un peu de sauce tomate autour de la bouche, et du spaghetti qui me sortait de la bouche, tant pis. Phoebe vint s’installer à côté, après nous avoir servi le vin et les assiettes. Elle leva son verre et trinqua à notre amitié. J’eus un léger sourire, retenant la confusion qui planait en moi. « Ouais … à notre amitié. » J’eus un rire un peu nerveux, avant de cogner ma coupe contre la sienne doucement, puis la portai à mes lèvres. « C’était tranquille, c’est la rentrée scolaire, les jeunes viennent un peu moins. On retrouvera rapidement le rythme. » Head Ahead était devenu bien plus gros, avec le temps, c’était un centre multi-artistique, maintenant, fréquenté par tellement de jeunes en besoin. J’étais fier du chemin parcouru. « Et toi ? Pas trop bizarre de ne pas avoir Aylie ? » Demandais-je avec un sourire, reposant ma coupe de vin.

J’hochai la tête. Il était vrai qu’Aylie arrivait à amener tellement de vie, même dans ce ranch qui était déjà bien animé par les animaux, les visiteurs, Phoebe elle-même. Aylie amenait son petit rayon de soleil en plus, et elle déplaçait tellement d’énergie comme Phoebe le disait, que son absence ce soir laissait un certain vide. Toutefois, la tension que je ressentais envers mon hôtesse comblait suffisamment le trou laissé par la petite. J’avais la tête déjà assez occupée par la maman, avec tous les sentiments qui avaient refait surface quelques mois plus tôt. Je me torturais moi-même à m’endormir à tous les soirs en pensant à elle, sachant fort bien que cette page-là avait été tournée cinq années plus tôt, quand j’avais moi-même fermé la porte à cette relation. Quel imbécile j’avais été de ne pas aller vers elle, de ne pas la choisir elle. Peut-être que si j’avais pris cette décision-là, Phoebe n’aurait pas passé par-dessus moi comme elle l’avait fait. Peut-être que nous serions ensemble aujourd’hui, et je ne serais pas complètement seul comme je le ressentais depuis le départ de Zelda. « C’est clair. T’imagine quand elle commencera l’école, bientôt … » L’année prochaine, probablement. Le temps filait à toute vitesse, c’était complètement dingue. Phoebe allait devoir se montrer forte, d’ainsi confier sa petite Aylie à l’école pour la toute première fois. Je serais là, moi aussi, à la bombarder de photographies avec son petit sac à dos et son sourire fendu aux oreilles. Pour le moment, c’était le mien qui était aussi grand ; mon sourire. Parce que Phoebe venait de me confier à quel point Aylie m’adorait. J’hochai la tête quand elle affirma lui avoir bien expliqué que nous n’étions qu’amis, et que je ne pouvais donc pas être son papa. « J’aurais beaucoup aimé qu’elle soit ma fille, aussi, t’sais. J’aurais eu de quoi être fier. » Sur ces paroles, nous terminâmes assez rapidement de manger, et quand tout fut débarrassé, j’amenai avec moi ma coupe de vin au salon pour la terminer tranquillement. Phoebe proposa de me jouer un morceau. « J’t’écoute, tu sais que j’adore ta voix. » Et je me surpris à aimer encore plus la chanson, les paroles, sortant d’entre ses lèvres. Elles me transportèrent dans un monde où Phoebe et moi aurions pu nous aimer, de manière réciproque. Quand elle eut terminé de chanter, quand elle reposa sa guitare, j’eus un rire gêné, hésitant, avant de déclarer : « Tu peux même pas savoir à quel point j’aurais aimé que tu me la chantes vraiment à moi … pour moi. J’veux dire … que tu penses réellement les paroles. » Osais-je lui avouer. J’ajoutai : « Parce que c’est vrai, qu’toi et moi … on a quelque chose de vraiment beau. »

J’eus un sourire quand elle me parla d’Aylie et de la maternelle, et de toutes les photographies qu’elle prendrait d’elle. Je ne pouvais que m’imaginer à quel point ce serait difficile pour elle de la voir franchir la porte de l’école pour la première fois. Ça l’était pour n’importe quelle mère, n’importe quel père. Et je ne pouvais m’empêcher de penser que ça me ferait quelque chose, à moi aussi, si j’avais une fille qui grandissait aussi vite. Malheureusement, la vie pour moi n’avait pas pris cette tournure et à trente-trois ans, j’étais toujours célibataire, je n’avais pas de famille – pas du tout. Par chance j’avais mes amis qui constituaient ma famille, au fond, parce que sans eux je me sentirais complètement seul. Il me manquait quand même ce petit quelque chose, cette fierté d’avoir bâti quelque chose à coup d’amour et de patience. Si on m’avait demandé où je me trouverais à cet âge-là, ce ne serait certainement pas là. J’avais beau être heureux de mon organisme qui grandissait et se développait à bonne allure, qui aidait de nombreux jeunes surtout, ça n’était pas toute ma vie. Sans doute était-ce pour cela que j’étais aussi nerveux avec Phoebe, ce soir : j’avais l’impression que c’était maintenant ou jamais. C’est pourquoi, quand mon amie se chanta sa chanson qui laissait fortement croire à plus que de l’amitié entre nous, je me demandai si ces paroles pouvaient s’appliquer à notre situation. Si elle les chantait en notre nom. Sans prévenir, je lui ouvris mon cœur, peut-être pas assez clairement, pas assez directement pour qu’elle le comprenne, mais assez pour créer ce brouillard de doutes autour de nous, entre nous. À la question de Phoebe, je figeai, cherchant mes mots, cherchant une réponse à sa question, et ma déstabilisation lui donna le temps de changer complètement de sujet, proposant un film. Je secouai la tête quand elle proposa un film de suspens. « Non, pas de film. » Déclarais-je tout de suite, avant d’ajouter, gêné : « Enfin … j’arriverais pas à me concentrer. Pas après ce que tu viens de laisser sous-entendre. » Me justifiais-je, le cœur battant la chamade. « Phoebs … j’ai fait une erreur y’a cinq ans en ne saisissant pas ma chance. Je ne compte pas refaire cette erreur-là si tu m’ouvres la porte à nouveau … » Conclus-je, attendant de voir si elle me laisserait cette ouverture, ou non.

Cette fois, nous mettions toutes nos cartes sur table. Aucun secret, aucune retenue, aucun regret. Nous avions fait l’erreur, cinq ans plus tôt, de ne pas nous laisser ne serait-ce qu’une seule chance. Et voilà où ça nous avait menés : à être seuls, habités par la nostalgie de ce moment où nous aurions pu tout avoir si nous nous étions écoutés. Si je l’avais écoutée, et que j’avais écouté mon cœur aussi. Je révélai alors à Phoebe mon intention de ne pas reproduire le passé, maintenant que je savais qu’il y avait peut-être un mince espoir de reprendre là où nous avions baissé les bras. Elle s’approcha doucement de moi, d’un pas presque félin, et je me relevai du canapé entre temps afin d’être un peu plus à sa hauteur, même si j’étais plus grand qu’elle. Alors que nos corps étaient à quelques centimètres à peine l’un de l’autre, Phoebe m’ordonna de l’embrasser. À mes oreilles, ça n’était même pas un ordre, puisque je le désirais tout autant. Je souris, bêtement, alors que je m’approchais encore plus d’elle, réduisant à néant la distance entre nous. Je posai une main sur sa joue, l’autre vint enlacer sa main à elle, sur le côté de nos corps, et je vins déposer mes lèvres sur les siennes. Mon cœur se déchaînait dans ma poitrine alors que la chaleur envahissait tout mon corps. J’avais soudainement envie de tout accélérer, de m’abandonner à cette vague de désir que j’avais conservée bien trop longtemps en moi pour le bien de notre amitié. Quand nos lèvres se séparèrent enfin, j’esquissai à nouveau un sourire. « On l’a attendu, celui-là. » Et plutôt que de n’en faire qu’un seul et unique, je vins m’emparer de sa bouche à nouveau, l’embrassant avec un peu plus de passion cette fois, laissant mes mains parcourir son dos, ses hanches, par-dessus cette robe moulante que j’aurais seulement voulu lui enlever afin que mes doigts rencontrent sa peau. « Puisqu’on se connaît depuis des années, maintenant … ce n’est pas si grave qu’on aille … un peu plus vite ? » Lui demandais-je, comme pour avoir l’autorisation d’aller un peu plus loin.

Nous avions enfin rompu cette distance qui nous tenait à l’écart depuis six ans. Nous avions finalement franchi ce pas que ni l’un ni l’autre ne s’était autorisé à franchir, surtout après que j’aie mis un frein aussi rapidement aux sentiments de Phoebe, parce que j’étais moi-même incertain de ce que je ressentais. Si je m’étais réveillé plus tôt, nous n’aurions pas eu à attendre aussi longtemps. Mais peut-être, au fond, était-ce encore plus spécial maintenant que l’attente avait grandi en nous, devenant si grande, prête à exploser, et voilà que nous la laissions faire. Exploser. En un milliard d’étincelles, de confettis. Phoebe enroula ses bras autour de mon cou tandis que je la pressais un peu plus contre moi. Elle se recula toutefois légèrement alors qu’elle répondait à mes avances, tout en déboutonnant lentement ma chemise. J’esquissai un sourire à sa réponse, la laissant détacher chaque bouton jusqu’en bas, avant de l’aider à me le retirer complètement. Torse nu, je repris un baiser passionné, laissant mes mains glisser sur ses fesses, puis attraper sa robe là où sa longueur se terminait. Je passai mes doigts en-dessous, avant de relever le vêtement pour lui retirer complètement sa robe. Je découvris son corps en sous-vêtements, corps que je n’avais plus vu sous cet angle depuis bien longtemps maintenant. « J’ai envie de toi … maintenant. » Et sur ce, je la fis s’allonger sur le canapé, et je m’allongeai par-dessus elle, après m’être débarrassé de mes pantalons. Nous voilà dans le peu de tissu qu’il nous restait, à nous embrasser et à nous caresser sans retenue. Nous en avions trop eue jusque-là, de la retenue. Il était plus que temps de briser ce mur que j’avais érigé entre nous, de le démolir et de nous découvrir comme nous aurions toujours dû être. « T’es tellement belle. » Dis-je en me relevant légèrement, appuyant mon bras sur le dossier du divan, pour mieux la regarder, la contempler, avant que mes lèvres ne viennent déposer des baisers dans son cou, sur sa poitrine, contre son ventre.

À la vue de la cicatrice de Phoebe, sur son ventre, je posai d’abord ma main sur elle et, la sentant tressaillir et peut-être même fuir mon regard d’une honte que son corps ne méritait pas, j’abaissai ma tête jusqu’à ladite cicatrice. Je posai mes lèvres sur cette dernière, déposant quelques baisers sur toute sa longueur, pour faire comprendre à Phoebe que cette marque qui traçait une partie de son histoire ne faisait que la rendre encore plus belle à mes yeux. Je repris finalement possession de ses lèvres, avec les miennes, scellant cet union qui avait trop tardé à arriver. Laissant toute la passion m’animer, je m’allongeai sur Phoebe et aurais été prêt à m’abandonner complètement à elle ici, et maintenant, mais la jeune femme me proposa, entre deux souffles, d’aller à la chambre. J’opinai, attrapant doucement sa main pour y entrelacer mes doigts aux siens, avant de me relever et de la tirer contre moi à son tour. Ensemble, nos corps n’osant pas se détacher l’un de l’autre, nous nous rendîmes jusqu’à la chambre de Phoebe que je connaissais mais pas de cette manière-là, pas avec la perception amoureuse et sensuelle qui se dégageait actuellement de l’ambiance enflammée. Je fermai la porte, un peu par réflexe de mes années passées à vivre avec trois colocataires, avant de reprendre là où nous avions laissé nos plans sur le canapé, mais cette fois sur le lit de Phoebe. Nos souffles se mêlèrent l’un à l’autre, nos regards s’emprisonnèrent dans la vision de l’autre. Il n’y avait que nous, nous deux, seuls dans la beauté et la magie de ce moment. Nos corps se réunirent enfin pour ne faire qu’un, une magnifique sculpture humaine qui bougeait au rythme de notre désir partagé, consumé.