#394 - wish i could find a way to disappear (jazz)

À quelques minutes près, il finissait sa journée de boulot. Il allait pouvoir rentrer chez-lui et s’enfoncer dans son canapé en surveillant d’un œil ses bambins et de l’autre s’abrutir avec la télévision. Il détestait la regarder, mais après des journées comme celle-ci, il voulait juste poser son cerveau sur le côté. Un appel venu chambouler ses plans, il ne comprenait pas vraiment ce que son collègue balbutiait de l’autre côté du téléphone, mais il fallait qu’il se bouge pour arriver dans un lieu qu’il ne connaissait pas pour le dépanner. Foutu collègue. Jaeden le maudissait, prenant ça pour une excuse mais il ne rechignait pas longtemps. Ça ne lui prendrait même pas cinq minutes et son père serait heureux d’avoir ses petits-enfants quelques minutes supplémentaires. Dans sa voiture, la musique grondait dans ses oreilles, il fallait bien ça pour apprécier la route de cette ville, parce qu’il ne s’y passait rien et qu’il avait l’impression de voir toujours le même paysage. Pourtant, il allait devoir s’y habituer pour quelques années encore, s’il y arrivait et tout se passait comme il voulait. Quelques minutes après, il y était à l’adresse. Il grimpait les escaliers rapidement, vérifiant une dernière fois le numéro avant de frapper à la porte. Jaeden avait clairement l’impression qu’il était un vendeur à domicile à être seul avec un papier entre les mains, sauf qu'il était pas là pour arnaquer les gens, il faisait simplement le boulot que les autres ne savaient pas faire correctement. La personne n’aurait qu’à remplir deux-trois choses, signer et il pourrait s’enfuir. À peine la porte s’entrebâillait, qu’il prenait la parole. « Bonsoir. » Le brun abordait un large sourire qui se figeait en voyant cette femme. Elle ne semblait pas inconnue, elle traînait dans ses souvenirs mais n’avait aucun moyen de poser un nom et un lieu sur elle. « … Mes collègues m'ont demandé de vous faire remplir ça. » Sa manière de parler devenait moins professionnelle, il s'en foutait bien, il allait droit au but, il voulait faire rapidement. Comme s'il ne voulait pas se remémorer qui elle était, parce qu'au fond, à voir sa tête, ses yeux, il y avait bien un scénario qui se formait et il détestait ça.

Une tasse fumante entre ses longs doigts fins, elle regarde par la fenêtre. Le réveil est difficile ce matin, elle vient de faire une nuit d'astreinte plutôt mouvementée. Il était un peu plus d'un heure du matin lorsque son téléphone l'a tiré du lit aussi sec qu'une douche froide. Un feu. Un terrible feu à quelques kilomètres de Bowen, dans une ferme. Elle avait vu les flammes lécher le bâtiment à une vitesse fulgurante. Il a fallut quelques heures pour maîtriser l'incendie, qui s'était étendu à la parcelle adjacente. Ce fut rude. Rentrée à l'aube, elle n'avait pas pu se coucher immédiatement. Elle avait besoin d'un café et du calme environnant pour reprendre le cours de sa vie. C'était une sorte de rituel chez elle. Elle avait besoin de ce moment de coupure pour faire la part entre sa vie et les difficultés, c'était comme un sas rassurant, un cocon dont elle ne pouvait pas se passer. C'est seulement après qu'elle est allée dormir quelques heures. Seulement quelques heures parce qu'elle avait encore beaucoup à faire dans son nouveau logement. Des cartons à vider, de l'ordre à mettre avant l'arrivée de la potentielle nouvelle locataire. Une après-midi entière pour réussir à organiser son intérieur. Mais, il y avait un souci. Il lui manquait des cartons. Elle avait alors contacter la société de démanagement qu'elle avait démarché pour savoir où ses cartons manquants pouvaient être. Même si son déménagement avait été rapide et plutôt imprévu, elle avait payé une prestation et avait l'obligation d'avoir les meilleurs services. Effectivement, ils étaient à l'entrepôt et un employé allait dans les brefs délais les apporter à son domicile. La moindre des choses. Elle avait décidé de prendre une douche en attendant. Une fois prise, elle enfile un doux et cotonneux peignoir. Une nouvelle tasse fumante trône sur le plan de travail. Elle allait retourner dans la salle de bain pour s'habiller, seulement, on frappe à la porte. Tant pis, elle ne pouvait pas rater ça. A cette heure, c'était sûrement le livreur. Un lumineux sourire aux lèvres, elle ouvre. Son cœur rate un battement, son sourire perdant de son intensité. Un homme. Ces traits.. Elle a la mauvaise sensation de connaître ce visage. Avant qu'il ouvre la bouche, elle avait encore un doute sur l'identité de l'homme qui se trouve en face d'elle. Il la salue, plus aucun doute dans la tête de la métisse. « Oui, bonsoir. » dit-elle, d'un ton qu'elle veut le plus neutre possible. Elle croise son regard. Il y a comme un froid entre eux, soudainement. « Tomas. » souffla-t-elle, entre ses lèvres. Le prénom du brun en face d'elle ne pouvait pas rester une seconde de plus au fond de sa gorge alors qu'il lui demande de signer les documents qu'il lui tend. Elle a la gorge serrée, Jazz. Cet homme est d'une lâcheté sans égal. Dans un moment où elle était seule, détruite, il a l'a abandonné. Elle se souvient de tout, malgré les quelques verres qu'elle avait consommé. Jamais elle ne pensait le revoir. Jamais. Elle avait les mains qui se crispait sur la porte. Les dents serrées, elle ne le lâchait pas du regard.  « Tiens, ça fait longtemps, dis moi. » dit-elle avec une amertume non dissimulée et un sarcasme prononcé. Elle n'est pas du genre à se démonter, Jazz. Il allait attendre quelques minutes, son foutu papier.

Pendant des années,  il en avait rencontré des visages, il s’en était rapprochée de certaines personnes mais ça n’était jamais allé plus loin que les limites qu’il se donnait et s’il savait qu’il n’allait jamais revoir certaines de ces personnes, il évitait quand même de faire l’idiot. C’était possible que sa mémoire lui fasse défaut, que cette femme, il ait l’impression de l’avoir déjà rencontré quelque part, mais que ce ne soit pas le cas. Le souffle de son nom de mission lui pinçait le cœur, Tomas. Pas parce qu’il se souvenait d’elle, simplement parce que ça avait été sa dernière et elle avait été rythmée par un orchestre catastrophique. La vague pensée qui lui sautait à l’esprit était une image qu’il voudrait radier, un souvenir de lui bien trop proche d’elle qui avait fini par le faire fuir. Parce qu’il savait qu’il aurait fait n’importe quoi à rester à ses côtés, alors il avait préféré pensé qu’elle ne l’intéressait plus, il avait abréger cette soirée sans lui donner un mot de plus. Il pensait agir comme un salaud pour une personne qu’il ne reverrait plus jamais, qu’elle finirait par l’oublier, mais finalement elle se trouvait devant elle et lui avait un simple papier dans les mains, pas d’excuses, rien. Niant le fait qu’ils se connaissaient alors que c’était une évidence, que les deux n’étaient pas des abrutis. Il ne savait pas s’il devait continuer sur cette voie, continuer de mentir sur son identité le temps de remplir les papiers, mais Bowen était une petite ville, elle allait vite savoir que Tomas n’était qu’une illusion. « Mon nom c'est Jaeden, pas Tomas. » Que le jeune homme passe pour un menteur, il s'en fichait bien, il ne voulait pas lui expliquer qu'à l'époque il ne pouvait pas s'ouvrir à n'importe qui. Il zieutait sur le papier le nom qu'elle avait, Jazz. C'était bien elle. « C'est vrai, on ne voit pas le temps passé, hein. » Pourtant, ces dernières années n'avaient pas été des plus faciles pour lui et parfois les heures avaient semblé être des décennies pour Jaeden, surtout après l'annonce de la grossesse de sa femme venue accompagnée d'une révélation qui lui avait brisé le cœur et qui l'avait rendu abruti, un abruti qui s'était réfugié à Bowen en devenant ce qu'il détestait. Mais, il était reparti aux États-Unis et après avoir rencontré ses enfants, il s'était senti de nouveau vivre. « On pourrait presque croire que tu me suis, si on enlève le fait qu'en réalité ... » Il soufflait croisant les bras. Ce qu'il voulait lui, c'était qu'elle signe ses papiers, ce n'était pas s'expliquer, il ne s'était rien passé dans sa tête, rien de grave. « Tu ne connaisses rien de moi. » Il ne voulait pas être désagréable, mais il voulait pas éparpiller cette conversation, il ne voulait pas se justifier.