caught up in the middle of it all (maddie)

Un procès qui avait débuté en début d’année et qui s’était échelonné sur de nombreux mois venait tout juste de tirer à sa fin. Ils en étaient venus à bout des ajournements, des nouveaux dépôts de preuve, des procédures complexes. Le verdict était finalement tombé, la décision était rendue, écrite, mise à la disposition du public. Dans les journaux, la décision avait fait les grands titres, parce que cette affaire rendue jusqu’en Cour suprême avait évidemment fait parler. Au final, les gens semblaient bien ravis du résultat, puisqu’un autre agresseur répondait de ses actes en ayant été condamné à des années de prison. Certes, ça ne serait jamais suffisant en considérant les horreurs que cet homme avait fait subir à ses victimes, ce n’était qu’une maigre consolation pour celles-ci qui auraient voulu ravoir leur vie normale, leur vie heureuse, leur dignité qui leur avait été cruellement arrachée. Sauf que les peines étaient réglementées, et même en donnant la peine la plus sévère autorisée par l’article de la loi, ça ne ramènerait jamais la véritable justice à ces gens. Malgré tout, Maxence considérait qu’il avait des raisons de fêter, après toutes ces heures investies dans cette cause, le stress que ça lui avait causé, mais aussi les sacrifices qu’il avait faits. Pendant ce procès, Maxence s’était écarté du droit chemin, du moins celui qu’on imposait aux juges, parce qu’il avait voulu que le déroulement des auditions prenne le tournant qu’il désirait. Il avait lui-même été chercher un témoignage que le procureur n’avait pas réussi à obtenir, il avait lui-même été parler à Maddie afin de la convaincre de venir raconter sa terrible expérience pour monter un dossier solide contre l’accusé. Ça avait été une erreur qui aurait pu être impardonnable, mais maintenant que tout était dernier lui, que le sujet était clos, Maxence pensait pouvoir recommencer à respirer à nouveau. Toutefois, comme il devait constamment y avoir une ombre au portrait, comme Maxence ne semblait jamais pouvoir totalement dormir sur ses deux oreilles, que ce soit en lien avec le travail ou sa vie personnelle, évidemment que ça ne durerait pas. Pas plus longtemps que ce soir-même, alors qu’il se rendait au Elm Street pour une soirée tranquille devant le match de rugby à la télévision, en compagnie d’amis. Il s’était à peine mis confortable, n’avait même pas bu la moitié de son pichet de bière, qu’il croisa le regard de Maddie dans un groupe non loin de lui. Sans doute était-ce la raison qui lui manquait ce soir-là, ou la fatigue qui embrouillait son bon sens, mais il lui fit un signe de tête pour l’inviter à le rejoindre, un peu à l’écart. Il se rendit à une table haute, où il se tint debout, posant sa pinte sur la surface plane mal lavée. « Bonsoir, Maddie ! » Lança-t-il quand elle arriva à ses côtés. Il hésita sur le moyen de la saluer, et osa finalement se pencher vers elle pour déposer un baiser sur sa joue, furtivement. De toute façon, personne ici ne portait attention à eux – jusqu’à maintenant. « L’affaire Kershaw s’est terminée il y a quelques jours, je ne sais pas si vous avez vu. Grâce à vous, et d’autres bien sûr, il est maintenant derrière les barreaux. » Affirma-t-il avec un sourire fier, satisfait.

Elle n’avait pas mis de temps à délaisser ses amis, tout comme lui avait rapidement signalé qu’il reviendrait sous peu. Il ne prévoyait pas discuter longuement avec Maddie, simplement échanger à propos du verdict, de l’issu du procès, qui avait été tellement attendu. Si elle avait suivi même de loin l’affaire, ce qui était sans doute le cas puisqu’elle y avait pris part, elle devait certainement savoir que l’homme qui l’avait agressée était maintenant derrière les barreaux. Malgré cela, Maxence désirait partager la nouvelle avec elle et, peut-être, trinquer pour souligner cette petite victoire. Petite, oui, parce que des hommes comme Kershaw rôdaient toujours dans les villes, et pour qu’ils puissent répondre de leurs actes il fallait pour ça qu’ils soient dénoncés ou trouvés coupables. Cela n’enlevait toutefois rien au fait qu’ils avaient contribué à en retire run des rues et ça, c’était déjà un grand pas. Un autre grand pas avait été pour Maxence de s’approcher de Maddie pour la saluer comme il saluait une amie. Sans doute un faux-pas de sa part mais, ensemble, il n’en était pas au premier. Maxence avait à maintes reprises dépassé les limites avec Maddie, et un baiser sur la joue pour la saluer était sans doute l’écart le plus facilement pardonnable. Peut-être pas à ses yeux à elle. Mais aux yeux du reste du monde. S’il fallait que le petit stratagème du juge sorte au grand jour, ça allait éclater, et il ne resterait plus rien de Maxence. Plus rien de sa fierté, plus rien du respect qu’on lui portait, plus rien de sa carrière. Lui qui avait toujours été droit avait franchement quitté les sentiers battus pour arriver à ses fins lors de ce procès. Il n’en était pas fier, mais il ne regrettait pas les résultats. Sans doute changerait-il d’avis si jamais il se faisait prendre à ce jeu. « Comme je vous ai déjà dit, plus on avait de victimes qui se levaient et dénonçaient, plus ça faisait le poids et ce … peu importe le type d’agression dont vous avez été victime. » Celle qu’avait vécue Maddie, Maxence la connaissait maintenant par cœur, parce que lorsqu’elle avait été appelée à la barre on lui avait demandé de décrire en détail l’assaut, de fouiller dans sa mémoire pour les moindres oublis. Ça avait dû être terrible, comme expérience, pour elle. Alors, au moins, ça n’avait pas été vain. « C’est moi qui vous remercie. J’imagine bien que ce devait être très dur de devoir se replonger dans de tels souvenirs, aussi douloureux, alors qu’il se trouvait sous vos yeux. Vous avez été très forte, Maddie. » Tout comme toutes les autres femmes qui avait témoigné contre lui, devant lui, parlant de scènes horribles à s’imaginer et pourtant, Maxence se les imaginait à chaque fois. Certes, ce n’était pas la première fois qu’il devait siéger sur une affaire du genre, il avait d’ailleurs vu des cas bien pires, mais à chaque fois c’était un travail sur soi que de gérer son ressenti. Allégeant l’atmosphère, Maddie parla du match et de l’alcool qui coulait à flot. Un décor bien différent de la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Il esquissa un sourire. « Eh oui, je ne suis pas toujours aussi sérieux que j’en ai l’air, et je m’accorde parfois quelques moments de répit. » Sur ce, il prit une gorgée de sa bière, justement. « Vous aimez le rugby ? » Sans vouloir paraître sexiste ou quoi que ce soit, Maxence ne croisait que très rarement des femmes de son âge lors des matchs.

La jeune femme ne prenait pas le mérite qui lui revenait, et Maxence comprenait son point de vue, au fond elle n’avait pas tort. Il était vrai que c’était l’effet du nombre qui avait joué dans la balance, et que s’ils n’avaient récolté que son seul et unique témoignage, Kershaw serait sans doute encore en liberté, enclin à commettre encore et encore ses agressions sur des femmes des environs. Il haussa d’abord simplement les épaules, détournant le regard, réfléchissant, avec retourner son attention vers elle et de répondre : « Vous avez sans doute raison. Mais je ne pense pas que votre intervention ait été inutile. » Si elle l’avait été, jamais Maxence n’aurait risqué autant pour la convaincre de venir témoigner. Si sa présence était destinée à n’avoir aucun impact, ce jour-là à l’hôpital, Maxence aurait fait comme si le nom de Maddie Ryan ne signifiait rien pour lui, comme s’il ne l’avait jamais entendu. Et pourtant, il s’était levé, il l’avait abordée et avait repoussé toutes les limites autorisées. Il n’aurait jamais osé le faire si c’était pour quelque chose voué à l’échec, ou qui ne servait à rien. Ça, c’était bien clair à ses yeux, et peut-être était-ce pour cette raison qu’il insistait autant auprès de Maddie, pour qu’elle prenne un peu de crédit dans cette histoire. Ça le déculpabilisait sans doute d’avoir enfreint tellement de règles de justice naturelle. « Votre vérité n’était pas plus belle ou plus légère que celle d’une autre. Chaque témoignage était difficile à écouter. Ça ne se compare pas, ces choses-là. » Certes, d’autres en étaient ressorties davantage blessées, mais les mots de Maddie avaient tout autant serré le cœur du juge que les paroles d’une autre, malgré une plus grande violence ou une plus grande tristesse. Cet homme avait brisé bon nombre de femmes, chacune à sa manière. Ils changèrent bien rapidement de sujet, puisque ça ne servait plus à rien de ressasser ces mauvais souvenirs ou de faire l’éloge de leur réussite. Puisqu’ils pouvaient enfin mettre cette histoire derrière eux, aussi bien commencer dès ce soir. Certes, maintenant que Maxence avait dit ce qu’il avait à dire, il ne tarderait pas à retourner vers ses amis et laisser Maddie à la page maintenant tournée à laquelle elle appartenait, mais il aurait trouvé injuste de la laisser en plan comme ça, si vite. Ils pouvaient bien parler un peu de rugby, ce n’était pas cinq minutes de bavardage qui le mettrait dans le pétrin – enfin, ça, c’était ce qu’il croyait. « Non mais, vous avez raison, par contre. Je devrais le faire plus souvent, c’est vrai. » C’était d’ailleurs une résolution qu’il mettrait volontiers dans sa liste pour l’année à venir, celle qui débuterait dans quelques mois. Cette année avait été une année de grandes décisions, de changements dans sa façon d’être, et la prochaine n’en serait que la continuité, il le savait. « Dans ma famille aussi, on regardait tous ces matchs. Enfin, je suis enfant unique, mais on se rejoignait entre cousins pour regarder avec nos parents. » Il sourit. « Je n’ai jamais joué officiellement, c’était toujours de manière récréative. » Bon, il avait fait partie de l’équipe de son lycée quand il avait quatorze ans, mais ça ne comptait pas vraiment, plus maintenant. Et puis, il n’avait pas fait long feu avant de devenir trop assidu dans ses cours et d’oublier le reste. Le juge reprit sa pinte pour en boire une gorgée et, en levant la tête pour ce faire, il aperçut au fond de la salle un journaliste qui avait couvert toute l’affaire Kershaw. Un journaliste qui avait été présent lors de quasiment toutes les audiences. Un journaliste qui le connaissait très bien et qui, s’il avait bonne mémoire, se souviendrait forcément de Maddie. Son cœur cessa de battre pendant quelques secondes alors que son corps entier se raidit. Par réflexe, il se décala légèrement sur le côté, mettant entre lui et l’homme une bande de jeunes adultes debout devant la télévision. Il ne voulait pas couper court à sa conversation avec la jeune femme sauf que là, il n’aurait pas le choix de se montrer bientôt impoli.

Il est vrai que ce n’était pas facile, parfois, de ne pas voir l’accusé comme un monstre. Quand Maxence entendait certains témoignages, résumé des faits, des chefs d’accusation, il avait la nausée à s’imaginer ce que certaines personnes avaient pu endurer en raison du défendeur. D’autant plus qu’avec toutes les preuves présentées, s’imaginer le déroulement complet des scènes d’horreur était faisable, quand le dossier était bien monté. Maxence devait faire la part des choses mais, surtout, il devait réduire l’accusé à un simple sujet de droit. Ce n’était pas évident, parce que Maxence avait cette humanité en lui qu’il ne pouvait pas allumer ou éteindre comme bon lui semblait. Sauf que c’était son travail, et il devait composer avec ses diverses facettes, celle-ci étant certainement l’une des plus difficiles. « Je ne peux nier que c’est difficile. C’est parfois dur sur le moral, dur sur ce qu’on pense de soi-même, aussi, devant telle ou telle décision. Le bien et le mal ne sont pas des concepts parfaitement définis, vous savez. Quand on se trouve en zones grises, c’est là qu’on se remet beaucoup en question … » Avoua Maxence. Et lors du procès Kershaw, Maxence s’était sans aucun doute égaré, en allant à la rencontre de Maddie pour l’inciter à témoigner. Jamais il n’aurait dû poser un tel acte et, pourtant, sur le moment, ça lui avait paru la seule bonne chose à faire. Mieux que de partir en courant et de faire comme si jamais leurs chemins ne s’étaient croisés par le plus étrange des hasards. Bref, les deux adultes changèrent finalement de sujet et parlèrent de ce genre de sorties, qui n’était pas si habituelles pour Maxence, et de rugby en général. « Si vous vous mesurez à quelqu’un de votre gabarit, qui sait, peut-être que vous vous découvririez une force inespérée. » Il eut un léger rire, avant de boire une gorgée de sa pinte de bière et de remarquer le journaliste, au loin, qui avait couvert le procès dont ils venaient de parler il y avait à peine cinq minutes de cela. Son corps se figea complètement, et heureusement que Maddie avait levé son regard vers les télévisions présentant le match. Elle ne remarqua pas la crainte et la surprise dans son regard. Elle remarqua toutefois qu’il s’était décalé, quand elle posa à nouveau son regard vers lui. Elle s’approcha, visiblement inquiète de ce changement d’attitude. « Là-bas, près des tabes de billard. Il y a un journaliste qui a suivi de A à Z le procès. » Son regard se dirigea vers l’endroit où il se tenait quelques secondes plus tôt, mais il n’y était plus. Le regard livide, Maxence bredouilla : « Il était là y’a pas une minute. » Derrière lui, une voix masculine se fit entendre. « L’Honorable Juge Kearse ! C’est différent de vous voir sans votre toge et votre perruque ! » Quelle familiarité. Certainement, c’était le contexte et le fait que Maxence soit plutôt jeune. Ce dernier eut un léger rire. « Et vous sans votre bloc-notes et votre crayon ! » Ajouta-t-il. Le journaliste se tourna vers Maddie. « Et vous, j’ai l’impression de vous avoir déjà vue à quelque part … » Fit-il remarquer. Les yeux de Maxence se dirigèrent lentement vers Maddie. Il ne pouvait lui faire aucun signe, verbal ou non-verbal. Ce serait encore plus louche qu’il n’en avait présentement l’air.  

Maxence hocha la tête aux paroles de Maddie ; elle savait exactement ce dont il parlait. Cette limite parfois mal tracée entre le bien et le mal, ce flou qui le laissait parfois mécontent, insatisfait ou du moins confus par rapport à certaines causes, à certaines décisions. Ce pouvoir que le juge possédait en était un qui ne lui amenait pas forcément que du bon. Cette position pouvait se révéler parfois bien délicate, et même si c’était un honneur de siéger ainsi à l’un des plus hauts tribunaux, il y avait également un côté bien plus tranchant à la chose. Et même si Maddie considérait qu’une erreur ne rendait pas nécessairement une personne mauvaise, Maxence ne pouvait s’empêcher de se dire que ce ne serait pas perçu ainsi de la part des autres, si jamais leur histoire en venait à sortir au grand jour. S’il réussirait peut-être à avoir la compréhension ou la compassion du grand public, puisqu’il avait agi dans la protection du public en envoyant un criminel en prison, Maxence savait pertinemment que ses collègues et les membres des branches exécutives et législatives ne le verraient pas de cet œil. « C’est exactement ça. » Se contenta-t-il de répondre, ne désirant pas revenir sur sa propre erreur, son écart de conduite. Il ne voulait pas que Maddie sache à quel point ça pouvait le tourmenter. Ils parlèrent plutôt du sport, sujet qui s’avérait beaucoup plus léger et de mise pour une telle ambiance, un tel endroit. Les procès, le crime, la justice, étaient des sujets bien trop lourds pour un bar comme celui-là, pendant un match qui plus est. Ils étaient tous les deux venus dans le but de décompresser, alors aussi bien terminer leur conversation sur une note plus légère. Maxence éclata de rire en entendant la brunette essayer de se trouver des forces au rugby, pour finalement conclure que ça n’était tout simplement pas pour elle. « On ne peut pas être doués dans tout ! » Conclut-il en haussant les épaules avec un rire. S’il fallait que tout le monde excelle dans tous les domaines, il n’y aurait plus vraiment de diversité, ou même de plaisir, dans ce monde. Du plaisir, Maxence n’en avait tout d’un coup plus du tout, lui non plus. Son visage s’était tout d’un coup refermé quand il avait aperçu, au loin, un visage familier … des bancs de la Cour. Et alors qu’il tentait de mettre Maddie au courant, et que cette dernière se demandait ce qu’il y avait de mal à ce qu’ils discutent tout simplement, ledit journaliste s’immisça dans leur conversation. Maxence et lui monopolisèrent la discussion un moment, avant qu’il ne s’adresse finalement à Maddie. Le juge redoutait cet échange. Quand la brunette fit une erreur, aussi innocente et honnête fut-elle, Maxence ferma les yeux, sa respiration tout d’un coup coupée. Il les rouvrit rapidement pour ne pas laisser paraître qu’il était déstabilisé, pris au piège. « De nos jours, sauf un journaliste ou un détective privé, les gens avec des blocs-notes et des crayons ne courent pas les rues … » Lança Maxence à la blague, lui qui n’avait aucun humour. D’ailleurs, le malaise était palpable, ce qui ne fit qu’éveiller davantage les soupçons du journaliste, dont le regard allait de Maxence à Maddie sans broncher. Après un moment, il déclara : « Je ne vous dérangerai pas plus longtemps … Mais vous savez, j’ai bonne mémoire, alors je suis persuadé que ça me reviendra. » Il esquissa un sourire, un sourire qui en disait long sur la vile personne qu’il était, et il s’éloigna en accordant un dernier regard à la fois suspicieux et accusateur en direction de Maxence. Ce dernier se tourna vers la brunette, se retenant pour ne pas céder à la panique. « Je suis foutu. » Déclara-t-il d’une voix qui se voulait calme, mais qui laissait entrevoir son affolement.  

Les sports d’équipe, non, ce n’était effectivement pas la tasse de thé de Maxence. Toutefois, pour avoir la carrure qu’il avait, ce n’était pas à coup de chapitres de roman qu’il s’entretenait. Depuis tout récemment, son ami Daemon lui avait donné l’accès-libre à salle de gym à domicile, alors il avait redoublé d’effort dans l’entraînement. Avant ça, il était inscrit à un gym à Brisbane et s’entraînait donc les soirs de semaine, s’autorisant des congés les week-ends, à Bowen. Il pratiquait aussi certains sports de combat, contrairement à ce qu’on pourrait croire, il adorait la boxe. Certes, il n’avait pas autant de temps qu’il ne l’aurait voulu pour ces cours-là, mais il avait un forfait libre-service qui lui permettait de s’y rendre quand il le voulait. Maxence se contenta de sourire à la remarque de Maddie, c’est vrai qu’ils ne sauraient plus où donner de la tête si toucher à tout était possible. Il hocha la tête, avant que son regard ne se pose finalement sur le journaliste qui viendrait semer le trouble dans leur conversation, quelques minutes plus tard. En effet, il n’avait pas mis de temps à s’approcher du duo afin de faire monter les doutes et les inquiétudes dans la tête de Maxence, qui allait très certainement devenir malade à force de penser aux conséquences de cette rencontre fortuite. Heureusement, ou pas, l’échange ne dura pas très longtemps et le journaliste s’en alla après leur avoir lancé une pointe qui sentait la menace à plein nez. Le cœur de Maxence se débattait dans sa poitrine, et alors qu’il avait cherché à cacher son trouble pendant tout ce temps, il relâcha enfin quand il vit le journaliste passer la porte d’entrée. Il était foutu, oui. « Ce n’est pas un crime, non, mais c’est en quelque sorte une infraction à mon code de déontologie. Et … même si là, à première vue, je n’ai rien à me reprocher, il en sera tout autre s’il commence à creuser, s’il soulève le moindre doute. » Répondit Maxence en jetant souvent des coups d’œil à la porte, comme s’il craignait que le journaliste soit encore là, juste pour voir les jambes de Maxence fléchir sous le poids de sa conscience. « Ce n’est pas votre faute, Maddie. Son intention était de nous mettre au pied du mur. » Ils n’avaient pas eu le choix de se justifier par tous les moyens possibles, et Maddie avait laissé la nervosité l’emporter. Ça, ce n’était pas un crime. C’était juste une réaction normale, humaine. Et il ne pourrait jamais lui en vouloir à elle alors que c’était lui-même qui s’était mis dans de beaux draps. « J’ai l’impression … Il sait qu’il tient peut-être une histoire, il sait qu’il a le bon bout du bâton … J’aimerais espérer que ce n’est pas le cas, qu’il ne saura rien du tout. Mais j’ai comme un mauvais pressentiment … » Il déglutit, jetant un coup d’œil à sa bière qu’il repoussa en détournant le regard. Il n’avait plus du tout envie de fêter quoi que ce soit, Maxence.

Cette soirée qui avait plutôt bien commencée se révélait un véritable cauchemar pour Maxence. Sans doute que sa réaction était autant exagérée parce qu’il avait mis tellement d’efforts à se tenir bien dans les rangs, ne se permettant jamais un seul écart de conduite justement pour se protéger de telles situations délicates. Après tout, Maxence était l’un des plus jeunes juges jamais nommé à un tribunal australien, aussi haut qui plus est. Il ne pouvait pas se permettre d’avoir les regards rivés sur lui, éveillant les soupçons, recevant des jugements sur ses actions. Il représentait la justice, il représentait ce en quoi les gens remettaient leur sort à défaut de pouvoir se venger par eux-mêmes. S’il ternissait l’image du système, le monde juridique écarterait bien rapidement Maxence pour essayer de rétablir l’équilibre, regagner la confiance du public. Alors, certes, il exagérait avec sa paranoïa décuplée par les menaces sous-entendues du journaliste, avec son ton de voix défaitiste, mais c’était parce qu’il savait ce qu’il avait à perdre tout au bout de la ligne, Maxence. Et c’était beaucoup trop à risquer. Pourtant, c’était lui qui s’était placé de lui-même dans cette situation, c’était sa décision de tout basculer ce qu’il avait jusqu’à ce jour construit. « Je ne sais pas, Maddie. Je n’avais pas songé à ce qui aurait pu arriver si on en apprenait un peu plus sur notre situation. Je ne sais pas si … s’il reste des traces de notre entente, que ce soit dans des dates qui concordent ou … ou … je n’en sais rien. » Il soupira. En verbalisant ses inquiétudes, il réalisait peu à peu qu’elles n’étaient effectivement basées sur rien de concret. Ce journaliste allait-il réellement faire des recherches au point de trouver que Maxence avait eu un rendez-vous à l’hôpital le même jour que Maddie ? Allait-il voir, sur les caméras, qu’ils avaient ensemble quitté l’établissement ? Allait-il comprendre qu’une semaine après cette rencontre, Maddie témoignait en cour ? Il faudrait être complètement absorbé par cette histoire qui n’avait aucune base solide pour entreprendre de telles recherches. À priori, ce journaliste n’avait rien contre Maxence, pas une hargne démesurée qui pourrait motiver un tel dossier. Il lâcherait le morceau, oui. Ça s’arrêterait là. Quand Maddie parla de mentir, il releva directement le regard vers elle. Si jusqu’à maintenant, ses paroles l’avaient calmées, apaisées, il sentait son cœur recommencer à battre sur le rythme de ses angoisses. « Ce serait encore pire par après si on découvrait le mensonge, si on découvrait que derrière l’omission se trouvait les vraies réponses. Je ne sais pas si je pourrais mentir, pas davantage que ce que j’ai fait ce soir, Maddie. » Parce que la vérité était qu’ils ne s’étaient pas seulement croisés dans ce bar pour échanger quelques mots. La vérité était que Maxence avait carrément choisi son camp entre la défense et la Couronne, alors qu’il n’avait aucunement le droit de le faire, dans sa position. « J’espère que vous avez raison … » Il ferma les yeux, inspira profondément, puis reporta son regard à la jeune femme. « Vous avez sans doute raison. » Affirma-t-il alors, ayant comme gagné une certaine conviction en ces quelques secondes. « Il y a sans doute de meilleures histoires avec preuves à l’appui sur lesquelles se pencher, plutôt que celle-ci. » Et pourtant, ça en serait toute une, une histoire à tenir, pour la rubrique Justice et faits divers. Si seulement il n’avait pu être que ça, un fait divers, auquel on ne s’attarderait pas plus longtemps.

Il avait certes pris conscience du fait que ce qu’il faisait n’était pas correct, que ça n’était pas éthique, Maxence n’aurait pas autant hésité à aborder Maddie la première fois si ça n’avait pas été le cas. Toutefois, il n’avait pas songé à tout ce qui pouvait réellement en découler, à comment s’y prendre pour éviter les représailles ou les soupçons. Il aurait sans doute pu s’y prendre d’une manière bien plus discrète que ça, mais ce n’était pas le pire des scénarios non plus. Après tout, Maxence aurait pu contacter Maddie via un courriel électronique qui aurait par la suite pu être saisi, ou alors via un appel téléphonique qui aurait pu être retracé par la suite. Il aurait pu user de ses connaissances en commun avec la jeune femme pour faire passer le message, et aurait alors impliqué des tiers qui auraient été contraints de venir témoigner contre lui. Rien de tout cela ne s’était produit, non il avait beau réfléchir suite aux paroles de Maddie, et toutes les preuves qu’on aurait pu rassembler pour monter le dossier était bien trop poussées, bien trop difficiles à obtenir et même à imaginer. Il hocha la tête. « Et puis, qui songerait à aller vérifier les registres de rendez-vous à l’hôpital, hein ? Vous avez raison. Pour établir un quelconque lien, il faudrait être timbré. » Il esquissa un sourire, s’autorisa même à rire un peu de sa réaction exagérée. En même temps, il fallait comprendre qu’il pouvait tomber bien plus vite encore qu’il n’était monté. Et comme il tombait de haut, la chute ferait mal. Il voulait donc s’assurer qu’un filet se trouvait directement en-dessous de lui, si jamais quoi que ce soit se produisait. Après tout, Maxence pourrait être convoqué devant le conseil de discipline suite à une plainte ou une remarque à son propos, et c’est là qu’on lui ferait promettre de dire la vérité. Vérité qu’il ne pourrait offrir sans s’incriminer. « Non, non … Je ne me sens pas mal, non … Mais bien juste parce que ça n’était que lui. Mentir à des gens plus haut placés que moi, ça … » Il ne compléta même pas sa phrase, ça ne servait à rien, Maddie comprendrait sans doute. Puis, tant qu’à laisser cette phrase en suspens, aussi bien mettre toute la conversation de côté aussi. De toute façon, plus ils en parlaient, plus Maxence était confronté à ce conflit interne qui ne le menait pour le moment nulle part. Il jeta un coup d’œil à l’écran, la seconde période était effectivement bien avancée. Maxence hésita. « Arg, je ne sais pas. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Je pense que je ferais mieux de rentrer, et qu’on … qu’on reprenne la distance qu’on aurait toujours dû avoir. » Il se sentait gêné, honteux, coupable, Maxence. Parce qu’il réagissait sans doute trop fortement à cette situation qui n’aurait sans doute pas un tel impact autour d’eux. Ils avaient déjà croisé un journaliste pour la soirée, les risques étaient bien minces de se faire prendre de nouveau la main dans le sac. Et, pourtant, Maxence ne le prendrait pas, ce risque.