La coloc qui fait long feu

Tu rentres chez toi après ta journée d'taff. Une journée comme toutes les autres. Si y'a bien un truc qui t'botte dans ta vie c'est ça. La mécanique. Heureusement qu't'as ça d'ailleurs. Sinon … T'sais pas trop ce qu'tu branlerais d'ta vie. Et comment tu ferais pour vivre. Enfin si tu l'sais. Tu f'rais des braquages. Tu t'f'rais chopper. Et direction la prison. Alors dans un sens, p'tet que ta passion t'as sauvé la vie. Ta vie misérable. Même si dans le fond tu t'poses pas des questions de merde. Tu penses pas à faire une putain d'connerie qui foutrait ta vie en péril. Tu laisses juste les jours passer un par un. Tu passes ton jeudi soir au bar. Ton samedi avec un pote. Tu vas voir les courses clandestines d'temps en temps. Et tu bosses plus que d'raison sans doute. Pourtant chez Nate tu gagnes pas d'quoi rouler sur l'or. En même temps, le jeune homme a bien voulu accepter de t'engager, t'vas pas t'en plaindre. Si tu fais genre qu'tu t'en bats la race, au fond, une petite partie d'toi le remercie. T'es pas l'plus doué, t'es pas – d'aspect – l'plus motivé, tu fais peur à voir, y'a bien des patrons qui t'aurais même pas adressé un seul regard. Pas lui. Chouette gars. Alors bien sûr tu travailles correctement, tu fais ton job. Y'a bien quelques personnes qui t'payent et t'emploient au black pour réparer leur voiture mais pareil, pas d'quoi s'acheter un duplex de luxe, juste de quoi boucler ton mois. Tu vis dans l'immeuble le plus pourri d'la ville. Enfin « ça va » mais à côté de certains autres, dont celui de ton patron, ça fait pâle figure. Et pourtant ton loyer est pas misérable, lui. Le paradoxe de la vie. Tu jettes ta clope dans l'cendrier au dehors et tu rentres dans l'immeuble. Ascenseur en panne, comme d'puis ces trois derniers mois, alors tu grimpes les escaliers. Une odeur assez particulière. Comme d'habitude. Pourtant tu sens un truc en plus. Genre du brûlé. Sans doute un gusse qui aura oublié un truc au four ou qui aura foutu le feu à sa poêle car il sait pas s'faire à bouffer c'con. Toi au moins tu t'emmerdes pas à t'prendre pour un chef. Plus tu montes les escaliers, que tu t'rapproches de chez toi, plus ça sent. Et quand t'arrives devant ta porte, tu t'dis que putain c'est pas possible. Tu pousses un juron en espagnol et t'ouvres ton appart' en quatrième vitesse. Et là … Mierda de mierdaTu t'retrouves con à pas bouger. Ton coin cuisine a pris feu. Et ça continue de gentiment cramé. Puta ! Tu reprends tes esprits. Tu sors dans le couloir. Héé ! Tu gueules pour de l'aide. Pas sûr qu'on viendra t'aider. Parce que toi, t'irais pas aider le connard du d'ssous. Tu cherches après l'extincteur du palier. Si y'en a un, t'as du bol, s'il est en état de marche, c'est un p'tit miracle. Tu vois ce fameux truc couleur rouge à quelques mètres alors tu fonces le chercher. Et quand tu r'viens, t'entends quelqu'un monter les marches. Au moins, il pourra pas t'ignorer. Héé toi ! Ouais, tu fais preuve de tact. Arharh … Comme d'hab. Une nana qu'habite dans ce même immeuble pourri. Qu'tu connais pas, juste de tête. Le moins qu'on puisse dire c'est qu'elle passe pas inaperçue alors tu la r'connais. Comme toi quoi. Magne y'a mon appart' qui prend feu puta ! T'pourrais appeler les pompiers mais le temps que ces couillons arrivent. Ouais tu les portes pas dans ton corps. Le jour où tu t'es planté, ils ont mis des plombes à arriver. D'ailleurs, heureusement qu'un bon samaritain t'as sorti d'ta bagnole et a arrêté le feu sur ta gueule. Même si ce con aurait pu t'tuer si t'avais eu une vertèbre déplacée ou un truc du genre. Et à vrai dire t'attends même pas un oui ou un non d'ta voisine de palier. T'as un feu à arrêter toi putain.

La meuf se barre. Perra qu'tu lâches en rentrant dans ton appart. Ton appart' qui crame putain. Elle est conne cette nana ou quoi ? Si tu stoppes pas l'feu, il risque de s'répandre. Ou alors elle te croit pas ? Ou elle parle pas anglais ? Enfin elle a pas une gueule a être chinois, arabe ou latino. Ouais elle s'est barrée sans dire un mot. C'qui te sert de gazinière est en flammes. Tu diriges l'embout de l'extincteur droit dessus. T'appuies.  Coño. Forcément ça veut pas. Goupille de sécurité. Tu l'enlèves. Tu r'fais pression sur la poignée pour voir sortir le gaz, la poudre ou la mousse. Sauf que rien vient. Puta !! Vete a la mierda maldito … Tu tapes dessus. Par dépit. Pis là, t'entends quelqu'un dans ton dos. La meuf d'il y a cinq secondes. Elle est pas si conne finalement. Extincteur à la main, extincteur qui marche, elle, elle tente de stopper les flammes. Sauf que ça suffit pas. Va vraiment falloir qu't'appelles les pompiers. Mousse plus bonne, ou tout simplement pas assez, le feu reprend légèrement. Et là, la meuf se r'barre. Euh ouais vas chercher l'extincteur du bas. J'essaye d'faire marcher c'lui là … Même pas le temps de terminer qu'elle est déjà partie. Vachement bizarre c'te nana. Elle est p'tet muette. Après tout, tu t'rappelles pas avoir jamais entendu sa voix … Tu tentes de voir c'qui cloche avec ton extincteur. T'penses bien remplir un seau, ou une connerie du genre, d'eau mais t'sais bien que ça va faire pire que mieux. T'es pas con à c'point là. Et tu vois rien d'assez grand pour recouvrir le feu. Ouais tu penses à tes draps mais si c'est pour les foutre en feu et créer encore plus de bordel … Tu tapes la poignée. Et tu vois un peu mousse en sortir. P'tain enfin. Et comme quelques secondes plus tôt. T'entends quelqu'un arriver. C'te nana. Encore. Avec une putain de grande couverture. Maldita heureusement qu'elle est là. Ouais mais cette merde galère … Parce qu'entre temps le truc remarche plus. J'claque la poignée contre l'extincteur et boom, à la pression d'après, la mousse en r'ssort. Correctement cette fois. Al final.Le feu semble alors à moitié s'étouffer. Tu vides ton truc. T'façon, au pire, t'iras chercher celui du d'ssous. Comme tu lui avais d'mandé à l'autre. Mais pas sûr qu'elle t'avait entendu. Ou alors, elle avait remarqué la couverture quand elle est passé d'vant l'immeuble et avait les idées bien en tête quand elle est descendue. Vas-y à toi. Fais gaffe. J'vais chercher une d'mes couvertures j'arrive. Et tu files en quatrième vitesse dans ta chambre. Tu t'magnes de prendre ta couette et tu t'retournes voir ton coin cuisine. La nana a foutu la couverture là où il restait quelques flammes. Tu t'portes à ses côtés et t'éteins c'putain de feu avec son aide. Tu fais genre mais t'as les mains qui tremblent un peu. Tu flippes à moitié. T'as pas un bon souvenir des flammes toi … Et après quelques secondes, tout semble sous contrôle. Tu pousses un gros soupir. Et tu tournes la tête vers c'te femme qui t'as donné un putain d'coup d'main. Sans elle … T'veux même pas y penser. Grand merci. Mais t'aurais pu m'dire ce qu'tu comptais faire. J'ai cru qu'tu m'laissais en plan. Et t'as pas eu des mots tendres envers elle. Tu r'tounes la tête vers l'endroit où y'avait l'feu. Puta qu'est-ce que j'fous moi maintenant ?? Appeler le proprio, les pompier. Bonne grosse soirée de merde ouais …

La bonne samaritaine revient t'aider. Vous éteignez rapidement l'feu et tu la remercie. Normal. Sans elle, tout ton appart' aurait cramé. Là t'as d'la chance. T'as plus de frigo, t'as plus d'cuisinère, t'as plus d'armoire de cuisine mais tes affaires sont sauves. Et là … Et là t'en reviens. Elle s'allume une clope genre l'air de rien. Elle te fait une remarque et t'arque un sourcil. Tu t'demandes qui est cette chica. Ces mots qui débarquent de nulle part. C'comportoment. T'en reviens pas putain. Ca va ? Tranquilo ? T'espère que tu la déranges pas la nana … J'te d'mandes pas ça non plus abuse pas. T'avais l'air de bien savoir c'que tu faisais … Au départ, tu prêtes même pas attention à sa main. T'es trop préoccupé par ce qu'il se passe devant tes yeux. C'est noir, ça pue. T'es genre désabusé par tout ça. T'es là et … Et tu sais pas quoi. C'est quoi l'plan ? Tu fous quoi ? Hormis appeler le proprio, les flics. Te v'la dans un putain d'galère. L'histoire de ta vie. La nana te d'mande si t'as que'que part où aller. Ca t'as pas traversé l'esprit mais maintenant qu'elle te dit … Nan .. Pas vraiment nan … Le seul truc qui t'vient en tête c'est le gymnase. Tu connais le proprio, p'tet qu'il te laissera un coin pour dormir. Façon il te faut pas grand-chose. L'autre continue d'fumer sa clope. Génial. Y'a un blanc qui s'installe. Et puis elle le brise. Elle t'invite chez elle. Pas qu'pour la soirée là nan. Pour le temps qu'ton appart soit remis « à neuf ». Ou qu'le proprio t'en trouve un autre. Sérieux ? Clairement t'es surpris. Tu vois bien qu'elle est sérieuse alors t'arrêtes de passer pour un con. Euh … Ouais … T'inquiète j'me f'rais p'tit et je t'emmerderais pas. C'est … Allez Jorge, c'est pas bien difficile. C'est sympa d'ta part. Gracias. Tu vois quand tu veux … Puis là tu vois autre chose. Sa main. T'ouvres grand les yeux. Tu t'demandes depuis quand elle s'est arangée comme ça. En plus, ça a l'air de l'emmerder tant que ça la nana. Particulière c'te meuf qu'tu t'dis. Tu t'doutes que le truc urgent c'est la blessure. Et là elle part en t'disant qu'tu peux monter quand tu le souhaites. Elle sort d'chez toi qu'tu t'précitpites. Espera espera ! Tu pourrais parler anglais putain. Là elle va rien comprendre. Même si l'ton d'ta voix indique que t'as un truc à lui dire. Et de là, qu'elle doit « attendre ». Tu claques la porte et tu la rejoinds rapidement au pieds des escaliers. T'as fait ça où ? Et t'as quoi exactement ? P'tet qu'elle s'est coupée avec c'foutu extincteur. Faudrait pas déconner putain. Ces trucs pourrissent là d'puis des mois. C't'un coup à choper une infection. Lo siento, j'avais même pas r'marqué putain. J'm'occuperai d'mon bordel après. Ca, ça semble plus urgent ouais. Et puisqu'il semblerait qu'vous allez passer un peu d'temps ensemble. Au fait, moi c'est Jorge. Et comme quoi, y'a pas qu'des connards dans ton immeuble.

Puta. La vie est toujours là pour t'rappeler qu'elle est bien merdique. Bien que … Y'a parfois un truc pour t'montrer qu'tous les gens sont pas des cons. A commencer par cette nana qui est v'nu t'donner un sacré coup d'main. Plus que ça même vu qu'elle a fait tout l'boulot presque. Sans elle, l'feu s's'rait p'tet propagé dans tout l'immeuble. Et là, ça t'aurait bien r'tombé sur la gueule. Toi qu'a pas voulu appeler les pompiers. L'temps qui arrivent façon. Même si … Même si tu sais qu'un feu ça les motive toujours pour s'magner le cul. Ces trou d'balles qui sont tout content de rentrer dans une baraque en flammes et de les éteindre après. Ah jouer les héros c'est cool ouais … Tu r'mercies la nana. Qui a un drôle de truc à la main quand elle t'fait signe. Alors ouais tu cours la rattraper. Tu lui d'mandes de quoi, de où, de comment. Dans la précipitation d'tout, t'as même pas fait gaffe … Tu la r'garde alors d'un air surpis. Elle a dégommé un type. Ah ouais … Pour t'foutre la main dans un état pareil, il a du déguster ce p'tit con … Et ouais nan t'inquiètes je comprends. Mouais. Enfin c'est pas la mort non plus. Et ton appart' c'était plus urgent qu'ça. Enfin tu vas pas trop la chercher c'te meuf. Ca s'trouve c'est une boxeuse ou quoi. Elle a pas l'air d'faire d'la danse classique façon vu son style. Elle écrase sa clope par terre. Ok. Vraiment bizarre c'te meuf en fait. Elle gère qu'elle dit. Ouais bah elle va pas t'empêcher d'la remercier et d'lui filer un p'tit coup de main putain. J'dis pas l'contraire. Un peu p'tet. Elle va pas r'fuser qu'tu l'aides à panser cette blessure ou quoi si ? T'vois bien qu'elle est pas très loquace mais quand même quoi. Puis vous vous présentez. T'hoches la tête à son nom. Yen. Pourtant elle a pas une gueule d'asiat. Tant mieux, t'aimes pas les chinois. T'aimes pas grand monde en vrai. Tu débarques donc chez elle. Et c'est … particulier ouais. Tu t'dis que tu vis dans un truc pourri mais là … Et elle veut qu'tu viennes passer quelques jours chez elle l'temps qu'ton proprio trouve une solution ? … Arh. Tu restes un peu planté là. Pendant qu'Yen désinfecte sa main. Puis tu la vois chercher un truc et tu fais pareil. Tu trouves un bout d'tissu qui conviendrait pour recouvrir la blessure. Ca qu'tu veux ? Donne ta main j'vais l'faire. Parce que toute seule, elle pourra moins bien l'faire. J'dois avoir un rouleau d'bandage chez moi. A voir dans quel était il est. Mais en attendant ça c'est pas mal. Parce qu'y'a pas mal de trucs qui traînent un peu partout et t'es pas certain qu'le truc soit propre. T'vas pas lui r'filer une putain d'infection quoi. C'est confortable c'truc ? Tu montres le hamac du menton. Elle aurait pu s'démerder pour trouver un matelas. Mais t'vas pas juger non plus. Et ouais tu fais genre de taper la discut. Si tu comptes « vivre » ici quelque temps c'est mieux que d'se parler à coup de « arg », « hum », « ouais », « ok » …