Same blood, different men ~ ft. Aedhan

Voilà qui était lancé. J’avais pu être en contact bien rapidement avec celui qui était apparemment mon demi-frère. Moi qui ait grandi seul, qui me suis toujours débrouiller tout seul, sans même avoir besoin de ma mère, l’idée d’avoir une famille était assez inconcevable. Je n’étais pas spécialement heureux d’avoir une famille, au contraire, je me sens encore plus rejeté. Je l’ai toujours été, l’être une nouvelle fois n’est pas forcément très agréable. Mais quelque part, j’avais besoin de savoir qui était ma famille. Et j’avais mis du temps à me lancer, des années à vrai dire. Avoir ma propre famille m’avait largement suffi. Avoir ma fille, même si je ne l’avais pas voulu dans un premier temps m’avait comblé de joie, que demander de plus. Seulement depuis des mois, je n’arrête pas de me remuer les méninges et l’envie de découvrir mes origines, ou au moins ce qui l’en reste, ça me rendait curieux. Curieux au point de me renseigner sur la famille de mon père, les O’Brady. Rapidement, j’avais découvert l’existence de son fils, étant un illustrateur de BD. A croire que nous avions la littérature en commun. Même si pour sa part c’était davantage le dessin. Mais ça ne me faisait ni chaud ni froid. Ce serait simplement une bonne base pour une rencontre. Cela se fut très rapidement. L’appât du gain a toujours le plus fort. On avait rendez-vous ce jeudi même autour d’un café, un peu avant que ne sonne midi. C’était souvent l’heure où je commençais à avoir un coup de barre, où je me permettais une pause avant de déjeuner. J’en profitais pour avoir un rendez-vous d’affaire mêlé au personnel. Je n’étais même pas sûr d’être intéressé à l’idée d’émettre le fait que nous avions le même père. Je verrais bien une fois sur place. On s’était donné rendez-vous à l’intérieur d’un bar assez calme et cosy à la fois en journée pour discuter du projet de mon livre. Je n’ai jamais beaucoup apprécié charger mes couvertures, en général je choisis toujours quelque chose de simple, pas très coloré, tout comme mes histoires en général. Mais je me dis qu’il serait temps de changer un peu. J’ai toujours aimé changer de compagnie, alors pourquoi pas d’illustration sur mes livres. Ce n’est pas comme si ça risquait de déranger ma maison d’édition. Je m’étais donc installé à une table assez à l’écart du bar et attendais patiemment que mon demi-frère arrive. Encore une chance que j’ai pu voir une photo de lui sur internet.

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Le business des illustrations n’était pas fou en ce moment. Il fallait dire qu’Aedhan n’avait pas vraiment pris le temps de faire de la pub ou même de mettre à jour son site avec ses dernières couvertures. En fait, il avait peur de trop s’investir, de se donner à fond pour au final échouer. Et il y avait eu Orson, l’accident, le fait qu’ils soient ensemble maintenant. Comme tout jeune couple ils étaient souvent collés l’un à l’autre alors disons que pour le moment il se contentait de vendre des BD et de ne dessiner que pour lui-même.
Alors quand par message on lui demanda ses services, Aedhan avait presque sauté de joie. Dessiner pour les autres c’était toujours un plaisir. Ca voulait dire qu’on reconnaissait un peu de son talent et qu’on lui faisait confiance. Un livre ce n’était pas rien et on aurait pu choisir tant d’autres dessinateurs mais non, c’était lui qu’on choisissait. Enfin, il ne fallait pas crier victoire trop vite. Peut-être que cet Anton ne le choisirait pas en fin de compte ou qu’ils n’arriveraient pas à s’entendre alors il préférait y aller à la cool. Très vite, apprenant qu’ils habitaient au même endroit, Aedhan avait proposé un rendez-vous dans un café. Lieux qu’il fréquentait en journée mais qu’il évitait plutôt le soir quand le café était remplacé par pas mal d’alcool.

Aedhan avait failli être en retard, il ne trouvait plus ses derniers dessins. Il tenait à les apporter car il n’y avait pas tout sur son site et souvent on se faisait une meilleure idée sur papier. Finalement il arriva au café pile à l’heure et fut même plutôt fier de lui car ça n’était pas gagné au départ. Il entra dans le café et chercha l’inconnu du regard. Ce dernier lui fit un signe de la main, il le rejoignit donc à sa table. « Bonjour ! Enchanté Monsieur Swindell, je suis Aedhan O’Brady. » Logique. S’il avait fait signe, c’est qu’il l’avait reconnu. Il s’installa en face de lui et sourit. « J’étais vraiment content de recevoir votre message. Alors, et si vous me parliez un peu de votre livre ? »

Quand il débarqua dans le lieux, sa dégaine m’interloquait. Je pouvais presque lire sur son attitude qu’il était dessinateur. Et je me demandais surtout s’il ressemblait à notre père. Je savais que je ressemblais comme deux gouttes d’eau à ma mère, mais lui, ressemblait-il à sa mère ou à notre père ? Même si je me fichais bien d’avoir de la famille, j’étais curieux de savoir. Et en même temps, si je n’avais pas été curieux, je ne serais pas ici aujourd’hui. Je lui faisais donc un signe de la main pour qu’il puisse me rejoindre, pas vraiment sûr qu’il ait fait les mêmes recherches au préalable que moi. Parce que oui, moi aussi je suis sur Google, c’est la moindre des choses, après les quelques best-seller que j’avais pu écrire. Mais peu importe, je préférais ça plutôt que de l’attendre trois heures.Je me levais donc à son arrivée et lui serrais la main alors qu’il se présentait. Enchanté également. Même si j’étais davantage intrigué. Pas spécialement heureux de cette collaboration, mais ça me permettait d’avoir une excellente excuse. Je m’installais de nouveau et me fit part de son enthousiasme avant de me demander quel était le sujet de mon prochain livre C’est un polar fantastique dans un premier temps. Les personnages sont déjà bien développés, le contexte également, le synopsis et la structure sont déjà posés. Je ne pourrais malheureusement pas vous le faire lire, mais est-ce que vous pouvez vous inspirer du synopsis et des personnages pour créer la couverture ? Lui demandais-je alors, espérant que son imagination soit suffisante pour en créer une à partir de ces éléments-là. Même si franchement, c’était largement suffisant, selon moi.

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Ce type-là n’avait pas l’air très commode. Il n’inspirait pas beaucoup de sympathie à Aedhan mais il ne fallait jamais se fier à la première rencontre. Peut-être qu’Anton était encore en train de le jauger, peut-être qu’il était du genre à n’accorder sa confiance que beaucoup plus tard. Et peut-être que tout simplement, ils ne s’entendraient pas. Aedhan se fichait bien qu’on l’apprécie ou non, le tout était d’aimer son travail. Malgré ça il était avéré que quand l’ambiance était bonne, le dessinateur se sentait plus libre de tenter des choses et ressentait moins de pression. Ce gars, sans même le connaître, avait un air austère, très exigeant. Il était possible qu’il se trompe mais Aedhan sentait qu’il lui faudrait beaucoup d’esquisses pour le contenter. Qu’à cela ne tienne, il aimait les challenges. Anton lui expliqua vaguement le contenu de son livre, lui indiqua qu’il n’aurait à disposition que les personnages et le synopsis. Ca lui semblait suffisant oui, du moins il espérait que ça le serait. Mais ça marquait clairement le manque de confiance d’Anton envers lui. Avait-il peur que son roman ne fuite ? Aedhan pouvait le comprendre. Il avait fait quelques recherches par curiosité et si le nom d’Anton Swindell ne lui disait pas grand-chose, google le connaissait quelque peu. Ce n’était pas un auteur lambda qui cherchait vainement à débuter sa carrière. Et ça, c’était un challenge de plus. Il avait publié quelques livres déjà, savait ce qu’il voulait ou ce qu’il ne voulait pas et il n’hésiterait pas à le dire. « Oui bien sûr on peut faire comme ça. J’essaierais de rester autant fidèle que possible à votre histoire avec les éléments que j’ai. Cela dit… J’ai vu que vous aviez publié d’autres livres déjà. Est-ce que vous voudriez un style qui s’en rapproche ou alors changer complètement ? » S’il ne s’adressait pas au même dessinateur c’était probablement pour changer mais Aedhan préférait lui poser la question.
Il trouvait à cet homme quelque chose de familier. Probablement parce qu’il avait vu son portrait sur internet.

C’était donc ça, être heureux ? Avoir eu un père ? Avoir eu une enfance normale ? Peut-être. Je ne connaissais rien à sa vie. Mais je savais qu’il avait connu son père. Notre père. Et rien que pour ça, je ne pouvais que le jalouser. Je ne pouvais tout de même pas me permettre de faire une réflexion déplacée. J’étais avant tout à ce rendez-vous pour mon livre. Cette rencontre était professionnelle. Il fallait que je le reste. C’était comme ça aussi que j’allais pouvoir en apprendre davantage sur mon géniteur et la famille qu’il a préféré à moi et à ma mère. D’un côté, je pouvais le comprendre, mais de l’autre, je lui en voulais de m’avoir abandonné avec ma mère. Sauf qu’à présent, c’était fait, aucun retour en arrière n’était possible. Il valait mieux que je me contente d’apprécier ce que j’avais plutôt que de commencer à envier les autres. Même si j’étais à deux doigts de ressentir ce pêché avec mon demi-frère. Mes pensées essayèrent alors de se focaliser sur le boulot et de faire comprendre à Aedhan ce que je souhaitais vraiment pour cette couverture. Parce que non, ce n’était pas du fake ce rendez-vous. Bien entendu, s’il n’avait pas été illustrateur, je n’aurais pas changé de style pour ce livre-là non plus. Mais autant en profiter Changer complètement ? Non. Je souhaiterais la même simplicité, que cela ne soit pas trop chargé et assez sombre, garder au maximum l’univers qui englobe mon livre. Parce que si c’était pour mettre des couleurs, autant se suicider tout de suite. Je lui expliquais tout cela, en me focalisant, en étant le plus neutre possible, peut-être un peu trop. Je voyais bien qu’il n’était pas à l’aise. Mais en même temps, moi non plus. Mais clairement pas pour la même raison.

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Aedhan écouta attentivement les explications d’Anton et prit même quelques notes. Il sentait qu’il n’avait pas le droit à l’erreur et qu’il allait devoir travailler dur pour le satisfaire. Ca lui plaisait bien, les challenges, alors il ferait de son mieux pour le réaliser. Afin de ne pas perdre son client, il savait déjà comment procéder. Plutôt que de lui proposer les différentes couvertures une par une, ce qui pourrait le lasser, il lui en proposerait cinq ou six en même temps. Bien sûr cela lui demanderait un délai un peu plus long mais en général il n’avait pas trop de mal à respecter ceux qu’on lui donnait. Aedhan carburait quand il s’agissait de dessiner, le faisant parfois au boulot, parfois toute une nuit. « Très bien, je vais faire de mon mieux pour vous satisfaire. Maintenant, la question qui fâche… Quel délai maximum me donnez-vous pour ce travail ? » Il en avait connu des très exigeants. Et des auteurs qui exagéraient aussi et qui pensaient probablement qu’il n’avait que ça à faire de sa vie. Plusieurs fois Aedhan avait dû les ramener à la réalité et leur faire réaliser que non, trois jours ne seraient pas suffisants pour un tel travail. Du moins, ça pouvait l’être, parfois il y parvenait, mais l’inspiration ne se commandait pas et il préférait avoir ne serait-ce qu’une légère marge de manœuvre. « Après, moi je suis totalement transparent. On peut aussi se fixer des rendez-vous réguliers pour voir où j’en suis, où vous en êtes, ce genre de choses. »