y'en a marre (ft Lisandro)

"y'en a marre"

Matinée. Mardi. Une journée comme une autre, je me lève plus tôt que Lisandro, toujours plus tôt, au cas où il aurait besoin d'aide. Il se lève généralement à la même heure, donc je n'ai jamais de surprises. Parfois, la sonnette retentit la nuit, car il a besoin d'aller à la salle de bain, même si c'est très rare. Je ne vais pas me plaindre, je sais que ce boulot demande beaucoup, que je travaille 24h/7. Mais j'aime ce boulot. Même si au début, j'ai failli partir à de nombreuses reprises, par son attitude désagréable, ses exigences bien trop élevées, aujourd'hui je peux dire que j'aime mon travail. Il lui arrive d'être encore désagréable, mais je suis compréhensible, nous avons tous des mauvaises journées, non? Et si j'avais vécu la même chose, j'en voudrais énormément à la vie. Je suis chanceuse de pouvoir marcher, me déplacer où je veux, et quand je veux. Nous avons tous nos mauvaises journées, et il semblerait que c'est à mon tour. Ma mère m'a souvent répété "respire par le nez, kaya" lorsque je faisais une crise. Petite, j'étais toujours seule et je m'énervais contre tout. Je faisais des drames pour des petites choses. Ma mère s'inquiétait un peu pour ça, elle était même certaine que c'était pour ça que je n'avais pas d'amis. Si je n'avais pas d'amis, c'était par choix.

En fait, si je suis de mauvaise humeur aujourd'hui, c'est en raison de la nuit que je viens de passer. Une nuit d'insomnie. Pas complète, mais je me suis endormie avec de la difficulté et je me suis levée à 3h du matin en sursaut. Un mauvais rêve, sans doute. Plus de souvenirs de ce rêve, néanmoins. J'ai donc passé les 4 dernières heures à tenter de me rendormir. Au bout d'un moment, c'en était assez. Je me suis levée du lit, j'ai pris une douche. Commencer la journée à 5h du matin ou 6h, ce n'est pas une grande différence, non? Je prends mon livre sur la table de chevet et je me rends au salon. Un peu de détente avant de commencer une journée n'a jamais fait de mal à personne. Mais j'arrive pas à me concentrer, je n'arrive pas à lire plus qu'une page. Je soupire et ferme le livre. J'allume la télé, il y a que des émissions pour enfants à cet heure. Je soupire, encore. Je ferme les yeux, peut-être que j'arriverai enfin à dormir. Mais non, impossible. Il n'est que 7h00, et Lisandro devrait se lever dans une heure, si mes calculs sont exactes. Je réfléchis, j'ai le temps de faire des muffins. Je connais la recette de ma mère par coeur. Petite, je la regardais faire en rêvant être bonne cuisinière plus tard. Muffins à l'avoine, il me semble bien que Lisandro les aime. Et puis au pire, je les mangerai avec plaisir.

Je place quelques muffins dans un plateau, avec un verre de lait et une pomme. Je n'ai pas l'habitude de lui servir le déjeuner au lit, mais pourquoi pas? Quand j'entre, je vois dans son regard une lueur que je ne connais pas. "Bon matin! j'ai fait des muffins, tu en veux?" Je lui dis, mais j'aurais peut-être dû me taire.

Depuis son accident, il est certain que l'italien avait changé, il en avait conscience, mais qui n'aurait pas changé dans une telle situation ? Il avait perdu toute sa joie de vivre ainsi que tout ce qui l'animait jusqu'à présent. Ses yeux étaient désormais vides, sans aucune expression. Lisandro se contentait de survivre et de voir chaque jour passer en se demandant si aujourd'hui encore, il aurait le courage d'en finir avec tout ça.

Kaya lui avait été désigné lorsqu'il était retourné chez lui après avoir quitté l'hôpital. Est-ce qu'il avait envie d'avoir une personne toute la journée et la nuit chez lui ? Non, mais il n'avait pas le choix, s'il voulait pouvoir retourner chez lui, c'était la seule option qui s'imposait à lui. Au départ, il avait été désagréable avec elle, mais c'était un peu comme avec tout le monde, pour la tester, pour la forcer à partir et qu'il puisse retrouver sa solitude qu'il aimait tant, mais elle était encore là. Rien que pour ça, il aurait dû l'en féliciter vu que les précédentes avaient lâchés au bout de quelques jours seulement.

La jeune femme connaissait quasiment par coeur les habitudes de l'ancien sportif, tout comme elle connaissait aussi son corps par coeur. Combien de fois elle l'avait vu totalement nu ? Ce n'était pas qu'il en était fier, même loin de là, lui qui était si pudique, il avait eu beaucoup de mal ave cette idée, mais une fois de plus, il n'avait pas eu le choix.

Au bout de plusieurs mois, il s'était fait à l'idée, même s'il n'était pas à l'aise pour autant. Il avait fait quelques efforts pour améliorer les conditions de vie de la jolie blonde, mais il ne pouvait totalement renié la colère qui l'animait. Ces derniers jours, Lisandro était étonnement calme, pas de piques méchantes et blessantes comme il pouvait en avoir l'habitude, mais plutôt un silence qui se voulait inquiétant lorsqu'on le connaissait un peu.

Ce silence était dû à toutes ces pensées sombres qui occupaient son esprit, peu de personnes savaient que Lisandro avait fait une tentative de suicide après avoir la nouvelle à son réveil du coma. Il a été sauvé de justesse, mais il ne se passe pas une journée sans qu'il se demande s'il n'aurait pas mieux fait d'y rester. Aujourd'hui était un jour sans, Lisandro était déprimé au possible, il faut dire qu'il ne prenait pas ses anti-dépresseurs qui lui provoquaient des terreurs nocturnes.

Après avoir passé une nuit pas terrible, le jeune homme était réveillé depuis quelques temps lorsque Kaya toqua à la porte pour lui apporter le petit déjeuner au lit. Elle ne l'avait jamais fait depuis qu'elle était à son service, est-ce que ça cachait quelque chose ?

" - Salut. Que me vaut cet honneur ?" demanda-t-il les yeux scrutant le visage de la blonde.

Il faut dire que jusqu'alors, il n'a pas été très sympathique pour mériter une telle chose.

" - Un seul alors, j'ai pas vraiment faim.." avoua-t-il, en même temps, il n'avait envie de rien hormis rester dans son lit, seul.

Mais il n'allait tout de même pas laisser les muffins intacts alors que Kaya avait dû se donner du mal pour les faire.

"y'en a marre"

Entretenir de bonnes relations avec les gens a toujours été très important pour moi. Que ce soit dans le cadre de mon travail ou bien dans ma vie personnelle, dans ma vie de tous les jours. Il est donc assez rare que je sois en froid avec les gens. Je préfère éviter les malentendus. Que tout soit dit et éviter les non-dits. Je déteste ça. Et donc, avec Lisandro, j'essaie le plus possible d'être agréable peu importe la situation. Mais j'ai mon petit caractère et par moment, il prend le dessus. Je ne me suis jamais réellement fâchée après lui, mais il m'est arrivé d'aller crier dans mon oreiller. Je me mets souvent à sa place, je n'aimerais pas qu'on m'annonce que je ne pourrai plus jamais marcher et que ma vie change du jour au lendemain. Je suis là pour l'aider, pour lui rendre la vie plus facile, mais par moment je sens que ma présence est de trop. Je fais de mon mieux, pour ne pas l'embêter, mais je dois être là pour lui à tout moment, car on ne sait jamais ce qui peut advenir. Depuis un bon moment déjà, je ne suis pas retournée à mon appartement. Enfin, j'y vais chaque jour pour nourrir Blinky, mon lapin, mais je n'y dors plus. De toute façon, la chambre d'amis chez Lisandro est parfaite. L'oreiller est teeeellement plus confortable. Et étant plus proche de Lisandro, je suis là s'il y a une urgence.

Même lorsque j'ai une mauvaise journée, je dois faire mon possible pour ne pas le montrer. J'ai un peu raté la recette de muffins, ils sont un peu sec mais au moins c'est l'intention qui compte? Je suis comme ça, j'aime faire plaisir. Pour faire changement, je lui amène même le déjeuner au lit. Lisandro semble surpris de me voir avec ce plateau. J'avoue que c'est une première, et j'espère ne pas trop le déranger. "Oh, j'avais juste envie de faire différent. Et désolée s'ils sont un peu sec, si ça te plait pas, je peux aller chercher des céréales." Je m'attends au pire, mais il me dit qu'il en prendrait bien 1. Parfait, je prends alors le deuxième et je m'assois sur la chaise à côté. "Tu as bien dormi? J'espère que je ne t'ai pas réveillé... j'étais debout toute la nuit -ou presque..." Qu'est-ce qui me prend à lui raconter ma vie? Peut-être qu'au fond j'en ai bien besoin...

Lisandro n'avait jamais été arrogant, égoïste ou même désagréable juste parce qu'il en avait envie. Enfin, en tout cas, c'est comme ça qu'il était avant de perdre l'usage de ses jambes. Lorsqu'on lui a annoncé qu'il ne remarchera plus jamais, quelque chose s'était brisé, en plus de la confiance qu'il portait à la femme qu'il avait aimé et qu'il pensait être à ses côtés dans cette épreuve difficile. Mais il avait été abandonné, il avait dû se sortir de cette situation seul, pas de famille, pas d'amis, et aujourd'hui encore, il avait du mal à faire confiance aux autres. Il ne savait jamais s'ils faisait ça pour lui, parce qu'ils en avaient envie, ou bien parce qu'il faisait pitié dans son fauteuil. Voilà une des raisons pour lesquelles il refusait bien souvent l'aide qu'on lui apporte.

Avec Kaya c'était différent. Différent dans le sens où cette femme est là pour lui, elle n'a pas à le prendre en pitié puisque c'est son métier. Certes, devoir se mettre à nu devant elle, et ce, dans tous les sens du terme, ce n'était pas ce qu'il y avait eu de plus simple, surtout lorsque l'on est pudique comme lui. Et puis, en tant qu'homme, se sentir diminué de la sorte, ce n'est jamais facile à accepter, et c'est aussi cela qu'il avait encore du mal à appréhender aujourd'hui.

Finalement la jeune blonde avait fini par s'installer chez lui, c'était le plus simple et puis, d'un point de vue sécurité, elle était là s'il lui arrivait quoique ce soit, c'était toujours plus rassurant. Mais parfois il ne pouvait nier, la présence de la blonde chez lui était de trop, il en avait presque l'impression de ne plus être chez lui. Adepte de la solitude, avoir de la compagnie vingt quatre heures sur vingt quatre pouvait parfois être pesant, mais il était conscient que Kaya essayait au maximum de ne pas trop s'immiscer lorsqu'il n'y en avait pas.

Ce matin, elle vient le réveiller avec le petit déjeuner au lit, une première depuis qu'elle bosse pour lui. Surpris, il la regarde pour essayer de connaître la raison de ce changement, pour au final qu'elle lui dise qu'elle avait besoin de changement. Il finit par esquisser un semblant de sourire puis prit un muffin et croqua dedans. En vérité, Lisandro n'avait pas vraiment faim le matin, par contre, s'il y a quelque chose qu'il prenait toujours, c'est du jus de fruit : orange, ananas, pomme, raisin. C'était un fervent adepte de ces boissons fruitées qu'il adorait par-dessus tout.

" - Tu sais bien qu'avec mes médicaments c'est pas simple.."

C'était pour ses douleurs fantômes comme ils appellent ça, mais aussi pour son moral, pour apaiser ses idées noires, mais au lieu de lui faire l'effet escompté, il avait des terreurs nocturnes, ce qui ne l'aidait pas à se reposer correctement la nuit.

" - Ce.. N'est pas à cause de moi j'espère.. ?"

Bien sûr qu'il se sentait coupable si cet état était dû à lui. Ces derniers temps, il essayait de changer, d'accepter son handicap, mais ce n'est pas chose aisée, et il va lui falloir du temps.. Pour toutes les fois où Kaya avait été là pour lui, même si c'était son travail, il devait lui rendre la pareille, et c'est à ce moment là qu'on retrouvait l'ancien Lisandro, celui prêt à tout pour aider les autres. Une face cachée qu'il n'avait plus montré depuis son accident. Peut-être que c'est un point positif..