you wouldn't understrand (freja)

Il n'est pas tard, seulement dix-neuf heures. Dehors, le ciel orangé laisse déjà apercevoir un croissant de lune qui ne tardera pas à éclairer les ruelles de la ville et à laisser sa lumière s'infiltrer par les fenêtres de l'appartement. Seulement dix-neuf heures et pourtant, Alfie monte les escaliers en traînant les pieds comme si il était déjà trop fatigué que pour agir normalement. Cela fait maintenant plusieurs jours qu'il n'est pas rentré, qu'il dort ailleurs quitte à ne même pas fermer les yeux pendant plusieurs jours d'affilé. Il est une épave. Ruby est partie, son tyran de père est mort, il a le sentiment de n'être qu'un trou noir qui aspire tout sur son passage. Après avoir passé la journée à se cramer la gueule, il a décidé de rentrer et d'affronter une bonne fois pour toutes Freja et son discours sur les raisons de pourquoi il n'est qu'un bon à rien, un crétin, un con qui ne mérite pas une fille telle que Ruby. Il le sent venir, l'a d'abord craint avant de réaliser qu'il n'en a plus rien à foutre. Qu'elle l'engueule, lui crache son venin, ça ne sera qu'une tornade en plus dans l'ouragan qu'est déjà sa vie. Après avoir galéré plusieurs secondes à enfoncer sa clé dans la serrure, Alfie entre dans l'appartement et découvre le salon totalement vide. Intérieurement, il pousse un soupir. Il continue en direction de sa chambre mais avant qu'il n'ait le temps de disparaître, Freja surgit dans la pièce principale. Cette fois son soupir se fait entendre, et pas qu'un peu. « T'es là pour me faire la morale je suppose, » lâche-t-il sans la regarder, le regard perdu dans le vide. Des cernes entourent ses yeux sans vie à cause du manque de sommeil, et sa peau est pâle à cause des joints qu'il s'est enfilé dans l'espoir d'être un minimum apaisé. Sauf que ça n'a pas marché, Alfie se sent encore plus à la ramasse qu'il ne l'a jamais été.

Cela fait plusieurs jours que tu espères voir Alfie rentrer à l'appartement dans le but d'avoir une discussion avec lui. Une discussion peu agréable et c'est peut-être parce qu'il s'en doute qu'Alfie ne rentre pas. Peut-être qu'il n'est pas prêt à assumer ses erreurs devant toi. Peut-être qu'il est aussi lâche avec toi qu'avec Ruby ? Connaissant Alfie, tu en doutes. D'habitude, vous ne vous prenez pas la tête mais vous n'avez jamais peur de dire le fond de votre pensée à l'autre. Vous avez toujours été honnêtes l'un envers l'autre et ce n'est pas aujourd'hui que les choses vont changer. Et c'est pour cette raison que tu veux te montrer sincère avec ton ami parce qu'il a besoin qu'on lui remette les pendules à l'heure. Une bonne fois pour toutes. Lorsqu'enfin, il décide de rentrer, tu ne perds pas de temps et le confrontes dès son arrivée. Son regard est fuyant mais tu peux voir qu'il ne va pas bien. Tu fronces les sourcils, inquiète pour ton ami. Même s'il fait n'importe quoi avec Ruby, Alfie reste ton ami avant tout. Et le voir dans cet état, n'est pas plaisant. Que tu lui en veuilles ou non. « J'ai dit à Ruby que je te ferais bouffer tes couilles si tu déconnais. » Dis-tu en riant légèrement et en t'approchant un peu du jeune homme. Puis, tu te diriges vers le canapé, faisant signe à Alfie de t'y rejoindre. « T'as vraiment une sale gueule Alfie. » Lui qui est toujours si souriant et si beau, c'est un vrai changement. Là, sur son visage, tu ne vois qu'une extrême fatigue et un mal-être bien visible. Difficile d'être horriblement fâchée dans ces conditions. Cela ne veut pas dire que tu oublies tout et lui pardonnes ses erreurs mais en tout cas tu es un peu moins cash que prévu.

Cette promesse qu'elle a faite à Ruby ne l'étonne même pas. Il l'avait prévue d'ailleurs, et c'est peut-être même inconsciemment une des raisons qui l'a poussé à ne pas rentrer tout de suite. Si il l'a fait, ce n'est pas pour se confronter à Freja et enfin assumer sa part de responsabilité. Non, si il a décidé de faire ce soir son grand retour, c'est parce qu'Alfie est à bout. Trop fatigué, trop en colère, trop vide, trop tout. Il n'est plus capable de faire la part entre ce qui est bien et ce qui ne l'est plus, n'arrive plus à user de sa carapace pour cacher ses émotions comme il l'a toujours fait. Alors qu'elle lui indique le sofa où elle vient de s'asseoir, il la rejoint et s'y laisse tomber dessus comme une masse. Elle souligne son état, en même temps n'importe qui aurait pu voir qu'il n'est pas au top de sa forme. Après avoir appuyé ses coudes sur ses genoux, Alfie passe ses deux mains sur son visage avant de se redresser pour la regarder. « Ça doit être parce que j'ai pas dormi depuis quoi, 72h ? » Il a pris des trucs pour rester éveiller, préférant bosser et continuer de vivre que de finir par s'endormir dans une ruelle, ou dans un bar. Puis de toute façon, même si Alfie se forçait à fermer les yeux, ses pensées intrusives l'empêcheraient de trouver le sommeil. « Je suis pas prêt à être père Freja, si c'est de ça que tu veux parler. » Il plante enfin son regard dans celui de la brune, s'attendant à entendre sortir de sa bouche un tas d'insultes qui seraient bien méritées.

Tu peux comprendre que cette nouvelle ne soit pas simple à encaisser pour Alfie parce que si c’était toi, dans la situation, tu serais sans doute dans le même état. Néanmoins, ça n’excuse pas son comportement. Il a fuit Ruby, la laissant seule avec cet enfant et cette décision. Heureusement que tu étais là pour elle, de ton côté, sinon elle devrait affronter ça toute seule. Ca et les joies de la grossesse, évidemment. C’est plus facile de s’apitoyer sur son sort comme Alfie le fait mais ce n’est pas la bonne solution. Et tu es bien décidée à lui faire passer le message. Après tout, c’est ton ami et on est censé pouvoir tout dire à ses amis, non ? « Sûrement, ça n’aide pas. » Dis-tu en fronçant les sourcils. Tu vois à quel point il est exténué et c’est difficile de rester fâchée dans ces conditions mais tu persistes. Tu tiens bon pour Ruby. Parce qu’elle mérite qu’on se batte pour elle. Sans que tu n’aies à revenir sur le sujet, Alfie aborde lui-même la grossesse de ta meilleure amie. Tu soupires en entendant ses paroles. « Bien sûr que non. » Réponds-tu comme si c’était évident. « Et Ruby ne l’est sûrement pas non plus. Mais quand tu couches avec une femme, il faut assumer les conséquences. Même si ça reste un accident. » Ajoutes-tu un peu plus sèchement que tu ne le voudrais. « Tu vas la perdre, tu le sais ça ? » Demandes-tu finalement, en secouant la tête. Alfie saura que tu parles de Ruby, c’est évident. S’il continue à se comporter de la sorte, il pourra tirer un trait sur son couple avec Ruby et tu sais que ce n’est pas ce qu’il désire. Même si Ruby serait prête à lui pardonner à peu près n’importe quoi, tu veux qu’il pense le contraire. Tu veux qu’Alfie comprenne que Ruby est seule et qu’elle a besoin de lui.

En entendant ses mots, la fatigue laisse immédiatement place à une colère démesurée, injustifiée. Si il était dans son état normal, probablement qu'Alfie n'aurait pas serré les poings jusqu'à s'en faire mal aux paumes. Si il avait dormi au lieu de boire comme un trou, il ne se serait pas levé pour faire face à Freja dans un air de confrontation, le regard noir et les traits plus tirés que jamais. « Parce que c'est ma faute maintenant ? De quoi tu te mèles putain, t'étais là peut-être ? Tu sais probablement même pas la moitié de la réalité, t'as eu droit qu'à la version qui me fait passer pour un connard évidemment ! » La question qu'elle a ajouté a suffi à attiser encore plus son état de folie. Il se tourne, fait face à la table basse du salon, mais arrive à se raisonner avant que son poing ne vienne l'écraser dans un geste désespéré. Cette table n'est pas la sienne. Elle appartient à des personnes qui ont été assez généreux que pour l'accueillir alors qu'il était à la rue, personnes dont fait d'ailleurs partie Freja. Alors que son coeur continue de tambouriner dans sa poitrine, Alfie se force à déserrer les poings. « Je suis pas un type pour elle, » lâche-t-il entre ses dents, sans la regarder. « Mon père n'a pas été capable d'élever ses mômes et regarde où ça l'a mené. Mort, y a maintenant... » il regarde son téléphone avant de le ranger dans la poche de son pantalon. « .. vingt-et-une heures. » Il passe une main dans ses cheveux, tourne lentement sur lui-même avant de planter son regard dans celui de Freja. Ses yeux sont froids, dénués d'expression. « Ni elle ni toi ne me connaissez, ni moi ni le monde dans lequel je vis. Vous vivez dans votre univers à vous, celui où les couples sont heureux et font des gosses comme si les élever serait si simple, si beau, une image idéalisée de film américain. Mais c'est pas ça la réalité, Freja. C'est jamais aussi simple. » Il a beau s'être calmé, son ton est resté froid, cassant. Elle veut sortir les dents, mais lui aussi peut jouer au loup si elle s'obstine à le chercher.

Tu as un mouvement de recul lorsqu'Alfie se lève pour te confronter, ne reconnaissant pas tellement ton ami dans ce genre de comportement. Tu fronces les sourcils, essayant de déchiffrer la situation. Mais lorsqu'il hausse la voix, tu ne peux t'empêcher de lui répondre de la même façon. « C'est mal connaître Ruby si tu crois qu'elle te démonte par derrière ! Elle ne fait que te défendre et je ne comprends même pas pourquoi. » Dis-tu en arquant un sourcil avant d'ajouter : « Ruby c'est ma famille alors j'ai tous les droits de m'en mêler ! » Cries-tu à ton tour pour le remettre en place. Si lui se permet de te parler comme à un chien, tu ne vas pas te priver pour en faire autant. D'autant plus que son comportement n'est pas légitime du tout. Tu voulais simplement lui faire comprendre qu'il devait réagir et se comporter en adulte mais il fait tout l'inverse. Lorsqu'il t'explique que son père est mort il y a quelques heures, tu comprends un peu son comportement et ça te permet de compatir. Du moins un petit peu. « J'suis désolée d'apprendre ça. Mais tu n'es pas ton père, Alfie. » Dis-tu plus doucement. Pour tenter de le calmer un minimum. Tu n'as pas envie de te disputer avec l'espagnol mais il ne t'en laisse pas vraiment le choix. « Comme si dans mon monde on tombait amoureux et faisait des gosses ! C'est une bonne blague, ça. » Dis-tu avec amertume sans détacher ton regard du sien. « On vit juste dans un monde où les gens assument leurs actes et font face. C'est ça, la vraie vie. » Tu soupires puis te laisses retomber sur le canapé, déjà fatiguée de toute cette agitation. « Tu te trompes Ruby te connait. Et moi aussi. Je sais que tu n'étais pas prêt pour ça mais personne ne l'est vraiment quand ça arrive par accident. Mon père m'a témoigné son amour en me frappant et ma mère n'a jamais fait quoique ce soit bien qu'elle ait été au courant. Alors moi non plus, je ne suis pas constituée pour fonder une famille mais cet enfant, le vôtre, je l'aimerai comme si c'était le mien. » Parce que comme tu l'avais dit plus tôt, Ruby était devenue ta famille. Ta seule et unique famille. Et tu ne la lâcherais pas quoi qu'il arrive.

Malgré son état, Alfie réalise rapidement qu'il est allé trop loin. Il arrive à lire la colère dans les yeux de Freja, une colère qui n'est que le reflet de son propre regard rempli d'une haine non justifiée. Elle n'a rien fait, elle ne mérite pas ça. Que ferait-il s'il la perdait elle aussi ? Pas elle, n'importe qui mais pas elle. Alors que ses poings se déserrent, il accepte d'écouter ses paroles et dévie le regard en direction de la place vide qu'il occupait quelques secondes plus tôt. « J'sais pas pourquoi elle me défend non plus, si ça peut te rassurer. » Ils étaient tous les deux dans l'inconnu, deux êtres parfois trop aveuglés par leur orgueil que pour oser imaginer qu'on puisse continuer à soutenir même celui qui nous a brisé le cœur. Il finit par lâcher la bombe, trop à bout de nerfs que pour continuer à garder sa carapace de celui qui ne parle jamais de lui. Et contre toute attente, Freja se montre compréhensive. Il savait déjà qu'il ne méritait pas Ruby, mais ce soir Alfie réalise qu'il ne mérite pas non plus l'amitié de Freja. Encore moins sa pitié. Elle ne tarde cependant pas à retrouver son ton sec et froid, un rythme de voix qu'il n'a pas l'habitude d'entendre venant d'elle. « Je sais bien ça, et je l'aurais assumé si je savais qu'il y aurait pu y avoir une conséquence. Elle était déjà enceinte je te rappelle, elle allait avorter. C'était pas censé se passer comme ça, ça aurait même pas dû être possible cette option-là. » Rapidement, la colère laisse sa place à vague de panique. Après le discours de Freja sur le fait d'être prêt ou pas à être parent, sur sa vie à elle qu'il n'avait d'ailleurs jusque là jamais entendue, Alfie finit par lui aussi retomber dans le fond du canapé. « Je savais pas que t'avais vécu tout ça, » finit-il par dire au bout d'un bref silence. « On est quand même des handicapés de la vie, pas étonnant que ce soit tellement le bordel dans celle qu'on essaie de construire. » Son regard se perd une nouvelle fois dans le vide pendant que sa respiration se calme, soulevant son torse à intervalles irréguliers.

La réponse à votre interrogation était simple : Ruby aimait Alfie, tout simplement. D'un amour inconditionnel que tu ne connaitrais sans doute jamais. Que tu n'effleurerais sans doute même jamais du bout des doigts. Tu es à peu près certaine de ressentir la même chose pour ton meilleur ami mais tu n'auras jamais un amour en retour semblable à celui que Ruby porte à Alfie. Tu n'es pas digne de ce genre d'amour, tu le sais depuis des années maintenant. Et même si tu étais en colère contre l'espagnol à cet instant précis, tu savais qu'il était digne d'être aimé, lui. Alfie est un homme généreux, attentif et incroyablement gentil malgré son excès de colère actuel. Tu n'as jamais douté de ses qualités. Tout ce que tu veux, c'est qu'il prenne conscience qu'il a merdé et qu'il essaie de réparer ses erreurs. Tu ne veux plus qu'il fasse souffrir ta meilleure amie, elle ne le supporterait sans doute pas. « Elle t'aime. » Réponds-tu simplement en haussant les épaules comme si la réponse était évidente. « Là-dessus, tu as raison. Mais si la vie se passait exactement comme on le voulait, ça se saurait. » Et surtout, ce serait bien ennuyeux s'il n'y avait pas une once d'inattendu et d'imprévisible. Du moins, à tes yeux. Tu n'aurais jamais pensé goûter à l'amour même de loin avec Woody. Seule la vie était capable de t'offrir ça. Et si la destinée d'Alfie était d'être père prématurément, c'était sans doute pour une raison. Mais tu étais du genre à croire beaucoup au destin et au karma, toi. Lorsque tu expliques en deux mots ta situation familiale à Alfie, tu n'es pas étonnée de voir qu'il n'était pas au courant. Peu de gens le sont, après tout. Tu le regardes lorsqu'il se laisse retomber dans le fauteuil, arquant un sourcil. Puis, lorsqu'il parle du fait que vous soyez handicapés de la vie, tu ne peux t'empêcher d'en rire. C'était totalement vrai, au fond. « Oui mais justement... On a pas pu choisir notre passé mais on a au moins un droit de regard sur le futur. Alors ne foire pas tout, d'accord ? » Demandes-tu avec un regard insistant.