"Pas de constellations, ce soir" - Liam Samuel

Invité

"Pas de constellations ce soir"

Liam Samuel & Charline Brun

Je suis à Bowen depuis seulement quelques semaines. Qui aurait cru que la belle France me manque si peu : que je sois chez-elle ou là-bas, je ne suis nul part à mon aise. Mais je dois continuer à prendre mes marques dans cette petite parcelle d’Australie. À peine sortie de ma salle de bain, j’ouvre mon placard. On ferme les yeux. On saisit ce qui nous tente le mieux. La robe d’été, et je vais profiter de la plage pour un bain de minuit. La chemise de nuit, et je ne sors pas le nez dehors. Mais ce que je sens entre mes mains, c’est une texture plus douce et sensible, comme du velours. J’ai pioché la petite robe noire de soirée, trop courte pour les âmes sensibles. Qui aurait cru qu’au milieu de mes robes de nonne et de bonne fille sage se trouve une telle arme de séduction ? Je ne négocie même pas le hasard, ce soir, Bowen sera à mes pieds, ou plutôt avec les escarpins noirs dont je les habille.

En passant devant le miroir, je me recoiffe comme je peux, et je saisis le rouge-à-lèvre que j’avais délaissé depuis des années pour un visage plus naturel. Tant pis, je compte sortir le grand jeu. Bijoux, maquillage, et trench enfilé, je descends les escaliers en prenant bien soin de claquer les talons sur le vieux bois de mon immeuble. Juste histoire de rappeler à mes voisins que moi aussi, je suis capable de les déranger tard avec un bruit exécrable. 

Mais en me promenant dans les ruelles de Bowen, je n’ai pas l’air bien maligne. Je ne connais aucun lieu ici, qu’il soit déluré, branché, réputé ou abandonné. Je me dirige alors vers cette structure brillante avec un vigile, aucun doute, c’est une boite de nuit. Les pauvres âmes errantes devant semble avoir tous un but précis en tête.
La jeune femme à la robe rouge qui me servirait bien de T-shirt, et aux faux cils plus lourd que sa dignité, semble visiblement chercher à rentrer accompagnée. Elle ne cesse de regarder cet homme qui a sorti la chemise dont on voit encore les plis, ce qui montre bien que ce garçon ne passe en réalité sa vie, qu’en pyjama sur son canapé.
Mais avant que je puisse finir mes idées si divertissantes soit-elle, le vigile me laisse entrer. 

La musique si forte vient me saisir les tympans, tous comme les multiples odeurs de sueurs et d’alcool venant m’agresser l’odorat. Tout le monde se serre, saute ou s’agite, j’aurai peut-être dû dévier ma main vers la chemise de nuit au final. Il n’y a même pas de véritable place pour danser au final, alors je me dirige au bar. Un homme seul à ma gauche semble enchaîner les verres plus que les filles, et c’est quand un homme seul n’enchaîne plus les filles qu’il s’enchaîne à l’alcool. Le barman me regarde et semble me parler, mais j’entends à peine, non pas à cause de la musique, mais plutôt à cause de la tâche sur sa tenue qui attire toute mon attention.

« Un coca. »

Lui-même semble intrigué par le fait que je ne prenne pas d’alcool, tant pis, j’assume qu’il n’y ai que du sang glacé dans mes veines de frigides. Tous sont si ennuyeux ici, j’en ai déjà vu mille des personnages stéréotypes des boîtes de nuit, j’en baillerai presque à force de voir les mêmes traits. Toujours le même groupe de filles qui veulent faire les désirées, les mêmes gars qui font les paons. Achevez-moi, je vous en prie…

C’est alors que je vois un homme sortant de nul part, on remarque tout de suite qu’il ne s’agit ni d’un client, ni d’un consommateur. Lui pourrait peut-être me divertir un peu, après tout, si je ne bois pas à m’en faire vomir dans les toilettes, comme la demoiselle qui vient de finir son verre offert ; et si je ne danse pas comme cette débauche d’étudiante qui ne remue plus que son cerveau liquéfié… Comment vais-je rentabiliser le fait d’avoir enfilé cette petite robe noire désormais embaumée de l’odeur de tous les stéréotypes présents ici ?

Les jambes décroisées, les deux paumes des mains appuyés contre mon tabouret et le dos légèrement recourbé, je le fixe comme une gamine qui boude. J’arrive mal à percevoir les expressions dans la lumière tamisée, voir le noir complet qui alterne, de la boite de nuit. Je n’aime pas ça, j’aurai besoin de voir ses réactions, son visage, sa façon de me regarder, si je veux décrypter tout. Mais prenant le risque de parler à l’aveugle, je m’approche de lui.
Je me place en plein milieu de son chemin -pourquoi faire dans la délicatesse et la politesse quand on peut devenir un obstacle nocturne ?- 

Je bois une gorgée de mon coca en le fixant droit dans les yeux. Je ne sais pas vraiment quoi lui dire, de toute façon, vu ma façon de parler, impossible qu’il m’entende, ou même qu’il me comprenne. Laissant mon accent français de côté, je lui tends juste mon verre de coca à moitié vide, teinté d’une marque de rouge-à-lèvre. S'il n’est pas consommateur, il pourrait malgré tout avoir soif ?

« Pour vous. »

Espérons qu’il sache lire for you sur les lèvres, et que j’ai eu raison de laisser ma chemise de nuit dans le placard.

» Un soir d'inquiétude ... [ft. Josh]
» Le grand soir [Théo]
» (FB) Le soir où tous a derapé (jay)
» {Hot} (adreawells) crois-moi ce soir, je suis en feu.
» On se boit quoi ce soir. - Logan