Blood & Tears [isling]

Elle ne se souvenait plus la dernière fois qu'elle avait été à l'hôpital. Là, étendue. Peut-être quand elle avait fait un bad trip. Ça faisait quoi ? Deux ans ? Bah ça lui manquait pas tellement. Et la dernière fois qu'elle avait été enceinte, hein ? Aha. Ahaha. Ça non plus, ça ne lui avait pas manqué. Elle ferma les yeux, soupirant. Vie de merde. Qu'est-ce qu'elle avait fait pour mériter ça ? Tomber enceinte, encore ? Elle faisait attention, merde. Elle sentit une larme couler le long de sa joue. Pourquoi est-ce qu'à chaque fois qu'elle avait l'impression d'avoir un peu de bonheur il fallait qu'elle rate une marche et s'écroule dans un puits sans fond ?
Alors que tout tournait dans sa tête, elle le vit apparaître, son petit rayon de soleil. Malgré elle, malgré la situation, elle sourit. Elle avait demandé à Aino de le prévenir, de lui dire qu'elle était à l'hôpital, parce que dans la précipitations et la panique elle n'avait même pas son portable.

-Hey...

Elle ne savait pas comment Isaiah allait le... prendre. Prendre le fait que dans ces saignements, il y avait eu un petit être qui aurait pu être leur enfant, son enfant.

Il en était à son deuxième joint de la soirée, de la nuit, Isaiah, quand le téléphone avait sonné. Ce petit engin qui ne sonnait presque jamais, parce qu’en général les gens connaissaient son aversion pour cette technologie. Il n’avait aucune idée de l’heure qu’il était, et décrocha avec curiosité. Aino, à l’autre bout de l’appareil. Et pas pour l’inviter à sortir avec Aisling ou Jim, non, pas non plus pour lui proposer des plans cools à deux, ce n’était pas ce qu’ils faisaient généralement de toute façon. Aisling était à l’hôpital, voilà ce qui résonnait dans ses oreilles, à Isaiah. Voilà ce qui mit du temps à faire son chemin jusqu’à son esprit mais qui, lorsque frappa les murs de sa tête, le ramena tout d’un coup à la réalité. Cruellement. Brutalement. Elle avait déboulé les escaliers, elle avait eu des saignements assez sérieux, mais pas davantage d’information pour le moment. Isaiah n’avait pas raccroché encore qu’il descendait les escaliers à coup de quatre marches et se rendait à la rue pour débarrer son vélo. Il n’avait jamais pédalé aussi vite de sa vie, et comme il ne faisait pratiquement jamais d’exercice, il était à bout de souffle en arrivant devant la porte principale de l’hôpital. Aino lui ayant déjà indiqué le numéro de la chambre d’Aisling, il n’eut pas à imiter ces moments dramatiques dans les films en se rendant au comptoir avant de s’élancer vers le couloir indiqué. Il marcha, d’un pas rapide, jusqu’à la chambre de sa meilleure amie, de son amour. Il était à peine apparu dans le cadre de la porte qu’elle relevait la tête vers lui et souriait. « Hey. » Il lui sourit à son tour, s’approchant doucement d’elle avant d’attraper sa main. « Comment tu te sens ? Aino m'a dit que tu avais eu une sacrée chute. » Elle n'allait sans doute pas très bien, mais Isaiah n’avait pas eu beaucoup d’information, et il voulait évaluer à peu près son état.

Elle voyait bien qu'il ne savait pas, qu'il ne savait presque rien. Elle allait devoir lui dire... Et ça lui brisait déjà le coeur. Elle avait peur de sa réaction, de ce qu'elle pourrait lire sur son visage. Elle savait que les choses qui passeraient dans sa tête ne seraient pas du tout les mêmes que dans la sienne. Elle connaissait Isaiah, ils étaient si différents l'un que l'autre et sur le sujet "bébé" et bien... Ils n'en avait jamais discuté. Quand il prit sa main, elle la serra doucement avant de déposer un baiser dessus.

-Oui, je suis tombée dans les escaliers, et je...

Elle inspira profondément et le regarda dans les yeux.

-Et je fais une fausse couche.

Sa main se serra plus fort sur la sienne. Ne me laisse pas.

Elle porta sa main à ses lèvres, déposant un baiser dessus alors que c’était plutôt lui qui aurait dû être en train de la couvrir de tant d’amour. À vrai dire, Isaiah était terrifié, à tel point qu’il ne savait même plus quoi dire, quoi faire. Aino avait beau lui avoir dit qu’Aisling était dans un état stable, qu’elle n’était pas en danger, il n’avait pu s’empêcher d’avoir le cœur plus serré encore à chaque coup de pédale qui réduisait la distance entre lui et l’hôpital. Entre lui et elle. De l’avoir face à lui, si fatiguée, si faible, allongée dans ce lit, habillée seulement d’une blouse d’un bleu malade, ça le revirait complètement à l’envers, Isaiah. Mais ce qui s’apprêtait à sortir d’entre les lèvres d’Aisling allaient assener le coup de grâce. Si le jeune homme avait un peu plus tôt dans l’année demandé à la blonde qu’elle ait confiance en eux, jamais il ne se serait douté que c’était de la vie qu’ils auraient dû se méfier. Leur bonheur, ce n’était pas eux-mêmes qui allaient se l’enlever. Ses doigts se desserrèrent de la main d’Aisling, sous l’effet de la surprise, du choc, et les traits de son visage s’affaissèrent d’un coup. La blonde, elle, s’agrippait à sa main, comme s’il risquait de se décomposer face à elle. « Une fausse couche … ? » Répéta-t-il, tirant la chaise derrière lui pour venir s’y asseoir. Son visage était à la hauteur de celui d’Aisling. « Est-ce que tu savais … ? Que tu étais enceinte ? » Demanda-t-il d’abord, avant d’ajouter : « De combien de temps ? » De lui ? Était-elle enceinte de lui ? Était-ce une partie de lui-même qu’elle venait de perdre ? Était-ce le résultat de leur amour qui venait de s’envoler avant même qu’ils puissent songer à y rêver ?

Elle le sentit lâcher sa man, alors elle la serra encore plus fort dans la sienne. Elle avait peur de sa réaction, mais surtout de la différence de perception qu'il y avait entre eux, et du moment où il s'en rendrait compte. Isaiah allait se rendre compte qu'elle avait perdu une vie, alors que pour elle, elle avait perdu quelque chose qu'elle n'aurait jamais dû avoir. Elle le regarda s'asseoir sur sa chaise sans cesser de le regarder. Il palissait, elle le voyait. Elle baissa les yeux quelques secondes, cherchant en elle les mots, essayant, peut-être, d'effacer cette différence de sensibilité qu'il y avait entre eux.

-Non, je ne le savais pas. J'ai pensé que je faisais encore un déni mais le médecin a dit que ce n'était pas anormal que je ne m'en sois pas rendu compte, qu'à ce stade-là de la grossesse on n'a pas forcément de symptômes.

Combien de temps. Elle savait que le nombre de semaines indiquerait à Isaiah s'il était de lui ou non, et que ça lui ferait encore plus mal.

-Les médecins pensent que le fœtus avait environ 3 semaines.

Ils étaient ensembles, ils étaient exclusifs. Il était de lui. Elle fuyait le regard d'Isaiah, peut-être pour éviter sa peine. Pourtant en prononçant ces mots, elle sentit une vive tristesse. Oui, elle avait perdu son bébé Et ça lui faisait mal, parce que c'était le sien. Et pourtant, si elle l'avait su, n'aurait-elle pas avorter ?

-Je... je vais avoir des saignements pendant encore quelques jours, mais je n'aurais pas besoin de rester ici c'est... c'est comme si javais mes règles. Ils vérifient juste que tout va bien et je pourrais rentrer.

Quelque part elle essayait de changer de sujet, de montrer des choses positives. Mais elle savait que ça ne retirerait pas la peine d'Isaiah si facilement.

Il rapprocha un peu plus encore sa chaise d’elle, ou plutôt c’est lui qui s’avança sur le bout de ladite chaise, réduisant cette distance entre eux. Une distance non pas que physique, mais aussi émotionnelle, il commençait à le ressentir, Isaiah. Aisling lui affirma qu’elle n’était pas au courant qu’elle était enceinte, elle non plus, et que c’était normal vu le stade de sa grossesse. Trois semaines. Il y a trois semaines de cela, ils étaient ensemble, tous les deux. Des semaines déjà depuis qu’ils avaient décidé de n’être qu’avec l’un et l’autre, et personne d’autre. Et il avait confiance en Aisling, Isaiah, alors si le fœtus avait environ trois semaines, alors il était de lui. Cette pensée lui serra le cœur, lui qui se faisait de plus en plus à l’idée que sa vie était ici, à Bowen, et qu’avoir une famille était davantage envisageable qu’avant. Cette famille, il aurait aimé la bâtir avec Aisling, c’était une évidence maintenant. Elle aurait beau dire n’importe quoi, il trouvait qu’elle était une maman formidable, et il aurait aimé qu’elle soit la mère de ses enfants à lui. Sauf que ça, Isaiah ne l’avait pas abordé avec elle, il savait que ce n’était pas forcément un sujet qu’on aborde à la légère. Il avait maintenant l’impression que ça lui était passé sous le nez, même s’ils étaient impuissants face à ce qui s’était passé. « Oh … » Avait-il seulement répondu alors, la voix brisée, encore incapable de verbaliser une quelconque pensée quant au fait qu’ils avaient créé un petit être, ensemble. Aisling avait détourné le regard, et lui baissa le sien, pour en cacher la tristesse. La blonde reprit la parole, changeant de sujet, pour lui parler des répercussions de sa fausse couche sur les prochains jours. Il hocha doucement la tête, relevant les yeux vers elle. « Est-ce que tu as mal ? » Demanda-t-il, accueillant volontiers cet autre sujet, pour le moment. Parce que pour le moment, non, Isaiah ne savait pas comment vivre ses propres émotions.  

C'était ce qu'elle appréhendait, le fait de savoir que c'était son bébé n'arrangeait pas vraiment la situation. Elle pouvait entendre au son de sa voix que ça l'attristait, et s'il y avait bien une chose qu'elle s'était promise, Aisling, c'est de ne jamais faire du mal à Isaiah, d'une quelconque façon que ce soit. Pourquoi fallait-il qu'elle soit aussi nulle ? A sa question, elle secoua négativement la tête. A vrai dire, même si elle avait encore mal, elle préférait ne rien dire. Elle ne méritait pas qu'il s'inquiète pour elle.

-Ça va, ça va beaucoup mieux, les médecins ont dit que le plus dur était passé... J'ai encore un peu mal de ma chute mais ce ne sont que des bleus, ça va passer.

Elle continua de serrer sa main dans la sienne, plongeant son regard dans le sien, des larmes au fond des yeux.

-Tu me laisses pas, hein ?

Il n'imaginait pas à quel point elle avait peur de le perdre. A quel point elle détestait se retrouver dans un hôpital, encore plus seule.

Ce n’était la faute de ni l’un ni l’autre, enfin … pour ce qui était de la fausse couche, évidemment. En ce qui concernait la grossesse en elle-même, forcément, la passion du moment avait eu raison d’eux. De toute façon, Isaiah avait toujours été du genre à laisser son sort entre les mains de la vie, jugeant que rien n’arrivait pour rien. Cet enfant, il l’aurait accueilli à bras ouverts, même avec une pointe de fierté de pouvoir construire cela avec Aisling. Sans doute que ce sentiment transparaissait dans sa voix, dans son absence de réelle réponse. Il ne retrouva le contrôle de sa pensée que lorsque la jeune femme lui parla de la suite des choses, et qu’il pensa enfin à lui demander comment elle allait, et si ça lui faisait mal, surtout. « D’accord. » Dit-il doucement, simplement, hochant la tête et serrant sa main dans la sienne. Si Isaiah était toujours là lorsqu’il s’agissait de réconforter les autres, de faire le clown même pour détendre l’atmosphère, il était bien moins à l’aise quand lui-même était confronté à la souffrance et au doute. Et puis, que ce soit Aisling allongée dans ce lit d’hôpital, ça l’affectait encore plus. Cette dernière plongea son regard dans le sien et, d’une voix presque apeurée malgré son murmure, elle lui demanda de ne pas le laisser. Elle laissait croire qu’elle pensait qu’il le ferait. Isaiah fronça les sourcils, se redressant de sa chaise pour s’approcher d’elle. « Non, bien sûr que non ! Je suis bien là où je suis. Je reste juste ici, auprès de toi. » Il esquissa un sourire. Bien, c’était relatif. Il n’était pas bien du tout, Isaiah, en-dedans. Mais il s’imaginait fort bien qu’Aisling n’allait pas mieux non plus, même s’il ne savait pas exactement ce qu’elle pensait de la situation. Isaiah déposa un baiser sur les lèvres de la blonde, avant de se reculer à nouveau. « Où est Siobhan ? Tu veux que j’aille la chercher et que je m’occupe d’elle pour les prochains jours ? » Demanda-t-il.   

Aisling eut un grand sourire, un sourire heureux quand il lui dit qu'il ne partirait pas. Elle avait tellement besoin de lui. Etre dépendante de quelqu'un avait toujours été sa plus grande peur et maintenant qu'elle l'était, elle avait seulement peur de le perdre. Elle avait su ce que ça faisait de se faire abandonner, une fois, deux fois, et ça ne lui avait pas réussi, mais elle y avait survécu. Mais elle avait le sentiment que si c'était Isaiah qui l'abandonnait, elle en mourrait. Elle se tassa dans son lit d'hôpital, lui faisant une petite place à côté d'elle pour qu'il puisse au moins s'asseoir, tapotant même à côté d'elle pour qu'il comprenne qu'elle voulait qu'il se rapproche.

-Je t'aime tu sais, je t'aime vraiment.

Il demanda ensuite où était Siobhan et la blonde secoua doucement la tête. Ce sujet-là ne l'inquiétait pas trop, elle savait qu'elle était entre de bonnes mains.

-Elle est à la maison avec Aino. Je vais sûrement sortir bientôt, je m'en occuperais, ne t'en fais pas.

Elle enfonça sa tête dans l'oreiller. Elle sentit son cœur se serrer.

-Tu aurais voulu qu'on le garde, pas vrai ?

Partir, que ce soit juste de l’hôpital ou carrément de la vie d’Aisling, peu importe ce qu’elle voulait dire par là au fond, Isaiah ne pouvait concevoir qu’elle l’imagine la laisser derrière. Encore moins dans de telles circonstances. Elle avait besoin de lui, et il se faisait la promesse de toujours être là quand c’était le cas. Elle tapota la place à côté d’elle, celle qu’elle venait de faire expressément pour lui, sur son lit. Il esquissa un sourire, se levant de sa chaise et venant s’asseoir dans le peu d’espace qu’ils avaient à deux sur ce lit. Il passa son bras autour d’elle, s’assurant de ne pas lui faire mal ou de s’emmêler dans de quelconques fils. Son dos était contorsionné pour pouvoir lui faire face, à Aisling, mais ça Isaiah ne s’en souciait guère. « Je sais. » Murmura-t-il d’abord avec douceur, avant d’ajouter : « Je t’aime aussi. » Ces trois mots qu’il disait souvent aux autres, et pourtant, si rarement avec une telle portée. Isaiah demanda alors où était Siobhan, et si Aisling désirait qu’il la garde pendant sa convalescence, ce qu’elle refusa. Il hocha la tête. « Tu sais que je suis là, si jamais. » Mais Aisling était bien entourée, entre CJ, Aino et lui-même, Siobhan ne risquait pas de manquer d’attention si sa maman avait besoin d’un peu de repos. Puis, Aisling enfonça sa tête dans son oreiller et posa la question qu’Isaiah tentait d’étouffer dans son esprit, pour ne pas souffrir trop. Pour ne pas se confronter à une triste réalité à laquelle il aurait préféré échapper. Son cœur se serra lui aussi. Deux cœurs atrophiés, mais pas pour les mêmes raisons. Ses yeux fuirent, vers leurs doigts entremêlés. Il jouait nerveusement avec ceux de la jeune femme. « Je … » Il était de plus en plus souvent à court de mots, avec elle, plus qu’avec n’importe qui. « Je sais que le timing aurait été … disons, loin d’être idéal. Mais … enfin, … tu sais bien que ma vie n’a jamais suivi un quelconque horaire, non plus. Et puis, de plus en plus, en passant du temps avec Sio et toi … l’idée d’une famille, c’est … ça devient … plus tentant. » Avait-il dit en relevant les yeux vers elle. Sauf qu’il savait que rien que l’idée d’avoir un seul enfant, pour Aisling, avait été un véritable poids pour elle. Étaient-ils, déjà, face à la première impasse ? « Et ... toi ?  »  

Elle sourit, heureuse, en le voyant prendre place sur son lit. Elle hocha doucement la tête quand il lui dit qu'il l'aimait aussi. Là, tout de suite, elle se sentait bien. Parce qu'il était là, parce qu'il s'occupait d'elle. Et il n'y avait aucun reproche dans ses yeux, aucun jugement et c'était tout ce dont elle avait besoin, là tout de suite.

-Oui je sais, tu es toujours là.

Toujours là pour elle. Elle n'avait jamais connu quelqu'un qui avait fait autant pour elle, même, surtout, dans les moments de crise. Elle garda ses doigts serrés dans les siens, comprenant qu'elle était entrain de le faire souffrir. C'était tout ce qu'elle ne voulait pas. Elle serra les dents, essayant de ne pas laisser couler de nouvelles larmes sur ses joues. Mais elle ne réussit pas à étouffer son sanglot alors qu'il prononçait le mot famille. Quel fou pourrait vouloir fonder une famille avec elle si ce n'est lui ?

-Je... Tu sais très bien... Tu connais la réponse.

Elle n'aurait pas voulu le garder, enfin, elle ne s'imaginait pas vouloir le garder. Parce qu'elle savait aussi à quel point prendre la décision d'avorter aurait aussi été difficile.

-Je serais jamais capable d'assumer Siobhan et... un bébé.

Elle avait déjà l'impression de très mal assumer sa fille, alors, comment pourrait-elle faire encore plus ? Siobhan, ses études, le boulot... On se demandait comment elle pouvait encore avoir deux minutes à elle. Elle secoua doucement la tête, se redressant un peu, leurs doigts toujours entremêlés et ses yeux plongés dans les siens.

-Enfin, j'aurais jamais rien fait sans te le dire.

Aisling ne se sentait pas capable de mentir ou de cacher quelque chose à Isaiah. Sûrement parce qu'avec Ciàran, elle avait bien trop l'habitude qu'il finisse toujours pas tout découvrir.

Oui je sais, tu es toujours là. Il eut un léger rire, Isaiah, peut-être de nervosité, peut-être pas approprié dans les circonstances, mais c’était son esprit qui le faisait toujours divaguer vers l’absurde. Un mécanisme de protection comme un autre, même si ce n’était jamais de cette manière-là qu’il l’avait perçu. Dans les circonstances, il était vrai que c’était davantage une manière de se défiler. « Ça donne l’impression que je suis encombrant. » Un peu toujours dans les pattes, quelque chose dans le genre. Mais Isaiah savait bien que ce n’était pas ce qu’Aisling voulait dire, il n’en était pas vexé non plus, c’était un simple constat pour tenter de détendre l’atmosphère. Il n’était pas aussi doué que ça, au fond, quand les moments devenaient plus difficiles. Mais il était là, c’était l’important. Elle lui demanda alors s’il aurait voulu le garder, et quand il tenta de faire de l’ordre dans ses propres pensées tout en les exposant à Aisling, cette dernière étouffa un sanglot quand il parla d’avoir une famille avec elle. Il releva un regard attristé vers elle, attristé de susciter en elle ce chagrin. Et d’avoir l’impression de lui faire du mal de par ses propres désirs, qu’elle ne partageait pas. Il baissa les yeux. Il était vrai qu’Aisling jonglait déjà entre toutes les sphères de sa vie avec un équilibre qui était pour le moment impressionnant, mais il ne suffisait que d’un poids de plus pour que tout s’écroule. « Je ne parle pas de maintenant, tu sais … Enfin, si … si tu n’avais pas eu de fausse couche, ça l’aurait été. Mais … ça ne se fera pas, ça, de toute façon. » Ça ne servait à rien d’envisager une hypothèse qui s’était envolée dans sa chute. « Ça fait … ça fait seulement réfléchir. » La blonde se redressa, et lui affirma que de toute façon, elle n’aurait rien fait sans en avoir au préalable discuté avec lui. Il hocha la tête. « Merci, pour ça. » De lui faire confiance, de vouloir tout partager avec lui, d’avoir le courage d’affronter les épreuves à deux. « Tu sais, je ne te forcerais jamais de faire quoi que ce soit que tu ne désires pas. Encore moins quand il est question d’avoir un enfant. » Ce n’était pas le genre de chose qu’on impose à quelqu’un. Et puis, au fond, c’était Aisling et Siobhan, sa famille, désormais. Même s’il était vrai qu’il aurait aimé agrandir cette dernière, il ne se permettrait jamais de faire en sorte qu’Aisling se sente forcée de lui offrir quelque chose qu’elle ne voulait pas, elle aussi.

Le petit rire d'Isaiah la fit sourire, secouant doucement la tête, amusée. Il disait des bêtises. Et puis, même si c'était le cas, elle trouvait son encombrement adorable et plaisant.

-Si tu n'étais pas aussi lourd, on en serait pas là.

Et si dans d'autres circonstances ça sonnait comme un reproche, là, c'était un compliment. Il était la meilleure chose qui ne lui soit jamais arrivé. Alors qu'il évoquait leur possible vie de famille, elle ne put s'empêcher d'éclater en sanglot. Elle se mordit l'intérieur de la joue avant de passer ses bras autour de lui, posant son front contre ses épaules. Est-ce qu'elle pleurait vraiment parce qu'elle était avec l'homme le plus exceptionnel du monde ?

-Oui, ça fait réfléchir.

Ça faisait quelques heures déjà qu'elle cogitait, et pourtant, tout était confus. Elle releva ses yeux humides vers lui. Esquissant un léger sourire alors qu'il lui disait qu'il ne la forcerait jamais à rien.

-Oui je sais, je sais tout ça.

Elle glissa une main dans les cheveux d'Isaiah avant de déposer tendrement ses lèvres contre les siennes.

-Tu sais, je veux... Je veux te rendre heureux.

« Alors j’continuerai à l’être. » Il esquissa un sourire. Juste assez, mais pas trop. Lourd quand ça en vaudrait la peine. Lourd quand ce serait pour se battre pour eux. N’était-ce pas ce qu’il faisait depuis le tout début ? S’il avait autant insisté, s’il avait tellement voulu lui parler, la revoir, et gagner sa confiance au fil du temps, c’était parce qu’il avait vu en Aisling tout ce qu’elle était et ce, presque depuis le premier regard. Et autrement, ils n’en seraient pas là, c’est vrai. Alors il continuerait d’être celui qu’il était, pour les mener plus loin encore. Ce qui était bien avec leur situation actuelle, c’était qu’Aisling avait elle aussi accepté de faire les pas avec lui. Main dans la main. Le jeune homme s’installa un peu mieux sur le lit, Aisling posant son front sur son épaule comme pour y étouffer les sanglots que le mot famille avait fait naître en elle. Ça l’attristait, Isaiah, de la voir pleurer pour ses paroles. Il l’avait souvent réconfortée, quand c’était d’autres hommes qui la mettait dans un tel chagrin. Là, maintenant, il avait l’impression que c’était de sa faute, et ça le rendait malade de lui faire du mal même sans le vouloir. Alors il tenta, du mieux qu’il le pouvait, de tenter de lui faire comprendre que jamais il ne lui demanderait ce qu’elle ne voulait pas, ou ne pouvait pas, lui donner. Elle le savait, bien sûr qu’elle le savait. Elle déposa ses lèvres sur les siennes, et Isaiah esquissa un sourire à sa remarque, avant de passer une main dans ses cheveux blonds, à son tour. « Mais je suis heureux, Aisling. » Affirma-t-il, avec toute la conviction que ce monde pouvait lui donner. « Et tu me rends encore plus heureux. » Et si l’arrivée d’un enfant créé d’eux deux le rendrait sans doute encore plus heureux, si seulement c’était possible, Isaiah était quand même prêt à renégocier avec la vie si c’était pour la vivre aux côtés d’Aisling. Sa vie n’était pas toute tracée, à Isaiah. Il n’avait pas de plan. Aucun plan. « Je ne veux pas que tu sois triste par ma faute, Ais … Je suis celui qui te réconforte, pas celui qui te fait pleurer, tu te souviens ? » Souffla-t-il avec un léger sourire.  Trop d’hommes déjà l’avaient fait.

Est-ce qu'il lui aurait dit si ce n'était pas le cas ? Est-ce qu'il lui aurait menti ? Aisling n'imaginait pas Isaiah mentir une seule seconde. Mais elle ne l'imaginait pas lui faire du mal non plus. Mais peut-être qu'un jour, ça arriverait, peut-être qu'un jour il lui dirait en face quelque chose qui lui ferait du mal. Il fallait qu'elle s'y prépare, même si elle savait qu'il ne la blesserait jamais sans raison.

-Tu me rends incroyablement heureuse aussi.

Sa main dans ses cheveux la rassurait, et elle ne put s'empêcher de lui répondre par un léger sourire. Oui, elle le savait, elle savait qu'il ne voulait pas la faire pleurer. Mais tout ça, ce n'était pas réellement sa faute. C'était juste la situation qui la rendait particulièrement émotive.

-Tu me réconfortes quand les autres me rendent malheureuse. Mais je n'ai pas besoin d'être consolé quand je pleure de joie.

Au fond, qu'il veule fonder une famille avec lui, même si ce n'était pas le moment, même si elle était nulle avec les enfants, même si... Ça la rendait heureuse. Parce qu'il ne pourrait pas plus sincèrement lui montrer qu'il voulait que leur relation dure. Et si, il y a un an ou deux ça l'aurait fait totalement flipper, aujourd'hui elle avait besoin de ça.