Retour de service [Feat. Elio Gallucini]

Bien sûr que non Lisandro ne cherche pas à te faire souffrir ni ne pense à mal lorsqu’il parle de sa propre relation amoureuse. C’est tout à fait normal, comme conversation, au final. Il fut un temps où ce n’était pas du tout le cas pour l’Italien mais tu es heureux de voir que les choses ont changé. Qu’aujourd’hui, il peut entrevoir un futur à travers – et avec – quelqu’un d’autre. C’est une chance qu’il ne doit pas manquer et dont il doit avoir conscience. Toi, tu n’as pas assez savouré chaque moment passé avec ta femme et aujourd’hui tu le regrettes beaucoup. Du coup, depuis sa mort, tu as décidé de vivre ta vie pleinement en savourant les moments intenses comme les moments simples. Sans jamais oublier que la vie ne tient qu’à un fil. « Rassure-toi, tout ce qui s’est passé durant ta convalescence est déjà oublié, l’important c’est que tu ailles bien aujourd’hui. Et pour le reste, tu ne me rends pas malheureux, juste un peu nostalgique. J’espère retrouver ce que tu vis avec cette femme un jour mais en attendant, me réjouir pour toi me suffit. » Réponds-tu, sincèrement. Tu n’as pas besoin qu’il se retienne afin de te préserver. Bien au contraire, même. Tu ne veux pas que les choses changent entre vous sous prétexte que tu es veuf. A une époque, vous partagiez une tristesse commune mais aujourd’hui, tu es heureux de voir que celle-ci quitte peu à peu Lisandro. Une fois à table, tu ne peux t’empêcher de reparler de ton pays natal, un pays que tu affectionnes particulièrement et, contrairement à ton ami, où tu as beaucoup d’attaches. Mais également beaucoup de souvenirs tristes et difficiles à supporter qui t’ont poussé à partir. « Oui je vois… Je suis désolé. » Dis-tu en te rendant compte que tu viens de mettre les deux pieds dans le plat, maladroitement. « Dès que j’en ai l’occasion, j’essaie d’y aller au moins une fois tous les trois mois pour ma famille mais ce n’est pas évident. Tu n’aimerais pas m’accompagner, un de ces jours ? » Demandes-tu plus doucement pour éviter de brusquer l’italien. Tu sais qu’au vu de sa condition il y a quelques aménagements à faire mais ce n’est pas impossible. Voyager dans sa position reste possible même si Lisandro pense sans doute le contraire.

Lisandro ne se rendait pas toujours compte de ce qu'il faisait ou disait, parfois, même très souvent il était assez maladroit et le fait de parler de sa relation amoureuse alors que son ami souffre de la présence de sa bien-aimée, c'est égoïste de sa part et il aurait dû y penser. Mais pour le coup, il avait d'abord vu son éventuel bonheur et futur avec Maddie et il avait eu besoin de le partager, d'obtenir des conseils pour espérer ne pas tout foutre en l'air comme il le faisait avec tout en général.

Afin de le rassurer, Elio tient des propos gentils, mais au fond, il ne peut pas oublier totalement ce qui lui a fait durant sa convalescence. Tout ces mots blessants, ces gestes déplacés qui ne devraient jamais avoir lieu entre deux amis. Et pourtant, il avait réussi à lui pardonner, à voir le meilleur en lui, cette lumière qui commençait à pointer doucement alors même qu'il ne s'y attendait plus. Est-ce le dicton était donc vrai ? C'est quand il n'y a plus d'espoir, qu'on commence à vivre. C'était le cas, il commençait à apprendre à vivre avec son handicap, avec le regard des autres sur sa condition. Ce n'était pas facile tous les jours, mais il essayait de surmonter ça en se disant que désormais il n'était plus seul.

Les deux italiens discutent ensemble de leur pays natal, ce même pays où Elio retourne régulièrement visiblement alors que Lisandro n'y a jamais remis les pieds depuis qu'il en est parti. Plus rien ne le retenait là-bas bien qu'il aime plus que tout la terre qui l'a vu naître. Les paysages sont si variés et époustouflants à la fois qu'il s'est déjà imaginé y retourner plus d'une fois. Enfin, c'était avant son accident. Ça aussi, il a tiré une croix dessus maintenant.

Lisandro est heureux si Elio peut voir sa famille, en tout cas, il fait tout pour garder le lien avec elle. Lui n'en a plus. Retourner en Italie, ça serait aussi retourner sur les terres où ses parents sont décédés à cause de lui. C'est ce dont il s'est persuadé et ce sentiment de culpabilité ne s'etait jamais évaporé. C'est la raison pour laquelle il était plus que surpris par la proposition d'Elio.

" - C'est gentil, mais on sait tous les deux que c'est impossible. Et puis, c'est ta famille, pas la mienne.."

Mais au fond, il mourrait d'envie de lui dire oui, il voulait y aller, mais il ne pouvait pas imposer ça à son ami, d'autant plus qu'il n'était toujours pas autonome et avait besoin de quelqu'un pour certaines tâches.

Tu as appris à faire un trait sur le passé en ce qui concerne Lisandro parce qu'avec tout ce qu'il a vécu, c'est plutôt légitime de le pardonner. Ça ne doit pas être simple de voir sa vie s'écrouler du jour au lendemain. C'est un peu ce que tu as vécu avec la mort de ta femme mais différemment. Toi, tu as eu la chance d'avoir des jambes pour partir à l'autre bout du monde avec médecins sans frontières et puis, pour déménager à Bowen où tu te crées une toute nouvelle vie. Mais si perdre tes jambes étaient la seule solution pour revoir ta femme, tu n'hésiterais pas une seule seconde. Bien sûr, tu ne feras jamais ce genre de commentaires devant l'italien parce que ce serait complètement déplacé et surtout, ça ne servirait à rien d'autres que le mettre plus mal à l'aise qu'il ne l'est déjà. Vous discutez finalement de l'Italie, votre terre natale que vous chérissez tant. En ce qui te concerne, tu y retournes régulièrement dans le but de revoir tes proches mais aussi de te ressourcer. Parfois, Allen t'accompagne, parfois non. Cela ne fait que sept mois que tu as emménagé à Bowen mais sur sept mois, tu as déjà fait deux allers-retours pour l'Italie. Tu as ce besoin de te reconnecter avec tes racines de temps en temps. Et tu aimerais partager ce sentiment avec Lisandro mais il ne semble pas prêt pour ça. Ou plutôt, il refuse de l'être ? « On n'est pas obligé de rester avec ma famille. Et je pourrais te faire découvrir Naples. » Réponds-tu avec un sourire encourageant. « Pourquoi penses-tu que c'est impossible ? A cause de ta condition ? » Demandes-tu en fronçant les sourcils. Si c'est seulement ça qui bloque Lisandro, alors, c'est complètement con. Pourquoi se priver alors qu'il existe des tas d'aides, à l'heure actuelle ?

Lisandro commençait tout juste à apercevoir un brin de lumière à l'horizon, mais crier victoire maintenant aurait été totalement déplacé. L'italien est plutôt du genre impatient et il a besoin de voir les effets de ce qu'il fait quasiment instantanément. Par exemple, pour sa rééducation, il a besoin de voir que ce qu'il fait a un impact quasiment immédiat, mais c'est rarement le cas et ça le démoralise plus qu'autre chose. C'est aussi à cause de tout cela qu'il n'y croit plus, qu'il a perdu sa confiance en son avenir et en lui-même. Il était réduit à rien. Juste ce fauteuil comme simple compagnie. Il avait rayé tout ce qu'il avait sur sa liste : avoir des enfants, une femme, une grande maison, leur apprendre à jouer au football, devenir une icône pour les jeunes. Tout cela, plus rien n'est envisageable. Il n'en ai pas capable avec sa condition. Et même si celle-ci lui met des barrières, il crée les autres lui-même et s'interdit certaines choses qu'il serait capable de faire. Comme ce voyage en Italie. Oui il en a envie. Il n'a vécu que pour ça durant plusieurs années. Retrouver sa terre natale, ses racines, il en a tellement rêvé mais il a dû abandonner son rêve. Comme celui de sa carrière sportive.

" - Elio je.. Tu ne te rends pas compte de ce que ça implique au quotidien. Tu vois le fauteuil simplement, oui il y a lui, mais je suis incapable de me doucher tout seul, même si ça commence à changer un peu. Je ne peux pas m'habiller tout seul. Il y a plein de choses que je ne peux pas faire tout seul. Et puis, ce voyage c'est une façon de te ressourcer, tu n'as pas besoin de t'infliger ma présence, elle ne fera que te retarder."

Et puis, il y avait toujours cette crainte du regard des autres. Ça le hantait et probablement que ça sera toujours ainsi, il y accordera une importance qu'il ne devrait pas, mais c'est aussi ça qui rythme ses progrès ou ses non-progrès. Lisandro voulait qu'Elio soit heureux en Italie, pas qu'il soit obligé de se le trimbaler partout comme un boulet. Et malgré les apparences, c'est aussi énormément d'organisation, il faut prévoir les places au restaurant, lors des visites il faut s'assurer que le site est équipé pour les personnes à mobilité réduite. C'est exténuant, et son ami avait d'autres choses à penser, même si sa proposition lui faisait extrêmement plaisir.

Non, tu n’imaginais sans doute pas tous les préparatifs que ça demandait de voyager avec une personne en chaise roulante mais ça ne te semblait pas impossible et insurmontable pour autant. Tu as toujours été plutôt optimiste quand ça concerne les autres alors il est normal que ce soit le cas également avec Lisandro. Tu vois les progrès qu’il fait et tu veux que ça continue dans cette voie tout en lui ouvrant de nouvelles portes. Tu sais ce que c’est, de devoir recommencer sa vie à zéro. De devoir imaginer un futur complètement différent. Et ça n’a pas été facile pour toi mais tu y es partiellement parvenu alors pourquoi l’italien n’y arriverait-il pas ? « Ta présence n’est jamais un supplice pour moi, tu sais. » Dis-tu en secouant la tête, agacé que Lisandro puisse penser cela de lui. « Mais je ne veux pas te forcer. Sache juste que si un jour tu changes d’avis, je serais prêt à t’accompagner. Même si ça demande beaucoup d’aménagements. » Ajoutes-tu pour convaincre ton ami. Peut-être pas tout de suite, peut-être pas demain mais un jour, tu espères qu’il finira par changer d’avis. Tu te concentres finalement sur ton assiette, dégustant chaque bouchée de ce délicieux repas. « C’est très bon en tout cas. Merci d’avoir fait ça, ce soir. » Parce que tu sais que si Lisandro t’a invité à cette date, c’est pour éviter que tu te sentes seule à l’approche de l’anniversaire de la mort de ta femme. C’est un vrai ami, à n’en pas douter.

Fin du sujet.