FBI : Fausse Bonne Idée [Feat. Tahlia Wates]

Trois ans, c'était la durée depuis laquelle Donovan était devenu le lieutenant de cette unité de la police. Bien sûr qu'il aimait ce qu'il faisait, mais la douleur qui animait tout son être était bien supérieure au fait qu'il aimait son travail. Puis, il savait lui-même qui finirait par causer sa perte.

Depuis le décès de sa femme, Danno était un tout autre homme, sans aucun but dans sa vie. Il errait dans les bars, enchainant les verres. C'est un cercle vicieux : il souffre alors il boit. Il finit ivre et se bat, il se fait virer du bar pour ensuite terminer la soirée dans sa caravane sur la plage avec pour seule compagnie sa bouteille d'alcool. Ses soirées se ressemblent toutes au final.

Aujourd'hui est un mauvais jour, Donovan n'a quasiment pas dormi, il est épuisé physiquement et émotionnellement mais surtout, il n'a pas encore décuvé de sa soirée, et puis de toute manière, il n'est pas du matin, donc en soit ça ne change pas grand chose. Afin de faire de la paperasse, il avait décidé d'aller au commissariat un peu plus tôt, à une heure où normalement il n'y a pas grand monde. Ça lui permettra de décuver un peu et réduire son mal de tête.

Arrivé sur place, il s'installe à son bureau, heureusement, personne de son équipe est encore arrivé. Le nez dans les papiers, il ignorait depuis combien de temps il était là, mais sa migraine prenait encore un peu plus d'ampleur et pour la faire passer, c'est sur sa gourde remplie d'un liquide ambré qu'il se pencha. Il en avait toujours une sur lui et une dans son tiroir fermé à clé. L'alcool n'était jamais très loin, c'était son moteur.

En se levant ce matin, Tahlia avait l'estomac noué. Elle avait très mal dormi, se ressassant sans cesse l'entrevue qu'elle avait eu la veille avec son supérieur. Ce dernier lui avait demandé de retourner en patrouille et de ne pas se cacher derrière les tâches administratives qui l'intimaient à rester au commissariat, sans mettre le nez dehors. Il savait pour l'agression qu'elle avait vécu et c'était bien pour cette raison qu'il avait soigneusement choisi ses mots, pour ne pas la brusquer. Intelligemment, il lui avait fait comprendre que sa place était sur le terrain. Tahlia avait toujours été une fonceuse et cela l'inquiétait de ne plus la voir aussi animée par la passion qu'elle avait autrefois. La jeune femme, elle-même, savait que ce n'était réjouissant de rester derrière un bureau, toute une journée. Mais elle s'était contentée de cela, pour se protéger pour ne pas se laisser assaillir par la peur de l'extérieur et des délits qui en découlaient. Alors, pour la préserver, son supérieur l'avait associé à Donovan, son chef d'unité, avec qui elle resterait toute la journée et qu'elle assisterait en cas d'interventions. Quelques semaines auparavant, la jeune femme aurait rétorqué que ce n'était pas une bonne idée. Donovan ne la portait pas vraiment dans son cœur. Pourquoi ? Elle n'en avait strictement aucune idée. Mais elle se plaisait à le chercher, malgré tout. Enfin, ça, c'était avant l'agression. Depuis, elle l'avait plus ou moins évité. Et c'était sûrement pareil de son côté.

Alors, quand elle arriva au commissariat, ce matin, elle prit la direction de son bureau qu'elle partageait avec Zach et Jax, et posa ses affaires. Les deux jeunes hommes n'étaient pas encore arrivés – Donovan, non plus - ce qui lui laissait le temps de passer aux vestiaires pour enfiler son uniforme et s'octroyer un café bien réconfortant. Mais quand elle revint, une dizaine de minutes plus tard, son café encore chaud, elle aperçut de la lumière dans le bureau de Donovan. Elle s'arrêta devant la porte et le vit porter à ses lèvres une gourde qu'elle ne connaissait que trop bien. Elle se doutait des travers qui animaient Donovan, et pour lesquels elle était sans solution. Mais là, au goût de Tahlia, il était bien trop tôt pour qu'il s'adonne à ce genre de passion. Alors, elle avança d'un pas déterminé, se plantant devant son bureau, le regard exaspéré. « Hey Don, on va se calmer un peu avec la gourde ! Je suis censée retourner sur le terrain avec toi. Et comme je n'envisage pas de mourir aujourd'hui, je te demande gentiment de laisser ça de côté. » Et avec un sourire qu'il détestait tant, elle ajouta : « S'il te plaît ! » Elle n'avait pas envie d'utiliser la force avec celui qui était quand même son supérieur hiérarchique...

Depuis son arrivée à Bowen et son intégration dans l'unité de police, le jeune homme vivait son petit train train quotidien sans vraiment chercher autre chose. Il résolvait des enquêtes, mettait des criminels derrière les barreaux, remplissait la paperasse associée aux affaires en cours, et puis surtout, il rentrait chez lui pour se détendre en compagnie de ses bouteilles d'alcool. C'était clairement le meilleur moment de sa journée, le seul où il pouvait totalement se laisser aller, celui où il n'y avait personne pour le juger, lui dire ce qu'il devait ou non faire. Mais il aimait tout de même son boulot, même si ses nombreuses mises en danger inutile pouvaient porter à croire le contraire.

Cela faisait cinq ans que Donovan était en chute libre. Ce poste, il l'avait obtenu grâce à son meilleur ami et ancien supérieur. Ses états de service avaient toujours été irréprochables, du moins, jusqu'à ce qu'on lui retire sa femme et son enfant à cause d'une enquête qu'il menait. Il aurait dû être en mesure de les protéger et il en avait été incapable. C'est ce sentiment de culpabilité qui le rongeait depuis toutes ces années, mais malgré ses rendez-vous avec sa psychologue, il avait l'impression que tout cela n'était qu'une perte de temps. Du temps pendant lequel il ne pouvait pas poursuivre son enquête et retrouver les enfoirés responsables du carnage qui l'a détruit.

Dans l'unité où il travaillait, Donovan bossait avec une jeune flic, Tahlia. Il ne l'appréciait pas, peut-être parce qu'elle lui ressemblait trop et qu'elle avait le même caractère. Ou alors parce qu'elle prenait un malin plaisir à venir le chercher, ce qui avait le don de l'agacer. Mais ces dernières semaines il avait été tranquille. Son supérieur lui avait annoncé qu'elle s'était fait agressé, mais à aucun moment il n'avait cherché à prendre de ses nouvelles. Elle se cantonnait derrière son bureau et l'évitait, et ça arrangeait bien le lieutenant Chamberlain.

Le nez dans sa paperasse officielle, mais surtout l'enquête qu'il menait en secret pour retrouver les responsables du meurtre de sa femme, il était tellement absorbé qu'il n'avait pas entendu la brune arriver. Un soupir s'échappa d'entre ses lèvres afin de lui faire comprendre qu'elle n'était clairement pas la bienvenue ici. Son bureau c'était son espace, sa zone et il n'appréciait pas qu'on y pénètre sans y avoir été invité, même si lui ne se gênait pas pour le faire.

Comment savait-elle que c'était de l'alcool qu'il y avait dedans ? Ses supérieurs ignoraient qu'il avait des problèmes d'alcool, et son meilleur ami s'était bien gardé de leur dire. Ici, personne n'était censé être au courant, même s'ils avaient tous fini par apprendre pourquoi il était resté cinq ans hors des forces de police. Il avait toujours refusé d'évoquer son histoire avec qui que ce soit. Jouant au plus malin avec elle, il décida de lui adresser son sourire le plus faux.

" - Doucement ma grande ok, c'est que de l'eau. Et puis, si tu n'as pas envie d'aller sur le terrain avec moi demande à Andrews ou Wirrpanda, tu seras sans doute plus en sécurité."

Jusqu'alors il avait été courtois pensant que ça suffirait à la faire partir, mais non. Elle était toujours plantée devant lui. Il se leva rapidement mais resta de l'autre côté de son bureau.

" - Écoute si t'as peur pour ta vie fallait pas devenir flic. On risque sa vie tous les jours et ce qui t'es arrivé c'est le quotidien, si t'es pas capable de le surmonter alors trouve toi un autre job."

Ses paroles étaient dures, sans doute motivées par l'alcool d'une part, et d'autre part par cette colère qui bouillonait en lui. Elle était devant lui, alors il l'avait déversé sur la seule personne qu'il pouvait blâmer. Il était son supérieur et elle ne pourrait rien contre lui, pas d'un point de vue hiérarchique en tout cas. Mais au fond, toutes ces paroles, il ne les pensait pas réellement et même si lui se fichait de se mettre en danger inutilement ou même de jouer avec sa propre vie, il comprenait qu'après une agression, le traumatisme pouvait être sévère. Comme son propre traumatisme qu'il évoquait jamais.

En entrant en trombe dans le bureau de Donovan, Tahlia savait pertinemment qu'elle allait s'attirer les foudres de son supérieur hiérarchique. Oui, elle aurait dû attendre un peu, se poser à son bureau et boire son café, de manière sereine... Mais ça, ce n'était pas Tahlia. Elle, elle fonçait droit dans le mur. Et sa récente agression n'avait pas amélioré ce trait de caractère que beaucoup de personnes regrettait. En allant directement au front, elle savait qu'elle allait se prendre un revers terrible. Ce n'était pas du masochisme, parce qu'elle savait que ses raisons étaient pertinentes. Tahlia n'était pas dupe. Elle savait que Donovan n'était pas droit dans ses bottes. Parfois, elle sentait les effluves de l'alcool, quand il passait près d'elle. Elle avait commencé à avoir des doutes sur lui, et cette gourde qu'il traînait sans cesse avec lui n'arrangeait pas le cas Chamberlain. Pourtant, elle ne disait rien. Elle n'avait jamais exprimé à qui que ce soit (supérieurs et membres de l'unité compris) les doutes qui l'animaient. Peut-être se trompait-elle sur toute la ligne... cela restait une éventualité plausible. Mais aujourd'hui, elle voulait en avoir le cœur net. Alors, elle l'avait attaqué, sans délicatesse, mettant en avant la preuve la plus concrète qu'elle avait sous la main : la gourde. Bien sûr, Donovan ne se laissa pas faire. Elle arqua un sourcil quand il l'appela « ma grande », voyant cela comme une manière de l'infantiliser. Il fallait qu'il comprenne qu'il ne parlait pas à une gamine. Même si leurs réactions communes n'étaient pas des plus matures. Les sourires faux et hypocrites en témoignaient plus que bien. « Je peux donc vérifier par moi-même... puisque ce n'est que de l'eau. » répondit-elle en tendant la main pour qu'il lui donne la gourde. C'était un geste vain, elle le savait déjà. Tahlia était butée, mais Donovan l'était encore plus. « J'aurai préféré être avec Wirrpanda ou Andrews, mais le chef m'a mis en binôme avec toi. Et tu sais bien qu'il faut toujours respecter les ordres... » Sa dernière phrase était pleine d'ironie, évidemment. L'un et l'autre étaient les têtes brûlées du commissariat. Ils n'avaient pas peur de détourner les ordres. Mais celui-là, Tahlia était bien décidée à le respecter. Juste pour embêter son supérieur direct...

Donovan pensait sûrement que Tahlia s'était radoucie ces dernières semaines, qu'un peu de courtoisie suffirait à la faire sortir du bureau. Mais il se mettait le doigt dans l'oeil. La jeune femme n'avait pas bougé d'un poil, ce qui semblait agacer son supérieur, qui se releva derrière son bureau. Il se mettait à sa hauteur. Son regard vert rivé sur lui, Tahlia ne cilla pas un instant, par pure provocation. Mais quand elle entendit ses paroles, son masque se fissura quelque peu. Pour le coup, il était rude. Quel connard... Elle retint ce juron de justesse, mais son regard se fit noir. « Je sais pourquoi j'ai signé en choisissant ce boulot, sinon je ne serai pas là aujourd'hui. Contrairement à ce que tu peux croire, je ne suis pas aussi stupide que j'en ai l'air. Je sais que la police, ce n'est pas le monde des bisounours. Ça ne me gêne pas de risquer ma vie au quotidien.  Ce qui me gêne plus, en revanche, c'est de la risquer en compagnie d'un homme qui n'est même pas capable de gérer correctement son unité. » Il fallait avouer qu'il n'était pas le supérieur hiérarchique rêvé. Il n'avait pas même été capable de lui glisser quelques mots, même maladroits, après son agression. « Laisse-moi vérifier cette gourde et tu ne m'entendras plus de sitôt... »

Il arrivait parfois que Donovan soit plus irritable que d'autre, qu'il soit plus impulsif et agressif envers certaines personnes plutôt que d'autre. Pourtant, tout cela n'était qu'un moyen comme un autre de se défendre. Ce masque qu'il avait enfilé après le décès de sa femme n'était là que pour couvrir l'homme détruit qui se cachait en-dessous. En intégrant cette unité, il n'attendait rien et encore moins qu'on lui fasse cadeau de je ne sais quoi, malgré cela, il aurait préféré rester enfermé avec sa solitude que se retrouver avec une telle équipe. Enfin surtout concernant un élément en particulier : Tahlia. Cette femme était bien trop apte à le faire plonger, bien trop intelligente et surtout têtue pour que le courant passe entre eux. C'était une des seules à lui tenir tête, et ça le menait en rogne bien plus qu'autre chose, même s'il ne l'avouera jamais.

Jamais, ô grand dam jamais personne ne touchera à sa gourde, c'est une certitude. Jusqu'à présent il la toujoirs gardé soit dans son tiroir, soit sur lui, et ce n'est pas cette femme, qu'il considère presque comme une ennemie qui va l'approcher. Voilà qu'il se met automatiquement sur la défensive et pour cela, quoi de mieux que d'appuyer là où ça fait mal. C'est la spécialité de Donovan, ne chercher pas un mec doux, il est tout le contraire. Pas de pitié, pas d'empathie, juste une enquête et un dossier à remplir. Il savait pertinemment qu'elle avait subi une agression, mais ce n'était pas le genre à aller prendre des nouvelles, il n'avait jamais été comme ça. Enfin si, peut-être à une époque. Avant le décès de sa femme en tout cas. Depuis, on peut dire qu'il a gagné haut la main le concours du plus gros connard, surtout avec les propos qu'il venait d'adresser à Tahlia. Il savait que ça la blesserait et c'est comme ça qu'il se défend. Il n'est pas méchant dans le fond.

" - C'est pas avec moi que tu vas pouvoir jouer à la flic modèle et tu le sais très bien. Toi comme moi, on est pareil, l'autorité ça n'a jamais été notre point fort."

C'était déjà un grand pas de l'avouer, même si ce n'était pas vraiment un secret, même pour ses supérieurs directs. Même ils avaient toujours composé avec depuis son arrivée ici. Les ordres, Danno les écouter et les respectaient lorsqu'il en avait envie, tout dépendait de la situation, de son humeur et surtout, s'il était ou non sobre. Parce que ce ne serait pas la première fois qu'il débarque au bureau en étant déjà à moitié saoul. Comme aujourd'hui. Enfin c'était différent. Oui différent puisqu'il n'avait pas bu, enfin pas avant que Tahlia ne décide de faire irruption dans son bureau, mais il ne s'était pas encore remis de sa gueule de bois de la veille. Tout ses problèmes se réglent avec l'alcool, c'est comme ça qu'il fonctionne.

" - Rien ne t'interdit de demander à être muté si t'aime pas bosser avec moi. Mais que ce soit moi ou non, on est tous confronté à des gens avec qui on a pas envie de bosser et pourtant, on doit faire avec."

Le message était plutôt clair, et il ne doutait pas une seconde que la jeune femme intelligente qu'elle est, le comprenne et rebondisse dessus. En revanche, il se faisait de plus en plus agressif et si elle tentait ne serait-ce que le moindre geste pour lui arracher la gourde des mains, il n'était pas certain de pouvoir contenir la rage qu'il a en lui. Si elle l'apprenait, si elle découvrait sa vraie nature, il savait qu'elle n'hésiterait pas à le balancer, juste pour le faire couler. Et au fond, c'est tout ce qu'il méritait, il ne devrait même pas être ici.

" - Je te conseille vivement de ne pas approcher plus, sinon je ne promets pas ce qui va arriver. Il ne faudra pas venir te plaindre après, rappelle toi que c'est toi qui a provoqué tout cela."

Sa voix avait beau être relativement neutre, il n'en demeurait pas moins que ceci était une menace déguisée avec un faux sourire comme il savait si bien les faire. Il refusait de penser que quelqu'un pouvait voir clair dans son jeu, pouvait entrevoir ses faiblesses et les utiliser contre lui par la suite. Donovan était comme ça, un parfait connard, mais il n'y a que ça qu'il sache faire correctement.

Parfois, Tahlia avait envie de prendre Donovan entre quatre yeux et lui demander clairement ce qu'il avait contre elle. Elle savait qu'il n'était pas des plus heureux à prendre la tête d'une équipe. ça, elle le comprenait. Mais ce qu'elle ne comprenait pas, en revanche, c'était cette façon d'être exécrable avec elle. Dès le début de leur relation, il avait agi de cette manière et la jeune femme n'avait jamais voulu en savoir plus. Elle s'était habituée à ces remarques désobligeantes et avait appris à lui répondre, à lui tenir tête. Il était vrai que Tahlia avait un caractère particulier, un goût prononcé pour la rébellion, mais elle se lassait vite. Souvent, elle laissait tomber, estimant qu'elle avait mieux à faire, plutôt que de consacrer son temps et son énergie à des abrutis finis. Mais avec Donovan, ce n'était pas le cas. Les jours passaient, puis les mois, les années et les deux comparses se balançaient toujours autant d'horreurs à la figure. C'était peut-être parce qu'ils se ressemblaient tant qu'ils ne parvenaient pas à communiquer avec tact et diplomatie. Au moins, le boulot était fait. A leur manière, mais il était fait... Elle esquissa d'ailleurs un sourire en coin quand il lui demanda de ne pas jouer la flic modèle avec lui. Il n'avait pas tord sur ce coup-là, il savait comment elle fonctionnait, et vice-versa. « Il y a un début à tout ! » répondit-elle simplement avec provocation. Non, bien sûr que non, Tahlia n'allait pas devenir le parfait toutou de ses supérieurs. Mais aujourd'hui, elle utilisait cette autorité pour expliquer sa présence dans ce bureau.

Une présence qui, au fil des minutes, semblait déplaire encore plus à Donovan. La provocation avait laissé place à des phrases plus rudes. Il avait déjà malmené Tahlia, mais là, c'était d'un niveau au-dessus. C'était un coup de plus après une agression qui avait laissé des traces. C'était presque mesquin. Alors, quand il lui fit tout un laïus sur les mutations et les collègues avec qui l'on ne voulait pas bosser, Tahlia crut comprendre qu'il parlait d'elle. « Je sais aussi que ça ne te plaît pas de bosser avec moi, mais si tu crois que je vais être celle qui va jouer la fuyarde en demandant une mutation, tu te plantes sur toute la ligne. Je ne te ferai pas ce plaisir-là. J'ai davantage ma place ici que toi. Alors, faisons avec... » Cela faisait presque huit ans que Tahlia était dans ce commissariat. Si Donovan était à la tête de cette équipe, c'était seulement parce que la jeune femme était trop jeune – et fougueuse - pour prendre la responsabilité de l'unité. Ce qui ne la dérangeait pas plus que cela, parce qu'elle se verrait mal gérer des personnes comme Donovan. Pourtant, au lieu de lui balancer d'autres horreurs à la figure, Tahlia lui proposa un compromis. S'il lui passait cette gourde, afin de lui ôter tous les doutes, elle le laisserait tranquille. Mais la réponse de son supérieur ne fut pas celle qu'elle attendait. Elle arqua un sourcil face à ses paroles. Il l'avait dit de manière neutre, mais elle avait senti toute la menace qui découlait de ses mots. Elle posa ses mains sur le bureau et s'appuya pour se pencher légèrement, de façon à s'approcher de Donovan. De façon à empiéter encore plus sur son territoire. S'il commençait à l'attaquer, cela n'allait pas être acceptable. « Ah oui ? Qu'est-ce que tu oserais me faire, Donovan ? » Elle jouait avec le feu, mais elle n'imaginait pas un seul instant qu'il puisse avoir un geste mal placé envers elle. Chamberlain était perché, certes, mais pour elle, il relevait plutôt de l'auto-destruction. « Tu ne crois pas que tu vas un peu loin dans tes paroles ? Surtout pour une simple gourde d'eau... » Sur ces mots, elle posa sa main sur la fameuse gourde, ses doigts se refermant dessus avec détermination. Mais le plus parlant dans cette histoire, c'était le regard qu'elle lui jetait. Elle fonçait dans la cage aux lions, sans aucune peur. Peut-être parce qu'elle cherchait le point de non-retour, la preuve infaillible pour tenter d'atteindre Donovan, pour mettre à jour ses faiblesses...

Donovan avait toujours aimé son métier, il avait toujours rêvé de devenir policier malgré ce que son père lui avait interdit. Il avait fait l'école de police et désormais, il faisait ce qu'il aimait, la seule chose qu'il savait faire. Pourtant, tout avait changé depuis cinq ans. Ce métier qu'il aimait tant faire lui coûtait, mais il ne voulait pas l'avouer, parce que c'était aussi le seul moyen pour qu'il puisse continuer d'enquêter sur les responsables du meurtre de sa femme.

Quand il était arrivé à Bowen et qu'il avait dû prendre la direction de cette équipe, ça l'avait moyennement ravi. Autant les hommes avec qui il travaillait ne lui posait aucun soucis. Par avec Tahlia c'était une toute autre histoire. Ils étaient bien trop similaires tous les deux. Leurs souffrances intérieures fait qu'ils ne peuvent pas s'entendre. Autant le proverbe dit que les opposés s'attirent mais là, ils sont pareils et donc, par conséquent, ils se repoussent. Mais il n'avait jamais rien eu de concret contre elle. Il n'avait pas non plus essayé d'apprendre à la connaître et il n'était pas sûr d'en avoir l'envie, surtout après ce qu'elle s'apprêtait à faire.

Entre eux, rien n'avait jamais été simple, autant ils auraient pu se comporter en adulte mature et s'éviter pour ne pas causer d'ennuis, ou même mettre de l'eau dans leur vin et travailler ensemble. Mais aucun des deux n'avaient eu cette idée et la plupart de leur discussion, c'était des piques qu'ils se lançaient mutuellement. Il n'y a que comme ça qu'ils arrivaient à communiquer. La provocation était leur seul outil pour se parler. Et jusqu'à présent, ça ne leur avait jamais cause de tort. Mais aujourd'hui, il avait comme le pressentiment que les choses allaient se dégrader, Tahlia s'apprêtait à franchir la seule barrière qu'elle ne devrait pas dépasser, et si c'était le cas, il ne répondait plus de rien. Aucun retour en arrière ne sera possible, mais elle ne semble pas en avoir conscience.

Il écouta les propos de la jeune femme sans vraiment les comprendre. Pourquoi aurait-elle plus sa place que lui ? Parce qu'elle vivait ici depuis plus longtemps que lui ? Parce quelle avait plus d'atomes crochus avec ses supérieurs ? Il ne savait pas trop comment l'interpréter mais ce n'était pas sa préoccupation première à cet instant précis. Il était bien plus focalisé sue sa gourde et sur les gestes de Tahlia envers lui.

" - Ne joue pas avec le feu Tahlia, tu pourrais vraiment t'y brûler."

C'était le dernier avertissement avant que ses nerfs ne lâchent. Il était bien plus que nerveux et il n'arriverait pas à se contrôler plus longtemps si elle tentait de jouer avec le diable. Il la regardait s'approcher, réduire encore un peu plus son territoire. Son souffle devenait de plus en plus court, elle ne devrait pas continuer. Elle allait trop loin, il ne voulait pas mais il ne pouvait pas faire autrement. D'autant plus lorsqu'elle déposa ses doigts sur sa gourde. C'en était trop, il l'avait imploré du regard pour la dissuader de faire ça. Maintenant c'était trop tard.

Il l'empoigna par le col en la plaquant contre le mur juste à côté de lui. Sa colère était tellement grande qu'il ne pouvait pas faire autrement que la laisser s'échapper. Jamais il n'aurait voulu lui faire du mal, ce n'était pas ses intentions, mais elle l'avait poussé à devenir celui qu'il ne voulait pas être. Il finit par la lâcher en se rendant compte de ce qui était en train de se passer, puis il quitta son bureau. Heureusement le commissariat était encore vide. Il se dirigea vers les toilettes pour se passer de l'eau sur le visage. Dans sa précipitation, il lui avait laissé la gourde entre les mains.

Jusqu'à présent, Donovan et Tahlia s'en sortaient plutôt bien. Même s'ils avaient de gros problèmes de communication, même s'ils passaient beaucoup de temps à se provoquer, ils parvenaient à faire en sorte que le travail soit fait. Et bien fait, qui plus est. Les supérieurs s'arrachaient les cheveux avec eux, mais ils ne pouvaient nier que l'unité fonctionnait plutôt bien. Mais aujourd'hui, Tahlia n'avait plus envie de faire semblant. Elle n'avait plus cette patience-là. Poussés dans leurs retranchements, il était certain que cette entrevue allait mal se terminer. Les menaces de Donovan étaient sans équivoques. C'était peut-être la première fois qu'il était aussi direct avec elle. C'était la première fois qu'elle voyait tant de colère briller dans ses yeux. Mais au lieu de fuir, la jeune policière voulait aller jusqu'au bout. Elle voulait voir jusqu'où il pouvait aller, jusqu'à quel point sa souffrance pouvait le malmener. Elle était certaine qu'il traînait derrière lui un lourd passé qui l'affectait et par ses gestes, elle souhaitait le mettre face au fait accompli.

Il aurait fallu lui donner la gourde, tout simplement. Et tout se serait bien passé. Mais Donovan ne voulait sûrement pas abdiquer. Ils restaient campés sur leurs positions, laissant la situation s'envenimer jusqu'au point de non-retour. Alors qu'elle s'était approchée davantage de lui, il utilisa de nouveau la menace pour la faire changer d'avis. Il lui demandait de ne pas jouer avec le feu. Mais l'un comme l'autre savaient qu'ils étaient ceux qui jouaient le plus avec le feu. Ils flirtaient avec le danger, sans se soucier des conséquences. D'ordinaire, c'était dans leurs enquêtes qu'ils agissaient de cette manière. Mais là, ils venaient de passer une toute nouvelle étape. C'était face à lui qu'elle jouait avec le feu, et non pas face à ces quelques délinquants qui animaient leur quotidien de flic. « Ce n'est pas comme si j'avais quelque chose à perdre... » murmura-t-elle, d'un ton qui laissait entrevoir qu'elle n'abandonnerait pas. Et elle n'avait pas tord sur ce coup-là. Que pouvait-elle perdre ? Sa place ? La passion pour son métier s'était drôlement altérée, ces derniers temps. La confiance de Donovan ? Elle ne l'avait jamais eu. Son intégrité physique ? Elle en avait vu d'autres. Alors oui, c'était triste de le dire, mais Tahlia ne craignait pas les retombées possibles. Elle attrapa donc cette gourde, sans aucun remords.

La réaction de Donovan ne se fit pas attendre. Alors qu'elle l'imaginait reprendre d'un geste net sa gourde ou l'entendre hurler contre elle, il eut une toute autre réaction. En l'espace d'une seconde, elle se retrouva brusquement plaquée contre le mur. Sa main libre s'était refermée sur le poignet de Donovan, mais elle n'exerça aucune pression qui le pousserait à la lâcher. Malgré ses beaux discours et sa détermination qu'elle avait tenté de rendre convaincante, le visage de Tahlia s'était décomposé. Fini le sourire provocateur et les regards de défi. Une étrange lueur venait d'éclairer ses yeux verts : celle de la peur. Il s'était passé exactement la même chose, quelques semaines auparavant, et la cicatrice ne s'était pas assez refermée pour qu'elle vive cet affront sans broncher. Elle ne put même pas lui demander de la lâcher. Donovan sembla se rendre compte de ses actes, tout seul. Sans dire un mot, il la relâcha et quitta le bureau, en trombe. Il ne prit même pas la peine de récupérer cette gourde, source de leurs désagréments. Elle resta un instant contre le mur, attendant de retrouver un souffle normal. A cet instant, elle se détestait. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle prenait peur face à tout geste un peu violent. Secouant la tête pour chasser ses mauvaises pensées, elle dévissa le goulot de la gourde, la main tremblante. Elle porta le récipient jusqu'à son nez où une forte odeur d'alcool se fit sentir. Elle en avait désormais la preuve : Donovan buvait au boulot. Avec ça, elle pouvait le faire tomber. Immédiatement.

A son tour, elle sortit en trombe du bureau de son supérieur et s'engagea dans le long couloir qui menait à tous les autres bureaux. Il suffisait d'aller tout au bout du couloir pour arriver au bureau du grand chef. Là, elle n'aurait qu'à poser cette bouteille sur le bureau, et laisser son supérieur mettre fin à la carrière de Donovan. Tout serait plus simple. Mais en la voyant regarder dans les bureaux vides, comme si elle cherchait quelque chose, on comprit que ce n'était pas ce qu'elle voulait faire. Elle était tout simplement en train de chercher Donovan. La policière avait beau avoir un caractère de merde, elle avait une qualité que l'on ne pouvait pas nier : elle avait bon cœur. Arrivée devant les toilettes, elle entrouvrit la porte et passa la tête. Là, elle vit son supérieur. Sans un mot, elle entra, s'approcha de lui et déposa la gourde sur le rebord du lavabo. Elle ne prit même pas la peine de le regarder et tourna les talons. Mais en atteignant la porte, la brune s'arrêta et se retourna enfin pour le regarder. « Je ne dirais rien, Donovan. Ce qu'il s'est passé, ça restera entre toi et moi. » Aussi bien la gourde pleine d'alcool que le geste brusque envers elle. « Il faut que tu comprennes que je ne suis pas ton ennemie. Loin de là. » C'était important qu'il le sache. Même si elle était parfois horrible avec lui, elle ne lui voulait aucun mal.

Il arrivait parfois à Donovan d'être impulsif, enfin même tout le temps pour dire vrai. Il était très souvent sur les nerfs, mais il passait rarement à l'étape supérieure. Du moins, pas avec ses collègues, mais en dehors de ça, il était très souvent au centre des bagarres qui avaient lieu dans les bars du centre ville. L'alcool faisait rarement bon ménage avec un homme, encore moins avec la quantité qu'il ingurgitait. Il le savait, mais il ne pouvait pas décrocher, c'était comme ça qu'il pouvait affronter chaque journée qui passait, et sans sa gourde probablement qu'il aurait déjà commis un acte déplacé bien avant aujourd'hui.

Pour éviter les problèmes, oui, il aurait pu lui donner la gourde et l'histoire se serait terminé de manière plus posée. Elle aurait goûté ou tout du moins senti le liquide à l'intérieur de celle-ci, et une fois qu'elle aurait eu confirmation de ce qu'elle affirmait, elle aurait été au fond du couloir, là où se trouve l'administration. Donovan aurait dû répondre de ses actes en déposant son arme et son badge puis quitter le bâtiment sans jamais y revenir. Voilà ce qui l'attendait, et il ne voulait pas dire adieu à la seule chose qui le maintenait encore en vie, alors il avait agit comme un idiot, comme bien souvent. Le lieutenant avait un comportement souvent immature et irrationnel, mais il était comme ça, c'était la carapace qu'il s'était forgé pour ne plus souffrir. Il avait déjà bien trop souffert avec la mort de sa femme et de son enfant, il ne serait pas capable d'encaisser à nouveau un coup dur. C'était une certitude.

Plusieurs fois il avait prévenu Tahlia, il lui avait donné à de nombreuses reprises la possibilité de s'éloigner, de ne pas créer ce point de non-retour mais elle était têtue et il avait aurait du se douter qu'elle ne rebrousserait pas chemin. Elle n'avait pas conscience de ce que pouvait faire Donovan et il ne voulait pas lui en faire la démonstration, encore moins ici, mais, elle ne lui avait pas laissé le choix. Quand elle avait refermé ses doigts sur sa gourde, il avait vu rouge et ses nerfs avaient lâché prise. Il l'avait agrippé par le col avec une force qu'il ne soupçonnait pas lui-même. Ses pieds ne touchaient plus par terre, et ce n'est que dans un instant de lucidité qu'il se rendit compte de ce qu'il faisait, qu'il lâcha prise et s'éloigna à grand pas du bureau. De son bureau. Laissant sa collègue seule dans celle-ci avec probablement une haine envers lui. Désormais elle avait ce qu'elle voulait : la gourde et cet accès de violence. Donovan s'attendait à être convoqué d'ici quelques heures dans le bureau de ses supérieurs. C'était la fin de tout.

Dans le regard de Tahlia il avait pu voir de la peur, comment avait-il pu faire naître un tel sentiment chez les personnes avec qui il travaille ? Il était tout simplement devenu un monstre, et malgré ce que certains pourraient penser, il n'aime pas être comme ça, mais c'est son seul moyen de défense, il ne sait pas agir autrement que comme ça. Aujourd'hui, il avait été trop loin. S'il était un temps soit peu intelligent, il aurait été de son propre chef déposer sa lettre de démission sur le bureau de ses supérieurs, mais il n'en avait pas la force. Donovan, malgré cette colere qui l'animait, était faible.

Une fois aux toilettes, il se passa le visage sous l'eau froide essayant de reprendre ses esprits. Mais il était tellement énervé. Énervé contre lui-même d'avoir cédé. Il était tout bonnement incapable de se contrôler et c'est pour ça que ses supérieurs avaient dû mal avec lui, ne sachant jamais sur quel pied danser. Il était si changeant. Maintenant il comprenait mieux quand Tahlia lui avait dit qu'il n'avait pas sa place ici. C'était vrai. Il devait faire quelque chose pour changer le cours des choses, demander une mutation, ou quelque chose, mais il ne pourrait plus affronter la femme qu'il a brutalisé alors qu'elle venait de subir une agression il y a peu.

Le miroir lui faisant face permettait d'observer la porte d'entrée. Il aurait bien eu envie d'y balancer son poing mais il avait déjà fait assez de dégâts comme ça. Soudain, alors qu'il avait les yeux fermés et les mains aggripées au rebord du lavabo, la porte s'ouvrit sur Tahlia. Elle devait être bien trop contente d'avoir obtenue ce qu'elle souhaitait, il allait être viré et elle pourrait reprendre un semblant de vie normale après ça. Mais elle s'approcha de lui, déposa sa gourde sur ce même rebord où il était crispé. Son regard se planta dans le sien avec un air d'incompréhension. À quoi elle jouait au juste ? Tout cela était simplement pour le tester ? Savoir quelles étaient ses limites ? Elle les avait vu, même s'il était capable d'encore bien pire que ça.

" - Alors pourquoi tu as fais ça ? Tu savais bien que ça allait mal finir, je t'ai prévenu à plusieurs reprises. Tu sais que je ne sais pas quelqu'un de bien mais tu as quand même joué avec le feu."

Il s'essuya le visage avec une serviette avant de se retourner pleinement vers elle.

" - Je suis désolé.. Pour tout." avoua-t-il d'une voix qui se fit moins assurée qu'à l'habitude " - Tu avais raison tout à l'heure. J'ai pas ma place ici, dès le début d'après-midi j'aurai remis ma lettre aux supérieurs, tu ne me verras plus. De toute manière, vous ne pouvez pas avoir pire que moi en tant que supérieur."

Comme si l'humour allait pouvoir le sortir de cette situation plus qu'embarassante.

En dépit de ses menaces, Tahlia avait voulu aller jusqu'au bout. C'était toujours comme ça, avec elle. Plus jeune, quand Elias faisait ses crises de jalousie, elle le provoquait jusqu'à voir cette possessivité lui retomber sur la figure. Elle avait le don pour appuyer là où ça faisait mal. Dans ces moments-là, elle se fichait des retombées. Elle se fichait des gestes malvenus, des paroles rudes ou des coups qu'elle pouvait se prendre. Du moins, c'était ce qu'elle croyait... Il fallait croire qu'elle n'était pas aussi forte qu'elle le pensait. A l'instant même où Donovan s'empara d'elle et la plaqua contre le mur, elle ne put cacher la peur qui la submergeait. Son supérieur n'avait peut-être pas tord, si elle n'était plus capable de maîtriser sa peur, il ne valait mieux pas qu'elle reste policière...

Sonnée, elle préféra ne rien répliquer. Donovan la lâcha, se rendant compte par lui-même de ce qu'il venait de faire. Elle le regarda fuir, perdue entre la colère et la peur. Ses doigts se refermèrent machinalement sur la gourde. Cette gourde qui lui permit de reprendre ses esprits. C'était pour cela qu'elle était partie le provoquer. Elle aurait pu très bien poser cette bouteille sur le bureau, sans l'ouvrir et laisser ses questions en suspens. Mais elle avait mérité ces réponses à ses questions. Elle les avait mérité plus que quiconque. Pourtant, quand elle sentit l'alcool dans cette bouteille, Tahlia ne fit pas sa maligne. Oui, elle avait eu ses réponses. Ses doutes étaient vérifiés. Elle pouvait le faire tomber. Mais cela la mettait dans une position encore plus délicate. Alors qu'elle aurait dû détester Donovan pour ce qu'il venait de lui faire, elle se surprit à se poser d'autres questions à son égard. Pourquoi ? Pourquoi traînait-il toujours cette gourde avec lui ? Etait-ce cela qui le faisait tenir ? Et si c'était le cas, pouvait-on être en mesure de l'aider ? L'alcool, l'impulsivité, l'agressivité et ce côté tête brûlée et je-m'en-foutiste, c'était peut-être les preuves qu'il n'était pas le connard qu'elle avait cru qu'il était. Et s'il était, en réalité, un homme brisé par la vie ? Elle n'avait jamais essayé de le connaître. Elle n'avait jamais essayé d'en savoir plus sur lui, parce qu'il ne lui avait jamais laissé l'occasion de le faire. C'était peut-être une grosse erreur.

Après l'avoir cherché dans les bureaux, Tahlia retrouva Donovan dans les toilettes. Sans un mot, elle posa la bouteille sur le rebord du lavabo et s'apprêta à tourner les talons pour le laisser tranquille. Elle l'avait déjà bien énervé, elle ne voulait pas envenimer la situation avec ses questions. Pourtant, la voix de l'homme la retint. Il voulait savoir pourquoi elle avait fait cela. Elle croisa son regard et haussa des épaules : « Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Il faut croire qu'avec toi, je ne parviendrais pas à communiquer autrement qu'avec de la provocation, qu'en jouant avec le feu... » Elle ne lui remettait pas la faute dessus. Elle aussi ne mettait pas du sien.  « J'ai fait une fixation sur ta gourde. J'avais besoin de savoir ce qu'il y avait dedans. C'est du pur égoïsme, mais j'avais besoin de me prouver que mes doutes étaient bien-fondés. Tu n'es pas le seul à faire des choses complétement insensées. » Pour le coup, elle était sincère. Elle ne cherchait pas à jouer la bonne samaritaine en lui faisant croire qu'elle savait qu'il avait des problèmes. Avant de découvrir le contenu de sa gourde, Tahlia ne savait pas que le mal-être de Donovan était si avancé. Elle avait fait ça pour elle, pour se prouver qu'elle avait encore sa place ici...

Donovan se retourna face à elle et reprit la parole. Tahlia haussa les sourcils, surprise de l'entendre s'excuser auprès d'elle. Sa voix démontrait qu'il était sincère. Même si elle ne le montra pas, Tahlia était touchée par ses paroles. Elle hocha simplement la tête pour montrer qu'elle était réceptive. Mais de là à le dire, c'était autre chose. Elle préféra rebondir sur sa dernière phrase, en secouant la tête : « C'est vrai que l'on ne peut pas avoir pire que toi... » Voilà qui était mal parti, mais elle reprit doucement : « … mais il faut dire que tu n'es pas non plus gâté avec l'équipe que tu as. » Tahlia avait un énorme recul sur la situation. Il n'avait vraiment pas la meilleure unité et elle ne se gênait pas de le dire. « On a chacun nos défauts, mais ça fonctionne, Donovan. Je ne sais pas comment, mais ça fonctionne ! » Ils en avaient arrêté des délinquants et des criminels. « Alors si tu t'avises à poser cette lettre dans le bureau des supérieurs, je serai dans l'obligation de t'intercepter et de te coffrer dans l'une des cellules jusqu'à ce que tu la déchires. » C'était sa façon de dire qu'elle ne voulait pas le voir partir.

Il y a pas mal de personnes avec qui Donovan n'arrivait pas à communiquer. Et d'ailleurs, c'était toujours la même chose, il agissait de la même manière, mais jusqu'alors, ça n'avait jamais été aussi loin qu'aujourd'hui. Le lieutenant de police avait déjà eu à faire à un jeune gamin, Maddox. Avec lui, c'était le même cinéma, il ne pouvait s'empêcher de le provoquer, histoire de voir où était ses limites. Il n'avait pas craqué, mais avec Tahlia, c'était si différent et pourtant si semblable. Il avait pété un câble parce qu'elle avait touché la corde sensible. La seule qui peut vraiment le mettre dans tout ses états. Parce que même s'il carburait avec sa gourde à longueur de journée, c'était aussi sa plus grande faiblesse. Si quelqu'un l'apprenait, c'était la fin de lui.

Depuis qu'il était arrivé dans cette nouvelle unité, les choses s'étaient enchaînés. Il avait toujours été professionnel avec ses officiers sans jamais chercher à apprendre à les connaître individuellement. C'est peut-être là qu'il avait fauté. Peut-être que c'est quelque chose qu'il aurait dû faire pour savoir comment agir au mieux avec chacun d'entre eux, mais il n'était pas comme ça. Il n'était pas du genre à aller discuter et boire un verre avec eux après le boulot. Ils étaient uniquement collègues, rien de plus. Donovan ne souhaitait pas qu'ils puissent voir qui il était vraiment, c'était trop dangereux pour lui, pour sa carrière. Alors il enfilait son masque et jusqu'à aujourd'hui, personne n'avait remis en cause son comportement typique d'un parfait connard. Personne sauf Tahlia qui semblait voir désormais qui était cet homme sous l'armure qu'il portait.

Alors qu'il réfléchissait à ce qui venait de se passer, qu'il essayait de remettre de l'ordre dans ses pensées, Tahlia entra et déposa sa gourde sur le rebord. Danno avait besoin de savoir pourquoi elle avait fait ça malgré les nombreux avertissements qu'il lui avait donné. Elle avait tout de même poursuivi, faisant sortir le pire en lui. Il se redressa en la regardant alors qu'elle s'apprêtait à partir des toilettes. Il finit par s'excuser parce que c'est ce qu'il devait faire. Il le faisait aussi parce qu'il le pensait. Il voyait les femmes comme des princesses, il les défendait toujours et aujourd'hui, c'était lui qui l'avait brutalisé. Il n'était qu'un monstre et il venait de faire face à sa propre réalité. Celle qu'il fuyait jusqu'alors. Tahlia venait de le mettre face à son véritable visage.

" - Ça fonctionne pour la simple et bonne raison que personne n'a jamais appuyé sur la corde sensible. Regarde ce que ça donne quand on le fait." murmura-t-il d'une voix rempli de honte. Honteux d'avoir été ainsi mis à nu.

Donovan était sincèrement désolé de ce qui venait de se passer, il se dégoutait et il cherchait désormais une solution de se rattraper. Était-ce possible ? Pas après toutes les horreurs qu'il avait dit à Tahlia, elle devait le détester et elle avait bien raison. Il était néfaste et toxique pour toutes les personnes avec qui il travaillait et celles qui l'approchaient.

" - C'est la meilleure chose à faire, pour toi, pour vous, pour moi. Tout le monde sera gagnant avec cette lettre Tahlia, voit la vérité en face."

Le fait qu'elle est découvert son vice, du moins, de ses nombreux vices, il aurait pu se confier à elle, lui dire ce qui n'allait pas, mais c'était plus fort que lui, il n'y arrivait pas. Pas même à la psy avec qui on l'a mit. Tout le monde ici ignorait ce qu'il avait vécu et c'était bien mieux comme ça. Ils pensaient tous que c'était un connard fini et ça l'arrangeait plus que de devoir livrer ce qu'il avait sur le coeur.

D'ordinaire, Tahlia ne regrettait jamais ses actes. Ce n'était pas souvent réfléchi, mais il était rare qu'elle fasse de grosses erreurs. Pourtant, aujourd'hui, elle avait cette horrible sensation de culpabilité qui l'envahissait. Donovan avait eu un geste malencontreux contre elle et en dépit des apparences, cela l'affectait. Mais comme il l'avait dit : il l'avait prévenu. Elle l'avait cherché. Comme avec Elias. Comme avec ce gamin qui l'avait attrapé dans la ruelle, quelques semaines auparavant. Elle venait de se rendre violemment compte d'un fait qu'elle n'avait jamais voulu dévoiler : c'était elle, le problème. Elle était la source de tous ces conflits qui l'anéantissaient. Elle était l'emmerdeuse de première classe et sa vie privée, professionnelle en témoignait à merveille. Mais aujourd'hui, elle voulait rattraper son erreur. Alors qu'elle était en droit de le juger, d'être virulente avec lui - voire même de le faire tomber - elle avait simplement pris la peine de le retrouver et de lui redonner la gourde, l'unique preuve qui aurait pu appuyer ses propos. Donovan devait croire qu'elle se fichait de lui, qu'elle avait fait cela uniquement pour le tester. Mais ce n'était pas que cela. Elle avait voulu se préserver, se redonner de la légitimité, même si, pour cela, elle avait dû dévoiler la vraie facette de Donovan. C'était égoïste. Purement et simplement. Mais aujourd'hui, elle savait. Elle savait à quel point il était au plus bas. Si elle avait le cran, elle lui en aurait parlé. Mais qui était-elle pour faire cela ? Elle n'était qu'une inconnue pour lui, une simple collègue, un peu lourde, avec qui cela ne passait pas. Elle risquait de se prendre un sacré revers, si elle posait la moindre question. Et pourtant, Tahlia était probablement bien placée pour comprendre ce qui animait Donovan. Elle aussi excellait dans l'art de porter un masque...

"Je suis désolée." murmura-t-elle quand il parla de cette fameuse corde sensible et des conséquences qui en découlaient. Elle ne s'était pas encore excusée face à lui. Peut-être se moquerait-il de cela, estimant qu'il avait fait pire, mais c'était important pour la jeune policière qui se sentait tellement fautive. On pouvait dire de Tahlia qu'elle avait un sale caractère, qu'elle était impulsive et provocatrice, mais quand tout retombait, la tigresse se transformait en chaton. Dans ces moments-là, elle prenait beaucoup de recul sur ses actes et n'hésitait pas à s'excuser quand elle estimait avoir tort. La fierté était une émotion inconnue pour elle. Mais malgré cela, ils étaient dans une impasse. La honte était bien trop présente pour qu'ils discutent de manière réfléchie. Donovan voulait donner sa lettre aux supérieurs. Il voulait démissionner. Il rajoutait une couche à la culpabilité de la brune, qui ne voulait pas en arriver là. Elle essaya pourtant de le raisonner, mais il ne sembla pas abdiquer. La brune secoua la tête, alors qu'elle reporta son regard sur lui : "On s'en fiche de moi, de toi, de nous, du chef ou de je-ne-sais-qui ! La question n'est pas de savoir qui sera gagnant avec cette lettre. La vraie question, c'est : qu'est-ce que toi, tu veux ? Tu te vois vraiment quitter le commissariat, Don ?" S'il quittait son boulot, qu'adviendrait-il de lui ? Se relèverait-il ou s'enfoncerait-il davantage dans sa spirale infernale ? "Je crois qu'en réalité, tu te plantes sur ta personne. Tu n'es pas quelqu'un de mauvais. Tu es juste quelqu'un qui a besoin d'aide pour sortir la tête de l'eau." Bon, finalement, elle avait osé le dire... "Et il n'y a pas de honte à cela."

Ce n'était pas dans les habitudes du lieutenant de s'excuser, encore moins devant ses propres collègues. Il savait qu'il était parfois en tort, mais ce n'est pas pour autant qu'il faisait preuve de bonne foi en allant s'excuser ou autre. Sauf que cette fois-ci, c'était différence. Il avait conscience de ce qui venait de se passer, de la faute qu'il avait commis, de cette ambiance pesante qu'il avait naître entre son officier et lui-même. Il avait brutalisé Tahlia alors qu'elle n'avait rien fait. Rien, en dehors de le provoquer et appuyer sur la corde sensible qui le maintenait encore en vie. La jeune femme, même si elle l'ignorait probablement venait de mettre à jour sa plus grosse faiblesse, et désormais, elle le tenait. Elle pouvait faire de lui ce qu'elle voulait, même si elle voulait le balancer ou le faire chanter tout simplement. C'est elle qui avait les cartes en main et lui, n'avait aucune possibilité d'agir pour changer la donne.

Elle tenait absolument à savoir si c'était de l'alcool qu'il avait dans gourde, maintenant elle en était persuadée. Est-ce que ça allait changer leur manière de bosser ensemble ? Sans doute oui, Tahlia n'allait plus avoir confiance en Donovan, alors que c'était la base dans un duo lorsqu'ils étaient sur le terrain. Sans cette confiance, ils ne pourraient plus jamais retravailler ensemble, c'est peut-être ça qu'au fond elle cherchait. Donovan était un véritable danger lorsqu'il était sur le terrain, il n'avait aucune peur de mourir et donc agissait souvent sur un coup de tête, même si tous les risques étaient présents.

Il fut cependant surpris par les mots de Tahlia qui le sortirent de sa tourmente. Venait-elle de s'excuser auprès de lui ? Au fond, ils étaient pareils tous les deux, ils étaient comme deux mêmes côtés d'un aimant, ils se repoussaient parce qu'ils étaient trop similaires, c'était ça leur problème. Donovan ne s'excusait quasiment jamais, mais la jeune femme était bien pareil, alors oui, il était surpris d'entendre de telles paroles venant de sa bouche. Cependant il les accueilli avec un bref sourire, comme pour l'en remercier.

Il était clair que pour lui, après ce qui venait de se passer, il ne pouvait clairement pas rester ici. C'était un danger pour toutes les personnes avec qui il travaillait, dont Tahlia, et elle venait d'en être témoin malgré elle. Mais la brune ne semblait pas de son avis, d'ailleurs, elle l'avait gentiment menacé pour lui faire comprendre son point de vue.

" - J'en sais rien, j'ai envie de rien, ce boulot c'est la seule chose que je sais faire, mais tôt ou tard, il faudra bien raccrocher comme on dit. Mais ce n'est pas parce que je ne sais faire que ça, que forcément je le fais bien."

Il était loin d'être un supérieur modèle sur lesquels ses collègues pouvaient compter en cas de coups durs. Non il n'était pas cet homme et ne le serait probablement jamais. Ça n'empêchait qu'il avait besoin de ce poste pour continuer son enquête sur le cartel responsable de la mort de sa femme, mais ça, il ne lui annonça pas, parce qu'elle ignorait pourquoi il en était réduit à se détruire tout seul. Mais contrairement à ce qu'il pensait, elle avait presque vu juste, ce qui le déstabilisa légèrement bien qu'il ne montra rien.

" - Personne ne pourra m'apporter l'aide dont j'ai besoin. Tu dis que je ne suis pas une mauvaise personne mais au final, tu ne connais rien de moi, tu ne sais pas ce que j'ai fait. Et ça, personne ne pourra jamais l'effacer. Je suis déjà suivi par la psy du service mais c'est inutile, tout ça, c'est juste du vent."

Bien sûr qu'il avait besoin d'aide, mais qui serait assez patient pour s'occuper d'une cause perdue comme il était ? Personne très certainement, pas même des spécialistes.

C'était à se demander pourquoi Tahlia avait fait cela. Quand elle voyait les conséquences de tout cela, elle se disait qu'elle aurait mieux fait de rester dans son bureau, à attendre qu'il l'appelle pour aller sur le terrain. Mais elle serait restée avec ses doutes, avec cette étrange impression d'avoir un supérieur qui n'avait pas toutes ses capacités. Maintenant, elle était fixée. Elle savait le mal qui le rongeait et elle pourrait être plus vigilante sur le terrain. Pour se protéger. Pour le protéger. Au fur et à mesure des interventions qu'ils avaient pu faire ensemble, Tahlia s'était rendue compte que Donovan prenait parfois des risques inconsidérés. Tahlia aussi était de cette trempe-là, mais elle n'était pas aussi excessive. On sentait que son instinct de survie était présent. Pour Donovan, c'était différent, c'était comme s'il n'était plus animé par cet instinct. Elle préférait donc savoir ce qu'il y avait dans cette gourde, si cela pouvait l'empêcher de retrouver son supérieur à la morgue. S'ils venaient à retravailler ensemble, évidemment. Elle n'avait pas voulu que cela aille aussi loin...

Même si elle avait obtenu ce qu'elle voulait et qu'elle pensait que c'était pour leur bien, elle ne pouvait se départir de cette culpabilité qui la rongeait. Alors, elle s'était excusée. Tahlia Wates qui s'excusait, c'était à marquer d'une croix rouge sur le calendrier. Elle ne l'avait jamais fait face à Donovan. Quand ces deux-là s'embrouillaient, ils partaient chacun de leur côté, fiers comme des coqs, et laissaient le tout couler, jusqu'à la prochaine intervention. Mais aujourd'hui, ils ne pouvaient pas laisser couler. Ce qui s'était passé était bien trop rude, bien trop compliqué pour être oublié de sitôt. Mais Tahlia sentit son coeur se desserrer un peu quand elle vit le bref sourire sur les lèvres de Donovan, signe qu'il acceptait ses excuses.Pourtant, cela ne l'empêcha pas d'avoir cette idée qui restait ancrée dans sa tête : démissionner. Même si Tahlia avait subi un geste agressif de la part de Donovan, elle ne pouvait pas accepter un tel acte de la part de son supérieur. C'était paradoxal. Elle avait le droit de le faire tomber, mais elle restait là, face à lui, à le dissuader de ne pas donner sa lettre. Ce n'était pas de la bêtise, au contraire. Elle n'arrivait pas à voir Donovan comme une brute, mais plutôt comme un homme brisé. Un homme brisé avait le droit à une seconde chance. A sa réponse, la jeune femme secoua la tête : « Parce que tu crois qu'on le fait tous bien ? Les flics modèles, ça n'existe pas. » Ils avaient tous leurs qualités et leurs défauts. C'était ensemble qu'ils parvenaient à mener et à résoudre des enquêtes. Mais Tahlia savait que ce n'était pas sur les aptitudes professionnelles de Chamberlain qu'elle pouvait mener son argumentation. Alors, elle préféra aller au front et lâcher directement les mots plus rudes. Il n'allait pas bien. Il avait besoin d'aide. C'était risqué de dire cela. Peut-être se trompait-elle sur toute la ligne, mais elle était presque sûre que cela n'était pas le cas. Etrangement, Donovan ne renia pas ses paroles. Il venait même d'avouer, à demi-mots, qu'il avait besoin d'aide, mais que personne n'était apte à l'aider. C'était là qu'il se trompait. S'il s'appuyait sur la psy du service, effectivement, elle ne pouvait pas l'aider. « Tu sais, avoir un diplôme en psychologie ne veut pas forcément dire que l'on est apte à aider. C'est souvent le contraire. ... » La psy sortait uniquement les bons mots, elle mettait le doigt sur les problèmes, sans les résoudre. D'un signe de la tête, elle montra la gourde : « ...L'alcool non plus, ça n'aide pas. » Tahlia s'engageait sur des voies dangeureuses, mais il connaissait le franc-parler de la jeune femme. « Qu'est-ce qu'il s'est passé, Donovan  ? Aide-moi à comprendre et là, je verrai si vraiment tu es une mauvaise personne, ou non. » Elle faisait écho à toutes ses paroles. Il disait qu'elle ne le connaissait pas. Il n'avait pas tort. Mais il était toujours temps de remédier à cela. « Je ne demande qu'à en savoir plus... »

Toute cette situation échappait totalement à Donovan. Comment avait-il pu en arriver là ? Comment en était-il arrivé à brutaliser une femme juste parce qu'elle avait appuyé sur son point faible ? En temps normal, il est certain que si ça avait été un homme en face de lui, équipier ou pas, il lui aurait très probablement refait le portrait. Mais ce n'était pas un homme, c'était Tahlia, cette femme qui avait un impact sur lui même si elle le soupçonnait pas. Tahlia avait insisté, encore et encore malgré les avertissements du lieutenant. Il s'était laissé emporter par ses émotions et ses sentiments sans savoir se contrôler. C'était ça le plus gros problème de Chamberlain, il était ingérable, que ce soit au quotidien avec de parfaits inconnus dans la rue, comme lorsqu'il était sur le terrain. Il n'avait aucun remord, aucun regret. Du moins, pas avant aujourd'hui.

Ce qui lui faisait le plus mal, c'est que la jeune femme détenait toutes les cartes pour le faire tomber. Si elle jugeait que le moment était mal choisi, il était menacé chaque jour qui passait. À leur prochaine altercation, elle n'allait pas la louper. Désormais, il ne sera plus jamais tranquille, dès lors qu'il verra la brune près des bureaux des grands pontes, alors il ne cessera de se demander si c'est pour lui. De quoi devenir totalement paranoïaque, mais il allait devoir faire avec, parce qu'elle ne semblait pas décidé à le laisser partir, pourtant c'était la meilleure chose qui lui restait à faire. Pour sa propre sécurité. Pour celle de ses coéquipiers et de tout ceux qui croisent sa route. Personne n'était en sécurité avec lui et Tahlia en avait fait les frais.

Elle s'était excusée, il aurait très bien pu continuer à se moquer, à la provoquer, mais il savait que ça ne le menera à rien. D'autant plus qu'il le sait mieux que personne, ces excuses sont exceptionnelles et il n'est pas prêt de l'entendre de nouveau. Alors oui, il lui en était reconnaissant mais cela ne permettait pas pour autant de faire redescendre la pression qui était monté en flèche avant qu'il ne fui pour se réfugier aux toilettes.

" - Non ça n'existe sans doute pas, mais beaucoup s'en rapproche. Je suis loin d'en faire parti. Je l'ai été à une époque, mais ça fait bien longtemps que j'ai quitté les chemins battus."

Cela faisait bien longtemps qu'il mettait ses supérieurs à rude épreuve en les forçant à le supporter au quotidien. Il avait déjà eu des remontrances mais il n'y avait jamais prêté attention, parce qu'il était au-dessus de tout cela. Il se fichait de tout, sur tout. Et ses enquêtes en étaient bien là preuve.

" - Detrompe toi, l'alcool c'est ce qui me permet de me maintenir en vie. Certains aiment boire trois tasses de café le matin pour se réveiller, moi j'ai besoin de ça.." fit-il en glissant sa main sur sa gourde comme pour s'assurer qu'elle était bien auprès de lui. Elle faisait partie de lui, même si cela pouvait paraître totalement idiot pour des personnes qui ne cherchaient pas à comprendre. Et sur l'instant, il aurait aimé que Tahlia ne pose pas cette question. Mais au fond, il savait qu'elle en mourrait d'envie, tout simplement parce qu'il n'avait pas exprimé un refus catégorique alors elle avait vu une brèche et voulait s'y infiltrer.

" - J'étais un homme heureux. J'avais tout pour être comblé, mais la vie en a décidé autrement et ce qui m'était le plus cher m'a été enlevé parce que je n'ai pas été capable de la protéger."

Sa voix s'était brisée quand il s'était ouvert à sa collègue. Danno était pas ce que l'on pouvait appeler un sensible ou même un émotif, du moins, c'est ce qu'il essayait de faire croire, mais dès lors qu'on touchait à sa femme, il devenait incontrôlable. Soit il pouvait s'énerver et alors là le spectacle n'était pas beau à voir, soit il pouvait totalement s'écrouler et c'est ce qui était en train de se passer. Toute son armure venait de se désintégrer.

" - Et c'est l'alcool qui m'a permis de tenir bon jusqu'ici. Sinon tu ne m'aurais jamais connu, il y a longtemps que je me serai mis une balle dans la tête, mais j'en ai jamais eu le courage."