if i just lay here, would you lie with me and just forget the world ? (woody)

Cela fera déjà bientôt trois mois. Trois longs mois que ton monde s'est effondré, que ta vie est dénuée de sens, d'envies. Que tu as l'impression d'être en mode survie bercée par les habitudes du quotidien. Tu aimes toujours ton travail de la même façon mais il n'a plus la même saveur car tu n'es plus aussi enjouée, aussi passionnée, qu'auparavant. Pourtant, lorsque tu te retrouves en société ou avec tes proches, tu sembles la même qu'avant. Toujours souriante, libre, motivée par tout ce qui t'entoure et spontanée à souhaits. Mais ce n'est plus ce que tu es, en ton fort intérieur, à l'heure actuelle. Il y a maintenant la vie après Woody et elle est bien plus terne et sombre que la vie avec lui. Tu aimerais tellement faire une croix sur le passé, sur lui et sur tes sentiments. Tout oublier le temps de quelques heures pour être enfin libre et heureuse. Car en ce moment, tout ce que tu ressens, c'est un énorme trou dans la poitrine qui t'empêche presque de respirer, de manger, de vivre. Après avoir enchaîné quelques verres avec Allen lors de ce bal Disney, tu décides d'aller prendre un peu l'air, sentant que ta tête commence à tourner avec violence. C'était sans doute le verre de trop et lorsque tu arrives à l'extérieur de la salle des fêtes, tes doutes sont confirmés. Tu t'appuies contre le mur de la façade, une main sur le ventre, essayant de contenir à l'intérieur tout ce qui menace de sortir de ton estomac. Tu inspires et expires plusieurs fois, essayant de retrouver le contrôle de ton corps. Après quelques secondes, concentrée sur ta respiration, les yeux fermés, tu parviens enfin à te reprendre. Tu soupires plus longuement, appuyant à présent ta tête contre le mur. Du coin de l'oeil une personne attire ton attention et machinalement, tu lui tournes le dos pour ne pas qu'elle te voie. Woody. Après toute la souffrance qu'il a provoqué chez toi, tu n'as pas vraiment envie de lui parler même si ton coeur hurle le contraire. Tu glousses comme une gamine de quinze ans en prenant conscience de l'ironie de la situation. Peut-être qu'il ne te reconnaitra pas en Esmeralda ? Qui sait ? En tout cas, tu ne peux pas vraiment compter sur ta discrétion avec tous ces coups d'oeil que tu lances dans sa direction. « Oh merde. » Dis-tu quand il s'avance vers toi.

Il avait souvent songé à ce moment-là, Woody. Ce moment où Freja ne ferait plus partie de sa vie parce qu’il l’en aurait chassée. Il savait que ce temps viendrait, un jour ou l’autre. Que l’époque de leur amour insouciant serait révolue. Il avait juste pensé que ça ne serait pas avant quelques années encore. Sauf qu’il y a près de trois mois de cela, Woody avait vu toute la souffrance qu’il infligeait injustement à Freja. Plus il attendait, pire ce serait. Ils s’attachaient l’un à l’autre et tombaient encore plus amoureux, si c’était possible d’aimer plus que ce qu’ils ressentaient déjà, et Woody devait mettre un terme à ce non-sens avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement, il était déjà trop tard. Depuis bien trop longtemps déjà. Le vide qu’elle avait créé en lui était démesuré, et rien ni personne ne pouvait le combler. Encore moins une autre femme. Alors si, autrefois, il s’était imaginé continuer son rythme de vie comme il l’avait toujours fait, l’oubliant dans le regard d’une autre, Woody se trompait sur toute la ligne. Il se mentait à lui-même, peut-être pour ne pas avoir trop peur de ce moment, justement. Peut-être pour se convaincre d’aller de l’avant, de ne pas renoncer à cette issue qui lui avait toujours semblée inévitable. Maintenant que c’était chose faite, Woody avait perdu tout éclat de vie. Il avait baissé les bras face aux autres et surtout face à lui-même. Sans Freja, Woody ne savait plus quoi faire, qui être. Elle avait été son phare, et maintenant que la lumière à l’horizon s’était éteinte, il perdait le cap. Il était à la dérive dans un océan déchaîné et peu importe la direction vers laquelle il regardait, il ne voyait que du noir. Il ne voyait que du vide. Comme Freja toutefois, Woody savait porter un masque mieux que quiconque, et ce soir la métaphore était encore plus appropriée. Il avait revêtu le costume de la Bête, douce ironie qui ferait sourire les uns et rouler des yeux les autres. Lui, avait le cœur serré. Parce que c’était le seul état qu’il connaissait à présent. Il était dégoûté de lui-même, il maudissait cette vie qui refermait son étau sur son corps et sur son âme. Mais il gardait ce sourire peaufiné avec le temps. Il avait passé la soirée à parler à différentes personnes, Willow, Mia, Xavier, Annushka. Puis il avait eu besoin de sortir, de ne plus faire semblant et surtout, de ne plus fixer ses interlocuteurs avec insistance de peur de balayer la salle du regard et d’y voir Freja. Puis, la vie étant ainsi faite, cruelle et ironique, c’est en passant la porte de la salle de fêtes que Woody l’avait vue pour la toute première fois de la soirée. Pour la toute première fois depuis près de trois mois. Il détourna rapidement le regard quand le sien sembla se poser sur lui, en coin. Il se sentait tout d’un coup ridicule. Il enleva une partie de son costume, du moins cette terrible perruque sur sa tête qui lui donnait l’air de la bête. Il ne conservait plus que les allures princières de l’animal dans son costume bleu. Il jeta un autre coup d’œil à Freja. Elle semblait mal en point. Et même dans un état désastreux, elle était magnifique. Et même arborant un air presque malade, elle lui rappelait tout ce qu’il avait perdu. Malgré leur dernière conversation, malgré ces trois mois d’absence et de silence, Woody l’aimait et s’inquiéterait pour elle jusqu’à la toute fin d’eux-mêmes. Alors il s’approcha, et ignora les paroles de Freja lorsqu’il fut à sa hauteur. « Are you okay ? » Demanda-t-il d’une voix à la fois douce et meurtrie. Il n’avait visiblement pas ingurgité autant d’alcool qu’elle, et l’idée qu’elle puisse être malade ici ou ailleurs, ne lui plaisait évidemment pas.

Est-ce qu'il venait vraiment de te demander si tu allais bien ? Sérieusement ? Dans un premier temps, ton regard se montre sombre, voire même accusateur, faisant passer toutes les émotions que tu ressens depuis trois mois maintenant. Puis, sans que tu ne puisses contrôler quoi que ce soit, un gloussement s'échappe de tes lèvres et c'est le fou rire assuré. Tu ne peux plus t'arrêter, c'est plus fort que toi, tu ris, encore et encore. Après quelques secondes, ton rire se calme pour ne laisser qu'un silence angoissant et qui ne vous ressemble pas. Tu dévisages Woody pendant quelques secondes encore pour essayer de sonder son humeur mais il est meilleur que toi au jeu du masque. De toute façon, tu ne te fais pas vraiment d'idées, il s'est sûrement consolé dans les bras d'une autre ou même de plein d'autres femmes. C'est comme ça qu'il fonctionne et ce n'est pas pour toi que les choses vont être différentes. Tu l'as bien compris, maintenant. « C'est la grande forme, ouais. » Réponds-tu en secouant la tête et en soupirant en même temps. Maintenant que l'australien est devant toi, tu ne sais pas quoi dire ni quoi faire. Tout ce que tu sais, c'est que tu aimerais beaucoup aller te terrer dans ton lit et oublier la gêne qu'occasionne ton comportement. « Et toi ? » Demandes-tu finalement par curiosité. Tu as bien entendu au son de sa voix qu'il ne va pas bien lui non plus et contrairement à ce que tu pensais, ça ne te réconforte pas de savoir qu'il souffre, lui aussi. Même après tout ce qu'il s'est passé, tout ce que vous vous êtes dit, tu ne veux pas qu'il soit malheureux. Tu ne veux que son bonheur parce que tu l'aimes tellement que ça te ronge. Que ça te rend malade. Après trois mois, la douleur est toujours la même : vive, constante, insupportable. Alors non, ça ne va absolument pas ni dans ton coeur, ni dans ta vie. A cause de ce fou rire intense, tu sens à nouveau cette vague de mal-être te reprendre. Tu sens que cette fois-ci, tu ne parviendras pas à la retenir. Tu vas être malade, vraiment malade. Ici, devant Woody. Après trois mois d'absence, c'est comme ça qu'il te retrouve... super. Avançant d'un mètre, tu te penches en avant et ne peux contenir plus longtemps tout ce qui se trouve à l'intérieur de ton corps - pour ne pas dire, de l'alcool. « Me regarde pas. » Ordonnes-tu à l'australien pour qu'il se tourne. Tu ne veux pas qu'il te voit comme ça, tu ne veux pas qu'il ait comme dernière image de toi une femme ivre et malheureuse. Parce que tu ne te voiles plus la face, à présent, vous ne ferez que vous apercevoir à des événements comme aujourd'hui. Il est terminé ce temps où vous passiez vos nuits l'un chez l'autre, à partager vos draps. Terminé.

Bien sûr que la question était idiote, bien sûr que Woody le savait avant-même de la poser. Il s’attendait à une claque, un regard furieux, une pluie d’insultes, n’importe quoi … sauf ça. Freja avait juste éclaté de rire. Un éclair de colère avait traversé son regard avant que le son de son rire ne vienne briser ce lourd silence. L’air imperturbable, Woody l’avait regardée, sans bouger, sans broncher. Son regard s’était fait dur, sa bouche demeurait en une ligne droite, sa mâchoire serrée. Si normalement le rire de Freja était contagieux et avait le don de le rendre heureux, cette fois, ce rire lui faisait tellement de mal. La revoir avait déjà tourné le couteau dans la plaie mais là, cette réaction, ça l’enfonçait encore plus profondément dans son cœur. Elle s’arrêta enfin de rire, et le regarda à nouveau, impassible elle aussi. Ils se dévisageaient, l’air sévère, sans rien dire. Un lourd et long silence qui n’avait jamais eu sa place entre eux. Le bruit du vide. Parce que c’était ce qu’ils s’étaient laissé l’un à l’autre : un cratère de vide. Rien que de douloureux souvenirs, parce que même les belles images qu’ils pouvaient se remémorer, au fond, ne faisait qu’agrandir la plaie laissée par leur absence respective dans la vie de l’autre. « Oui, je vois ça. » Dit-il, sarcastique. Alors pourquoi l’avoir demandé, Woody, si son état lamentable était autant une évidence ? Parce qu’il avait cru que, peut-être, elle lui dirait la vérité. Que peut-être elle s’ouvrirait à lui pour relancer une discussion qui avait pourtant tout d’une fin. Ils avaient refermé cette parenthèse laissée trop longtemps ouverte, et voilà que Woody cherchait, par n’importe quel moyen et même l’affront, de la rouvrir pour ajouter encore ne serait-ce que quelques mots. Et changer toute l’histoire. Alors qu’il s’attendait à ce que Freja se referme complètement et l’envoie balader, elle lui demanda lui, comment il allait. « Not so good. » Avoua-t-il, surtout pour lui montrer que ça ne servait à rien de se mentir alors qu’ils savaient aussi bien l’un que l’autre qu’ils étaient anéantis. « Mais visiblement un peu mieux que toi quand même. » Ajoute-t-il, malgré tout fidèle à lui-même. Il pouvait se montrer plus ouvert et plus sincère, mais il n’accepterait quand même jamais d’être complètement vulnérable. C’était bien tout le problème de Woody. Puis, sans prévenir, Freja sembla avoir un haut-le-cœur et se tourna dos à lui, lui demandant en vitesse de ne pas la regarder avant qu’elle ne penche son frêle corps vers l’avant pour déverser tout l’alcool ingurgité devant elle. D’abord, le jeune homme suivit sa demande et se tourna, fermant les yeux de tristesse et de culpabilité. De la savoir dans cet état, aussi mal et par sa faute, ça le tuait de l’intérieur. Il avait pourtant eu des mois et des mois pour s’y préparer, mais il n’était pas assez fort et surtout, il l’aimait bien trop. Alors, sentant qu’elle n’allait pas mieux, il soupira et lâcha un « Screw it » en se retournant face à elle et en s’approchant. Il posa une main sur son dos et le caressa doucement. « Ce n’est pas parce qu’on a mis fin à notre relation, or whatever that was, qu’on va faire comme si on s’connaissait pas et qu’on n’avait jamais rien vécu ensemble. Je t’ai vue comme ça déjà, Freja, pas besoin de te cacher de moi. » Mais cette fois, si elle était ainsi, c’était entièrement sa faute et il ne pouvait plus être là de la même manière. Et ça le tuait de ne plus pouvoir l’être.

Qu'aurais-tu pu répondre d'autre à sa question ? La vérité ? Sans doute pas même si ça crève les yeux que tu vas mal. Tu ne serais pas dans un tel état, sinon. Bien sûr, tu aimes faire la fête et consommer de l'alcool pour rendre l'amusement plus grand mais pas à ce point-là. Là, tu es au point de non-retour. Ce point qui te pousse à être malade, à ne plus être digne, à ne plus être libre de ton corps. Alors évidemment que ça ne va pas. Tu aurais pu dire tout ça à Woody mais tu n'en as aucune envie. Tu lui as déjà bien trop souvent ouvert les portes de ton cœur et pour quoi, au final ? Rien. Le néant. Tout ce que tu as gagné c'est une immense peine de cœur qui ne semble pas vouloir disparaître et qui ne disparaîtra sans doute jamais. Tu sais que, quoi que tu fasses, tu l'aimeras toujours, lui, cet australien qui t'a fait découvrir l'amour aussi beau que dévastateur. L'amour avec un grand A, la seule forme d'amour capable de vous émerveiller mais également de vous détruire. « C'est pas vraiment une surprise. » Dis-tu en haussant les épaules. Tu l'avais prévenu, Woody, que tu étais terrifiée à l'idée d'une vie sans lui et tes peurs étaient clairement fondées. Il t'a ôté la seule chose qu'il te restait, la seule chose que tu n'avais jamais donné à personne : ton cœur. Et maintenant que tu n'es plus que l'ombre de toi-même, tu te promets de ne jamais plus te faire avoir de la sorte. De ne jamais plus autoriser quelqu'un à te détruire, à t'anéantir et à te réduire à ce que tu n'es pas. Tu n'as jamais été aussi vulnérable et misérable face à un homme mais il faut croire qu'avec Woody, tout sera toujours différent. « Ça non plus ce n'est pas une surprise, j'ai toujours su que tu te remettrais bien plus vite que moi. » Parce que s'il t'aimait vraiment et autant qu'il le dit, il n'aurait jamais mis un terme à votre histoire même au nom d'une vie future limitée. Une vie future bercée par sa maladie. Il aurait au moins essayé de prouver à la vie qu'il est plus fort que ça. Que vous êtes plus forts que ça. Mais pour lui, ça a toujours été bien plus simple de prendre la fuite et de mettre de côté l'essentiel. Avant que vous n'ayez le temps de poursuivre cette conversation qui ne mènera sans doute nul part, tu sens ton corps reprendre le contrôle et extraire tout l'alcool ingurgité durant la soirée. Tu prends appui sur le mur, tentant de maintenir tes cheveux en arrière tout en essayant de cacher cet acte peu glorieux à Woody. Dans un premier temps il accepte de ne pas te regarder et respecte ta demande mais après quelques secondes, voyant que tu n'es pas bien, il laisse tomber son engagement et te rejoint. Tu lui lances un regard noir lorsque sa main vient caresser ton dos. « Ne me touche pas. » Cries-tu plus fort que tu ne le voudrais. Tu ne veux pas qu'il te touche parce que ça te rendrait à nouveau vulnérable, à nouveau dépendante de lui et c'est tout ce que tu ne veux pas. Ces trois mois ont été atroces, tu ne veux pas revivre ça depuis le début. « C'était une autre époque, je croyais que tu m'aimais à ce moment-là. » Réponds-tu en te relevant doucement pour mettre de la distance entre Woody et toi. « Ça te fait plaisir de me voir dans cet état ? T'es fier de toi ? » Demandes-tu en sentant ta voix se mettre à trembler comme tout ton corps. Tu es prête à t'effondrer devant lui, à cet instant précis, mais tu résistes. Tu veux tenir bon pour qu'il voit qu'il n'a pas réussi à te détruire complètement.

Il n’avait jamais été question de vérité, entre les deux, de toute façon. Alors pourquoi commencer maintenant qu’ils n’avaient plus de compte à se rendre ? Pourtant, Woody s’était montré davantage sincère que Freja, sans doute parce qu’il ne voyait pas l’intérêt de mentir là où la vérité explosait dans les traits de leurs visages. Woody n’était peut-être pas sous l’emprise de l’alcool pour taire son désespoir, mais ses traits étaient fatigués et son regard était empli d’un chagrin inconsolable. Le jeune homme se contenta d’hausser les épaules quand la jeune femme affirma que ce n’était pas une surprise. Non. Ce n’en était une pour personne, que lorsque Woody et Freja se quitteraient, que lorsqu’ils diraient adieu à tout ce qu’ils avaient un jour été, plus jamais ils ne seraient les mêmes. Que quelque chose se briserait en eux, les poussières d’eux-mêmes s’éparpillant dans le vent pour ne plus jamais leur revenir. Il n’avait pas envie, Woody, d’acquiescer à ce genre de pensée. Parce que ce serait avouer qu’il savait, depuis le tout début, qu’il ferait souffrir Freja jusqu’à la rendre malade de tout. Il n’avait jamais vu venir cet amour plus grand qu’eux, en vérité. Il savait qu’il l’aimait, qu’elle l’aimait, mais il avait mis trop de temps à comprendre qu’il s’agissait d’un amour qui peut tout aussi bien braver vents et marées, que d’un amour qui peut vous noyer en une seule tempête. « C’est incroyable de se dire qu’après tous ces moments partagés ensemble, tu me connais encore aussi peu. » Avait affirmé Woody d’un ton froid, pour cacher toute la tristesse qu’il ressentait alors que Freja semblait croire qu’il se remettait, mieux qu’elle, de ce qu’ils avaient perdu. La vérité était qu’il ne s’en remettrait jamais, Woody, mais il ne pouvait pas en vouloir à sa meilleure amie. Il n’avait jamais eu le courage de lui parler de cet amour incalculable qu’il éprouvait pour elle. Elle ne pouvait pas savoir, Freja, qu’il pleurait son absence, qu’il avait mal à cet endroit où se trouvait autrefois son cœur immatériel, qu’il n’avait envie de rien maintenant qu’il ne l’avait plus elle. Qu’elle était son monde, et qu’il se retrouvait maintenant prisonnier d’un néant suffoquant. À bout de tout, à bout d’elle-même, la norvégienne se tourna dos à lui et fut malade sur la pelouse, dans un sentiment de honte qu’elle désirait sans doute cacher à l’homme qui en était responsable. Pourtant, Woody n’arriva pas à la laisser seule, encore moins quand il ressentait qu’elle avait besoin de lui. Parce qu’ils auraient toujours besoin de l’un et de l’autre, in some way, et surtout, Woody ne voulait pas disparaître au point où n’importe qui d’autre pourrait se glisser à sa place. Quand Freja lui cria de ne pas la toucher, sa main se retira automatiquement, plus par respect pour elle que parce qu’il suivait les ordres. « Ce serait tellement plus facile si je ne t’aimais pas. Ce serait tellement plus facile si je pouvais seulement m’en aller sans me retourner, quitter ta vie comme j’ai quitté la vie de tellement de gens avant toi. » Mais la distance se posait déjà entre eux, parce que Freja reculait, fuyait. Le martelant de mots qui ne faisaient que souffrir Woody de par leur inexactitude. « Non ! » S’écria-t-il de surprise et de déception, qu’elle puisse croire qu’il était fier de ce qu’il lui avait fait, que ça le réjouissait de savoir qu’il l’avait complètement détruite. « Pas du tout, loin de là même ! » Ajoute-t-il d’une voix tout aussi empressée. Il sortirait tous les synonymes du monde pour lui faire comprendre que non, ça ne l’amusait pas. « Tu n’imagines même pas tout ce que je donnerais pour qu’on puisse avoir une vie différente de celle-là, Freja. J’ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour pouvoir te voir sourire à nouveau, pour pouvoir te donner tout ce que tu veux ! Mais c’que j’ai, Freja, je n’ai aucun contrôle dessus. J’pourrais vendre mon âme au diable qu’il ne me rendrait pas ma santé, mon avenir ! » Dit-il à son tour, haussant le ton de sa voix.

Tu le connais parfaitement Woody et tu sais qu'il vit sans doute aussi mal votre « séparation » que toi mais tu es bien trop obnubilée par ta propre colère pour le voir. Tu ne devrais pas passer tes nerfs et ta colère sur lui mais étant le seul responsable de ton mal-être, tu ne peux pas faire autrement. Ça aurait été tellement plus simple si l'australien avait accepté de voir la vérité en face, s'il avait arrêté de nier l'évidence. Vous seriez sans doute heureux à l'heure qu'il est. La vie de Woody est tellement précieuse et pourtant, vous gâchez vos moments à deux par des disputes. C'est stupide, complètement stupide. « Peut-être que je ne te connais pas si bien que ça finalement, je te pensais incapable de me faire du mal. » Il est le seul capable de panser tes blessures mais également le seul capable de t'asséner le coup fatal, le coup de grâce. Il peut faire de toi la femme la plus heureuse du monde comme la plus malheureuse et tu t'en veux de lui avoir donné autant d'emprise sur toi. Tu es venue à Bowen avec l'idée de ne plus jamais souffrir à cause d'un homme et aujourd'hui, c'est tout l'inverse qui se passe. Aujourd'hui, tu te rends compte que tu n'as jamais été aussi malheureuse de toute ta vie même lorsque ton père te rouait de coups. Aujourd'hui, tu es juste dévastée et incapable de voir le bout du tunnel. Lorsque Woody s'avance vers toi pour se montrer réconfortant, c'est trop, tu ne peux le supporter et lui cries de ne pas te toucher. En réalité, tu donnerais tout pour sentir sa peau contre la tienne et ses lèvres embrassant les tiennes avec ardeur comme autrefois mais ce n'est pas possible. Vous reviendriez sans cesse au même point qu'il y a trois mois et tu finirais encore et toujours malheureuse. Et seule. Tu ne te sens pas capable de revivre tout ça alors tu préfères éviter tout contact pour éviter la rechute. « Ce serait plus facile si je pouvais t'effacer de ma mémoire... tellement plus facile. » Et pourtant, malgré ta souffrance, tu ne le ferais pour rien au monde. « Je pensais être malheureuse avec toi mais c'est encore pire sans toi. » Dis-tu finalement, fatiguée de cette lutte acharnée. C'est la première fois depuis vos retrouvailles que tu te montres un tant soit peu honnête avec Woody mais ça ne dure pas bien longtemps. Tu sens la colère qui te submerge à nouveau et tu ne peux t'empêcher de lui demander s'il est fier de te voir comme ça. Fier de te faire autant de mal. L'australien semble choqué par tes propos et tu peux le comprendre parce qu'au fond, tu sais qu'il ne fait pas ça volontairement. Que s'il le pouvait, il atténuerait toutes tes souffrances en une fraction de seconde. Malheureusement, ce n'est pas aussi simple. « Le pire, dans tout ça, c'est que tu peux faire tout ça Woody. Tu peux me rendre heureuse, m'aimer, être là pour moi mais tu ne le veux pas. Je préférerais passer quelques mois à peine à être heureuse à tes cotés plutôt que de revivre ces trois derniers mois. » Trois longs mois qui ne sont pas prêts de s'arrêter, qui plus est. Tu sais que ce trou dans ton coeur ne disparaîtra pas d'aussi tôt. « Mais ça ne sert à rien de reparler de ça, les choses sont les mêmes que la dernière fois. » Si ce n'est qu'en ce qui te concerne, tu es encore plus malheureuse que la dernière fois, à l'hôpital.

Si elle avait été d’accord pour qu’ils s’aiment du plus fort qu’ils le pouvaient, pour le peu de temps qu’il restait à Woody à être en santé, alors il se serait lancé dans le vide sans réfléchir davantage. Mais le jeune homme ne s’était jamais autorisé à croire à cette solution, non, parce qu’il savait qu’une fois qu’il la laisserait pleinement rentrer dans sa vie amoureuse, alors elle saurait le convaincre de ne plus jamais la laisser partir. Lui-même se ferait prendre à son propre jeu, perdu dans ses propres règles. « Oh, come on. Te faire du mal, c’est tout ce que je fais depuis au moins deux ans. Je n’en ai certainement aucunement l’envie, mais j’en suis visiblement capable … » Avoua-t-il sans pour autant en être fier, au contraire d’ailleurs. Il le réalisait avec un soupir accompagnant ses paroles, parce que Woody n’avait réellement jamais eu le désir de blesser Freja et pourtant, c’est ce qu’il fait continuellement. Over and over again. Elle-même l’avait dit, à tellement de reprises, à quel point il la blessait, à quel point il la rendait malheureuse. L’alcool lui voilait bien trop l’esprit cette nuit si elle oubliait déjà la capacité de Woody à tout détruire autour de lui, y compris elle-même. Et ça n’aurait été que le début, s’il n’avait pas eu le courage de mettre un terme à cette évidente descente aux enfers. Mais même s’il avait mis fin à ce qu’ils étaient, rompre totalement le lien était trop difficile pour lui. Alors quand elle fut malade, tout juste devant lui, Woody n’arriva pas à rester en retrait comme elle le lui avait pourtant demandé. Il s’approcha d’elle, tenta de la rassurer, de l’aider, mais elle lui ferma rapidement cette possibilité d’être à nouveau cette personne pour elle. Ça n’était plus son rôle. Ce serait celui d’un autre. Et il n’aurait personne d’autre à blâmer que lui-même. « Dans tous les cas on perd. » Réalisa Woody alors que Freja lui disait qu’elle avait pensé être malheureuse avec lui, mais qu’elle l’était encore plus sans lui. Ni l’une ni l’autre des alternatives ne réjouissait l’homme. Il ne pouvait que croire que le temps suffirait à apaiser le cœur de Freja, et la guider vers d’autres que lui. Cette pensée le rendait malade, mais c’était pourtant la seule avenue possible à ses yeux. Une avenue qui le tuerait encore plus vite. « Fuck, Freja, qu’est-ce que je dois dire pour que tu comprennes enfin ? Que dois-je faire pour que tu te rentres dans la tête que c’est pas parce que je ne le veux pas ? Je ne PEUX pas ! » Cria-t-il à son tour, les mains posées l’une sur l’autre là où son cœur se trouvait derrière ce ridicule costume. « Je ne peux pas te faire ça. Je sais trop bien ce qui m’attends, ce que je deviendrai, mais surtout je sais que si je nous laisse être enfin heureux ne serait-ce que pour ces quelques mois, ni toi ni moi ne saurons nous sauver à temps … » Elle avait raison, Freja. Peu importe le nombre de discussions qu’ils auraient à ce sujet, elles se solderaient toujours par la même constatation. Par les mêmes conclusions. « On tourne en rond. » Ajouta Woody, acquiesçant à ses propos. « Laisse-moi au moins te raccompagner chez toi, s’il-te-plaît. »  

Bien sûr que Woody t’a rendu malheureuse par le passé et plus d’une fois, même. Mais ça fait partie intégrante de votre relation de vous déchirer pour mieux vous retrouver. Et puis, jusqu’ici, tu ne pensais pas que c’était quelque chose d’irréversible, que tu serais obligée de vivre avec cette souffrance, cette douleur intense, durant le reste de ta vie. « La douleur que j’éprouvais à l’époque était bien moindre à côté de celle d’aujourd’hui. » Dis-tu en haussant les épaules. Jusqu’ici, la souffrance causée par Woody ne t’avait jamais empêché de vivre et même de respirer. Tu n’imaginais pas que ça puisse être pire, à l’époque, mais aujourd’hui tu sais à quel point ça peut l’être. Tu ne comprends pas pourquoi l’australien ne peut s’empêcher de te faire du mal alors qu’il pourrait rendre les choses beaucoup plus simples pour toi comme pour lui. Ou plutôt si, tu sais que c’est à cause de sa maladie mais tu ne comprends pas pourquoi toute sa vie tourne autour de ça. Si tu étais à sa place, dépendante d’une maladie qui te ronge, tu profiterais de la vie à deux mille pour cent afin de ne jamais avoir de regrets. Tu planterais tout, sans aucun doute, pour découvrir le monde plus que tu ne l’as jamais fait jusqu’ici, entourée des personnes que tu aimes. Mais Woody, lui, préfère se terrer dans le négatif plutôt que d’envisager ne fusse qu’une seule seconde les aspects positifs. C’est sans doute cela qui vous différencie. Tu soupires quand il répond que dans tous les cas, vous êtes perdants, tous les deux. Tu as l’impression de perdre bien plus dans tout ça que lui mais tu te trompes sans doute. Lorsqu’il hausse la voix, tu ne peux t’empêcher d’avoir un mouvement de recul tout en fronçant les sourcils. Ce n’est pas la première fois que vous criez l’un sur l’autre mais les paroles de Woody sont si dures, si violentes que tu as du mal à encaisser. « Je suis désolée d’avoir du mal à encaisser le choc… D’avoir du mal à imaginer une vie où tu n’es pas. Je n’imaginais pas que ce serait si difficile ! T’as pris mon cœur et maintenant tu me le jettes à la figure et tu voudrais que  je passe à autre chose, comme ça, en un claquement de doigts ? » Demandes-tu en criant à ton tour et en sentant des larmes se déverser sur tes joues. Tu pleures de colère, de frustration mais surtout de tristesse. C’est injuste, tellement injuste. La vie te retire le seul homme que tu aies jamais aimé et tu as beaucoup de mal à l’accepter si tant est que tu puisses l’accepter un jour. Oui vous tournez en rond depuis trois mois maintenant et il est peut-être temps pour vous d’accepter qu’il n’existe aucune issue. Tu secoues la tête lorsque Woody propose de te raccompagner, ce ne serait pas une bonne idée et surtout, tu as déjà quelqu’un pour le faire. « Allen me raccompagne déjà. » Réponds-tu en jetant un coup d’œil vers la porte de sortie de la salle des fêtes où il risque sans doute d’apparaître d’une minute à l’autre à cause de ton absence prolongée. « Je crois qu’il est temps que nos chemins se séparent. Pour de vrai. » Murmures-tu finalement en effaçant d’un geste tes larmes.

N’était-ce pas malsain qu’ils en soient à un point où ils acceptaient le fait que se faire du mal faisait partie intégrante de ce qu’ils étaient ? N’auraient-ils pas dû, justement, prendre leurs jambes à leur cou et fuir ? Fuir bien mieux, fuir bien plus loin, que ce qu’ils faisaient actuellement. Visiblement, ils avaient beau vouloir prendre des directions opposées, courir le plus vite possible de l’autre côté complètement, la terre était ronde … Alors le plus loin ils fuyaient, le plus vite ils se retrouvaient. « Mais cette douleur-là était constante. Celle que tu vis actuellement, elle s’estompera avec le temps, Freja. » C’était ce que Woody préférait croire, plutôt que de vivre avec l’idée que plus jamais il n’aurait le cœur léger, que plus jamais il ne pourrait s’endormir le soir sans que ses pensées ne le conduisent instinctivement au regard de Freja. C’était une torture de ne voir son corps que dans ses rêves. Pourtant, c’était lui-même qui se montrait cruel envers tous les deux. Woody était tellement borné dans sa manière de voir le monde, son monde, qu’il en oubliait qu’il ne pouvait obliger les autres à le vivre de la même manière. Il ne pouvait pas forcer les autres à penser comme lui le faisait. Il n’arriverait jamais à les faire comprendre. Et peut-être était-ce mieux ainsi. Si un jour, les proches de Woody comprenaient enfin les raisons qui le poussaient à agir ainsi, à prendre de telles décisions, alors tous l’abandonneraient complètement et pour de bon. Et s’il arrivait à peine à survivre à cette séparation d’avec Freja, Woody ne réussirait jamais à revoir un lendemain s’il était totalement seul. Pourtant, celle qui lui permettait le plus de respirer et de vivre, il était encore et toujours en train de la repousser, à coup de cris et de critiques. Qu’attendait-il d’elle, vraiment ? Et d’eux ? « Non, je ne m’attends pas à ça. Je n’ai aucune idée de ce à quoi je m’attends, Freja ! Juste … n’essaie pas de me convaincre de changer d’avis, s’il-te-plaît. Essaie juste de comprendre mes raisons et accepte que je veux seulement le mieux pour toi … » Parce que si elle revenait à la charge, si elle tentait à nouveau de lui prouver qu’elle serait auprès de lui coûte que coûte, Woody ne saurait plus quoi lui dire pour la rejeter. C’était déjà bien trop difficile de renoncer à cet amour. Bien trop difficile de l’imaginer en aimer un autre que lui. Alors quand elle lui dit qu’Allen la raccompagnait déjà, Woody déglutit difficilement, serrant la mâchoire pour tenter de contenir sa jalousie qu’il n’avait plus le droit de démontrer. « Je vois. » Répondit-il froidement. Freja ajouta alors qu’il était sans doute temps que leurs chemins se séparent, pour de bon. Ce simple murmure, soufflé entre ses douces lèvres, eut pourtant un effet massacrant sur le cœur de l’homme abandonné à une spirale sombre et écrasante. « On vit dans la même ville. Nos chemins ne se sépareront jamais vraiment tant qu’on sera ici. » Il fallait le constater. L’admettre. L’accepter, peut-être, un jour. Qu’ils ne s’oublieraient jamais totalement.  

S'estomper ? Est-ce qu'il pense réellement ce qu'il dit ? Tu ne vois pas comment la douleur causée par la perte de Woody pourrait bien s'estomper. Pas après des années d'amitié ou de... peu importe ce qu'est votre relation. Tu ne peux pas imaginer une seule seconde que la douleur s'estompe avec le temps alors que tu as perdu la personne la plus importante de ta vie. Même si ce n'était pas tous les jours rose ni facile, Woody t'a fait découvrir l'amour, le vrai. Et pour ça, tu ne l'oublieras jamais complètement. Peut-être qu'avec le temps ça deviendra un peu plus simple mais la douleur ne s'effacera jamais totalement. « Tu sais, tout comme moi, que ce ne sera pas le cas. » Tu es terrifiée à l'idée que Woody se remette bien plus vite que toi de cette "rupture" et finisse par t'oublier, par passer à autre chose et par trouver réconfort dans les bras d'une autre. Tu ne le supporterais pas, ça ne fait pas de doute. Lorsque l'australien te demande de comprendre ses raisons et de ne plus essayer de le faire changer d'avis tu soupires, un sourire ironique aux lèvres. Comment peut-il te demander ça ? Comment peut-il penser que tu vas renoncer si facilement à ce que vous aviez, à ce que vous étiez, il y a encore quelques mois ? La plupart du temps, tu es une battante, tu ne baisses pas les bras et tu te bats jusqu'au bout pour ce que tu désires. Et là, ce que Woody te demande, c'est d'aller contre ta vraie nature, contre qui tu es. « Tu penses réellement que c'est le mieux pour moi, ça ? Une vie où je serai continuellement triste, seule et brisée ? » Demandes-tu, énervée. « Mais si c'est ce que tu veux, alors j'arrêterai de me battre pour toi, pour nous. » Ajoutes-tu en détournant le regard, retenant tes larmes qui menacent à nouveau de s'échapper. Tu vois bien que, savoir qu'Allen te ramène, ne fait pas plaisir à Woody. Qu'il en souffre même. Mais aujourd'hui, avec la décision qu'il a prise - briser tout ce que vous aviez - il n'a plus son mot à dire. Il ne peut plus agir comme avant et ça le ronge, autant que toi. Même si son ton de voix est glacial, il ne fait aucun autre commentaire et pour ça, tu lui en es reconnaissante. Tu n'as plus la force de te battre encore et encore contre lui, contre toi-même, contre tes sentiments. « Peut-être qu'il faudrait que je rentre chez moi... ce serait plus facile pour toi. » Par chez toi, évidemment, tu entends la Norvège et plus précisément Oslo. Seulement, depuis quelques années, ton vrai chez toi est à Bowen. C'est devenu ton pied-à-terre, ta ville du coeur et tu n'es pas prête à la quitter. Même si souffrir chaque jour de la perte de Woody semble insurmontable actuellement. Tu ne sais pas quoi faire ni quoi dire. Peut-être que si tu n'étais pas entrée dans la vie de Woody, ça aurait été plus simple pour lui, pour toi, pour vous.

Bien sûr qu'il le savait, du moins il savait que de son côté ce ne serait jamais le cas, qu'il n'oublierait jamais Freja, qu'il n'effacerait jamais le moindre souvenir vécu avec elle, pas même celui en train de se dessiner devant eux. Même si ce serait douloureux de se remémorer ces dernières minutes, au moins il était en train de lui parler, au moins il pouvait encore se dire qu'il faisait partie de sa vie même si c'était de la pire des manières. C'était déjà mieux que de ne plus en faire partie du tout, ce qui les attendait pourtant au prochain coin de rue. Malgré la tristesse du moment, Woody aurait voulu étirer cette dernière rencontre, il aurait voulu la rendre interminable pour ne jamais avoir à dire adieu à Freja. « On peut au moins essayer. » Essayer quoi ? D'attendre ? De laisser le temps passer pour voir si, au bout de la ligne, ils pouvaient enfin ne plus souffrir de l'absence de l'autre ? C'était ridicule. Ça prendrait toute une vie, toute leur vie, pour réaliser à la grande finale que ça n'avait pas fonctionné. Que même lors de leurs derniers souffles, c'était une image de l'un et de l'autre que leur esprit fatigué leur enverrait. Signe flagrant de leur échec. Manifestation incontestable de cette vie gâchée à essayer d'en aimer d'autres qui n'étaient pas Freja. Qui n'étaient pas Woody. « Ne pense pas que ce que je veux, c'est que tu sois triste et seule. Ne pense pas que c'est le but derrière tout ça. C'est même tout le contraire ! Je ne sais plus quoi faire ou quoi dire pour te faire comprendre qu'au contraire, tout ce que je veux c'est ton bonheur ! Et que ce n'est pas avec moi que tu l'auras. » Il marqua une courte pause, le regard attristé, les muscles contractés, le corps raide. « Faut pas se mentir non plus, Freja. Sans moi, pour le moment, tu n'es peut-être pas heureuse non, mais tu l'as dit toi-même, t'as jamais vraiment filé le parfait bonheur avec moi non plus. Je ne peux pas croire que ça se résume à ça. Qu'il n'y a rien d'autre à vivre pour toi que ça. » Parce que même s'ils se décidaient enfin à se mettre ensemble, plus officiellement, à s'aimer sans se cacher, ça ne serait pas rose non plus. Ils n'avaient pas le droit à leur happy end, Freja et Woody, et il préférait donc la laisser aller le vivre avec un autre. Héroïsme et oubli de soi, ou lâcheté pure et dure ? Tout dépendait du point de vue. Alors que la conversation semblait tirer à sa fin, le trentenaire insista au moins pour la raccompagner, ce qu'il se fit refuser. De plein droit, bien sûr. Mais ça faisait énormément mal quand même. « C'est ici, chez toi. Tu le sais bien. » Chez elle, c'était dans les bras de Woody. Home is where the heart is. Mais il n'avait plus le droit à ce genre de pensées. Il n'avait plus le droit de semer le doute et la confusion dans une relation qu'il venait de réduire à néant. « I guess we'll have to find a way to move on, you and I. » Mais il n'y en avait plus, de you and I. Elle, et lui, chacun à leur opposé.

Tu ne peux t'empêcher de rire, ironiquement, en entendant Woody dire que vous pourriez au moins essayer. Mais essayer quoi, finalement ? De vous oublier l'un l'autre ? De tirer un trait sur votre histoire ? C'est impossible et il le sait tout comme toi. Mais encore une fois, il se voile la face, il fuit les vraies choses parce qu'il a peur. Peur de quoi ? Tu l'ignores. Tu ne sais pas pourquoi il te rejette de la sorte depuis bientôt trois mois. Trois longs mois durant lesquels ta joie de vivre a disparu comme si ton esprit était continuellement sur pause alors que le monde autour de toi continuait à tourner. Malgré tes efforts, ton esprit était éteint, presque mort après le départ de Woody à l'hôpital. Beaucoup de tes proches l'avaient remarqué mais restaient impuissants. Alors, pour éviter de les faire souffrir, tu as commencé à faire mine d'aller mieux et de reprendre le cours de ta vie. C'était faux. Totalement faux mais il n'y a que toi, prisonnière de ton esprit, qui en est réellement consciente. « Ouais faisons ça. » Rétorques-tu d'un ton détaché, haussant les épaules. Tu n'y crois pas une seconde mais si c'est ce que Woody a besoin d'entendre alors c'est dit. Tu jettes quelques regards à Woody lorsqu'il prend la parole, incapable d'avoir le regard braqué sur lui. Impossible de lire de la tristesse dans son regard alors qu'il est à l'origine même de la tienne. « J'ai du mal à croire que tu veuilles mon bonheur en m'infligeant toute cette souffrance. » Dis-tu en soupirant. Woody semble tellement convaincu par ce qu'il dit que ça en est déconcertant mais tu as du mal à accepter qu'il puisse se persuader que tu seras heureuse sans lui. « Au-delà de mes sentiments pour toi, j'ai des difficultés à concevoir une vie où mon meilleur ami n'est pas. » Parce que même si perdre l'amour de ta vie est compliqué, perdre ton meilleur ami l'est tout autant. Bien sûr, tu as Andreas mais votre relation est différente. Heureusement, il sera là pour t'épauler quand Woody aura complètement disparu de ton quotidien. « Oui mais je ne supporterai pas de te voir au bras d'une autre. Je préfère partir si ça devait finir par arriver. » Et ça arrivera, que tu le veuilles ou non. Il y a bien un jour où tu devras retourner d'où tu viens pour oublier la perte de Woody. Ce ne sera pas forcément plus facile mais au moins, tu ne vivras pas avec la peur au ventre de le croiser dans la rue avec une autre fille que toi. « Oui même si jusqu'ici je n'ai pas encore trouvé comment faire... » Dis-tu en baissant légèrement la tête avant d'ajouter : « Nous n'avons pas d'autres choix. » Ou plutôt tu ne nous laisses aucun autre choix. Woody vous prive d'une vie à deux sans doute merveilleuse mais c'est son choix après tout. Pas le tien.

Ils n’y croyaient pas, ni l’un ni l’autre. Woody se montrait peut-être ferme, direct, presque habité par une certitude inébranlable, mais pourtant tout son être tremblait, secoué par un vent de regrets qui n’attendrait pas plus de quelques minutes avant de se lever. Les mots s’étaient à peine écoulés d’entre ses lèvres que déjà, Woody savait pertinemment qu’il frappait un mur. Qu’il ne se redresserait jamais après la perte de Freja. « Je conçois bien que pour le moment c’est compliqué à comprendre pour toi. J’espère juste qu’un jour, tu pourras reconnaître que c’était la meilleure décision à prendre, aussi difficile que ça puisse être maintenant … » Des paroles, des paroles qui au fond ne voulaient rien dire, qui ne signifiaient rien si ce n’était que le besoin pour Woody de réconforter Freja, alors qu’ils étaient tous les deux inconsolables. Pire encore, ces mots allaient sans doute réveiller en la norvégienne encore plus de hargne à son égard, lui qui ne semblait pas daigner saisir toute la souffrance qu’il lui infligeait. « J’ai du mal aussi, Freja. Tu fais partie de mon quotidien depuis des années, maintenant. Quand il m’arrive un truc, t’es la première personne à qui j’ai envie de le raconter. Quand j’me sens lâche et seul, t’es celle qui arrive à me sortir de l’ennui. Mais il faut se rendre à l’évidence, du moins de mon côté … j’pourrai jamais n’être que ton ami. Je voudrai toujours plus, alors que je sais fort bien que c’est pas raisonnable. Alors … » Alors voilà. Voilà pourquoi ils en étaient là, ce soir, après des mois de silence et d’absence, voilà pourquoi encore une fois ils retombaient dans le même discours d’incohérences. « Ne fais pas ça. Ne laisse pas derrière toute une vie bâtie ici, par ma faute … je n’en vaux pas la peine. » Souffla-t-il alors que Freja lui faisait clairement comprendre que pour elle, l’issue, la rédemption, c’était de fuir l’Australie et de repartir en Norvège. « De toute façon, comprends-moi bien : si je ne peux être au bras de celle que j’aime, je ne serai certainement pas au bras d’une autre. » Woody se condamnait-il alors à une vie de solitude ? N’importe qui aurait pu en douter, n’importe qui aurait du mal à se l’imaginer. Pourtant, si le jeune homme avait à deux reprises laissé l’amour sortir de sa vie, alors sans doute son idée était-elle faite. Pour ce qui se passait sous ses draps, c’était une autre histoire, mais au niveau de son coeur, il se promettait de ne plus laisser qui que ce soit s’y glisser. Alors que la fatalité de leur destinée se dessinait face à eux, que l’absence de choix faisait écho à leur chagrin, Woody recula de quelques pas, la mine basse. « Dans ce cas, je devrais te laisser retourner à Allen. » Lâcha-t-il non sans mépris dans le timbre de sa voix.  

« Je ne pourrai jamais reconnaître que te perdre est la meilleure solution. » Dis-tu en secouant la tête à la négative. Tu sais que tes paroles ne le feront pas changer d'avis et qu'elles n'apportent rien de plus à votre discussion mais c'est plus fort que toi. Tu ne peux laisser Woody affirmer de telles choses. Bien que lui, semble persuadé d'avoir raison. « Mais je n'arriverai pas à te faire changer d'avis de toute façon. » Ajoutes-tu, résignée. Tu le connais par coeur et malheureusement, tu sais à quel point il est têtu et déterminé lorsqu'il pense avoir raison. Tu jettes un regard à l'australien lorsqu'il reprend la parole, affirmant que si vous ne pouvez pas être seulement amis, vous ne pouvez pas être un couple non plus. Pourquoi ? Parce que Woody l'a décidé, tout simplement. Sans raisons ou plutôt sans raisons justifiées et sensées. Il se persuade qu'il agit de la bonne manière alors qu'il fait tout le contraire et pourquoi ? Parce qu'il a une piètre estime de lui-même, tout simplement. S'il pouvait se voir à travers tes yeux, il verrait à quel point il peut être bon et un homme bien. Malheureusement, tu ne parviendras jamais à le faire changer d'avis sur lui-même. Peu importe tous les efforts fournis. « Alors, tu tires un trait sur moi. » Murmures-tu en baissant la tête, confrontée à la douleur intense de tes mots. C'est comme un coup de poignard en plein coeur. Pire encore que cette balle reçue à la jambe, quelques mois plus tôt. « Il est bien là le problème. Tu en vaux la peine, Woody. Tu vaux la peine que je me batte pour toi mais tu m'en empêches sans cesse. Tout ça parce que tu ne penses pas être assez bien pour moi ou je ne sais quoi encore. Ce ne sont que des conneries tout ça et j'espère que tu t'en rendras compte avant qu'il ne soit trop tard. » Dis-tu en posant ton regard sur le jeune homme, peut-être, pour la dernière fois. Tu hausses les épaules lorsque Woody affirme qu'il ne finira pas dans les bras d'une autre s'il ne peut être dans les tiens. C'est ce qu'il dit maintenant mais tu restes persuadée du contraire. Il trouvera, un jour ou l'autre, une femme qui le fera changer d'avis et qui aura tout gagné. Malheureusement, ce ne sera pas toi. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir envié ce rôle durant des mois, si ce n'est des années. Quand il mentionne Allen, tu sens tout le mépris qu'il ressent dans sa voix et pourtant, il n'a aucun droit d'être méprisant. Pas alors qu'il est le seul responsable de cette situation. Tu aurais pu repartir à son bras si les choses avaient été différentes. S'il t'avait laissé une chance, s'il vous avait laissé une chance. « Je pense aussi. » Réponds-tu, froidement, avant de te redresser, prête à partir. Une chose est sûre, après cette discussion, ton ivresse a totalement disparu. Comme si la dureté de la situation avait ôté tout alcool de ton corps. Malgré ton envie de partir sans te retourner, tu ne peux t'empêcher de t'approcher de Woody et de déposer un bref baiser sur ses lèvres. Trop court, trop chaste pour vous mais le prolonger n'aurait fait que rendre la situation encore plus difficile. « Adieu Woody. » Dis-tu en retenant un sanglot avant de t'échapper, pressant le pas en prenant la direction de la salle des fêtes pour rejoindre Allen. Vide. Complètement vide de joie, d'amour et même de vie. Woody a tout emporté avec lui en brisant ton coeur pour la énième fois.