and everywhere, the brilliant horizon (andeana)

Des images saccadées, des prises de conscience accablantes, un souffle coupé et de la difficulté à le retrouver. À se retrouver. L’état de Naveen s’était empiré au fil des semaines, suite à la fusillade qui avait eu lieu sur les plages de Bowen et à laquelle le syrien était intervenu une fois le premier choc passé. Une vague de panique avait déferlé sur lui et pourtant, les vieilles et tristes habitudes de la guerre avaient rapidement refait surface pour le pousser à se rendre sur les lieux du crime, aidant les pauvres rescapés à se tirer de là. Puis, il s’était complètement refermé sur lui-même, quand la réalité l’avait frappé de plein fouet, quand le retour à la normalité n’était finalement jamais arrivé. De nombreux mois s’étaient écoulés depuis, les premiers avaient été passés à se laisser aller à l’oubli, à s’abandonner aux bras de la peur vilement allongés vers lui. Les derniers, eux, s’étaient écoulés au compte-goutte, mais chaque décompte le rapprochant un peu plus de la lumière. Wyatt avait été celui à cogner à sa porte, et à lui tendre une main plus rassurante que celle de la terreur, malgré le trouble dans son regard, le même qu’il voyait lorsqu’il croisait son propre reflet dans le miroir. Ce ne fut pas en un claquement de doigts. Ce ne fut pas une simple conversation qui remet tout en perspective. Ce fut un long processus, de ceux qui demandent un énorme travail sur soi. Et ce n’était pas terminé, ce ne serait jamais terminé pour Naveen, âme brisée, cœur esseulé, esprit torturé par toutes les mémoires et les regrets d’une vie d’avant. Mais autrefois n’était plus si éloigné que cela quand on ne se sentait plus en sécurité nulle part. Malgré tout, Naveen faisait des efforts, il pointait le bout du nez dehors, à coup de cinq minutes ou à coup de plusieurs heures, si le courage guidait ses pas. Ses pas qui le conduisirent, ce matin-là, au jardin botanique, là où la nature lui semblait davantage sécurisante que les rues où les gens fourmillaient pour se rendre au travail, à l’école, peu importe là où le vagabondage les mènerait. Pour lui, son éphémère havre de paix, c’était ici. Il déambulait dans les sentiers sinueux, le parcours irrégulier se confondant parfaitement avec son esprit confus. Son chemin croisa alors celui d’une femme, de l’autre côté du petit pont traversant un ruisseau de nénuphars et de poissons. Le soleil levant baignait le blond de ses cheveux dans la lumière éclatante du matin. Mais rien de plus aveuglant que son percutant regard posé sur lui, hésitant. Il réalisa, à cet instant précis, que depuis son arrivée en Australie, il ne s’était jamais senti aussi seul que depuis qu’Andeana ne ponctuait plus son quotidien de ses sourires.

Les mois avaient semblé interminables avant que son cœur se mette à guérir des supplices dont il avait été victime et qu'elle se sente doucement revivre. Les larmes qui ruisselaient sur ses joues en cachette n'étaient plus aussi nombreuses que lorsque son âme venait d'être transpercé, s'est elle se relevait, elle oubliait la trahison. Et comme pour toutes ses autres histoires, elle recommençait à regretter, à se dire qu'elle avait peut-être laissé passer une belle relation, mais ce n'était qu'un amour de plus à afficher dans son musée des anciennes relations. En repensant à ses histoires, elle n'arrivait plus à croire en l'amour, elle s'était même mise à se demander si elle l'avait déjà ressentie, si ce qu'elle prenait pour des sentiments n'étaient rien de plus que des attachements, qu'une manière égoïste de garder des amis proches d'elle, rien que pour ses besoins d'affections. Elle avait arrêté sa réflexion à ce questionnement pour ne pas s'ouvrir le cœur plus profondément en découvrant la réponse. Andeana camouflait le reste de douleur en s'occupant le crâne, profitant du printemps qui faisait éclore les bourgeons, de la fraîcheur matinale avant que la chaleur domine la ville. Depuis le début de la saison, c'était devenu une routine, le chemin qu'elle prenait automatiquement avant de se rendre quelque part, elle atterrissait toujours au jardin botanique pour exhaler les parfums des multiples plantes qui habitaient les lieux de leurs splendeurs. La vie végétale donnait une impression de sécurité, l'endroit paisible lui faisait oublier le reste, elle retrouvait le calme qui l'avait si longtemps habité avant que ses histoires viennent la noyer dans le chagrin. Pourtant ce n'était pas sur ces plantes que ses yeux restaient figés, mais sur un homme qui avait quitté sa vie pour les mauvaises raisons. Celui qu'elle avait autorisé à partir alors qu'elle n'en pensait pas un mot. La vénézuélienne ignorait si elle devait le considérer comme un inconnu puisque s'ils n'avaient jamais été réellement proches, même s'ils ne connaissaient pas tout l'un de l'autre, il avait été important à ses yeux, il avait été ce sauveur qu'elle avait tant adulé, cette personne qu'elle avait tant aimé écouter. Ses pommettes relevées, sur son visage se dessinait un doux sourire alors qu'elle levait ses doigts pour le saluer avant de reprendre son chemin, le cœur battant. Pas un mot, rien de plus qu'un geste et ses pas reprenaient dans le sens contraire pour ne pas avoir à le croiser, même si aujourd'hui il n'aurait plus à se sentir mal de tenir compagnie à une femme fiancée puisque son cœur était libre.

Un éclat d’or qui l’aveugla, quelques secondes à peine, peut-être plus, Naveen perdait le fil. Il n’aurait su dire combien de temps il resta là à la regarder, il ne savait si ces secondes-là se comptaient sur ses doigts ou si même toutes les étoiles du ciel n’accumulaient pas autant d’attente. Ces étoiles qui face au soleil s’inclinaient jusqu’à en disparaître, ces étoiles sous lesquelles Naveen avait fermé sa propre source de lumière. Pourtant, Andeana brillait toujours autant, ne laissant pas les chauds rayons effacer sa lueur. Elle était plus forte que les étoiles. Elle était plus forte que lui. Un doux sourire anima ce visage qu’il ne pensait pas revoir lui sourire à nouveau et pourtant, elle lui offrait ce cadeau, elle lui autorisait cette délicatesse qui réchauffa son cœur malgré ses traits qui ne démordirent pas de leur stupeur. Ses fins doigts remontèrent lentement dans les airs, suspendus dans le temps, un temps qui pour une fois lui sembla s’écouler en un claquement de doigts. Elle n’était déjà plus là. Quand sa propre main s’était levée pour la saluer à son tour, Andeana n’était plus là. Avait-elle été un mirage, une construction de ses pensées, imaginée de A à Z ? En était-il à ce point seul que les fantômes d’un passé pas si éloigné joignaient déjà ses songes éveillés ? Naveen secoua rapidement la tête, comme si ce brusque étourdissement de son esprit suffirait à remettre en place les pièces éparpillées. Au contraire, il sema le chaos encore plus, entrevoyant au loin la silhouette d’Andeana disparaître puis réapparaître entre les arbustes en fleurs. Le chemin s’éloignait de plus en plus. Elle s’éloignait de plus en plus. Incertain de ce qu’il ferait une fois à sa hauteur, le syrien avait toutefois la conviction qu’il ne pouvait la laisser partir. Si elle avait pu le regarder lui tourner le dos ce soir-là, l’abandonner à une solitude démesurée, lui ne supporterait pas une seconde fois que leurs trajectoires dévient au point de se perdre de vue. Elle était celle dont la présence l’apaisait le plus, elle était celle dont le visage lui était le plus rassurant. Il avait besoin, Naveen, de se sentir à nouveau enveloppé d’une aura lénitive. « Andeana, attends ! » Après une courte course contre la montre et contre lui-même, Naveen avait traversé le pont, avait sillonné les sentiers jusqu’à ce qu’il retrouve les cheveux baignés de lumière de la jeune femme, qui s’arrêta, dos à lui, la cascade dorée s’immobilisant devant un paysage presque féérique. Si seulement tout cela n’avait pu qu’être un rêve. Si seulement Naveen n’avait pas lancé au bout de ses bras l’une des seules belles rencontres qu’il conservait dans son cœur. « Je suis désolé. Je suis désolé d’avoir laissé les choses ainsi entre nous. » Souffla-t-il enfin. « J’ai du mal à sauter le pas. J’ai du mal à comprendre ce qui est important et ce qui ne l’est plus. » Se justifia-t-il, même si rien ne pardonnerait sans doute cette réaction lâche et offensante.