So I do it solo + Léo et Salomé

La solitude. Peu importe combien d'heures elle passait à son cabinet ou combien de soirées elle consacrait à du bénévolat, car, lorsqu'elle passait le pas de la porte ; Salomé était seule. La maison était vide depuis quatre ans.

Louis faisait parti de, vous savez, des meilleurs qui partent trop tôt. Il était un époux passionné. Un ami fidèle. Un frère taquin. Un neveu serviable. Pour Salomé, ce fut la disparition de son monde entier. Et dire que plus jamais elle n'entendra le son de sa voix. Un deuil prend du temps. La première année, on apprend à réaliser. La deuxième, on vit avec. Et pour la troisième, on est censé avancer. Salomé était encore bloquée au stade deux. Elle faisait avec sans parvenir à avancer dans sa vie sentimentale. Non seulement elle ne le voulait pas, mais elle n'y arrivait pas. Pourtant elle restait une femme avec des besoins et des envies. Le soir quand elle rentrait à la maison, son besoin le plus profond se résumait à de l'affection.

Alors pour retarder encore plus ce moment, en cette fin d'après-midi, elle alla nourrir les canards dans le parc. Son sac était rempli de pains durs. Près de la rempart, elle émietta le pain et le parsema dans le lac. Les canards se précipitèrent pour tout picorer.

Il y avait souvent ce vide qui s'immisçait en lui, sournoisement, au moment le plus inopportun. Cette détresse qui le démunissait et le rendait vulnérable, elle arrivait souvent le soir, après une bonne journée à s’user au travail ou à profiter avec ses amis, quand il pensait qu’il allait bien, qu’il maîtrisait la situation. Elle l’assaillait sournoisement quand il s’y attendait le moins, au fond de son lit ou quand il préparait à manger, quand il tombait sur une photo qu’il avait oublié ou qu’il rangeait sa maison et que surgissait un jouet, quelque chose, n’importe quoi qui lui rappelait que dans son foyer il pourrait y avoir des cris d’enfant, des rires, de la joie, de la vie. Mais cette vie là il n’y avait droit qu’une semaine sur deux et même s’il donnait l’impression de bien le supporter, cette situation le bouffait de l’intérieur, ne pas voir son fils grandir au quotidien, mais aussi avoir perdu ce bébé qui aurait pu grandir, heureux, avec Grace. Léo n’avait jamais voulu d’enfant, aussi loin qu’il se souvenait, il restait un homme, loin des désirs de maternité de ces dames, en vérité il n’avait jamais songé à l’idée de devenir père avant que son ex se présente enceinte devant lui. Depuis il avait revu sa copie, il ne voyait plus sa vie sans les éclats de rire de John et ceux-là lui manquaient quand il était chez sa mère. Peu de personnes étaient au fait de ce mal qui rongeait le barbu, lui, continuellement de bonne humeur, ne montrait que rarement à quel point il était malheureux dans sa solitude, sans enfant, sans femme dans sa vie. Dans cette soirée solitaire il avait particulièrement sentit le manque quand il avait remarqué un sac de pain sec dans son garage, celui-ci était destiné à être jeté aux canards avec Jonah lors de sa dernière visite, mais comme le petit garçon était malade ils n’étaient pas sorti. Il attrapa alors le sac et, sur un coup de tête, se rendit au parc pour se changer les idées. Une fois devant l’eau, il remarqua une femme qui avait déjà pris place, il l’observa un instant, elle était de dos, elle avait une élégance qui lui parlait même s’il ne la reconnaissait pas encore. Il s’approcha de la brune doucement et celle-ci se retourna, c’est là qu’il compris ce sentiment de déjà-vu. Qui d’autre que Salomé pouvait avoir cette façon de se tenir, droite et cette classe naturelle ? Le secret, pour que les canards viennent à toi, c’est de leur donner envie. Si tu jettes tout tout de suite, tu n’as plus d'intérêt pour eux. Regarde. Et Léo jeta petit à petit ses morceaux de pain, obligeant les palmipèdes à s’approcher de lui s’ils en voulaient plus. Et rapidement ils furent entourés de tout un groupe de colverts. Tu venais te promener ?  Ou juste nourrir les canards ? Lui qui pensait se retrouver seul face à l’eau, il trouvait une amie à qui parler, c’était déjà bien.

C'est fou comme une simple escapade peut devenir une remise en question. Face au lac, les cancans devinrent un bruit sourd. Salomé s'égara. Seule. Je suis seule pensait-elle. Plus personne ne l'aimera autant que Louis ne l'a aimé. Elle ne pourra plus jamais donner autant d'amour à un homme. Elle le voudrait, oui, mais comment faire si son coeur, lui, reste fermé? Trente-trois ans et là revoilà à la case zéro. Sans mari, sans enfant.

L'adoption est une idée qui l'a séduisait avant même d'être mariée ou célibataire. Elle aurait aimé apporter de l'amour à un enfant dans le besoin. Il ne sera ni sa chair ni son sang mais ce sera son enfant rien qu'à elle. Un enfant tout autant désiré, tout autant planifié.

Perdue dans ses pensées, une voix rauque et familière l'éveilla de ses songes. Oh Léo! reconnut-elle, heureuse de se changer les idées. Exactement. Salomé lui montra son sac encore rempli de morceaux de pains. Elle aussi avait émietté ses bouts et une ribambelle de canards attendaient, à l'affût de la moindre miette. Il soulevait une question banale où elle ne put cacher sa mélancolie. Un peu des deux. Il y a des journées comme ça, où... j'ai juste envie de donner à manger aux canards. lui dit-elle en haussant les épaules. Ne cherchant pas à attrister ce moment, elle eut un petit sourire et lui retourna la question. Et toi?

Longtemps, Léo avait pensé que Salomé ne l’aimait pas. Très protectrice envers Fleur, il avait toujours semblé au brun qu’elle voyait d’un mauvais oeil cette relation particulière qui le liait à la jolie française. Il était vrai qu’il n’avait pas toujours été correct envers elle, incapable, dans sa jeunesse, de savoir où s’arrêtait leur amitié et jusqu’où il pouvait aller dans ce jeu de séduction qu’il y avait entre eux. Et même si, avec le temps, il s’était assagi, il avait toujours subsisté une pointe d'ambiguïté entre eux, jusqu’à ce qu’elle lui annonce, comme l’éternelle adolescente qu’elle était resté, qu’elle était amoureuse, pour de vrai cette fois, d’un homme qui la rendait heureuse. Mais concernant Salomé, Léo avait toujours fait attention, en sa présence il ne savait pas vraiment comment agir, ayant toujours peur de mal dire, de mal faire, de paraître déplacé. Ce n’était finalement que depuis la maladie de Fleur qu’il s’était rapproché de la brune, qu’il avait appris à la connaître et inversement, elle avait compris qu’il n’était pas un vil séducteur qui voulait absolument pervertir sa protégée et lui avait bien vu qu’elle était sympa et pas si coincée que ça. Finalement ils s’entendaient bien, ils avaient appris qu’ils n’étaient pas si différents l’un de l’autre, que leurs histoires avaient quelques similitudes, même si ce n’était pas dans les aspects les plus joyeux. Et étrangement, cette peine qui les animait tous les deux les avait rapproché. Oui… je crois que c’est ce genre de journée là pour moi aussi. Il lui offrit un petit sourire timide, avouant sans le dire qu’il n’était pas forcément dans un bon jour non plus. Étrangement, en la présence de Salomé, l’éternel bout-en-train ne se cachait pas derrière sa bonne humeur de façade, il se montrait fragile et humain, avec ses jours sans, comme tout le monde. Tu veux marcher un peu ?

Petite mise au point concernant ce que Salomé pensait de Léo. Un homme dont elle s'en méfiait comme la peste. C'était de bonne guerre. Salomé voulait protéger le petit cœur de sa Fleur. Mais Léo, lui, n'avait rien d'un farfelu joueur. Ce n'est qu'une fois qu'ils mirent les choses au clair, que Salomé abaissa sa garde. Lui aussi il tenait à sa Fleur. Finalement, il est gentil ce Léo. Beau et charmeur ne rime pas forcément avec séducteur et manipulateur. La mort de leur bien-aimée les a malencontreusement rapprochés. Elle doit bien admettre que sous ses airs de grande dame, Salomé peut parfois paraître rigide. Il ne s'agit là que de manières. Elle n'avait rien d'une Catherine de Medicis.

Avec plaisir! lui dit-elle visiblement soulagée qu'il le lui demande. Elle émietta ses derniers morceaux de pain et entraîna le pas. Rien de tel qu'une belle balade dans un parc pour raconter ses peines. Au moins la vue y est jolie. Alors tu n'es pas avec ton fils aujourd'hui? lui demanda t-elle sachant d'ors et déjà ce qu'il allait répondre. À l'évidence il ne serait pas seul dans le parc avec elle. Il serait en train de profiter de son temps avec son fils. Elle s'imaginait que si son moral n'était pas au beau fixe, il y avait des chances que cette garde alternée en était la cause. Léo avait peut-être besoin de se confier et d'extérioriser ce qu'il ressentait. Il avait bien le droit de se plaindre de cette situation, aussi arrangeante soit-elle. Et sans hésitation, avec douceur, avec compassion, elle rajouta Cela ne doit pas être facile, n'est-ce-pas?

Il est vrai que Salomé pouvait paraître froide, coincée voir même carrément hautaine, de prime abord, mais ce n’était là qu’une façade, Léo avait fini par s’en rendre compte. Il avait même finit par  saisir ce que Louis lui avait trouvé, ça faisait parti de son charme et puis derrière ce masque, elle était finalement très accessible et d’une douceur incomparable. Il avait appris à la connaître dans le cadre de son métier au départ, quand il avait besoin pour son fils il allait la voir elle et personne d’autre, parce qu’avec les enfants elle était parfaite, elle avait cette façon d’agir, ces gestes si tendres, on voyait qu’elle adorait son job et les enfants par dessus tout. Il est probable qu’elle regrette de ne pas en avoir eu avec son mari, elle aurait certainement été une mère parfaite, attentionnée et tendre, mais ça Emerson n’avait jamais osé en parler avec elle, comme s’il sentait que c’était trop douloureux pour elle. Non, il est chez sa mère. Je vais le chercher samedi. Il lui sourit doucement, il avait hâte de retrouver ce garçon qui grandissait bien trop vite, être séparé de lui une semaine entière c’était le voir changer un peu plus à chaques retrouvailles, surtout à cet âge où ils grandissaient si vite. C’est pas... Il soupira. Non, c’est compliqué. Le regard dur, il fixait les arbres au loin. Lui qui se sentait déjà un peu mal, il n’était pas venu pour avoir un peu plus le cafard. Mais j’suis pas là pour me plaindre. Tu ne travailles pas aujourd’hui ? La main qu’il avait enfoncé dans la poche de son jean sortit un paquet de cigarettes qu’il fumait plutôt rarement, loin d’être toujours clope au bec, c’était plus l’un de ses plaisirs quand il était dehors. Ou un besoin lorsqu’il était dans une période plus compliquée ou stressante. Aujourd’hui c’était un peu des deux finalement. Il l’alluma comme si ce geste était habituel et lui tendit le paquet, doutant que Salomé soit fumeuse, mais dans le doute, il se montrait poli.

Son instinct lui disait qu'il n'avait pas le coeur à s'attarder sur le sujet. Salomé le vit dans son regard. Bien qu'elle ne connaissait pas Léo sur le bout des doigts, elle pouvait toutefois cerner sur son visage qu'il ne s'agissait pas du bon moment pour parler de sa situation avec son fils. Il devait tellement lui manquer. J'imagine se contente t-elle de dire avec compassion. Elle n'avait aucune envie de le questionner davantage. Elle fut même soulagée que Léo change de sujet. Non, je ne prends pas de consultation aujourd'hui il lui offrit une cigarette qu'elle refusa aussitôt d'un signe de la tête et d'un timide `non merci`. Elle ne fume pas, l'envie ne lui a jamais traversé l'esprit. J'ai besoin de souffler. Pour te dire, cela fait une éternité que je ne suis pas partie en vacances!

Et ça lui manquait des fois. Paris. Paris en hiver avec ses vitrines de Noël et son manteau de neige. Mais la plupart des siens sont ici, en Australie. Il y a aussi ses patients, dont elle est particulièrement attachée. Ses associations, avec qui elle partage une grosse partie de son temps. Puis, elle était désormais seule. Seule en amouer. À quoi bon partir en vacances si Louis n'était plus là à ses côtés?

Salomé aurait fait une mère parfaite, à l’écoute, bienveillante mais jamais intrusive. Elle posait ses questions à Léo avec douceur et savait tout autant arrêter quand elle sentait qu’il se fermait. Il n’avait pas voulu la blesser alors il avait préféré se taire et elle l’avait compris, aussi simplement que ça. Ils étaient tous les deux sorti pour s’aérer la tête, pour se changer les idées et aucun d’eux n’avait besoin d’être accablé davantage, de quelque façon que ce soit. Il lui offrit un demi sourire plein de reconnaissance alors qu’il cherchait son paquet de cigarette. Evidemment, elle ne fumait pas. C’était peut-être l’un des aspects les moins attirants chez elle, selon le barbu, elle était parfaite. Si parfaite qu’à côté lui paraissait le pire homme au monde, avec ses nombreux défauts, ses manies, ses mauvaises habitudes et son manque de savoir être parfois. Jamais Léo n’avait vu Salomé faire une erreur, jamais il ne l’avait vue décoiffée non plus, elle était toujours si lisse, trop lisse pour lui. Il aurait envie un jour, rien qu’une fois, de la voir se lâcher, sortir les crocs si besoin, se montrer humaine, avec ses défauts autant que ses qualités. Parce qu’elle devait bien avoir quelques travers, tout le monde en avait. Qu’est-ce que tu attends, pars alors ! Il savait que, tout comme lui, la brune avait de la famille en France, si un jour ce blues là venait à lui arriver, il sauterait dans le premier avion, pour Paris ou ailleurs, c’était sa façon à lui de fonctionner, Léo avait cette chance de n’avoir aucune attache, il pouvait partir sur un coup de tête, son métier il l’emmenait avec lui en voyage, son métier c’était le voyage d’ailleurs. Pour ma prochaine mission humanitaire je t’emmène avec moi. Je suis certain que tu es faite pour ça, avec ta douceur et ta compassion, tu ferais des merveilles. Et ce n’était pas des paroles en l’air, il n’y avait jamais assez de mains pour aider, jamais assez de coeur pour aimer ceux qui en avaient besoin. Salomé serait la partenaire parfaite, il n’en doutait pas un instant. Si tu veux je peux te montrer mon dernier projet, juste pour te donner une idée.

La proposition de Léo lui paraissait folle. Quitter Bowen pour partir en vacances? Oh non c'est insensé! répliqua-t-elle comme si il s'agissait de quelque chose de totalement absurde. On peut dire que Salomé n'a jamais vécu de fantaisie dans sa vie. Elle n'avait rien d'une cinquième symhonie, elle serait plutôt une douce et plate mélodie de Chopin. Enfant, elle a reçu une éducation soignée et essentiellement religieuse par ses parents. Son mariage avec Louis était grandiose mais célébrée dans les traditions juives. Depuis toute jeunette, elle a fait preuve de bonté. Son plus gros défaut, et c'est triste à dire, serait qu'elle s'oubliait. Elle ne prennait pas de temps pour elle - hormis pour s'apprêter car elle est coquette. Son côté bon chic / bon genre n'est qu'une apparence.

Soit. Léo avait là de bons arguments qui pouvaient attiser son intérêt. Une mission humanitaire serait une bonne raison de partir en vacances. Au moins, elle se sentirait utile. Alors qu'il vanta ses qualités, Salomé se surprit à rougir. Merci... s'étonna-t-elle, toutefois très flattée. Il y a bien longtemps qu'un homme ne lui avait fait un compliment sincère (un homme séduisant soulignons-le). Un projet humanitaire, dis-tu? Alors là oui! Je suis toute ouïe. De quoi s'agit-il? s'intriguait-t-elle.

Insensé. Voilà un mot qui n’avait aucun sens aux yeux de Léo. Lui qui partait du principe que tout était possible, tout était réalisable, tout autant qu’il était conscient que le monde dans lequel il vivait marchait sur la tête. Insensé n’était clairement pas dans son vocabulaire. Mais dans la bouche de Salomé ça prenait tout son sens. C’était dommage qu’une fille aussi jeune qu’elle, avec la vie devant elle et tout un tas de perspectives possibles, se mette des oeillères pareil simplement parce qu’elle avait peur. Même Grace qui pourtant était la plus prude et sainte des Saintes selon lui, avait ce grain de folie et cette curiosité qui avaient rendu tant de choses possibles. Mais chacun était différent, Louis avait aimé cette Salomé là et cette fille serait un exemple à suivre pour beaucoup de jeunes femmes à la dérive. Puis Léo n’était pas là pour la juger après tout, elle menait sa vie comme elle l’entendait, même si sa pure folie à elle était d’oser louper la messe du dimanche ou de poser une journée de congés.  La proposition qu’il lui fit, un peu en l’air mais pas tant que ça, en plus des compliments bien placés pour l’amadouer, même s’il n’en avait pas totalement conscience, Léo était beau parleur, semblèrent plaire à la brune qu’il surprit même à rougir face à lui. Il fronça les sourcils une seconde, se demandant s’il avait dit une bêtise, avant de comprendre qu’elle était simplement flattée. Il porta la cigarette à sa bouche en souriant nonchalamment. Je ne peux pas t’en parler là, comme ça. Ecoute, termine de donner à manger à tes canards et si tu as du temps dans la journée passe me voir à la maison. On en discutera autour d’un café ! Je vais te laisser. A plus tard ! Et Léo partait déjà, ce n’était pas le genre de sujet qu’il abordait comme ça, en vitesse. Mais il avait plein d’idées qui lui passaient par a tête et il espérait bien que Salomé vienne frapper à sa porte bientôt pour en parler.

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